Serena
Dans les années 30, une femme de fer laisse sa vénalité s’exprimer en toute liberté après avoir convolé avec le patron d’une exploitation forestière de Caroline du nord.
1930 - 1938 : De la Grande Dépression aux prémisces de la Seconde Guerre Mondiale Adaptations de romans en BD Auteurs nordiques La BD au féminin Les petits éditeurs indépendants Les Roux ! [USA] - Dixie, le Sud-Est des USA
En 1930, dans les Smoky Mountains, un train entre en gare à Waynesville. Deux hommes attendent le retour de leur patron parti trois mois à Boston pour affaire et qui revient marié. Sacré Pemberton ! Dès la descente de la voiture de première classe, l’atmosphère change, quand elle apparait. Serena coupe le souffle de Wilkie et Buchanan. Elle devine d’entrée qui est qui, puis reprend l’un et l’autre sur leurs manières de serrer la main sans regarder droit dans les yeux. Buchanan prévient Pemberton qu’il est attendu par le vieux Hamon, sa fille et un nouveau-né. Le patriarche a un compte à régler avec le jeune marié. Serena s’interpose puis ordonne à Pemberton de régler cette affaire vite fait. Le vieux sort un couteau et fend l’air en s’approchant de sa cible. Malgré les cris de sa fille, il plante la lame dans le bras de l’homme d’affaire. Celui-ci la retire prestement et sort son propre couteau pour achever un vieux en bout de course et sans défense. Le shérif Mac Dowell arrive juste à temps pour demander des comptes à Pemberton, qui s’en tire avec une amende de 10$ pour désordre sur la voie publique…
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Date de parution | 07 Mars 2018 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Après une adaptation cinématographique peu convaincante par la Danoise Susanne Bier en 2014, ce fut au tour, quatre ans plus tard, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg (lui-même Danois également), de transposer en bande dessinée le roman de Ron Rash paru en 2008. Si la moulinette hollywoodienne en a fait un mélo hautement romanesque passablement édulcoré, le duo Pandolfo/Risbjerg semble non seulement avoir mieux respecté l’esprit originel du roman, mais il l’a magnifié. Pour les besoins de sa conversion en BD, Anne-Caroline Pandolfo a su parfaitement resserrer le scénario tout en y intégrant une tension omniprésente, faisant que d’emblée et jusqu’à la conclusion, le lecteur est littéralement happé. Et ce personnage de femme charismatique qu’est Serena n’y est pas pour rien. Lorsque celle-ci débarque avec son mari George Pemberton, dirigeant d’une exploitation forestière, dans la petite gare de Smoky Mountains en Caroline du Nord, dans le but de faire fructifier la compagnie, on comprend vite que c’est la jeune femme qui tire les ficelles. Dès la troisième page, l’image est frappante. En sortant du wagon, Serena suit son mari, qui du coup apparaît plus petit tandis qu’il a déjà posé le pied par terre. Avec son regard déterminé et son allure altière, elle s’impose comme la marionnettiste dominant son pantin de mari, ce que va confirmer la suite de l’histoire qui se lit comme un thriller palpitant où tous les coups seront permis. Loin du film lisse de sa compatriote, Terkel Risbjerg au dessin nous livre une version bien plus âpre du roman, avec son trait charbonneux qui va à l’essentiel, et c’est ce qu’on aime chez lui. Avec paradoxalement peu de détails, les expressions des visages sont très bien rendues, à commencer par le regard imperturbablement froid, sans émotion, de Serena. La mise en page est fluide et variée, et on apprécie la façon dont Risbjerg restitue les paysages de Caroline du Nord, un peu à la manière d’un peintre, prouvant sa maîtrise de la couleur comme du noir et blanc, ainsi qu’on avait pu le voir avec « Le Roi des scarabées ». Du grand art. Si la nature et le thème de l’écologie évoqués dans le livre de Rash sont bien repris ici— de l’écologie avant l’heure puisque l’histoire de déroule dans les années 30 —, les auteurs semblent s’être davantage centrés sur les personnages, mais en particulier, bien évidemment, sur celle qui donne son nom au titre de l’histoire. Serena domine tout le récit de son aura puissante et mystérieuse, reléguant toutes les autres figures au second plan. Serena est une calculatrice à sang froid et une prédatrice implacable — à l’image de l’aigle qu’elle va dresser pour décimer les serpents qui tuent les ouvriers de l’exploitation —, exterminant tout ce qui a le malheur d’être à sa portée, les âmes, les êtres, les arbres ou les animaux, animée par une haine profonde et dérangeante dont on ne connaîtra jamais l’origine. D’ailleurs, on ne saura jamais rien du passé de cette femme, aussi fascinante que détestable, et peu encline à laisser filtrer la moindre émotion. Du double dénouement – qui donne froid dans le dos et fait de Serena un être surnaturel et maléfique – on ne révélera évidemment rien… Une fois encore, les auteurs dressent le portrait d’un être hors normes. Férue d’adaptations, Anne-Caroline Pandolfo a ce talent certain pour détecter de bonnes histoires avec des personnages singuliers et marquants. Pourtant, il ne suffit pas de prendre un bon livre, encore faut-il savoir en faire une adaptation qui honore l’œuvre originale. Avec le concours de son brillant alter-ego Terkel Risbjerg, celle-ci a fait plus que l’honorer, elle l'a transcendé en se l’appropriant, lui donnant une nouvelle vie.
Oh la très belle BD que voici. Adaptation d'un roman dont je ne connais rien, je me suis plongé dans cette oeuvre qui va nous dépeindre une femme forte dans un environnement et une époque où elles étaient plus reléguées à la portion congrue. Pemberton est le propriétaire d'une concession de bûcheronnage dans les Smoky Mountains, Caroline du Nord au début des années 30. Il va faire débarquer dans cet îlot de sueur, de sang et de mecs son épouse, Serena. Et loin de l'image d'Epinal de la femme précieuse, celle ci va d'abord se révéler une redoutable manager avant, progressivement, d'avaler ce cher Pemberton dans son ambition démesurée, en laissant ici puis là les cadavres des gens qui la dérangent. Ce qui est prégnant avec Serena, c'est qu'elle n'a aucun scrupule, aucun remord. Une personne est utile ou pas. Et si elle devient inutile, elle est mieux morte. A l'image de sa façon de gérer le cas de Galloway qui perd sa main, elle se révèle redoutable dans la lecture de l'âme humaine, elle qui semble en être dépourvue. Pemberton va d'abord suivre cette soif d'ambition et de pouvoir, avant lui aussi finalement de lâcher. La force du récit, outre la peinture de cette femme incroyable (belle, blessée, redoutable et froide), est aussi de souligner, par touches ténues mais subtiles, la grande dépression et ses conséquences sur l'emploi et les conditions sociales de l'époque, renforcée par une Amérique encore marquée par la violence où les explorateurs économiques remplacent progressivement les cowboys. De même, nous y découvrons l'absence totale d'équilibre pour l'homme blanc entre dollars et gestion maîtrisée de l'environnement. Ici, une forêt est rasée puis on se déplace, à l'instar de crickets à 2 pattes. Le dessin n'est pas très joli de prime abord. Pour autant il n'est pas non plus désagréable et il va finalement s'avérer excellemment choisi pour "optimiser" les éléments climatiques, pour démonter cette massive déforestation, pour amplifier les comportements et caractères des protagonistes. Vraiment du très très bon.
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