Il fallait que je vous le dise
La rencontre de la dessinatrice Aude Mermilliod et du romancier Martin Winckler. Deux voix pour rompre le silence sur un sujet encore tabou, l’IVG.
Autobiographie Documentaires Douleurs intimes La BD au féminin Le droit à l'avortement
Si elle donne le choix, l’IVG ne reste pas moins un évènement traumatique dans une vie de femme. Et d’autant plus douloureux qu’on le garde pour soi, qu’on ne sait pas dire l’ambivalence des sentiments et des représentations qui l’accompagnent. L’angoisse, la culpabilité, la solitude, la souffrance physique, l’impossibilité surtout de pouvoir partager son expérience. Avec ce livre, Aude Mermilliod rompt le silence, mêlant son témoignage de patiente à celui du médecin Martin Winckler. Leur deux parcours se rejoignent et se répondent dans un livre fort, nécessaire et apaisé.
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Date de parution | 08 Mai 2019 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
07/06/2019
| Mac Arthur
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Les avis
Les hommes ne montent jamais sur une table de gynéco. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, un témoignage sur un avortement. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, dont la première édition date de 2019. Il a été réalisé par Aude Mermilliod, scénario, dessins, couleurs. Il comporte 155 pages de BD. Il commence par trois strophes extraites de la chanson Non, tu n'as pas de nom, d'Anne Sylvestre. Se trouvent ensuite un avant-propos d'Aude Mermilliod expliquant pourquoi elle a réalisé un tel ouvrage, puis une introduction de Martin Winckler. À Montréal, en janvier 2017, Aude Memilliod a rendez-vous dans un café, avec le docteur Marc Zaffran, écrivant sous le nom de plume de Martin Winckler. Elle l'attend en sirotant un thé, et en relisant le manuscrit de sa bande dessinée. Il arrive, s'assoit et commande à son tour. Elle lui explique sa démarche : réaliser une bande dessinée sur avortement, projet qu'elle a bâti après avoir lu le Chœur des Femmes (2009) de Martin Winckler. Elle ajoute qu'elle aimerait compléter cette première partie, avec une deuxième retraçant la vie professionnelle du médecin. Il accepte bien volontiers de l'écouter. Pour Aude, l'histoire de son avortement a commencé en 2011, à Bruxelles, quand elle était serveuse dans un bar. Sa journée était fatigante, et elle était contente de rentrer dans son appartement et de retrouver son chat. À cette époque, Aude sort d'une relation suivie de 3 ans avec Jonathan. Elle a entamé une autre relation avec Christophe. Elle se rend compte qu'au quotidien elle a des impulsions qu'elle a du mal à réprimer : envie de tuer une interlocutrice avec une voix insupportable, envie irrépressible d'une tarte à l'oignon suive d'un dégout prononcé pour le goût de l'oignon, fredonner la Javanaise (1963) de Serge Gainsbourg pendant des semaines. Lucie, sa colocataire, finit par lui demander si elle ne serait pas enceinte. Après la journée de travail du lendemain, Aude se dit qu'il faut effectivement qu'elle fasse un test. Elle passe par la pharmacie en rentrant pour en acheter un et l'utilise dès qu'elle est rentrée : il est positif, ce qui la met hors d'elle sachant qu'elle porte un stérilet. Finalement, elle appelle sa copine Vic, enceinte de 8 mois, et en discute avec elle. Deuxième partie - Aude Mermilliod finit de raconter son histoire personnelle à Marc Zaffran, en disant qu'elle a lu son livre le chœur des femmes après coup, et qu'elle souhaite raconter son histoire à lui. Il lui propose d'aller parler en marchant, malgré la neige qui tombe. Tout en marchant, il lui raconte son histoire : son père médecin qui faisait partie d'un réseau pratiquant des IVG clandestines. Il continue : sa première année à la fac de médecine du Mans, sa rencontre avec Caroline, une jeune femme libérée prenant la pilule. En mai 1974, Simone Veil est nommée Ministre de la Santé. le 29 novembre 1974, elle prononce un discours sur la loi IVG devant l'Assemblée Nationale. le 17 janvier 1975, la loi est promulguée : il reste à la mettre en œuvre. Il s'agit donc d'un récit autobiographique en 2 parties : la première (76 pages) est consacrée à Aude Mermilliod et racontée par elle-même, la seconde (62 pages) est consacrée à Marc Zaffran, racontée par lui et dessinée par Aude. Dès la première page, le lecteur est sous le charme des dessins : ils sont très proches de la ligne claire, avec juste quelques rares traits dans les surfaces pour rehausser le pli des vêtements, et parfois l'usage très limité de 2 teintes d'une même nuance dans une surface détourée pour évoquer la luminosité. L'artiste arrondi un peu les visages et les silhouettes, les rendant plus douces, plus agréables à l’œil, plus sympathiques. Elle met en œuvre une approche naturaliste et descriptive, que ce soit pour les tenues vestimentaires, ou le jeu de ses acteurs. le lecteur suit les différents personnages, comme s'il se tenait à leurs côtés, dans la même pièce. Il se sent le bienvenu en leur présence, assistant à des moments de vie banals, pris sur le vif, parfois invité dans leur intimité (une séance de massage relaxante). Il ne se sent jamais un intrus, plutôt un témoin privilégié qui bénéficie de la confiance que lui portent les personnages, sûrs de son regard bienveillant. Il lui semble partager la vie d'Aude comme un ami intime : sa colère en se découvrant enceinte, son regard préoccupé jusqu'à l'opération, ses sautes d'humeur, sa force de caractère, son assurance face à un mec trop insistant, son abandon en toute confiance lors de la séance de massage. L'autrice met un peu plus de distance dans sa représentation de Marc Zaffran, d'une part parce que ce n'est pas elle, ensuite parce qu'il s'agit plus de ses deux vies professionnelles (médecin & auteur) que de sa vie privée. Quoi qu'il en soit du sujet abordé, la lecture est des plus agréables, grâce à une forme de prévenance et à un humour discret et naturel, toujours bienveillant. Aude n'hésite pas à se moquer gentiment d'elle-même : sa rage à se laver les dents pour faire disparaître le goût de la tarte aux oignons, sa traversée des phases de déni, de colère, de déprime pour accepter le résultat du test de grossesse, ses bouffées de chaleur, son exaspération face aux copines qui lui disent que ce n'est rien, son énervement face au mec trop insistant, etc. Elle se montre tout aussi habile à faire passer les émotions plus délicates comme les moments de détresse émotionnelle passagers d'Aude, le ressenti lors de l'opération d'avortement, son inquiétude à constater que les saignements continuent plusieurs jours après l'opération, ses ressentis à la lecture du livre de Martin Winckler, l'étonnement de Marc Zaffran face à la franche proposition de Caroline, le calme imposant de Simone Veil face à une assemblée composée uniquement d'hommes, le regard de jugement de la femme à l'accueil orientant vers le tout nouveau service d'IVG, le visage plein de sérieux d'un jeune Marc Zaffran apprenant à pratiquer une IVG, le regard plein de compréhension de l'aide-soignante expliquant à Marc Zaffran, médecin, qu'il y a un temps pour aborder la question de la contraception avec ses patientes, etc. Le lecteur a parfois du mal à croire à l'élégance de la mise en images pour des scènes délicates. L'opération d'IVG se déroule sur 6 pages : le lecteur ressent les sensations physiques et les émotions d'Aude, sans que les dessins ne deviennent trop graphiques, ou photographiques, ou cliniques, un moment bouleversant. Il en va de même pour les 6 pages consacrées au massage pratiqué par Lætitia, dépourvu de toute vulgarité, de toute sensation de voyeurisme. le lecteur est tout aussi transporté dans l'esprit de Marc Zaffran quand il apprend à pratiquer une interruption volontaire de grossesse, en observant un collègue, ou quand il pratique sa première opération, à nouveau sans voyeurisme, sans gros plans techniques. Il le regarde également se mettre à la place d'une femme venant pour l'opération, le médecin s'imaginant ce qu'elle ressent au fur et à mesure du rendez-vous et de l'opération, le lecteur éprouvant ses sensations. Avec la première partie autobiographique, Aude Memilliod atteint l'objectif qu'elle annonce dans son introduction : évoquer son expérience sans fard et sans dramatisation, sans tabou et sans mettre le lecteur mal à l'aise, avec une narration douce, drôle, grave, précise dans les faits et les émotions. le lecteur passe ensuite à la deuxième partie en se demandant si elle est bien indispensable. L'autrice fait le lien avec sa propre expérience par la lecture de le chœur des femmes, un roman, mais aussi une réflexion sur la pratique de la gynécologie et sur la relation soignant-soigné. le lecteur comprend bien que l'autrice ne pouvait pas envisager son témoignage, en omettant l'expérience de Marc Zaffran, médecin à l'écoute des femmes, ses patientes. Sa vie constitue également un témoignage sur la mise en pratique de la loi de 1975 sur l'interruption volontaire de grossesse, sur la façon d'écouter les patients au lieu de se limiter à appliquer des techniques médicales, sur la question de la transmission de ce savoir acquis de l'expérience, par l'écriture. Dans son introduction, Marc Zaffran se questionne que ce soit lui, un homme, qui rapporte les paroles des femmes, pas tant sur sa légitimité, mais sur la justesse de sa sensibilité. En découvrant sa pratique de la médecine, le lecteur constate que son humilité lui a permis d'écouter, et que son savoir lui vient des femmes qu'il a écoutées : celles en fac de médecine avec lui, Aline (docteure pratiquant l'IVG en hôpital), Yvonne Lagneau, aide-soignante en centre de planification. Cette partie constitue également, par moment, un témoignage historique : le discours de Simone Veil, les jugements de valeurs moraux associés à l'IVG, le besoin d'avoir plus de médecins pratiquant l'IVG, le partage des bonnes pratiques. Cette partie n'est pas un historique de l'IVG : pour cela, l'autrice renvoie à la bande dessinée le choix (2015) de Désirée et Alain Frappier. Le lecteur entame cette bande dessinée peut-être un peu intimidé par la pagination, peut-être pas totalement convaincu de la pertinence de la deuxième partie. Il est tout de suite charmé par Aude, en totale empathie avec elle grâce à une narration visuelle élégante et sensible. Il passe dans la foulée à la deuxième partie : elle fait immédiatement sens, à la fois en donnant à voir l'autre côté (la médecine), mais aussi par l'empathie de Marc Zaffran en phase parfaite avec les ressentis d'Aude Mermilliod. le lecteur aura pu se faire une idée de ce que peut représenter un avortement pour une femme. La lectrice aura pu bénéficier d'un témoignage informatif, ou partager cette expérience.
Il y a des BD qui me plaisent parce qu'elles sont biens, que j'aime leur style, leur dessin, leur scénario. Il y a des BD que j'aime parce qu'elles me touchent, qu'elles m'émeuvent. Et puis il y a des BD qui me plaisent parce qu'à peine fini la lecture, j'ai envie de l'offrir à tout le monde. "Il fallait que je vous le dise" fait partie de cette dernière catégorie, très fermée. J'ai lu la BD dans le train, entrainé sans m'en rendre compte et finissant ému aux larmes par ce qui ressort de ce genre d'ouvrage. Je ne suis pas une femme, je n'ai jamais connu ni l'enfantement ni l'avortement, et je ne peux que compatir sans jamais ressentir ce genre de choses. Ces dilemmes, ces choix, ces attentes et ces conséquences. Avorter n'est jamais anodin, quoi qu'en disent ceux qui sont contre, et personne ne le fait comme on va faire une visite de routine chez le médecin. C'est un choix difficile, un moment dur et parfois violent. Cette BD nous le rappelle. Divisée en deux témoignages, d'abord une femme parlant de son avortement, puis un médecin qui parle de comment il en est arrivé à le faire, la BD nous présente deux facettes tout aussi intéressantes du choix d'enfanter ou non. Et je suis toujours ému et sidéré par ce genre de BD. Comment peut-on encore avoir aujourd'hui des débats autour de la façon dont les femmes veulent gérer leurs corps ? Comment a-t-on pu laisser si longtemps l'avortement clandestin, les infections, les morts, les violences obstétricales, les naissances nombreuses non-voulues ... C'est ignoble et je me sens toujours mal pour toutes ces femmes qui n'ont pas eu le choix, qui ont du faire sans. Ce genre de BD est salutaire, à l'heure où le pays le plus riche du monde annule la protection juridique de l'avortement. Il faut rappeler ce que ce fut, historiquement, et ce que c'est, humainement. Je suis convaincu qu'il faut diffuser ce message le plus possible, montrer l'humain derrière les mots. Et rien que pour ça, c'est une BD que je recommande.
S’il y a bien un point sur lequel le titre ne trompe pas, c’est ce « Il fallait » car, dès le début de ma lecture, j’ai senti ce besoin, cette nécessité pour l’autrice, Aude Mermilliod, de parler de son expérience, de son ressenti sur l’avortement. Avortement qu’elle a vécu dans sa chair, dans son âme. Alors, et même si en ma qualité d’homme je crains de ne pas pouvoir totalement partager le ressenti de l’autrice, je ne peux qu’être admiratif sur sa démarche. Une démarche honnête et sincère, un témoignage qui pourra sans doute aider d’autres personnes confrontées au même choix (car cela reste un choix et devrait pouvoir toujours et en toutes circonstances rester un choix individuel). Aude Mermilliod nous relate donc le long processus qui l’a menée depuis la découverte du fait qu’elle était enceinte jusqu’après son avortement. Ce choix individuel et douloureux, cette expérience de vie que personne ne souhaite devoir faire un jour mais face à laquelle elle n’a pas fui. La deuxième partie du récit nous permet de découvrir un médecin qui pratique l’avortement. Son parcours de vie, les motivations de ses choix, la manière dont il a évolué au fil de ses expériences : tout est à nouveau raconté avec beaucoup de naturel et de simplicité, mettant l’accent sur l’humain. La narration est fluide, le dessin sans fioritures recentre l’attention sur le sujet et sur les mots. Les sentiments, les questionnements sont le cœur même du récit et ces témoignages d’une grande sincérité ne sont ni larmoyants, ni sinistres, ni trop techniques. L’humain est ici mis en avant et ce livre pourra, je l’espère, aider d’autres femmes confrontées à ce choix et d’autres médecins amenés à les soutenir et à les aider. Un livre très certainement nécessaire pour son autrice, et utile pour oser sortir ce sujet des tabous qui l’entourent. A lire !
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