Penss et les plis du monde

Note: 3/5
(3/5 pour 10 avis)

Dans ce conte philosophique, l’auteur de la Saga de Grimr, fauve d’or 2018, traduit avec force le regard singulier que Penss porte sur le monde, aux antipodes de celui de l’humanité de ces temps préhistoriques…


Gobelins, l'École de l'Image Mirages Préhistoire

À l’aube des temps, Penss, piètre chasseur, passe ses journées à contempler la beauté de la nature. Rejeté par son clan, il est contraint à la survie en solitaire et promis à une mort certaine. Mais au printemps, il arrache à la terre son plus grand secret : tout dans le monde se déplie inéluctablement. Une nouvelle vie commence pour Penss et, il en est certain, un nouvel avenir pour l’humanité…

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 25 Septembre 2019
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Penss et les plis du monde © Delcourt 2019
Les notes
Note: 3/5
(3/5 pour 10 avis)
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09/10/2019 | LuluZifer
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Par Présence
Note: 4/5
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La beauté d'une fleur m'a sauvé, maman. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre qui n'appelle pas de suite. La première édition date de 2019. Il s'agit d'une bande dessinée en couleurs, entièrement réalisée par Jérémie Moreau, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Elle comporte environ 230 pages. L'eau s'écoule avec les reflets changeants du soleil, marquant des lignes de crête des ondulations, faisant comme des points de lumière, montrant les ondes, ou encore une eau assombrie autour des rochers qui affleurent. Ces phénomènes lumineux en surface de l'eau se répètent alternativement, sous les yeux grands écarquillés de Penss, un jeune homme accroupi sur un rocher, fasciné par ce phénomène. Il pense qu'il est le seul à remarquer la beauté du monde, que tous les autres passent leur vie à courir. Sa mère finit le trouver et elle lui reproche d'être en perdu dans sa contemplation, sans même prêter attention aux poissons. Elle ajoute que les hommes de la tribu sont rentrés de la chasse, et qu'Ovie a accouché. Elle et lui n'ont rien à lui offrir. Ils se mettent à marcher pour remonter la pente un peu prononcée et se présenter devant le mari d'Ovie. Les autres se sont mis à la queue-leu-leu pour offrir leurs cadeaux. Vient le tour de la mère de Penss qui s'agenouille et présente une poignée de cailloux. le mari répond qu'elle peut les garder et qu'elle doit expliquer à son fils qu'on ne peut pas passer ses journées à rêvasser. le soir, devant le feu de camp, les chasseurs distribuent des morceaux de viande cuite. Assis en tailleur comme les autres, Penss tend ses mains en avant quand vient son tour, mais un autre récupère le morceau qui lui est destiné et proteste : il n'a jamais ramené un bout de viande ou même quoi que ce soit. Ce garçon ne donne rien d'ailleurs : ni bonjour, ni merci, ni même aucun geste d'affectation pour l'un ou l'autre des membres de la tribu. Tant qu'il voguera seul avec lui-même, cet homme ne voit pas pourquoi Penss mangerait la viande pour laquelle le chasseur risque sa vie. Penss sort de la caverne et va contempler le ciel étoilé nocturne. Sa mère le rejoint et lui dit sa façon de penser. Elle a peur pour lui, car tout le temps il se trompe. Il se trompe de vie. Il voit les reflets quand il faut regarder les poissons. Il préfère l'obscurité froide des montagnes au feu de son clan. Il regarde la mousse à ses pieds quand il faut voir l'horizon. Demain les chasseurs vont chasser le bouquetin, elle lui demande de les accompagner. Penns reste dehors à regarder les étoiles, en se disant que sa mère ne comprend pas : ces montagnes, ces étoiles sont infiniment plus belles que n'importe quel homme. le lendemain, Penss a pris sa lance et il suit le groupe de chasseurs, en restant bien en arrière. Ils se mettent en position en haut d'une colline et le meneur voit un groupe d'une quinzaine de bouquetins plus bas dans la vallée. Il agrippe la tunique de Penss et le tire pour qu'il dévale la pente. Ce dernier se retrouve devant un bouquetin figé par la peur. Soudain les quadrupèdes fuient en courant, bousculant le jeune homme au passage. Un puma est apparu au sommet d'un rocher et il se précipite vers les animaux, et donc vers Penss. Ce nouveau récit complet succède à La saga de Grimr (2017) dans la bibliographie de l'auteur. Ce dernier passe ainsi de l'Islande au dix-huitième siècle, à des hommes préhistoriques, dans la phase chasseur. Au cours de ces deux cent trente pages réparties en un prologue et six chapitres, Penss va se séparer de sa tribu, décidant de rester dans la vallée où ils se trouvent, seul avec sa mère âgée, alors que les autres vont de l'avant pour trouver du gibier. En continuant d'observer la nature avec attention et curiosité, il finit par deviner le cycle de reproduction des végétaux au fil des saisons, et par devenir un précurseur de l'agriculture. Lorsqu'une autre tribu arrive dans la zone où il s'est installé, deux points de vue s'opposent entre les chasseurs et les cueilleurs, deux philosophies de vie. le bédéiste maîtrise son récit de bout en bout, en particulier la pagination : il choisit donc de développer des scènes contemplatives, des pages sans mots, sans texte, pour montrer Penss en train d'observer et d'effectuer des déductions, de tester des méthodes de façon empirique. C'est presque paradoxal : alors que le personnage principal prend son temps, le lecteur avance plus vite dans les pages car elles sont dépourvues de texte. Elles sont au nombre de 41 pages silencieuses. Le lecteur se laisse bien volontiers porter par cette narration visuelle douce et très facile d'accès. Il est sous le charme dès la première page, avec les reflets changeants sur l'eau, les différentes formes qu'ils peuvent prendre : Penss observe pour lui et il est sous le charme de ces cinq cases, chacune avec une composition de couleurs différentes, tout en décrivant bien un endroit unique. L'enchantement continue sur la deuxième page, et culmine une première fois sur la page 3 : une composition qui relèverait du domaine de l'abstrait si elle n'était pas contextualisée dans sa partie supérieure (environ un cinquième de l'image) par la présence du personnage. Dans le même temps, c'est aussi une belle représentation de l'écoulement de la rivière. Pour cette séquence, l'artiste a choisi de marquer fortement les différents moments de la journée avec les couleurs : un peu brun et gris pour l'après-midi, gris pour la fin de journée, noir avec des teintes orangées pour la nuit et le feu. L'artiste dessine les personnages de manière simple, éloignée de la représentation photographique, lisible par des lecteurs de tout âge, sans pour autant leur infliger un jeunisme généralisé. Leur visage et leur corps sont marqués de petits traits secs attestant la rigueur de leur mode de vie primitif. Il accentue fortement cet effet pour les traits creusés de la mère du personnage principal alors qu'elle vit ses derniers jours. Il se crée un décalage entre ces personnages à l'aspect simple détouré par un trait de contour encré, et les paysages, le plus souvent en couleur directe, sauf quand le dessinateur a besoin d'être dans un mode descriptif précis pour les végétaux. Les différents environnements apparaissent alors avec le point de vue de l'auteur, dans un registre descriptif, parfois proche de la frontière de l'impressionnisme. Après les reflets sur l'eau, le lecteur en fait l'expérience avec la pente pierreuse, parfois des grosses pierres avec des contours esquissés au pinceau, parfois juste la couleur de la roche et des quelques touffes d'herbe desséchée, avec des motifs abstraits au pinceau pour évoquer la séparation entre les pierres. Dans ces temps préhistoriques, la nature est le personnage qui prend le plus de place, omniprésente, l'être humain n'étant qu'un épiphénomène aux répercussions aussi limitées que fugaces. En outre, le regard de Penss donne également la place principale à la nature. le lecteur éprouve la sensation de prendre un bon bol d'air pur tout du long de sa lecture : une pente rocheuse, un éboulement de pierres, une marche sur une ligne de crête, la vue d'ensemble d'une vallée verdoyante, la richesse et la diversité des arbres fruitiers qui se dressent haut rendant Penss minuscule par comparaison, le gris bleuté de la neige recouvrant tout rendant la vie d'autant plus fragile, etc. Ce mode de représentation permet de glisser sans solution de continuité dans une vision onirique lorsque le jeune homme a mangé des psilocybes sans idée de ce qui va se produire : une hallucination de la page 61 à la page 67, lui permettant de concevoir cette notion des plis du monde. La lecture est à la fois facile et dépaysante, sans exagération dramatique, tout en transcrivant bien l'état d'esprit des personnages, les tensions, les moments de peur, de colère, d'inquiétude, voire d'angoisse, et le caractère très têtu, obstiné même du personnage principal. le bédéiste sait également jouer sur la composition des cases allant du dessin en double page, à 28 cases dans une même page, alignant des cases rectangulaires dans des bandes bien horizontales, ou parfois passant à des cases en trapèzes avec des bandes inclinées pour accompagner des mouvements, intégrer des inserts avec un effet extraordinaire lors de la première relation sexuelle de Penss (en pages 146 et 147). le lecteur note de ci de là des éléments qui ne sont pas réalistes, à commencer par la tunique en peau de bête toujours identique quelles que soient les saisons. Il y a aussi la capacité de compréhension de Penss qui devient un agriculteur perspicace par la seule force de sa volonté, par des essais et des erreurs, dans un cheminement empirique, mais sans aide d'un autre. le lecteur perçoit inconsciemment que le récit relève plus du conte que du reportage ou de la reconstitution historique. Il prête alors attention aux épreuves que traversent le héros : un voyage initiatique lui permettant de grandir. Des moments universels : la mort de la mère, se repaître de ce qu'elle laisse, ne pas gâcher, être à la merci des éléments, de phénomènes arbitraires sur lesquels on n'a pas de prise, se confronter aux autres, à leur vision du monde, à leur opiniâtreté. Penss n'est pas sans défaut : il estime avoir raison contre tous les autres, en conséquence de quoi il refuse leur mode de vie au risque de mourir de faim, et il n'hésite pas à les convaincre d'adopter le sien, au risque de mourir de faim également. Il se heurte au fait que le rythme de la nature ne soit pas le rythme de l'être humain. Il fait l'apprentissage des responsabilités, des compromis face au principe de réalité, des mauvaises intentions de certains, mais aussi de la force d'expression de l'art (les œuvres pariétales de Craie), la capacité de travail d'un groupe comparée à celle d'un individu seul. Pour autant il n'abandonne jamais sa conviction, son principe, sa croyance de pouvoir subvenir au besoin de nourriture par le monde végétal, fruits et légumes. le lecteur peut alors y voir un métacommentaire sur la nécessité de changer de paradigme, de passer à un mode de vie sans viande, et écoresponsable. Une nécessité d'une production plus respectueuse de la vie, toutefois pas au prix de la survie de l'espèce. Voilà une bande dessinée aussi ambitieuse que facile de lecture. Le créateur a conçu un récit qui sait profiter de la forte pagination en prenant son temps, sans pour autant ralentir la vitesse de lecture, ou exiger un effort de concentration particulier. Il a dosé la simplicité des personnages qui n'en semblent que plus vivant dans les environnements, et la représentation plus douce de ces derniers, s'approchant parfois de l'impressionnisme. L'intrigue est linéaire : Penss estime que les êtres humains doivent se nourrir de la production de végétaux, plutôt que de chasser et de tuer des animaux. L'ambition du récit se révèle progressivement : le personnage principal agit par principe, ce qui se heurte aux réalités de la vie quotidienne, aux compromissions nécessaires pour assurer sa survie. Progressivement, son voyage prend une dimension existentielle et implique la communauté d'une tribu, d'autres individus devant assumer les conséquences de ses décisions. Éventuellement un lecteur adulte peut regretter une narration parfois un peu simplifiée pour réaliser un conte tout public.

18/06/2024 (modifier)
Par gruizzli
Note: 2/5
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Décidément, je crois que j'ai du mal avec les œuvres de Jérémie Moreau et je ne comprends absolument pas pourquoi. Concrètement, il a tout pour me plaire sur le papier : dessin coloré et dynamique, aux audaces visuelles notamment dans les paysages, réflexion sur la place de l'homme dans le monde, l'écologie et la nature, histoire sans forcément de résolution heureuse. Mais pourquoi je n'aime pas plus que ça ? Je pense que ça tient à trois choses : les personnages, la représentation et les coutures scénaristique. Ca commence avec Penss qui m'a rapidement énervé par son attitude assez complexe à comprendre, et qui ne s'est pas franchement amélioré avec la suite de la BD. D'autres m'ont parus plus simples, surtout dans le design (le vieux avec sa moustache semble tout droit sorti d'un album de Tezuka et tranche franchement avec le reste des représentations). Ensuite, la représentation de l'humanité de cette époque. Je ne cours pas après la recherche développée et complète, mais je sais que les humains de cette époque ne vivaient que très peu dans des grottes et des cavernes, d'autant que j'ai aussi eu des échos sur les potentiels débuts de l'agriculture. Je suis assez rigide sur ces points, mais j'ai du mal avec la représentation à but qui est claire et évidente, avec l'idée de présenter un propos tout au long du récit, mais ça me parait tellement simpliste face à la réalité d'une époque aussi complexe et surtout face aux bouleversements que furent l'agriculture. Et enfin, j'ai vu plusieurs coutures scénaristiques bien avant qu'elles n'arrivent et ça m'a agacé. Rien que par la représentation de certains, je savais leur rôle dans l'histoire (notamment la fille). Idem lorsque le chef explique que ça fait longtemps qu'ils n'ont plus de naissance dans le clan. Je savais ce qui allait s'ensuivre et lorsque je comprends où l'on va arriver et pour quelles raisons, ça m'énerve. Je ne demande pas une intrigue de fou avec de multiples révélations, mais là le déroulé m'a semblé souvent assez linéaire et sans grand intérêt. Ce qui a fait baisser mon intérêt au fur et à mesure de la lecture. C'est donc sans grande passion que j'ai fini ma lecture, et que je me retrouve avec le message de la BD. Message intéressant, que je comprends et qui me semble assez clair. Sauf qu'il m'a semblé très maladroit dans la façon d'être amené et surtout je trouve qu'il rentre curieusement en contradiction avec lui-même. La question d'un clan d'appartenance (et la naissance) alors que les clans semblent plusieurs fois montrés comme dangereux, soit entre eux soit en demandant aux gens de se comporter d'une façon qui n'est pas forcément à leur convenance. La question de la beauté du monde est très bonne, mais en montrant un gars qui subit de plein fouet la question de la faim et des dangers de la nature, ça semble assez contradictoire. Il me semble voir là un message comme ce que j'ai pu lire dans les récits de Bernard Clavel ou Jack London, lesquels parlent souvent de nature magnifique mais dangereuse. Ici, je crois que je n'ai pas assez vu le danger (réel) de cette nature, l'impact que ça peut avoir et justement, la question de la beauté malgré ce danger. Je discours beaucoup mais j'ai un besoin de comprendre pourquoi les albums de Jérémie Moreau m'intéressent sans me passionner. Je vais continuer à le lire, mais j'ai l'impression de ne pas franchement y arriver avec sa façon de faire les scénarios. A relire, pour confirmer.

20/11/2023 (modifier)
Par Josq
Note: 3/5 Coups de coeur expiré
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Un peu plus mitigé sur cet album que la prodigieuse Saga de Grimr. D'un côté, le dessin de Jérémie Moreau est toujours fabuleux, et il sait magnifier le monde comme il le faisait sur sa saga islandaise. D'un autre côté, j'ai eu plus de mal à comprendre où l'auteur voulait nous en faire venir. Il nous montre un homme préhistorique qui découvre les bienfaits de l'agriculture et les améliorations indéniables qu'elle apporte à la vie de chacun, mais pourtant, on dirait qu'à la fin, les personnages laissent tout tomber pour revenir à leur mode de vie antérieur. En fait, plus généralement, j'ai eu l'impression que Moreau établissait une opposition entre l'agriculture et la chasse qui n'a pas vraiment lieu d'être, même si un personnage insiste sur leur complémentarité. En-dehors de cela, Penss et les plis du monde reste une excellente lecture pour un tas de raisons. Si le personnage principal n'a rien de sympathique (il est même limite antipathique), l'ensemble des personnages n'en est pas moins plutôt attachant. Mais c'est surtout l'évolution du héros et de son regard que j'ai trouvé captivante. A une époque où certains veulent absolument décentrer le regard de l'Homme pour ne plus se tourner vers la nature (ce qui n'est une mauvaise chose que si elle est poussée à l'extrême, entendons-nous), Jérémie Moreau nous invite à la démarche inverse : oui, le Monde est magnifique et l'Homme ne le voit pas. Mais sans l'Homme, il ne rime plus à grand-chose. Ainsi, Penss est au début du récit un miroir inversé de ceux qui l'entourent. Les hommes ignorent le monde et lui ignore les hommes. Au fur et à mesure du récit, toutefois, le protagoniste apprend à compter sur les hommes et comprend qu'eux aussi ont leur place dans le monde, qu'eux aussi participent à la beauté du monde et de la vie. C'est ce qui fait de Penss et les plis du monde un joli récit : il ne s'agit pas seulement d'une bande dessinée écologiste, mais aussi humaniste. Ce n'est qu'ainsi qu'elle est vraiment complète. C'est donc une très belle œuvre que Jérémie Moreau signe là, en s'appuyant toujours sur son trait solide, ses images puissantes et ses dialogues emplis de poésie. Maintenant, il subsiste cette ambiguïté soulignée en début d'avis que je peine un peu à comprendre, mais il est possible qu'avec le recul, cette bande dessinée vieillisse de mieux en mieux dans mon esprit et que je lui accorde la quatrième étoile que j'ai pour l'instant du mal à lui attribuer. 3,5/5

10/01/2023 (modifier)
L'avatar du posteur ThePatrick

Penss est un jeune homme différent dès le départ. Honi par les siens pour son inadaptation et son inutilité, il est en effet rêveur au possible. Perdant son clan, et confronté à ce monde indifférent et impitoyable, il s'efforce de percer les secrets de ce monde. Avec un mélange de mystique et de méthode, il découvrira certains "secrets" qui le mèneront sur le chemin de l'agriculture. Pourquoi ai-je particulièrement apprécié cette lecture ? Eh bien en fait, pour une raison assez particulière, qui est que je venais de finir Saison brune de Squarzoni. Livre documentaire sans fard sur le réchauffement climatique et ses conséquences, c'est aussi un livre sur une fin. Et on n'en ressort pas intact. Là donc où nous avions un sujet grave et une fin, nous avons ici au contraire une histoire et un début. Histoire sur les débuts de l'Homme, sur la difficulté à survivre dans un monde où la nature n'est pas un joli jardin où il n'y a qu'à se promener pour trouver de quoi subsister. Histoire sur la découverte du monde et sa compréhension. Mais aussi histoire sur la volonté farouche de survivre, de vivre, de se battre contre ce monde rude, de le vaincre et de le domestiquer. On n'est donc sur le fond absolument pas dans une fable écologique, et on peut sentir en gestation dans la volonté de Penss de domestiquer ce monde les prémisses de tous les excès que nous connaissons aujourd'hui. Le monde représenté ici est assez vide. L'était-il vraiment ? Je n'en sais rien. Mais il faut bien avouer que les combats contre les grands prédateurs - épisodes certes romantiquement forts dans nos imaginaires - devaient sans doute être assez rares. On verra cependant des mammouths, et certains personnages évoqueront les combats héroïques apportant de la gloire à leur clan. Mais le sujet n'est pas celui-là, et ce vide relatif s'explique au sein de cet album par la situation assez isolée de cette vallée où se déroule l'histoire d'une part, et par le besoin pour que puisse naître l'agriculture d'un calme relatif d'autre part. L'incompréhension bien naturelle des autres hommes face à ce fou est bien représentée ici, de même que les conflits entre les aspirations, et les conflits entre clans. Si je n'avais que peu apprécié le dessin de Jérémie Moreau dans Le Discours de la panthère, je l'ai en revanche trouvé ici très beau, avec en particulier un choix des couleurs qui rend ce monde vivant et donne un visuel prenant. Seule la fin m'a malheureusement un peu déçu, avec un changement de Penss bien trop brusque, et - si jamais on l'interprétait comme un message s'adressant à notre mode de vie - trop morale et pour le coup trop écolo-gentille. Malgré cela, cette lecture a été un grand souffle d'air frais, très plaisante.

14/06/2021 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

Depuis sa collaboration avec Lupano sur l’excellent Le Singe de Hartlepool, Jérémie Moreau est un auteur que je suis, dont le travail m’intéresse. Mais ses albums « solitaires » sont inégaux, et celui-ci est sans doute l’album qui me laisse le plus sur ma faim. L’aspect graphique est plus convaincant – on aime ou pas son style, mais c’est plutôt joli (même si ce dessin ici n’est pas forcément ce qui m’attire le plus). Sa préhistoire « colorée », cette nature finalement très proche des décors contemporains, peuvent convenir à beaucoup de lecteurs. Mais ce décor « calme » (une nature presque vide de vie animale, d’où le « danger » est comme absent) renforce un peu ce qui constitue pour moi le principal défaut (certains y verront peut-être une qualité) : il ne se passe pas grand-chose. C’est trop vide, il y a des longueurs, et je me suis parfois ennuyé. D’autant plus que je n’ai pas complètement adhéré au personnage principal, ce Penss, sorte de poète philosophe préhistorique, précurseur du passage des chasseurs-cueilleurs aux agriculteurs (mais qui semble abandonner sa « découverte » très rapidement et sans amertume sur la fin – évolution brutale et peu crédible ?). L’ensemble m’est apparu trop improbable (comme le langage utilisé d’ailleurs). Alors, certes, tout ne pouvait pas être quasi muet, comme Matthieu Bonhomme l’avait fait sur L'Âge de raison, mais toutes ces choses m’ont un peu fait tiquer. Bref, un pavé vite lu, fini sans passion, avec une intrigue qui aurait sans doute gagné à être « resserrée ».

29/02/2020 (modifier)
Par Erik
Note: 3/5
L'avatar du posteur Erik

J'aime beaucoup le travail du talentueux Jérémie Moreau mais j'ai été moins séduit par cette dernière publication. Pourtant, il bénéficie d'une excellente qualité d'édition avec un graphisme toujours hors pair. C'est en tous les cas très soigné. Je me suis un peu perdu dans toutes ces réflexions philosophiques qui amène un homme à survivre à la faim pendant l'ère préhistorique. Il y a une véritable force narrative et un déploiement phénoménal de moyens mais pour un résultat qui m'a semblé très abscons. Encore une fois dans une œuvre, je n'ai pas supporté l'épisode sur le cannibalisme. C'est plus fort que moi, car cela me dégoutte vraiment. Le thème sera celui d'un doux rêveur face à une nature assez hostile. Objectivement, c'est du tout bon. Subjectivement, on aime ou pas. Cela reste en tout cas assez poétique et presque métaphysique. Un album contemplatif.

25/02/2020 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
L'avatar du posteur Ro

Ce récit préhistorique est pas mal mais je suis passé un peu à côté, je pensais qu'il me plairait davantage. Ce que j'y ai aimé, c'est le côté relativement crédible de ce cadre préhistorique, où les humains bataillent vraiment pour la survie, souffrant de la faim et ne pouvant pas se passer de clan sous peine de succomber à la moindre faiblesse sans l'aide des autres membres de leur race. J'ai aimé aussi l'idée que ce récit puisse être en quelque sorte celui de la découverte de l'agriculture pour la société humaine, ce moment clé qui la fera sortir du statut de simples chasseurs-cueilleurs. La façon dont les choses sont amenées, la méfiance des hommes qu'il reste à convaincre, les espoirs et la convoitise sont plutôt réalistes et on peut imaginer que ça aurait probablement pu se passer ainsi, effectivement. Et puis j'aime bien aussi les relations entre les membres d'un même clan, qui devient comme une grande famille où malgré les quelques tensions, les gens se soutiennent et ont de l'affection les uns pour les autres. Ce que j'ai moins aimé, c'est le caractère du personnage principal et le côté métaphysique ou un peu halluciné de ses visions et de son entêtement. Je l'ai trouvé désagréable et pas toujours crédible le fait de le voir réussir à survivre et à garder autant de force alors qu'il rejette ceux qui l'entourent et qu'il est incapable de chasser. Ses visions des "plis du monde" ne m'ont pas convaincu non plus et toute la symbolique autour ne m'a pas touché. Globalement, le fait de suivre un récit centré sur un héros antipathique, ça m'est un peu pénible. Quant à la conclusion du récit, le message de toutes dernières pages, je ne suis pas sûr de l'avoir bien compris. Il semble inviter à reprendre une vie nomade alors que c'est incompatible avec le principe de l'agriculture que le clan a développé. Je suis un peu perplexe. Mais j'ai quand même plutôt bien apprécié cette lecture et sa part d'originalité.

07/02/2020 (modifier)
Par Blue boy
Note: 3/5
L'avatar du posteur Blue boy

Immanquablement, cet album rappelle la précédente fiction de Jérémie Moreau, La Saga de Grimr, fort légitimement récompensée par un Fauve d’Or au Festival d’Angoulême 2018. L’époque et le lieu diffèrent, mais on dénote plusieurs points communs : la nature toute puissante, les grands espaces, et au milieu, un personnage solitaire suivant sa propre voie, hors des sentiers battus. Mais à l’inverse de Grimr, qui faisait corps avec les éléments, Penss, dans un contexte préhistorique où le feu vient à peine d’être découvert, cherche quant à lui à s’en dissocier, son but étant de domestiquer la nature. Avec toujours un fond philosophique et poétique, Jérémie Moreau, en remontant très loin dans le temps, nous livre une fable quasi écologique en reprenant l’éternel postulat sur l’opposition entre la nature et l’Homme. Il n’est pas incongru de penser que les problèmes de l’humanité ont commencé dès l’instant où l’Homme a cherché à modifier son environnement, en quittant le nomadisme pour la sédentarité. [ATTENTION SPOILER] Si le sujet peut paraître rebattu — on pense beaucoup au livre de Roy Lewis, « Pourquoi j’ai mangé mon père », et aussi pour une autre raison qui se devine dans son titre —, l’auteur a choisi de le traiter sous un angle original [FIN DU SPOILER]. Penss est un être contemplatif, et comme son nom l’indique, il pense, pense beaucoup, observe des heures durant la nature autour de lui et y décèle, dans ses « plis » innombrables, le secret de la vie. Contraint par les rigueurs de l’hiver de commettre un acte terrible — ce qui donne lieu à la scène les plus déchirante de l’histoire —, il va partir en guerre contre ce monde qu’il juge cruel, se faisant démiurge et créant un jardin potager, afin de ne plus être « esclave » des aléas climatiques et du gibier hypothétique. De manière prévisible, tout cela finira mal, même si les situations peuvent paraître exagérées, vraisemblablement pour les besoins de cette fable sur l’arrogance, tellement humaine… Une question surgit alors : ne vaut-il alors pas mieux se laisser porter par cette nature plutôt que de vouloir la contrôler ? Graphiquement, Jérémie Moreau développe un style très personnel oscillant entre la peinture et le manga. Les représentations à l’aquarelle des décors, des paysages, et tout particulièrement la flore, sont plaisantes à l’œil par le choix des couleurs, même si on aurait apprécié que les personnages soient un peu plus travaillés. Quant à la mise en page, elle relève presque de l’expérimental, du fameux « pliage-dépliage » cher à l’auteur, avec des cases obliques pour souligner les scènes d’action, ou l’incrustation de vignettes disséminées à l’intérieur des cases ou regroupées en motifs floraux… Un des bémols serait à chercher du côté de la vraisemblance des dialogues, les personnages s’exprimant dans le même langage que le nôtre, avec des phrases parfaitement articulées, un élément plus plausible lorsque le parti pris est humoristique. Au final, sans atteindre le niveau de La Saga de Grimr, « Penss et les plis du monde » reste une lecture agréable, mais qui souffre peut-être aussi de la trop grande proximité calendaire et thématique avec son prédécesseur.

04/01/2020 (modifier)
Par Hervé
Note: 1/5
L'avatar du posteur Hervé

Pourtant fortement conseillé par mon libraire, j'ai finalement emprunté ce livre à la médiathèque,et j'ai bien fait... En effet, je pense être passé à côté de quelque chose, tant ce one shot m'a déçu. Je n'ai pas compris l'engouement de certains autour de cette fable écolo qui n'a m'a guère touché. Autant La Saga de Grimr m'avait emballé, autant les aventures de Penss, personnage que je ne trouve pas sympathique, m'ont laissé perplexe. Seules les pages sur le sort que Penss réserve à sa mère, après sa mort, m'ont littéralement étonné voire dérangé. Sinon, le sort de Penss m'a laissé complétement indifférent. Je passe sans doute à côté d'un bon album, mais je n'ai guère trouvé un intérêt dans cette histoire.

22/11/2019 (modifier)
Par LuluZifer
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
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Le week-end dernier j'ai lu 'Penss et les plis du monde' le dernier petit bébé du talentueux Jérémie Moreau. Ouvrage récemment publié, puisqu'en septembre dernier, aux éditions Delcourt. Premièrement, la fab de l'album est totalement somptueuse. On dirait un objet d'art, un tableau et c'est un peu normal je dirais au vu de ce que nous propose l'auteur à l'intérieur. Le déroulement des pages de gardes, de la page de titre et même de la page de fin (normalement ça n'existe pas mais bon), la C1C4 et le dos participent concrètement à l'œuvre principale. C'est beau, simple et efficace. Nous allons suivre le récit de Penss, à l'aube des temps, où les cueilleurs déambulaient sur la Terre. Penss est un rêveur. Un poète. Il regarde le monde avec des yeux différents par rapport à ses pairs. Il est en quelque sorte considéré, par son clan, comme un bon à rien. Il ne sait pas chasser ou pêcher. Mais il possède le sens de la beauté. La beauté de la nature et donc celle de la terre nourricière. Juste avant la saison de l'hiver et de la période blanche, lui et sa mère, se retrouvent seuls abandonnés par leur clan. S'ensuit une tragédie qui va le marquer à jamais et tout en retrouvant un mode de vie assez typique puisqu'un second clan va venir s'installer avec lui, Penss va partir en guerre contre la terre et va vouloir contrecarrer les plans de celle-ci en essayent de passer outre le douloureux cycle de la vie. Jusqu'à ce qu'il puisse se reconstruire et aller de l’avant. Le récit est très porteur. Il met en évidence notre incapacité à assimiler la nature et le cycle de la vie. En voulant combattre tout cela et en passant outre notre besoin de vivre en adéquation avec la Terre. Ce qui est intéressant également c'est le ton qu'emploie Jérémie Moreau pour conter son récit qui est moderne. C’est un parti pris assez bien foutu car ne vous attendez pas à lire 'un parler néandertalien' ou de lire 'une énième histoire de la Guerre du feu'. Bon ensuite, l’auteur n’est pas historien et moi non plus. D’ailleurs, nous ne sommes pas là pour lire une histoire sur la préhistoire mais sur la pensée du monde ou ses plis. De l’être humain, de sa quête et de l’ascension de la pensée philosophique. C’est à prendre de toute manière avec des pincettes car c’est ce que je pense et surement qu’un autre lecteur y verra autre chose. Et ça c’est l’apparat d’un bon roman graphique. À chaque lecture d'un Jérémie Moreau, nous entrons dans un monde bien particulier. À chaque nouvel album, son style graphique se bonifie, change, prend des tournures différentes en rapport avec l’histoire contée. C’est un auteur conteur, un troubadour, un poète et il ne cesse de sublimer son art. Présentement, Penss pousse les limites de la bd et prend une tournure au niveau de la maquette du déroulement des cases et des planches assez folles et inattendues. C’est tellement beau, contemplatif parfois, âpre, dur, dramatique et poétique tout en étant métaphorique qu’on n’essaie même pas de se poser mais de se laisser porter par le récit et le design. Je suis certaine que je reprendrais en main cet album, bien après l’avoir dévoré, juste pour lire des passages et me rincer les mirettes. Voilà, j’aime, j’adore cet auteur et je pense sincèrement que même s’il a eu le Fauve d’or durant le festival d’Angoulême 2019 avec La Saga de Grimr, il continuera à dépoter et nous en mettre plein de la vue et l’esprit. Toutefois, son oeuvre que je préfère et que je trouve toujours aussi magnifique, car plein de subtilité et d'émotion, c'est son Max Winson. <3

09/10/2019 (modifier)