L'Argent fou de la Françafrique
Une enquête sur l’incroyable fortune accumulée par plusieurs chefs d’états africains et leurs proches... avec la complicité de l’État français.
Afrique Noire BD Reportage et journalisme d'investigation Documentaires Politique
Paris. Septembre 2011. La justice française saisit avenue Foch plusieurs dizaines de véhicules de luxe appartenant à Téodorin Obiang Nguema, fils aîné du président de la Guinée Équatoriale. C’est la première action concrète d’une enquête financière ouverte cinq ans auparavant. Une investigation tentaculaire qui a permis de mettre au jour l’incroyable fortune accumulée en France par plusieurs chefs d’états africains et leurs proches... avec la complicité de l’État français.
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Date de parution | 28 Novembre 2018 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Même si j'en ai déjà critiqué plusieurs, je n'ai jamais vraiment souligné à quel point l'apparition de La revue dessinée a été un changement profond dans la BD reportage en France. En apportant le travail journalistique dans le documentaire BD, elle a permis de nombreuses BD documentaire de qualité et portées par des engagements forts. Cette BD a eu l'occasion d'être publiée dedans sous forme d'article et la lecture de celui-ci m'avait enjoint à me procurer l'album, qui est une très bonne lecture. Portée par un dessin très simple mais efficace pour un documentaire, la BD est une introduction (bien lourde déjà) au cancer du sol africain : les fuites de capitaux par les riches de ce continent. Enrichi par le pétrole, plusieurs pays africains vivent le paradoxe de la richesse : leur sol immensément riche les rends plus pauvre par un accaparement au main des minorités dirigeantes, avec la complicité bienveillante des états occidentaux. La BD démontre l'enquête qui a été menée dans les années 2000 et jusqu'en 2017 pour un procès historique consistant à saisir en justice les biens mal acquis de Téodorin Obiang Nguema (alias TON). Cette longue enquête et ce travail de longue haleine par des bénévoles au sein de diverses associations pour tenter de dévoiler cette gigantesque mafia en col blanc est fascinante. Se concentrant sur quelques noms seulement, on découvre à quel point tout est pourri. Notre classe politique, leur classe politique, la banque et bien sur les paradis fiscaux, grands noms de la corruption mondiale. Le pire étant que, comme rappelé en couverture, tout le monde était au courant ! Ces procès font date dans l'histoire de la lutte contre la corruption et permettent d'espérer un avenir meilleur. Malheureusement, et par un hasard du calendrier, à l'heure où j'écris ces mots, l'association Anticor (mentionnée dans la BD) vient de perdre son droit à agir en justice. Une piqure de rappel que rien n'est figé dans ce ballet judiciaire constant, et la publication de cette BD est une bonne chose.
C’est un très bon documentaire. Le sujet est bien traité, c’est clair et précis, circonstancié, le dessin est lui aussi efficace, et la démonstration, qui n’est jamais rébarbative, se conclue en moins de cent pages. Qui suffisent à qui n’a pas d’idée sur le sujet à avoir suffisamment de connaissance pour éclairer sa lanterne de citoyen. Les mécanismes de la Françafrique, la malédiction de la manne pétrolière, le cynisme des régimes dictatoriaux dirigeant les Etats africains riches en ressources, tout est très bien développé et expliqué. Et que dire du foutage de gueule des dirigeants politiques français depuis la fin de la seconde guerre mondiale (et surtout depuis les vagues de décolonisation) ? Même si certains noms reviennent dans toutes ces enquêtes (Sarkozy ou à un « niveau » moindre Balkany au premier chef), il semblerait que tous les donneurs de leçons démocratiques y soient passé et continuent d’y passer (voir l’image de de Villepin par rapport à ce que l’on écrit de lui ici). La simple énumération des invités français aux obsèques d’Omar Bongo vaut son pesant de cacahuètes. Même si l’on peut sortir de la lecture de ce genre de publication aigri, déprimé, il y a toujours un espoir que certains rendent des comptes. Que les populations africaines arrivent un jour à recevoir une partie des immenses richesses détournées au profit des familles des dictateurs – et de quelques riches occidentaux. Mais ces détournements font aussi des victimes chez nous : ainsi, lorsque la France, pour des considérations humanitaires ou autres annonce l’annulation de tout ou partie de la dette d’un de ces pays, et que dans les jours qui suivent le dictateur dépense l’équivalent de cette somme (le budget de l’État étant alors confondu avec le sien propre) en achetant chez nous pour des dizaines ou centaines de millions d’euros un immeuble luxueux, nous sommes aussi victimes de ce cynisme. Bref, même si je suis habitué, via la lecture du Canard enchaîné et surtout du Monde diplomatique, à me familiariser avec ce genre de scandale à grande ampleur (y aurait-il autant d’Africains à risquer leur vie pour fuir la misère de leur pays et migrer en Europe sans ce système ?), la lecture de ce documentaire est des plus recommandables.
Je me doutais que cela existait mais je n'aurais jamais crû que la cupidité de ces dirigeants africains était à ce point et dans de telles proportions indécentes. Il est clair que beaucoup de monde savait entre les banques, les compagnies pétrolières notamment Elf ou encore les services secrets ou même les journalistes mais le commun des mortels l'ignorait encore. L'affaire des biens mal acquis nous est totalement décortiquée par des auteurs qui se basent sur des faits précis. On peut encore être satisfait que dans notre démocratie en France, la justice soit totalement indépendante au point d'aller à l'encontre du gouvernement pour l'ouverture d'une enquête à ce sujet. Cependant, ce n'était pas partie gagnée pour les plaignants tant il y a eu des embûches et des intimidations sans compter le silence de la République. C'est tout simplement scandaleux que ces familles de dictateurs accaparent tant de richesse alors que le peuple meurt de faim et vit dans une pauvreté absolue. Ces pays sont réellement riches mais cette richesse est détournée presque totalement par le pouvoir en place. Ce sont des appartements et des voitures luxueux dans les meilleurs quartiers parisiens ou encore l'achat d'une villa de 35 millions de dollars à Malibu Beach. L'argent ne profite même pas à l'Afrique. Par exemple, la famille Bongo possède 39 appartements ou hôtels particuliers dont 17 au nom du président Omar Bongo. Un de ces hôtels coûte 19 millions d'euros. Comment est-ce possible avec un petit salaire de président de 15000€ par mois ? C'est ce type de réflexions compilées que nous analysons au travers cette bd bien construite. Il est clair que pétrole et démocratie n'ont jamais fait bon ménage. Bien entendu, ces pays organisent des scrutins où leur soi-disant président est réélu avec 95% des voix. Toute forme d'opposition est réprimée très sévèrement. La démocratie est brûlée au pétrole. Chaque année, des dizaines de milliards de dollars quittent illicitement le contient africain vers des paradis fiscaux. Cette manne pétrolière est la clé de la longévité de ces régimes. On apprend que le Gabon s'est vu décerné le titre de plus grand importateur de champagne par habitant au monde avec une bouteille pour trois habitants. Il est vrai qu'après un demi-siècle d'exploitation pétrolière, ce pays ne dispose que de 800 kilomètres de routes bitumées. Sur le papier, les habitants sont les plus riches du continent avec un PIB par tête de 17000 dollars par an. On se rend compte de l'or noir peut être une véritable malédiction. C'est ce qu'on appelle le paradoxe de l'abondance. J'ai admiré le travail réalisé par Jean Merckaert qui a fait de la lutte contre les biens mal acquis un combat afin de changer la donne. Un jour et c'est l'espoir, le peuple viendra réclamer des comptes à ces dirigeants corrompus qui se permettent de redorer leur blason en créant des prix à l'UNESCO. Sont visés les pays de la Françafrique à savoir le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Congo Brazaville, le Cameroun... Pour leur défense, ils accusent la France de racisme et de néocolonialisme. Les dirigeants politiques français ont bien entendu une grande part de responsabilité dans ce processus comme cela sera démontré par les auteurs. J'ai trouvé cette enquête sur les avoirs détournés très instructive. Les résultats de celle-ci sont d'ailleurs assez spectaculaires. Les principaux mécanismes sont bien expliqués. C'est également servi par un dessin plutôt efficace et agréable à la lecture. C'est une excellente idée d'avoir relaté tout ces faits en bande dessinée. Bien entendu, c'est à lire pour découvrir un autre aspect de l'Afrique loin de la carte postale imaginée.
La Françafrique, pour ceux qui ne connaissent pas, c'est la manière déguisée dont l'Etat Français a gardé la main-mise sur la plupart de ses anciennes colonies africaines après leur Indépendance. Dans le fonctionnement, c'est une entente entre trois parties. Il y a d'abord les dirigeants Français, avec l'aide des services de renseignement et de l'armée, qui soutiennent des gouvernements Africains spécifiquement choisis, la plupart du temps pour la façon dont ils maintiennent l'ordre dans leur pays mais surtout pour la protection qu'ils amènent aux intérêts économiques français sur place. Il y a ensuite de grosses entreprises françaises mais surtout et essentiellement Elf qui exploitent très avantageusement les ressources de ces pays et paient de généreuses commissions aux chefs d'Etat africains en question, mais aussi aux partis politiques français qui les soutiennent. Et enfin il y a ces fameux chefs d'Etat africains qui récupèrent à leur profit la quasi totalité de l'argent versé par les sociétés françaises et en reversent eux aussi une bonne part pour mettre les hommes politiques français dans leur poche. Et comme ça, tout le monde en sort gagnant !... Sauf les populations des pays africains concernés qui vivent en majorité dans la misère alors que leurs dirigeants vivent des vies de monarques absolus dans une richesse écoeurante... Etant membre d'une association qui essaie de combattre ces procédés, notamment en cherchant à faire confisquer les Biens mal acquis par ces dirigeants et leurs familles pour les rendre aux populations de leurs pays, le scénariste de cette BD sait de quoi il parle. Et il nous retranscrit dans cette BD le plus gros des informations et faits qu'il détient, pour dénoncer au grand jour et expliquer clairement cette structure mafieuse. La Françafrique, je connais bien puisque j'ai vécu 16 ans en Afrique dont le plus gros dans ces fameuses anciennes colonies. Là-bas, à l'époque, elle n'avait rien d'un secret. Tout le monde savait que les présidents roulaient sur l'or et vivaient comme des rois en gardant le pouvoir souvent depuis des décennies uniquement grâce au soutien permanent des différents gouvernements français. Et de nos jours, quand on parle du financement libyen de la campagne de Sarkozy, on semble omettre que ces types de financement et de corruption d'hommes politiques français est très loin de ne concerner que la Libye et que Sarkozy. Il serait facile de dire "tous pourris" mais c'est probablement proche d'être le cas car, comme cette BD le montre, les témoignages sont très nombreux pour indiquer que tous les hommes politiques un tant soit peu connus, de tous les partis, ont touché des sommes parfois extravagantes. Bref, écœurant, c'est ce qui ressort de cette BD. Écœurement auquel s'ajoutera la frustration de se dire que si le système a à peu près servi jusqu'à présent les intérêts de la France ou en tout cas de ses multinationales, l'attaquer pour de bon en justice maintenant est probablement trop tard puisque la Chine entre autres a déjà largement commencé à prendre la relève en Afrique. Voilà pour ce qu'il en est du contenu de cet album. Sur la forme, le dessin de Julien Solé est très bon. Mais cette BD se base bien davantage sur son texte que sur le dessin. Ce dernier ne vient qu'essayer de rendre un peu plus digeste un récit très bavard et très détaillé. Cela marche plus ou moins car à plusieurs moments j'ai trouvé la lecture un peu indigeste, trop documentaire. Beaucoup d'informations, beaucoup de témoignages, c'est un peu fastidieux et parfois aussi un peu redondant. Ce n'est pas le genre d'album à lire le soir trop tard sous peine d'être un peu assommé par sa densité et son sérieux. Concrètement, cette BD est intéressante, bien documentée, convaincante et soutenue par un agréable dessin. Mais il faut pour cela faire l'effort de la lire et de ne pas décrocher sous peine d'être noyé par le côté didactique et journalistique de son contenu.
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