Moi, ce que j'aime, c'est les monstres (My Favorite Thing Is Monsters)
Angoulême 2019 : Prix du Meilleur album Grand prix de la critique ACBD 2019 Will Eisner Award 2018 : Best Graphic Album: New Fiction empreinte de vérité, c’est une œuvre sur la différence qui transcende les genres et abolie les frontières entre les lecteurs. Emil Ferris l’a écrite pour les minorités, l’a dessinée pour la liberté d’être ce que l’on veut, humainement et intimement, et l’a portée envers et contre tout pour prouver que l’on peut se relever, que l’on peut se reconstruire et laisser sa marque. Et c’est pour ça que Moi, ce que j’aime, c’est les monstres frappe si fort aujourd’hui, il s’adresse à tous, à nos problèmes, à notre monde.
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Chicago, fin des années 1960. Karen Reyes, dix ans, adore les fantômes, les vampires et autres morts-vivants. Elle s’imagine même être un loup-garou: plus facile, ici, d’être un monstre que d’être une femme. Le jour de la Saint-Valentin, sa voisine, la belle Anka Silverberg, se suicide d’une balle dans le cœur. Mais Karen n’y croit pas et décide d’élucider ce mystère. Elle va vite découvrir qu’entre le passé d’Anka dans l’Allemagne nazie, son propre quartier prêt à s'embraser et les secrets tapis dans l’ombre de son quotidien, les monstres, bons ou mauvais, sont des êtres comme les autres, ambigus, torturés et fascinants. Journal intime d’une artiste prodige, Moi, ce que j’aime, c’est les monstres est un kaléidoscope brillant d’énergie et d’émotions, l’histoire magnifiquement contée d’une fascinante enfant. Dans cette œuvre magistrale, tout à la fois enquête, drame familial et témoignage historique, Emil Ferris tisse un lien infiniment personnel entre un expressionnisme féroce, les hachures d’un Crumb et l’univers de Maurice Sendak. À travers ce livre, Emil Ferris tisse de courage, de force, de résilience, l’étendard de ceux qui survivent, de ceux qui se relèvent et ne veulent plus se taire. Et si ce n’est pas œuvre autobiographique tout y est néanmoins vrai. La clé de ce projet est la différence, et Emil Ferris l’a écrit pour les minorités, l’a dessinée pour la liberté d’être ce que l’on veut, humainement et intimement, et l’a porté envers et contre tout, pour le droit d'être la femme que l’on veut. Et c’est pour ça que Moi, ce que j’aime, c’est les monstres nous frappe si fort aujourd’hui, car il s’adresse à nous, à nos problèmes, à notre monde.
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Date de parution | 23 Août 2018 |
Statut histoire |
Série en cours
2 tomes parus
Dernière parution :
Moins d'un an
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Les avis
L'avis de Gurizzli m'a interpellé. J'avais un souvenir un peu vague, mais similaire à sa critique quand j'avais lu ce sacré pavé (ou pavé sacré diront les aficionados). Je lui reconnaissais un caractère unique, mais je restais dubitatif sur mon appréciation. Après une deuxième lecture, eh ben je le suis toujours. Comme Gruizzli, je suis embêté pour traduire cette critique par une note, considérant la mienne comme trop sévère. Trop habitué à voir la BD comme un art séquentiel, la question se pose en effet si nous n'avons pas là un roman illustré plutôt qu'une BD. Ça change aussi la donne pour moi, car il m'est difficile d'y trouve une certaine limpidité. La seule "BD" de ce genre qui m'a plu à ce jour est Vernon Subutex, que je ne peux que vous conseiller. Graphiquement, le carnet griboubillé au stylo Bic n'est pas qu'un artifice. Ça ne fait que nous plonger dans les profondeurs du journal intime, lieu où les pensées sont déballées en désordre, sur tout et n'importe quoi, et à travers la vision du monde d'une petite fillette plutôt singulière. On dirait que j'apprécie de plus en plus ce style de dessin, je pense avoir aimé davantage avec cette seconde lecture. Je suis entré facilement l'univers, j'ai davantage accepté ce quartier malfamé d'Uptown, et j'aimais être balancé entre le style caricatural et réaliste. Je trouvais même amusant de rencontrer certaines zones carrément esquissées/charbonnées. C'est un tout petit peu irrégulier dans le dernier tiers du bouquin, mais sur 400 pages je mériterais de me taire. Le dessin m'a fait tenir bon, il peut même me donner envie de lire le second tome (s'il y en aura un). Je veux aussi souligner le travail de traduction. C'est exceptionnel de réussir un exercice si compliqué au vu du style narratif. Sans avoir lu la version originale, on est certain que ce qu'a voulu transmettre Emil Ferris reste intact. C'est une des choses qui permettent de considérer cette ouvrage comme quelque chose de vraiment singulier, littérairement. Mais tout ça n'est que peu de chose face à l'effort considérable et contraint qu'il m'a fallu pour finir ma lecture. Trop de fois j'ai voulu stopper définitivement. Le texte, s'il suit le principe de journal intime, est trop lourd d'associations d'idées, qui sont bien souvent anecdotiques. Les métaphores sont parfois même douteuses. L'écriture passive, absconse, me faisait piquer du nez. Même si j'étais en grande forme, je cherchais vainement le fil conducteur mais ne le trouvais pas. Les thèmes débordent de partout et ça ne me plaît pas car je n'en tire rien. L'intrigue, son approche, l'histoire d'Anka, tout ça m'attirait... Mais que c'est accessoire! Je me dis que l'assassinat du début lancera les péripéties, mais nous ne voyons se déverser qu'un magma, lourd et chaotique, qui n'en finit pas de couler. C'est dur de donner une note, mais quand on se force à finir un bouquin, je ne peux pas aller plus haut que "Bof, sans plus". Pour autant, j'insiste pour vous conseiller la lecture.
Je l'avoue, je ne suis pas convaincu que j'aurais acquis cette bd sans le tapage consécutif à son Fauve à Angoulême. Cela aurait été dommage. Comme quoi, les prix, même s'ils peuvent nous apparaître trop élitistes par moments, peuvent être utiles... J'ai vraiment beaucoup aimé me plonger dans ce pavé. L'expérience visuelle est incroyable. Le dessin est absolument somptueux. C'est, certes, aller un peu loin mais certains portraits sont proches de la photographie, tellement ils s'approchent de la réalité (en tout cas, celle qui nous est présentée). Là, où je me dis que je suis clairement un client de ce genre graphique, c'est quand je me revois, pendant ma lecture, avancer de quelques pages pour essayer de trouver une planche particulièrement belle, un peu comme un accro ayant besoin de sa dose, ou revenir en arrière pour en explorer une autre, déjà vue, en quête d'un deuxième shoot. Le dessin mérite clairement un 5/5, de mon avis en tout cas. Côté scénario, on est sur du solide aussi. Deux histoires, deux parcours qui s'imbriquent dans l'Histoire, de façon assez habile la plupart du temps. Bon, on n'est pas tout à fait dans du Spiegelman ou du Levi pour la partie contant la période pré-nazisme et nazie mais l'émotion passe et certains passages, peut-être moins importants pour l'Histoire (je pense ici aux scènes dans le bordel ou aux passages avec l'ami-protecteur noir de Karen, rejeté par la société de bien trop de manières), sont bien décrits et fond froid dans le dos. Et c'est là où on touche à ce qui m'a le plus plu dans le scénario d'Emil Ferris : les détails. Ces petites choses, ces petits évènements, qui rendent une histoire (l'Histoire ?) plus consistante et accessible finalement. J'ai adoré l'héroïne, cette gamine en marge qui choisit de cultiver sa marge, pour se protéger sûrement, mais aussi parce que c'est vachement plus drôle d'être à contre-courant. C'est sans doute un peu caricatural par moment, en particulier dans ses relations avec son frère et sa mère, mais c'est convaincant, on entre dans leur intimité volontiers et on pleure avec eux, on rit aussi. Je ne veux pas trop en dire, pour ne pas spoiler les futurs lecteurs, mais certains twists, même si je m'y attendais pour quelques-uns, font le sel du scénario. Pour conclure, il ne faut pas avoir peur de ce pavé, le début est certes plus dense, plus contraignant également, que la suite mais le dessin happe le lecteur que je suis, et je l'espère que vous serez en plongeant dans cette œuvre. Œuvre que je classerai sans doute "culte" après la lecture du tome 2, si celui-ci est du même niveau.
C'est typiquement le genre de comics qui ne m'attire pas et sans les nombreux prix reçus, jamais je ne l'aurai eu entre les mains. Une couverture et un feuilletage qui ne m'aguichent pas. Je n'avais aucune attente particulière en empruntant ce comics, juste passer un bon moment. Raté. Et c'est clairement une de mes lectures les plus difficiles avec Vampyr, que ce fût interminable et compliqué. Pourtant j'ai essayé de m'accrocher aux pages, mais vers le milieu de l'histoire, tout doucement, j'ai lâché prise, impossible d'y accrocher. Un récit Indigeste, je ne sais pas (ou je n'ai pas compris) où veut en venir Emil Ferris. Une narration verbeuse, fatiguante et alambiquée. Elle manque aussi de fluidité. Un dessin qui ne me plaît pas, même si je reconnais un certain charme à la partie en noir et blanc, j'ai aimé son côté charbonneux, beaucoup moins son côté hachuré, ainsi que les couleurs pour la partie colorisée. La suite se fera sans moi, si suite il y a. Note réelle : 1,5.
Il m'est assez difficile de trancher dans ma tête l'avis que j'ai sur cette BD, et je pense que ma note sera un reflet plutôt déformé de la réalité. Parce qu'il est parfois difficile de "simplement" noter, je pense donc que mon avis sera assez conséquent, et je m'en excuse d'avance. Le premier et gros souci que j'ai eu avec la BD ... Ben c'est qu'on est presque dans les limites de ce qu'on peut qualifier de bande-dessinée, justement. Pour ma part, je le rangerais presque dans l'idée de roman graphique illustré, ou dans une zone intermédiaire entre la bande-dessinée et le roman illustré. Parce qu'on est assez peu dans l'idée de art narratif séquentiel. C'est bien plus des illustrations accolées les unes aux autres, avec parfois quelques unes enchainées. Les illustrations en pleines pages sont nombreuses, de même que les séquences illustratives de pavés de textes. D'autre part, même si je comprends l'idée de l'utilisation de pleine page de comics books pour illustrer les chapitres et les thématiques qui s'en dégagent, on est bien plus dans l'illustration (dans le sens littéral du terme : le dessin est là pour illustrer le propos du texte) que dans l'art narratif de la BD, qui justement combine les images dans l'espace pour en donner un sens, un mouvement. Je pinaille sur ce point de détail, mais c'est le plus gros souci que j'ai eu à la lecture, où je me suis demandé plusieurs fois s'il s'agissait réellement d'une BD ou plutôt d'un roman illustré, et c'est un détail qui a son importance quant aux attentes que le lecteur développe. Pour ma part, j'ai réussi à faire fi de mes considérations pour lire la BD, mais je comprends parfaitement que ce simple point bloque déjà plusieurs personnes sur la lecture. Le deuxième point qu'il me parait important d'aborder, c'est la densité du machin. C'est long, et c'est lourd. Pas dans le sens négatif du terme, mais le roman brasse BEAUCOUP de thématiques dans ses pages, et je dirais presque qu'il en brasse trop. Ça parle de la seconde guerre mondiale, de Berlin avant-guerre, de mafia à Chicago, d'intrigues de voisinages, de violences scolaires, d'homosexualité, de racisme, de famille, de religions ... Rien qu'à faire cette liste, je sens le poids de tout ce qui est brassé dans le roman, le tout vu par une jeune femme qui découvre un peu son entourage et la réalité de la vie dans laquelle elle vit. C'est dense, presque trop, à mon gout (sans parler du fait que voir encore rabâcher le thème de la seconde guerre mondiale à tendance à me gaver plus qu'autre chose). Dans cette masse, le texte prépondérant et bien souvent par pavé ralentit la lecture, souvent sans que je n'arrive à m'immerger dans le quotidien de cette jeune fille. La partie racontée par la voisine, lorsque l'on évoque les souvenirs d'enfance, m'a beaucoup plus plu, je la trouvais beaucoup plus fluide et prenante que les autres. C'est donc par passage que je ressens la lourdeur du texte et du propos, d'où mon avis mitigé à ce propos. Niveau dessin, c'est une question d'appréciation personnelle, et personnellement j'ai bien aimé la façon de représenter de l'auteure. On sent le travail issu des comics qu'elle a lu (et venant des collections telles que Weird Tales). C'est une façon de représenter qui peut ne pas être apprécié, je comprend tout à fait, mais force est de reconnaitre qu'elle a un coup de crayon non négligeable : on peut ne pas aimer, mais dire que c'est moche me parait un peu trop fort. Plusieurs pages ont une image assez forte, marquant la rétine. C'est à la fois une force mais aussi un défaut, puisque cela donne souvent l'impression d'images marquantes plutôt que de BD fluide à la lecture, mais ces images sont prenantes. Le sujet est épineux, il n'y a qu'à voir les autres commentaires pour s'en rendre compte, mais pour ma part je trouve que ce n'est pas un réel problème. Enfin, que dire sur l'ensemble ? Si je dois retenir une chose de ma lecture, c'est la confusion entre les genres d'expressions que la BD emploie et qui m'ont troublé dans ma lecture. Mais je ne peux pas dire que ces soucis m'ont bloqués, d'où mon souci dans la notation : je ne peux pas dire que c'est mauvais, en toute objectivité, mais il faut reconnaitre que je n'ai pas non plus été enchanté. Le livre est dense et utilise une narration qui m'a un peu fait tiquer. Sans doute, et je le pense sincèrement, le récit m'aurait plus attiré dans une idée de roman, complètement rédigé, plutôt que dans ce mélange qui semble ne jamais savoir trancher. C'est le genre de BD qu'il est compliqué de juger, selon moi : elle a d'indéniable qualités et semble plaire à des lecteurs, mais en refroidit complètement certains autres, et je me retrouve coincé entre les deux : je n'ai pas été charmé par ma lecture, mais j'ai eu plaisir à le lire. De là à dire que j'attends impatiemment le tome deux, il y a un pas que je ne ferais pas. Mon avis est long, mais malheureusement il est nécessaire d'éclaircir les différents points qui font les forces et les faiblesses de cette BD. Les avis divergent à son propos, et je pense qu'il est nécessaire de bien les lire avant d'ouvrir ce pavé, puisqu'une grande part de ce qui pose souci, à mon avis, vient de nos attentes quant à cette BD. Bref, en parler c'est compliqué, et j'espère ne pas vous avoir embrouillé encore plus avec cet avis. Dans tout les cas ... ben je ne peux pas la conseiller ou la déconseiller !
Pouah ! Voilà un investissement complétement raté ! Presque 35 euros qui partent en fumée. Je me suis ennuyé. J’ai feuilleté une centaine de pages et j’ai lâché prise. Que cet album soit autant récompensé, je ne comprends pas. Je ne vois aucun justificatif pour le porter au pinacle de la réussite. Nous voilà avec un cahier de croquis plutôt réussis visuellement - mais ce n est pas suffisant - entre-mêlés des pensées d’Emil Ferris. C’est confus et au final on se perd dans ce journal intime. J’aurais dû garder mon cahier de philo de terminal – j’y ai fait quelques gribouillis – il aurait pu être édité ! J’aurais fait un carton ! Ce n’est pas - clairement - une bande dessinée. C’est plutôt un artbook. Et en plus, il y d’autres tomes à venir. Sur ce coup-là je passe mon tour.
Quelle tâche difficile que d’évaluer ce pavé hors norme, qui ose à ce point défoncer tous les codes du neuvième art ! Impossible de rester indifférent à une œuvre aussi démentielle, tant sur la forme que sur le fond. Il va sans dire que plus d’un lecteur sera désarçonné devant ce monument éditorial ardu (dont nous n’avons ici que le livre premier…). Il faudra une certaine persévérance — et du cran peut-être — pour aller jusqu’au bout de ce voyage labyrinthique dans les tréfonds d’une âme humaine aussi torturée que celle d’Emil Ferris. Comme son autrice, cet ouvrage n’est pas dans la norme, il possède quelque chose de monstrueux et de bancal, avec ce dessin au stylo bille plaqué sur les pages d’un vulgaire cahier à spirales, mais une monstruosité envoûtante oscillant entre la laideur simpliste du crobard et la pure beauté, que l’on admire telle une dentelle découpée au scalpel. Des cases sporadiques nous rappellent qu’il s’agit bien d’une bande dessinée, mais Emil Ferris s’autorise ici toutes les libertés de mise en page. On n’est pas toujours certain du sens de lecture, mais malgré ce foutoir apparent, on réalise que la narration est bien présente et respecte une certaine cohérence. L’aspect insolite de l’objet finit par exercer une certaine fascination, pour peu que l’on se donne la peine de poursuivre au-delà des trente premières pages. Et comme son titre le suggère, de monstres il est beaucoup question. A commencer par la principale protagoniste, la jeune Karen, un peu complexée par son physique « pas facile » et qui s’identifie aux monstres des comics de son grand frère Deeze. Après la mort étrange de la belle voisine, Anka, rescapée de la Shoah, dont on peut penser qu’il s’agit d’un meurtre maquillé en suicide, la fillette va revêtir une panoplie de détective trop grande pour elle afin de mener l’enquête à sa manière. Impossible de parler de cette œuvre fleuve en une seule chronique, mais l’ouvrage fait la part belle aux « outcasts », ces êtres à l’écart des codes policés imposés à nos cerveaux par la société de consommation, ces monstres avec leur part d’ombre mais leur lumière aussi. Il y est aussi question de résistance, que ce soit à travers le personnage d’Anka (lorsqu’elle évoque sa vie dans l’Allemagne nazie), de Frankin (sorte de sosie « black » de la créature de Frankenstein) face au racisme ou encore de Karen, harcelée par ses camarades de classe en raison de sa différence. Et cette résistance, c’est très souvent celle qui doit s’exercer contre la meute imbécile. Ce livre est donc aussi un pavé au sens physique, un pavé que l’on rêve d’envoyer à la figure des salopards qui jouissent à exercer leur pouvoir de domination sur les plus faibles, les femmes et les minorités en général. Emaillé de couvertures de comics horrifiques représentant des scènes d’agressions contre des femmes par des monstres de toutes sortes — saisissantes métaphores de la domination masculine, ces publications étant destinées le plus souvent aux jeunes mâles américains — le livre révèle le talent graphique de cette autrice inclassable qui la situe entre le style expressionniste et la mouvance alternative – avec ces hachures qui peuvent rappeler un Crumb ou un Joe Sacco. C’est fou tout ce qu’on peut faire avec un Bic quatre couleurs ! On attendra donc le livre second pour se faire une idée définitive de cette œuvre émotionnelle, sombre et déstructurée, née en grande partie de la maladie d’Emil Ferris, piquée par un moustique qui l’a laissé handicapée durant plus de dix ans. Cette première BD aura permis à cette femme courageuse, qui fut d’abord illustratrice, de retrouver sa motricité. Publiée dans l’année de son 55e anniversaire, elle fut rapidement repérée dans le milieu du neuvième art, encensée par des pointures comme Art Spiegelman (forcément) ou Chris Ware, et si bien accueillie en France qu’elle décrocha le Fauve d’or lors de la dernière édition du FIBD d'Angoulême. Une œuvre si riche, si dense, qu’elle mériterait aisément une deuxième lecture, si ce n’est plusieurs.
Note : 2.5/5 Comme plusieurs autres, j'ai eu beaucoup de mal à entrer dans ce gros album. Il faut dire que le premier tiers, donc plus de 100 pages, est assez indigeste : une sorte de carnet de croquis comprenant énormément de textes, comme l'adaptation ratée d'un roman trop bavard. Qui plus est, au-delà de l'aspect fantasmagorique de plusieurs passages issus de l'imagination de la narratrice, la narration elle-même est très décousue. Difficile donc d'accrocher les wagons de la compréhension et de rentrer dans le récit. A ce stade de la lecture, ce qui m'a fait tenir, c'est la beauté du dessin. La dessinatrice a un vrai talent et elle ne se prive pas d'efforts pour offrir des planches très travaillées, aux styles variés, et parfois éclatantes de technique et d'esthétisme. Le second tiers de l'album devient un peu plus linéaire et compréhensible. Il se focalise en grande partie sur le récit des souvenirs du personnage secondaire, Anka. Là encore le texte est un peu trop verbeux et la narration présente parfois des ellipses qui perdent un peu le lecteur, mais j'ai commencé à davantage m'imprégner de l'histoire. Et c'est sur le dernier tiers que le rythme devient un peu plus rapide, avec moins de textes, plus de dialogues et une histoire plus facilement prenante. Pour autant, je n'ai pas été vraiment convaincu. L'histoire dans son ensemble ne m'a pas touché et régulièrement plutôt ennuyé. Seul demeure donc le beau graphisme qui relève l'intérêt de l'album mais ne suffit pas à m'en faire conseiller l'achat ou même la lecture.
Le moins que je puisse dire est que cette BD m'a posé un grave dilemme. En cours de lecture à plusieurs reprises j'ai été tenté de la reposer. Et puis non que diable, quoi ! J'allais bêtement me punir et passer à côté de ce monument encensé par la critique, j'allais aller à l'encontre du respectable jury d'Angoulême qui avait porté au pinacle cette histoire, j'allais me fâcher avec les posteurs des précédents avis : trois "culte" et un "franchement bien". Que nenni, j'ai poursuivi ma lecture. Allons à l'essentiel et commençons par le dessin. Oui c'est chiadé, il y a un véritable travail et le rendu de ces rayures n'est pas mal du tout, mais gros problème pour moi au final ce dessin a beaucoup trop tendance à ressembler à du R. Crumb ou du C. Burns et là c'est un peu rédhibitoire. Qui plus est et au risque de passer pour un affreux quand le marketing insiste sur le fait que l'auteure fut victime d'un AVC et qu'elle s'est scotchée un crayon dans la main pour dessiner, j'hésite entre les larmes et le rire sarcastique. (C'est très américain tout ça: Struggle for life ) Je sais que je vais en choquer plus d'un en disant cela mais soyons fous et assumons. Une fois ceci dit il faut que je m’accroche aux branches pour trouver un brin de positif. L'histoire donc, si l'on réfléchit bien, rien d'impérissable ; une petite fille fascinée par les monstres en vient à se prendre pour l'un d'entre eux se prêtant ainsi aux quolibets et autres harcèlements dans la cours de récré. Ça ne gêne ni sa mère ni son frère sorte de Rudolph Valentino gominé du quartier. Y a des séances chez le psy qui se perdent. Mais je m'égare. J'ai trouvé que finalement cet aspect des choses n'était pas si exploité que cela. S'ajoute à cela une pseudo enquête policière qui se poursuit avec un long flash back sur la vie à Berlin de la morte. Rien ne nous est épargné : jeune fille juive recueillie par un barbon bien pervers qui pour lui éviter la déportation l'envoie chez des illuminés et dans un bordel. Mouais, dernier acte de la tragédie retour en Amérique où nous retrouvons notre héroïne du départ qui poursuit son enquête. Je finirais juste par une grande interrogation, certains des avis précédents font référence à l'humour sous-jacent de ce récit et la grande qualité littéraire de l’œuvre. Pour ce qui est de l'humour j'ai pas bien vu, pour la grande qualité littéraire faut pas déconner non plus c'est pas du... et là je vous laisse le choix de l'auteur que vous estimez grandiose. Bon mon avis quoiqu'il paraisse n'est pas tranché, je pense qu'il faudra que j'y revienne un jour, pour l'achat c'est à voir, ce très gros pavé coûte tout de même 34 euros et des brouettes.
On a beaucoup de chance si, une fois par décennie, apparaît une œuvre d'Art qui révolutionne totalement le domaine dans lequel elle s'inscrit... et qui en plus provoque chez le public une remise en question fondamentale, une éclosion de nouvelles interrogations et d'émotions, un émerveillement inédit. La possibilité d'un tel phénomène est d'ailleurs liée à la vitalité de cet Art, qui stimule encore la créativité de nouveaux artistes à la recherche d'autres formes d'expression, d'autres manières de communiquer ce qui bouillonne en eux et que les formes traditionnelles ne suffisent pas à transmettre. Cette introduction, maladroite et un peu ronflante, nous semble nécessaire avant de parler de "Moi, ce que j'aime, c'est les Monstres (Première partie)", la BD de l'Américaine Emil Ferris, publiée en septembre de cette année, qui répète peu ou prou le tsunami provoqué à son époque par le Maus de Art Spiegelman : il y a tellement peu d'occasions dans une vie d'être confronté à cet ébahissement ("Ah ! Je n'aurais jamais pensé qu'on pouvait faire ça !", ou, mieux encore, "Oh ! Je ne croyais pas pouvoir réagir de cette manière-là en lisant un livre !")… "Moi, ce que j'aime, c'est les Monstres" est le premier "roman graphique" - terme haïssable, mais qui finalement traduit bien ce qu'est ce (véritable) pavé de plus de 400 pages - d'une femme de 56 ans, dont la vie a basculé quand une méningo-encéphalite contractée par une piqure de moustique la réduisit, à 40 ans, à une handicapée condamnée à ne plus jamais marcher, ni même se servir de sa main droite alors qu'elle était illustratrice. Triomphe de la volonté ou triomphe de l'Art, Emil réapprit patiemment à dessiner, et produisit finalement cette œuvre impensable, colossale, qui la propulse aujourd'hui au sommet du Neuvième Art... et, on a très envie de dire, au sommet de la Littérature en général. Bien entendu, ce qui stupéfie quand on ouvre pour la première fois ce livre, c'est le foisonnement graphique inédit, et la beauté et la force qui se dégagent de ces pages noircies au crayon de papier ou coloriées au stylo à bille, avec une technique qui semble de prime abord "basique", "rudimentaire" : car qui d'entre nous n'a pas, par ennui, ainsi noircit des pages de cahiers d'école ou bien des calepins lors de réunions professionnelles interminables, de petits dessins… qui peu à peu ont envahi toute la page blanche, créant une sorte de représentation - souvent torturée - de notre esprit divagant ? Sauf qu'on est très vite happé par le mystère qui se dégage de ce mélange de monstres comme extraits de "pulp magazines" (dont des couvertures sont d'ailleurs régulièrement figurées ou reproduites…) et de portraits déchirants d'une humanité saisie dans ses activités quotidiennes comme dans les grands déchirements de l'histoire. La manière la plus naturelle d'aborder une œuvre aussi impressionnante consiste sans doute à d'abord apprivoiser la crainte qu'elle fait naître en nous, en la parcourant, en se laissant entraîner par sa richesse graphique sans même tenter de se plonger dans le texte immense qui entoure, enserre, pénètre, souligne, déchire, naît à l'intérieur des images. Et puis, une fois familiarisés avec ce livre "monstrueux", d'attaquer la lecture "proprement dite". Pour vivre là un second choc : car ce qui distingue encore plus "Moi, ce que j'aime, c'est les Monstres", c'est tout bonnement l'incroyable qualité littéraire de cette histoire, qui se déploie sur deux époques - les années 60 dans un quartier populaire de Chicago, et les années 30 en Allemagne lors de la montée du Nazisme et l'éclatement de la seconde guerre mondiale -, et qui utilise tous les ressorts littéraires modernes. Si l'on peut imaginer - mais c'est peut-être faux - que la petite Karen Reyes, qui essaie d'échapper à la dureté de son existence de petite fille d'émigrés vivant au milieu de tensions sociales, familiales et intimes (comme ses interrogations sur son amour pour une autre petite fille) permanentes, en s'imaginant un avenir de monstre, est un portrait largement autobiographique de l'auteure, la manière dont Ferris enchâsse dans son récit le témoignage enregistré sur des cassettes d'une émigrée allemande mystérieusement assassinée fait appel aux mécanismes les plus subtils de la fiction littéraire. Le récit d'Anka, jeune victime des perversions sexuelles et autres de véritables monstres (bien moins aimables et pittoresques que les vampires et les loups-garous des magazines et des films de Karen), puis avalée par la mécanique folle de l'Holocauste, devient, presque par surprise, le cœur ardent du livre, un nouveau témoignage insoutenable de l'existence du Mal absolu. Mais, bien sûr, c'est l'incroyable intelligence avec laquelle Ferris choisit ce qui peut être écrit et ce qui peut être dessiné, et ce qui doit être laissé à tout jamais à l'imagination du lecteur, qui élève "Moi, ce que j'aime, c'est les Monstres" bien au-dessus du commun de la littérature, BD ou autre, contemporaine. Terminons en soulignant que, cerise sur le gâteau, le livre d'Emil Ferris est souvent brillamment drôle, ce qui rend sans doute supportable sa lecture : il y a littéralement des dizaines de phrases ou de paragraphes dont l'humour illumine - et rehausse - la profondeur d'un récit qui sait être tour à tour poétique, réaliste ou de temps à autre même psychanalytique. Et que la culture artistique de Ferris, qu'elle transmet ici comme un cadeau enchanté à Karen et à Anka, comme un talisman pour supporter l'horreur, permet régulièrement de "mettre en perspective" la laideur et la mesquinerie en rappelant - toujours à bon escient - les merveilles de la création humaine. Mais nous en avons assez dit : à vous maintenant de vous plonger dans ce voyage incroyable qu'est la lecture de "Moi, ce que j'aime, c'est les Monstres" : vous n'en sortirez pas indemnes, vous en sortirez… meilleurs !
Voilà donc l’album récompensé à Angoulême cette année ! Un gros pavé de plus de 400 pages, que je n’avais pas vu sur les rayonnages à sa sortie. Il faut dire que Monsieur Toussaint Louverture n’a pas forcément droit aux têtes de gondole. Et il faut dire aussi, que seuls des petits éditeurs prennent encore le risque de publier ce genre d’œuvres, franchement atypiques. Après un petit temps d’adaptation – on ne rentre pas si facilement dans cet album je trouve –, j’ai été véritablement happé par l’histoire, qui se révèle au bout d’un moment bien plus classique qu’elle n’en a l’air au premier abord. L’un des gros atouts de cette œuvre, c’est l’aspect graphique ! Et je ne parle pas seulement du dessin, mais aussi du parti pris d’en faire une sorte de carnet intime, avec les lignes, le trou pour les spirales, cahier dans lequel une jeune femme raconte sa vie, colle des documents (comme les couvertures de magazines populaires, d’horreur, photos, etc.). Le dessin justement, que j’ai trouvé très beau. En Noir et Blanc le plus souvent, mais avec des touches de couleurs, et parfois même de pleines pages « colorées ». Différents styles, niveaux de crayonnés se succèdent (cela renforce le côté « carnet », « pris sur le vif »). Ce qui est singulier, c’est que Ferris alterne un trait réaliste, très précis, avec des crobars en esquisse, et parfois un trait bien plus caricatural, qui doit beaucoup à une certaine esthétique underground, et à l’influence de Crumb je trouve, avec des corps plus en chair. Styles et précision plus ou moins grande du trait cohabitent donc, sans que cela ne gêne la lecture, ni n’altère l’unité de l’ensemble. A plusieurs reprises, surréalisme et expressionnisme font des incursions. L’intrigue elle-même nous permet de mieux connaître la narratrice, Karen, une jeune fille laide, « qui aime les monstres » (et dont certains côtés m’ont fait penser à certains monstres présents dans l’album enfantin « Max et les Maximonstres », de Sendak). Après nous avoir présenté son existence, plus ou moins rejetée – mis à part quelques rares camarades elles aussi « atypiques » et son frère Deeze – Karen se lance dans une sorte d’enquête, après la mort de la voisine du dessus, Anka (Karen est persuadée qu’elle a été assassinée). C’est ensuite la vie d’Anka qui va occuper une bonne partie de l’album, depuis son enfance dans l’Allemagne des années 30, au milieu d’autres « monstres », pédophiles, Nazis, etc. Puis elle revient aux Etats-Unis, pour les suites de « l’enquête », dans l’entourage de la défunte. Par-delà l’intrigue elle-même, l’album est aussi – et avant tout ? – une très belle ode à la différence, défendant ceux qui « sont mis de côté » parce que « différents » (jeunes, Noirs, Indiens, femmes, Juifs, etc.). L’histoire est d’ailleurs sensée se passer aux Etats-Unis, dans les années 1960, en pleine révolte des « minorités ». Comme je l’ai dit, l’album ne se laisse pas apprivoiser facilement, et sa lecture exige de la concentration et du temps ! (texte très abondant, placé parfois dans tous les sens – j’ai eu quelque fois du mal à savoir dans quel ordre il devait être lu. Les pages sont bien remplies, c’est le moins que l’on puisse dire !!!). Mais il vaut vraiment la peine de s’y consacrer, de s’y plonger. Et pour le coup, je comprends pourquoi cette œuvre a pu décrocher tous ces prix : c’est ambitieux et beau, et bien plus accessible au « grand public » qu’on pourrait le croire – même si je vous recommande quand même un petit feuilletage avant de l’acheter.
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