L'Herbe folle
Un homme se remémore sa folle jeunesse pendant les années 60. À l’époque, un vent de liberté soufflait, il se prénommait Theda…
1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide La BD au féminin Les hippies
Gare de Lyon, de nos jours. Pierre Cartolina a rendez-vous avec une anglaise prénommée Rose Lanobre. Elle est la fille de deux amis d’enfance, Gilles et Theda. Il repense aux sixties, à cette époque Peace and Love où ils voulaient croire à un monde meilleur. Ils rêvaient de fuir la société de consommation qui leur tendait les bras pour un lopin de terre dans le Larzac avec son jardin, son verger, ses chèvres et quelques poules. Gilles et Theda avait franchi le pas… Rose arrive et s’assied. Comme l’indique la lettre qu’elle a envoyé à Pierre Carlonia, elle voudrait connaître l’histoire de ses parents. Tout a commencé à Paris, aux Beaux-Arts, où ses parents l’avait inscrit, lui le cancre qui n’était fort qu’en dessin. Il croque les modèles femmes et hommes qui viennent se déshabiller. Il a quinze ans et demi et les autres élèves ont une petite vingtaine d’années. C’est là qu’il rencontre Gilles et deux de ses amis, les bien-nommés Pied de Poule et Prince de Galles, deux élèves peu intéressés par le dessin académique et plus par l’idée de s’amuser. L’arrivée de Theda va bouleverser tout ce petit monde…
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Date de parution | 06 Avril 2016 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Faire sa vie loin des vicissitudes de la civilisation urbaine - Il s'agit d'une histoire complète en 1 tome et indépendante de toute autre. Elle est initialement parue en 2016. le scénario en a été coécrit par Maryse et Jean-François Charles. Les dessins et la couleur ont été réalisés par Jean-François Charles. Cet ouvrage se termine avec 6 pages comprenant quelques esquisses et quelques annotations des auteurs sur la genèse du projet. Ce couple est également l'auteur de séries comme India Dreams, War and Dreams, ou encore Ella Mahé. L'ouvrage s'ouvre sur une pluie battante mouillant les pavés devant la gare de Lyon. À l'abri à l'intérieur, Pierre Cartolina attend l'arrivée d'une jeune anglaise Rose Lanobre. le premier est un homme d'une soixantaine d'années, diplômé des Beaux-Arts qui a bien connu Thelda et Gilles, les parents de la seconde qui souhaite le rencontrer pour en apprendre plus sur eux. Elle n'est que de passage à Paris pour quelques heures ; elle exerce la profession de médecin en hôpital en Angleterre. Pour répondre à ses questions, il se remémore sa jeunesse à la fin des années 1960, et au tout début des années 1970. Pierre était un élève médiocre au collège, mais excellent en dessin, ce qui lui a valu de suivre des cours aux Beaux-Arts à seulement 15 ans, se liant d'amitié avec Gilles, un autre élève forcément plus âgé. Avec 2 autres élèves surnommés Pied de Poule et Prince de Galles (en référence au tissu de leur veston respectif), ils formaient un petit groupe d'ami. Leur classe fut sous le choc de l'arrivée d'une nouvelle élève : Theda Barrow, une belle anglaise n'ayant pas froid aux yeux. Quelques temps plus tard, Theda et Gilles décident d'aller s'installer en Auvergne pour élever des chèvres. Un été, ils invitent plusieurs de leurs ex-camarades de classe à venir séjourner à la ferme. Theda est plus belle et plus libre que jamais. Les auteurs proposent un récit s'apparentant à un roman, avec une forte composante autobiographique mais passée par le filtre de personnages fictifs, et l'évocation de l'air du temps d'une autre décennie. La couverture montre une image très baba cool, avec une 2 Chevaux (Citroën 2 CV, surnommée Deuche ou encore Deudeuche), repeinte en rose, avec le symbole Peace & Love), et une magnifique jeune femme gambadant dans la nature. L'image d'ouverture du récit est en total décalage, une peinture en pleine page à la limite de l'abstraction, avec un ciel gris, de l'eau ruisselante et des pavés, c'est-à-dire une substance minérale, à l'opposé de l'organique de l'herbe de couverture. Les pages suivantes montrent plusieurs vues intérieures de la Gare de Lyon, à nouveau réalisées à l'aquarelle. le lecteur s'attarde un peu sur les formes des personnages. Il constate que l'artiste les détoure avec un trait encore crayonné ou peut-être un coup de pinceau un peu irrégulier, ce qui donne une apparence plus douce aux dessins, par comparaison avec un encrage qui leur aurait donné une apparence plus sèche. Il constate aussi que de nombreuses formes ne sont pas détourées, mais réalisées en peinture directe, ce qui leur donne une apparence un peu moins nette. Le lecteur constate que Jean-François Charles réalise une performance picturale aussi discrète que saisissante. Alors que Pierre Cartolina est assis pour prendre un café, le regard du lecteur assimile immédiatement les caractéristiques de l'endroit dans lequel il se trouve : tables et chaises, comptoir, verres, moulures du plafond, peintures murales, personnages attablés. En un coup d'oeil rapide, il éprouve l'impression de se trouver dans ce lieu. Il peut alors avoir envie de détailler ces cases, et il découvre l'équilibre délicat entre la représentation détaillée, et l'évocation de formes simplifiées, atteint par l'artiste, par le biais de l'aquarelle. Chaque case est à la fois dense en informations visuelles, et très légère à la lecture, un délice visuel. Tout du long de ces 118 pages de bande dessinée, les auteurs laissent le libre choix au lecteur de rester à l'impression de surface données par les planches, ou de laisser son regard vagabonder sur certaines cases, au gré de ses goûts. Ils n'imposent pas le rythme de lecture, il le laisse au choix de leur lectorat, à chacun de faire comme il lui plaît. Jean-François Charles apporte le même soin à représenter chaque endroit : de la gare de Lyon, aux estives où paissent les bêtes, en passant par les couloirs de l'École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, le kiosque à musique d'un jardin parisien, la gare ferroviaire de Riom-ès-Montagnes, le bal populaire du village, ou encore la ferme rustique de Theda & Gilles. À chaque fois les dessins combinent un bon niveau de détails et une douceur agréable pour chaque case. Le lecteur apprécie également la qualité de la reconstitution historique par le biais des images. Les tenues vestimentaires sont d'époque, vintage pour tout dire. Les modèles de voiture correspondent à ceux qui circulaient alors. Au détour d'une page (p. 20), le lecteur remarque une affiche pour un concert de Jimi Hendrix, le slogan inoubliable d'une boisson alors en vogue (Dubo, Dubon, Dubonnet), une affiche de film dans le métro (Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, de Jean Yanne, 1972) et des références plus pointues à des magazines de bandes dessinées (MAD, Creepy, Pilote, Vampirella, le journal de Tintin, Eerie). le lecteur peut aller jusqu'à détailler la forme d'une cafetière ou d'une bouilloire sur la cuisinière de la ferme de Thelda & Gilles, s'il le souhaite. En fonction de son âge, l'effet de nostalgie ou de découverte d'un passé révolu joue à plein sur lui. Le récit évoque donc une période circonscrite dans la vie d'un jeune étudiant aux Beaux-Arts, 15 ans au début, à peine majeure à la fin. Les dessins de Jean-François Charles font vivre des personnages sympathiques, au physique réaliste, avec des postures naturelles. le lecteur est immédiatement sous le charme de la gracieuse Theda. Les notes en fin de volume permettent d'apprendre que les auteurs se sont inspirés de Theda Bara (1885-1955, actrice, femme fatale, l'une des premières sex-symbol par exemple dans La Vampire) et d'Ali MacGrow (1939-, actrice dans Love Story). Les autres personnages ont des apparences plus banales, mais pas fades pour autant, crédibles et réalistes, cohérentes avec leur âge et leur statut social. En s'arrêtant sur une case de temps à autre, le lecteur a beaucoup de mal à croire que dans certains visages les yeux ne sont représentés que par des points tellement ils sont expressifs et réalistes, une preuve supplémentaire du talent de Jean-François Charles pour leur insuffler un souffle de vie. Le récit comprend 5 chapitres : (1) le Train Bleu, (2) Les beaux-Arts, (3) Theda, (4) Freytet, (5) Clair de Lune. Il lie le temps présent où Pierre Cartolina est âgé d'une soixantaine d'années et Rose Lanobre a environ 40 ans, avec quelques mois du passé recelant une sorte de secret de famille. Une fois le prologue passé, le lecteur a deviné le fin mot de l'intrigue qui ne sert que de prétexte à raconter une tranche de vie et à apporter une sorte de clôture à cet épisode passé. L'intérêt de cette lecture ne réside pas dans le suspense, mais dans l'évocation d'un moment de la vie, dans un contexte social particulier. le lecteur perçoit le monde par les yeux du jeune Pierre, mais avec quelques observations a posteriori formulées par l'adulte qu'il est devenu. Il peut s'agir de la forme d'agitation manifestée par ces étudiants en goguette dans les rues de Paris, relativisée par le recul de l'expérience, la considération du contexte social que ce soient les aspirations à la paix, les drogues récréatives ou l'utopie des communautés et de l'amour libre, ou encore des réflexions plus subtiles, par exemple sur la nature de l'amour dispensé par Theda (exclusivement physique, sans investissement émotionnel). Le lecteur s'immerge dans une évocation de cette utopie hippie, vu par des artistes en devenir, avec un regard attendri mais pas naïf. Les époux abordent cette époque sous différents angles. Il y a la reconstitution historique qu'offrent les dessins, ainsi que la mise en scène du décalage de cette jeunesse avec les générations précédentes beaucoup plus rangées. Ces artistes bohèmes n'ont pas peur de se comporter de manière provocante au regard des us et coutumes de la société française du début des années 1970. Cela se manifeste par de petits larcins dans les magasins, par le comportement des étudiants désargentés, des graffitis sur les murs à la craie ou à la peinture. le décalage est tout aussi important à la campagne, avec des mœurs libérées affichées au vu de tout le monde, ce qui détonne dans le Cantal traditionnel. D'un côté, Theda & Gilles produisent un cabécou affiné pendant près d'un mois et élèvent des chèvres ; d'un autre côté ils appartiennent à une autre génération. Il ne s'agit pas simplement d'amour libre et de retour à la nature. Cette génération arrive après des bouleversements de la société pendant les années 1960 : les premiers pas sur la Lune, la mort du Che, l'assassinat de Martin Luther King, ceux de John F. Kennedy et de Bobby Kennedy. La jeunesse commence également à pouvoir s'affranchir du carcan de la société précédente : consommation de haschisch, voyage pour Katmandou, camper, faire la fête lors de grands rassemblements de groupes de rock comme à Woodstock ou sur l'île de Wight. Les auteurs montrent en quoi le début des années 1970 favorise une expression plus libre, une remise en question des valeurs, des modes de vie alternatifs. Finalement Theda & Gilles n'ont pas l'ambition de réaliser un projet artistique, mais juste de retrouver une vie moins aliénée par la consommation. Il pourrait presque s'agir d'un retour aux valeurs d'une autre époque, à une existence plus vraie plus proche de la nature. Pourtant les chèvres et l'exploitation de la ferme d'élevage leur imposent une routine toute aussi aliénante que celle de la vie urbaine, avec également des moments de liberté. Au travers de ce récit semi-autobiographique, Maryse et Jean-François Charles invitent le lecteur dans une autre époque, à partager une parenthèse enchantée, le temps d'un été, dans des pages exquises et délicates, enchanteresses et débarrassées d'esbroufe, mais avec le temps qui passe et les responsabilités qui demeurent.
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