Malaterre
2018 : Grand prix RTL de la bande dessinée. Une fresque familiale épique entre l'Europe et l'Afrique équatoriale, avec un personnage dominant tout le récit de son aura volcanique : Gabriel Lesaffre, personnage fascinant haut en couleurs, détestable et attachant la fois...
Afrique Noire BD à offrir Best of 2010-2019 Best-of des 20 ans du site Dargaud Grand prix RTL de la bande dessinée Les prix lecteurs BDTheque 2018 One-shots, le best-of
Coureur, menteur, buveur, noceur... Gabriel Lesaffre a toutes les qualités. Depuis l'enfance, il est en rupture avec son milieu familial. Épris de liberté, il ne supporte pas l'autorité. Un jour, il tombe amoureux d'une lointaine cousine, Claudia. Elle a dix ans de moins que lui. Coup de foudre, mariage, trois enfants : Gabriel se laisser séduire par les charmes de la vie de couple et les délices du confort bourgeois. Mais ses vieux démons se rappellent à son bon souvenir. Gabriel s'ennuie. Il plaque tout, s'envole pour l'Afrique, reste cinq ans sans donner de nouvelles. Puis il réapparaît, fidèle à lui-même. Mêlant manipulation, persuasion et belles promesses, il obtient la garde de Mathilde et Simon, les deux aînés, et les emmène avec lui en Afrique équatoriale. Pour ces deux jeunes ados, une nouvelle existence commence : ils découvrent l'Afrique et une vie « festive, bigarrée, frivole et un peu vaine ». Mais ils doivent aussi supporter les incessants problèmes d'argent de leur père, héritier d'un domaine qu'il est incapable de gérer, et son penchant insurmontable pour la boisson. Et si le rêve africain finissait par se dissiper dans les vapeurs d'alcool ?
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Date de parution | 14 Septembre 2018 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Le héros est un personnage horripilant au premier abord, égoïste, têtu et coléreux. Aveuglé par son envie de restaurer la soi-disant grandeur du domaine agricole familial, Gabriel va tout sacrifier pour y arriver, à commencer par sa propre famille. Cerise sur le gâteau, le domaine en question est une exploitation forestière en faillite au cœur de la jungle africaine. C’est très bien écrit, les dialogues sont crus et le ton monte facilement. Notre héros n’a pas beaucoup de patience et toute mise en doute du succès de son opération provoque sa colère. Il ne supporte pas !! Le dessin est à l’image du personnage : nerveux, faussement brouillon et les humeurs des personnages, traduites en bulles, apportent de la nervosité supplémentaire. Les planches de jungles ont superbes, elles dégagent de la moiteur et l’impression d’une immensité que l’homme ne pourra jamais contrôler. Comme le miroir de la tâche démentielle qui les attend pour remettre en état le domaine. Cette vie sauvage contraste évidemment avec la vie que les enfants de Gabriel vont trouver en ville. Là encore, c’est une totale nouveauté pour eux ! Après le désenchantement, vient l’adaptation et la découverte de la liberté. Côté ambiance, c’est très réussi. L’évolution des personnages où chacun se cherche, hésite ou refoule ses sentiments est bien traitée, c’est confus et incertain comme l’est leur situation. C’est très bien écrit, très bien construit et pas aussi simple qu’il y paraît au début de l’album. C’est moite à souhait, c’est nerveux... La complexité des personnages fait réfléchir. Pour moi, cet album est un gros coup de cœur !
Allez y... vous serez embarqués dans le monde des ados rebelles ingrats, des expats d'Afrique noire néo-coloniaux, des adultes portant péniblement leurs failles, leurs maladresses, des familles disloquées dysfonctionnelles. Ce récit juste ne s'égare pas. Il navigue avec intelligence en mélangeant tous ces mondes dans une belle harmonie, une lecture fluide et crédible. Le dessin très personnel rend parfaitement les ambiances des lieux, les émotions des protagonistes. Belle réussite.
« Malaterre » est une saga familiale relativement classique, mettant en scène une famille de cinq personnes : Gabriel, Claudia et leurs trois enfants, Mathilde, Simon et Martin. Le récit nous emporte entre la France et l’Afrique équatoriale, entre la ville triste et grise et les ruelles colorées, les plages sauvages et la forêt luxuriante, entre un père égoïste, alcoolique, colérique et manipulateur et le reste de sa famille, voire du monde. Rien de révolutionnaire me direz-vous ? Je vous le concède. Cependant, la mayonnaise prend et la magie opère. L’équilibre entre les différents protagonistes et enjeux est parfait. La lecture est fluide, séduisante et hypnotisante. L’atmosphère, la psychologie des personnages et les émotions sont magnifiquement retranscrites et font entrer le lecteur dans l’univers de Pierre-Henry Gomont. Gabriel est le protagoniste central et fil rouge de cette histoire. Le lecteur le détestera. Comment pourrait-il en être autrement ? Sans aller jusqu’à dire qu’il devient attachant, j’ai dévoré l’album, me demandant jusqu’où son égoïsme et sa volonté allaient le mener, lui, sa famille et son exploitation familiale. Rejoignant l’avis d’un précédent posteur, le dessin n’est pas sans me rappeler celui de Christophe Blain dans "Quai d’Orsay". Beau compliment ! Ma première impression n’était toutefois pas excellente. Quand on se contente de feuilleter ce one shot, on risque de trouver tout cela un peu brouillon. Quelle erreur cela serait ?! Il faut ouvrir l’album, s’y plonger et ressentir la profondeur de la forêt, les émotions des personnages, l’haleine alcoolisée de Gabriel et la liberté de Mathilde et Simon. Pierre-Henry Gomont a une mise en couleur envoûtante ainsi qu'un trait puissant, d’une expressivité rare. Nombreuses sont les planches qui méritent une pause contemplative. « Malaterre » est un album magistral et une lecture marquante. Oserez-vous suivre Gabriel dans sa folie des grandeurs ? Je ne peux que vous le recommander !
Une très bonne bande dessinée qui me donne bien envie de lire les autres œuvres de cet auteur que je n'ai pas lues. Autant je fus déçu par son Pereira prétend, autant j'ai trouvé que ce Malaterre était captivant. Les deux points forts sont clairement le dessin et le personnage de Gabriel. Le dessin, tout d'abord, est non seulement un des styles de dessins que j'aime le plus, mais il est maîtrisé de main de maître par Gomont. C'est dynamique, expressif et les couleurs sont excellentes. Ensuite, le personnage de Gabriel est effectivement un personnage intéressant même s'il est au final assez détestable, notamment dans la manière dont il traite ses enfants. Le scénario est prenant et bien maîtrisé du début jusqu'à la fin. Pour moi un des meilleurs albums sortis en 2018.
A quarante ans, Pierre-Henry Gomont est devenu, en l’espace de six albums publiés en moins d’une décennie, une figure incontournable du 9ème art, et ce dernier opus ne fait que confirmer ce statut. Si Pereira prétend, qui avait rencontré un certain succès, était une adaptation de roman, « Malaterre » relève plutôt de l’autobiographie. En effet, pour concevoir ce one-shot, l’auteur s’est inspiré de sa propre famille tout en resituant les événements et les lieux par rapport à la réalité, les personnages de l’album eux-mêmes « des agrégats de plein de personnages réels », comme il le dit dans une interview. Avec un scénario extrêmement bien charpenté, des personnages également très bien campés, P.-H. Gomont réussit à nous embarquer totalement dans cette « aventure » au parfum d’exotisme, en majeure partie grâce à ce personnage haut en couleurs qu’est Gabriel Lesaffre et qui constitue la force gravitationnelle du récit, omniprésent même dans les scènes où il est absent. Tout détestable soit-il, l’homme exerce une fascination puissante sur son entourage, sans que l’on puisse vraiment l’expliquer. En premier lieu, ses deux aînés, arrachés à leur mère suite à une action en justice du père pour obtenir leur garde, alors que ce dernier, aimant l’argent et la vie facile, a rarement été présent dans le passé. La mère restera seule à Paris avec le plus jeune enfant, les aînés Mathilde et Simon suivant leur père sans broncher vers cette destination exotique, l’Afrique équatoriale, dont ils ne connaissent rien. Une fois sur place, ils découvriront en pleine jungle le vaste domaine que Gabriel a racheté suite à la faillite des illustres aïeux dans les années 1920 : une imposante demeure coloniale, une serre monumentale ainsi qu’une scierie. Gabriel s’est mis en tête de restaurer et entretenir le patrimoine familial pour le léguer plus tard à ses enfants, dont il exige en retour qu’ils en soient les dignes héritiers. Dans les premiers temps, ceux-ci seront vite envoûtés par la beauté des lieux et l’environnement luxuriant. Une nouvelle liberté va s’offrir à eux dans cet endroit paradisiaque, contrastant fortement avec la grisaille parisienne. Très vite, ils seront contraints par leur père de suivre leurs études dans le lycée français d’une ville côtière. Plus ou moins livrés à eux-mêmes, ces adolescents s’endurciront au contact de leurs nouveaux amis, et feront malgré eux l’apprentissage de la vie, sans parents, préférant leur nouvelle vie à un retour à Paris, même s’ils finissent par honnir ce père caractériel. Absent comme à son habitude, Gabriel ne les verra plus qu’occasionnellement. En effet, obsédé par son projet, il dirige de façon chaotique le domaine, en jouant plus sur l’esbroufe qui lui a d’ailleurs permis de s’enrichir que grâce à ses compétences de gestionnaire, plus que limitées. Et d’avance, on pressent que tout cela est voué à l’échec… Côté dessin, on est servis ! P.-H. Gomont maîtrise parfaitement son coup de crayon. Par les poses ou les expressions du visage, il sait faire ressortir les traits de caractère et les humeurs des protagonistes. À l’image du tumultueux Gabriel, le mouvement est permanent dans cette épopée virevoltante. De façon pertinente et audacieuse, l’auteur exploite pleinement les codes de la BD. C’est surtout la représentation du père qui frappe le lecteur. Les yeux exorbités de Gabriel et son visage émacié trahissent son désordre intérieur, renforcés par cette cigarette crachant des flammes plutôt que de la fumée, telle une extension organique de lui-même. L’ambiance graphique est bien différente du placide Pereira prétend. Tour à tour lumineux et sombre, l’environnement exotique, très bien représenté dans son foisonnement, accompagne parfaitement cette histoire de passion humaine où les gouffres psychiques ne sont jamais loin. Inévitablement, on pense à l’œuvre de James Conrad, « Au cœur des ténèbres », où là encore la jungle africaine semblait agir comme révélateur des pulsions enfouies de l’Homme blanc. Une jungle réfractaire et incompatible avec l’esprit de conquête, qui finit toujours par engloutir ceux qui cherchent à la dompter, telle une malédiction lancée par les dieux de la forêt. Et Gabriel n’y échappera pas davantage, malgré toute l’énergie qu’il aura déployée pour maintenir à flot son frêle esquif « mal sur terre », perdu dans l’immensité forestière. Il faut ajouter à tout cela la plaisante tournure littéraire des textes, qui contribue à ériger « Malaterre » comme une référence parmi tout ce que le roman graphique a produit de meilleur. D’ailleurs, le talent narratif dont fait preuve Gomont n’est pas sans rappeler le maître dans sa catégorie, j’ai nommé Will Eisner… L’émotion n’est pas absente, en particulier vers la fin, et celle-ci est d’autant plus puissante qu’elle reste sobre, sans pathos. Car au final, le personnage de Gabriel révèle un côté attachant avec sa folie et ses paradoxes, une fragilité qu’il masque bien souvent derrière sa colère. Ses enfants, dans leur détestation commune, réalisent qu’au fond ils l’aimaient ce père que l’on voit mourir au début de ce récit en forme de flashback. Un père hors du commun qui suivait ses instincts envers et contre tout, en lutte contre tout le monde mais aussi contre lui-même. Que l’on aimerait avoir à lire plus souvent de tels ouvrages ! Symbiose parfaite entre bande dessinée et littérature, ce récit flamboyant place la barre très haut, ne négligeant aucun aspect tant dans le fond que dans la forme. Pour faire simple, P.-H. Gomont nous offre avec « Malaterre » un véritable chef d’œuvre à qui l’on peut souhaiter tout le succès qu’il mérite.
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