Midi-Minuit
1999. Deux cinéphiles français, François Renard et Christophe Lemaire, passionnés de cinéma bis, s'apprêtent à vivre une belle aventure : se rendre en Italie pour y interviewer le réalisateur Marco Corvo, cinéaste mythique que nul n'a revu depuis vingt-cinq ans, après son dernier film inachevé.
Aire Libre Cinéma Italie
D'abord impressionnés par Corvo, les deux Français vont vite se trouver captivés. Au fil de l'interview, qui s'étendra sur plusieurs jours, apparaît le portrait d'un cinéma populaire aujourd'hui disparu : images bariolées et baroques de genres oubliés, péplums, westerns, giallos ou films d'épouvante gothiques... En parallèle, dans leur sillage, débute une série de meurtres sanglants. Toutes les victimes, retrouvées brûlées, étouffées sous des films ou les yeux crevés, sont des critiques de cinéma ayant autrefois vilipendé les films de Corvo.
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Date de parution | 22 Juin 2018 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Les imprévus ne font pas seulement partie du voyage, ils sont le voyage. - Il s'agit d'une histoire compète en 1 tome, indépendante de toute autre, initialement parue en 2018. le scénario a été écrit par Doug Headline (Tristan Jean Manchette, cofondateur du magazine Starfix), et les dessins ont été réalisés par Massimo Semerano. le tome commence par une introduction d'une page écrite par Hélène Cattet et Bruno Forzani (couple de réalisateurs français), en mars 2018. Ce tome se termine avec la filmographie de Marco Corvo (13 films entre 1959 e 1975), quelques points de repère sur le cinéma populaire de genre en Italie, de l'après-guerre aux années 1980, un article consacré au Giallo (intitulé Anatomie d'un genre), une liste de 32 Giallo indispensables sortis en 1952 et 1982, et enfin la liste des films dont une image ou plusieurs apparaissent dans la bande dessinée (au nombre de 32). C'était une autre époque, celle où les cinémas de quartier ne désemplissaient pas et projetaient des films de genre. Mais ces années sont révolues, et la pellicule a laissé la place à la vidéo, puis bientôt au numérique. En 1998, François Renard (surnommé Godzy) et Christophe Lemaire sortent d'une projection à la cinémathèque de Paris. Ils rejoignent un groupe de cinéphiles aimant les films de mauvais genre, dans un restaurant asiatique. Ils font part à leurs amis de leur départ prochain pour l'Italie, afin d'aller interviewer le mythique réalisateur de Giallo, Marco Corvo qui vit en reclus depuis 25 ans. Ils ont décroché cet entretien exclusif grâce à Dino d'Angelo, leur ami italien. Ils emportent chacun une caméra pour être sûr de ne rien rater. La veille du départ, François Renard fait un cauchemar en rêvant au film Lumière noire, de Marco Corvo, jamais achevé. le voyage en avion se déroule sans anicroche et ils sont accueillis par Dino à l'aéroport, mais épié à leur insu par un individu en gabardine. Dino les emmène chez lui à Bologne où il les héberge. le soir, ils évoquent rapidement la carrière de Marco Corvo, et son arrêt brutal en 1975, suite à la disparition de Luisa Diamanti son actrice fétiche. Le lendemain matin, c'est le chauffeur privé de Marco Corvo qui vient les chercher en limousine pour leur premier entretien. Il les conduit dans une villa isolée, éloignée de Bologne. Sur place ils sont accueillis par Alessandra Vasco, la gouvernante du réalisateur. Elle leur interdit de filmer la façade de la villa pour éviter qu'elle ne puisse être localisée. Avant le premier entretien, elle leur expose les 3 règles à respecter. Un : la santé de monsieur Corvo est fragile. S'il vous demande faire une pause, vous arrêtez l'interview. Si vous voyez qu'il se fatigue, c'est vous qui devez lui proposer d'arrêter. Deux : vous ne devez jamais lui parler de Luisa Diamanti. Jamais. Trois : quand monsieur Corvo dit que l'entretien est fini, il est fini. S'il est satisfait, vous reviendrez demain. François Renard et Christophe Lemaire se retrouvent enfin face à Marco Corvo, dans son fauteuil roulant, derrière son bureau. Il leur demande pourquoi ils s'intéressent à lui, afin de tester leur motivation. En découvrant le titre et la couverture, le lecteur peut s'interroger sur le genre de public visé. En effet Midi-Minuit fait référence à un cinéma de quartier le Midi-Minuit sis 14 Boulevard Poissonnière à Paris en face du Grand Rex. La première séquence revient sur l'essor des cinémas de quartier et la projection de films en marge, hors norme, qualifiés de cinéma-bis, ou classé dans le mauvais genre. Cette introduction permet à un lecteur néophyte de disposer du contexte culturel pour apprécier l'histoire qui suit. Doug Headline rend hommage à un genre très particulier qui est celui du Giallo, un genre de film d'exploitation mêlant policier, horreur et érotisme, ayant connu son heure de gloire dans les années 1960 à 1980. D'ailleurs le lecteur découvre une enquête qui reprend certaines conventions de ce genre. Il y a une enquête policière en arrière-plan (la mystérieuse disparition de Luisa Diamanti, l'égérie de Marco Corvo), les crimes sordides des 3 critiques de films (policier + horreur), et une touche très légère d'érotisme sans nudité (plutôt de la sensualité à la limite de la parodie). Néanmoins la dynamique principale de l'histoire repose sur les entretiens avec le réalisateur Marco Corvo qui évoque sa carrière, et donc l'évolution du Giallo au travers de ses propres films. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut être plus intéressé par le mystère de la disparition de Luisa Diamanti) ou par la carrière de Marco Corvo. Dans les 2 cas, il se rend compte qu'il prend plaisir aux entretiens successifs entre les 2 journaliste et le réalisateur. Même s'il ne s'intéresse pas au Giallo, il se prend au jeu de découvrir la vie de ce réalisateur fictif. Les auteurs prennent bien soin de rester accessibles pour les néophytes, en apportant les éléments de contexte nécessaires, sans se laisser emporter par leur sujet. Par exemple, il est question de Cinecittà, le complexe de studios cinématographiques italien fondé en 1937 et situé à Rome. Pour autant, ils ne se lancent pas dans l'historique des studios. Ils évoquent précisément la fin des années 1950, et les collaborations informelles entre les grands réalisateurs italiens de l'époque, et les réalisateurs de film de genre à petit budget. Ainsi le lecteur novice peut se faire une idée des interactions entre ces différents créateurs, et comprendre que tous pouvaient avoir des ambitions artistiques, concrétisées en fonction des moyens budgétaires alloués à leur film. Doug Headline sait utiliser les anecdotes pertinentes à bon escient, comme celle sur l'utilisation des chutes de pellicule. Marco Corvo explique : il fallait stopper les acteurs en plein milieu des prises, leur interdire de bouger, recharger le magasin, reprendre le texte à la syllabe où ils s'étaient interrompus… Voilà pourquoi j'ai réduit le dialogue au maximum dans ce film. La reconstitution historique de cette période et de ce milieu est ainsi rendue accessible et concrète au néophyte. Dans le même temps, le scénariste nourrit son récit d'éléments provenant de son expertise en la matière. Il peut s'agir d'une référence à une actrice emblématique des Giallo comme Marisa Belli (1933-, Maria Luisa Scavoni de son vrai nom), ou des affiches ou des images de films, utilisées pour les citer ou réappropriées dans l'évocation ou la filmographie de Marco Corvo : 32 références qui ne parleront qu'aux experts du genre, comme Maciste contro il vampiro (1961), Quella sporca soria nel West (1968), Sette orchidee macchiate di Rosso (1972). Néanmoins ces références pointues apportent également des éléments d'informations pour le lecteur novice en matière de Giallo. Doug Headline réussit donc son pari de concilier un récit tout public, avec une évocation docte du genre parlant aux érudits en la matière. du coup, le lecteur prend vite conscience qu'il est plus captivé par cette évocation du Giallo que par la trame policière. Cette dernière est bien construite, mais la manière de la raconter emprunte aux conventions du Giallo et peut décevoir les amateurs de récits policiers réalistes. En regardant la couverture, le lecteur s'interroge sur le genre de dessins qu'il va découvrir à l'intérieur car il s'agit d'une savante composition à base d'un buste détouré au crayon avec des surimpressions d'affiches de film floutées, pour un résultat impressionniste teinté de surréalisme. Dès la première séquence, il découvre des dessins plus conventionnels, de nature descriptive, avec un bon degré de réalisme, et un degré de simplification les rendant faciles à lire. Les traits de contour de Massimo Semerano sont un peu lâches, ce qui donne une impression plus spontanée aux personnages. Les visages sont variés et les morphologies différenciées. le dessinateur appuie une ou deux caractéristiques graphiques comme le nez pointu de Christophe Lemaire, la carrure impressionnante de François Renard, ou la plastique irréprochable d'Alessandra Vasco. Ce sont les seules particularités avec un soupçon d'exagération, les autres protagonistes étant normaux et différenciés les uns des autres. Les traits de visage et les contours de silhouette ne sont pas affinés pour avoir des contours bien lissés, mais les personnages sont expressifs, avec des postures naturelles. Massimo Semerano représente les décors avec un niveau de détails satisfaisant et une bonne régularité (dans plus de 90% des cases. Cela participe à la bonne qualité de l'immersion du lecteur qui peut voir les différences d'aménagement intérieur entre l'appartement de Dino d'Angelo, la pièce servant de bureau au commissaire Fornaroli, la villa plus cossue de Marco Corvo, etc. Cela concourt également à la tangibilité de la reconstitution géographique (les rues de Bologne), et historique, à la fois pour les plateaux de tournages, les costumes et les décors des films. Les auteurs ont pris le parti d'intégrer des images extraites de Giallo, soit de manière brute, comme une illustration d'un des films qu'est en train d'évoquer Marco Corvo ou un autre personnage, soit avec un traitement infographique sur la texture ou les couleurs pour plus évoquer une manière de concevoir la mise en scène ou d'exprimer une émotion ou un concept. Ce choix graphique fonctionne très bien dans le contexte de l'histoire, donnant à voir au lecteur ce dont parlent les personnages. Massimo Semerano reprend les conventions du Giallo pour les scènes d'action, en dramatisant un tantinet leur mise en scène, qu'il s'agisse des meurtres de critiques ou d'un accident de voiture. le lecteur peut y voir la volonté de participer à la mise en abîme d'un récit sur le genre Giallo prenant les formes d'un Giallo. Au fil des entretiens avec Marco Corvo, les auteurs évoquent les ambitions d'auteur des réalisateurs de Giallo. le lecteur peut donc aussi recevoir cette lecture comme une évocation d'un genre, et au-delà la démarche de créateurs originaux utilisant un genre cinématographique pour évoquer des thèmes universels. Doug Headline se montre des plus convaincants en mettant en scène comment les conventions de genre, les exagérations propres à un genre peuvent être utilisées à bon escient pour faire ressortir des considérations sur la condition humaine, avec plus de force qu'une observation naturaliste. Il évoque aussi une industrie soumise à une logique économique de production, à la fois budgétaire (l'utilisation des chutes de pellicule), à la fois de production (600 westerns, spaghetti ou non, produits en Italie en 10 ans). Il intègre également quelques remarques pince-sans-rire comme celle sur l'impact très relatif des critiques, et leur pertinence elle aussi très relative. Venu pour une simple évocation du genre Giallo, le lecteur ressort de Midi-Minuit avec le plaisir d'avoir lu une vraie histoire, même si la dimension policière reste assez convenue, bénéficiant d'une narration visuelle vivante et nourrie. En fonction de son degré de familiarité avec le Giallo, il aura eu le plaisir de découvrir les conventions propres à ce genre, ainsi que la manière dont des auteurs les ont utilisés, ou de découvrir un discours s'adressant aussi à des connaisseurs pour une réflexion sur le genre, nourrie par des références pointues et pertinentes. En prenant un peu de recul, il ressort avec un constat sur la manière dont des auteurs peuvent s'accommoder des contraintes industrielles de production de leur œuvre, et sur les plages de liberté qu'offrent les œuvres de (mauvais) genre, ainsi que sur leur capacité à exprimer des émotions et des constats avec plus de force.
L’album est un hommage revendiqué au cinéma populaire, aux films « de genre », essentiellement italiens, de la seconde moitié du XXème siècle (années 1960-1970 essentiellement). Un intéressant dossier clôt l’album, et des images tirées de films s’invitent au cœur de la partie proprement Bande Dessinée. Deux cinéphiles, fans de ce genre de cinéma, partent en Italie interviewer un maître du genre, retiré depuis longtemps du milieu. C’est l’occasion pour eux de retracer les grandes heures de ce type de cinéma. C’est clairement la partie la plus intéressante. Parallèlement, une affaire de meurtres s’incruste dans leur virée, liée à ce cinéaste. Affaire qui fait des clins d’œil aux clichés du genre (meurtrier masqué, sadisme, côté caricatural et un peu improbable de l’intrigue, etc). Ce n’est pas forcément la partie la plus réussie, même si elle se combine bien avec le reste. Une histoire qui se laisse lire. Mais c’est surtout l’aspect documentaire, sur un genre alors décrié, et aujourd’hui devenu encensé par la plupart des critiques, qui fait le sel de cet album, réalisé cela se voit pas des passionnés.
J’ai bien aimé l’approche particulière de ce polar qui se situe dans le milieu des fans de cinéma. On aborde le cinéma italien des années 50-60 et milieu des années 70. C’est un certain âge d’or qui a vu des productions américaines venir tourner des péplums en Italie puis des westerns spaghettis. Il y a un assassin qui dégomme tous deux qui ont réalisées des critiques négatives sur l’œuvre d’un cinéaste tombé en désuétude depuis 25 ans. J’espère toutefois que cela ne donnera pas des idées aux fans d’auteurs de bd… Nos deux héros ne sont pas les enquêteurs mais ils mènent une interview autour de cet auteur qui n’a plus fait d’apparition publique depuis bien des années. Le cadre du polar n’est là que pour donner un peu de piquant. Pourtant, ce que j’ai aimé, c’est toute cette évocation de l’histoire du cinéma italien qui pourra paraître pompeuse pour bien des lecteurs. On ressort de cette lecture avec beaucoup de nostalgie de ce qu’a été le cinéma pendant une certaine époque aujourd’hui révolue. Il est vrai qu’aujourd’hui, c’est un cinéma dominé par des super-héros aux supers-pouvoirs et à la débauche insolente d’effet spéciaux vide de sens.
Connaissez-vous le cinéma populaire italien ? La Cinecittà, vous en avez entendu parler. Le Western Spagetti, vous savez forcément ce que c'est. Fellini, Antonioni et autres Visconti, vous connaissez ces noms. Mais savez-vous ce qu'est le Giallo ? Il s'agit de films d'exploitation combinant policier, horreur et érotisme, et ayant connu leur heure de gloire en Italie dans les années 60 et 70. Issus du cinéma bis, ils sont pour beaucoup très fortement inspirés des films à succès américains. Certains d'entre eux sont même de vrais remakes de série B. Mais au delà de la simple reprise à petit budget et au-delà de l'aspect kitsch des affiches et de leurs titres, les réalisateurs italiens ont insufflé dans ces œuvres une vraie exubérance artistique et un traitement plein d'originalité et de personnalité. C'est à ce cinéma là que rendent hommage les auteurs de Midi-Minuit - qui est d'ailleurs le nom d'une salle de cinéma parisienne qui diffusait ce type de films. Ils mettent en scène deux journalistes passionnés de cinéma bis italien qui vont avoir la chance de pouvoir interviewer un réalisateur qui s'est retiré du monde depuis vingt ans alors qu'il était au sommet de son art dans ce domaine si particulier. Mais en parallèle de leurs entretiens avec cet artiste excentrique, une série de meurtres de critiques de cinéma semble fortement liée à leur sujet. Je ne connaissais pas du tout le Giallo, à l'exception de certains titres de films qui avaient su attirer ma curiosité par leurs thématiques surprenantes et les échos des cinéphiles qui étaient tombés sous leur charme. Avec cet album, c'est tout un univers cinématographique que j'ai pu apercevoir et pour lequel on sent autant la passion des protagonistes du récit que celle des auteurs eux-mêmes. Et sans connaître ce genre, j'ai pu apprécier cette lecture et en découvrir certains pans, notamment grâce à une narration claire, une présentation concise mais bien menée des films auxquels les personnages font référence, mais aussi grâce à l'intégration réussie dans les planches des affiches et de certaines photos extraites de ces fameux films. L'ambiance spéciale de ces derniers déteint sur celle de la BD. Nous y sommes en effet dans un thriller qui ne se prend pas tout à fait au sérieux, avec quelques personnages et situations extravagantes. C'est à la fois noir avec quelques scènes cruelles et horribles, et aussi un peu ridicule et à la limite de la crédibilité et du caricatural, tout en gardant un ton pince-sans-rire comme dans un thriller classique. Il faut savoir à quoi s'attendre pour ne pas être pris au dépourvu. Un amateur de récits policiers classiques qui tiennent la route de bout en bout risque d'être surpris. Lecture étonnante abordant et s'imprégnant d'un sujet bien particulier, pour en faire ressortir une partie de l'âme et la faire découvrir aux lecteurs. Bel hommage d'auteurs que l'on sent vraiment enthousiastes et désireux de partager leur passion.
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