Prendre refuge
Un conte moderne et poétique sur le thème du refuge.
Berlin Immigrants La BD au féminin
Entre Bâmyân et Berlin, hier et aujourd’hui, l’amour comme la plus belle des aventures. 1939, Afghanistan. Autour d’un feu de camp, aux pieds des Bouddhas de Bâmiyân, une voyageuse européenne, Anne-Marie Schwarzenbach, tombe amoureuse d’une archéologue. Cette nuit-là, les deux femmes l’apprennent par la radio, la Seconde Guerre mondiale éclate. 2016, Berlin. Karsten, jeune Allemand qui se passionne pour l’Orient rencontre Nayla, une réfugiée syrienne, dont il s’éprend, malgré leurs différences. A travers ces deux récits entremêlés, deux histoires d’amour atypiques, comme un écho à deux époques complexes, se tissent au fil des pages. Alliant les contraires, rapprochant des êtres qui n’auraient jamais dû se croiser, l’album propose une réflexion sur la difficulté d’aimer aujourd’hui comme hier.
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Date de parution | 05 Septembre 2018 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Étrange histoire que celle-ci, dans laquelle je suis entré avec quelques difficultés, malgré les attraits dont elle dispose. Attraits visuels essentiellement, quoique ceux-ci soient déroutants. En effet, le dessin très stylisé de Zeina Abirached, usant d’un Noir et Blanc très tranché (au rendu proche de papiers découpés) est original. Quant à l’histoire proprement dite, elle l’est tout autant (originale et déroutante). Les histoires plutôt d’ailleurs. Puisque nous suivons en parallèle deux histoires d’amour aussi fragiles que fugaces : deux femmes qui se rencontrent en Afghanistan en août 1939 (devant les fameux Bouddhas de Bâmiyân qui justifient les nombreuses évocations du Bouddhisme en exergue) et un jeune allemand, Karsten, qui tombe amoureux d’une réfugiée syrienne, Neyla. Tout ceci est traité de façon légère, la fragilité des rencontres, des sentiments, est marquée plus par des silences que par de longs textes : c’est pourquoi malgré l’importante pagination, cela se lit très vite. Si ces histoires d’amour se révèlent éphémères, l’album peut aussi se lire comme un long poème (d’ailleurs c’est par un poème que Neyla semble déclarer sa flamme à Karsten, passant outre les difficultés à s’exprimer dans une langue commune). Lecture pas désagréable donc, mais qui me laisse au final un goût de pas assez. Il me manque un je ne sais quoi pour davantage apprécier l’histoire, ses deux parties s’interrompant assez brutalement. J’aurais aimé connaitre un peu mieux les personnages.
Pas tout à fait une bande dessinée, « Prendre refuge » se définirait davantage comme un long poème dessiné. D’abord en référence au bouddhisme, c’est ensuite la thématique très actuelle des « migrants » qui y est évoquée, une thématique que l’on préfère souvent éluder d’un haussement d’épaule impuissant. Mais outre ces deux aspects, le refuge a aussi à voir avec le réconfort amoureux, ce besoin de se blottir dans les épaules de l’être aimé pour mieux affronter le monde. Le personnage de Neyla, une enseignante ayant fui la guerre en Syrie, a donc « pris refuge » dans un Berlin où elle peine à se reconstruire, traumatisée par la destruction de sa ville, Alep. Elle y fait la connaissance de Karsten, dont la bienveillance semble impuissante à effacer les souvenirs douloureux du terrible conflit. De même, le sentiment amoureux qui naît entre les deux êtres semble également se heurter à un mur de souffrances. L’allusion au bouddhisme est incarnée par les fameux bouddhas de Bâmiyân, que Neyla avait découvert quelques années plus tôt, alors qu’ils n’avaient pas encore été détruits par les Talibans. De ce site grandiose, il ne reste que les cavités où les Bouddhas avaient pris « refuge ». Des cavités conservant le souvenir des statues, comme par un phénomène de persistance rétinienne. De façon extrêmement graphique, les auteurs ne montrent pas d’images de guerre mais préfèrent regarder vers le ciel, tissant des fils dans les constellations, conférant ainsi une dimension mystico-poétique à l’histoire. La douleur de l’absence et de l’exil n’est que suggérée, et cet album atypique dégage beaucoup de douceur et de légèreté, non seulement par le plaisant dessin tout en à-plats noirs et blancs, mais aussi par l’économie de textes. Fruit d’une rencontre entre l’écrivain Mathias Enard, Prix Goncourt en 2015, et la bédéaste-illustratrice libanaise Zeina Abirached, « Prendre refuge » ne joue pas tant sur la narration que sur le visuel. Il s’agit d’une œuvre immobile, telle un « refuge » au milieu du bruit et de la fureur de la guerre. Une œuvre qui méritera plusieurs lectures pour en saisir toutes les subtiles métaphores.
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