Léopoldville 60

Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)

Début de l’année 1960. Moins de deux ans après la fin de l’Exposition Universelle de Bruxelles, Kathleen Van Overstraeten, est engagée dans la grande compagnie d’aviation belge. L’hôtesse de l’air travaille sur les longs courriers et plus particulièrement sur les lignes qui mènent au Congo Belge. Quelques mois après les troubles qui ont enflammé la colonie, une table ronde se réunit à Bruxelles pour décider de son futur. A voir aussi : - Sourire 58


1946 - 1960 : L'Après-Guerre et le début de la Guerre Froide Congo belge Le Colonialisme Les petits éditeurs indépendants

À Léopoldville, les incidents et les sabotages se succèdent tandis que les puissances internationales songent déjà à l’après-colonisation. La jeune Kathleen se trouve plongée au coeur d’une atmosphère de fin de régime. Entre les aspirations légitimes du peuple congolais, l’angoisse des colons et les appétits des puissances étrangères, le Congo est au bord de l’implosion. Jusqu’au tragique pont aérien qui signe l’échec d’une décolonisation bâclée. Et parmi les trésors qui attisent les convoitises, l’uranium n’est pas le moindre !

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution Octobre 2019
Statut histoire One shot (suite directe de Sourire 58) 1 tome paru

Couverture de la série Léopoldville 60 © Anspach 2019
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 2 avis)
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26/11/2019 | Mac Arthur
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Bref, la grande histoire passée au tamis de la petite. - Ce tome est le deuxième de la série consacrée à Kathleen Van Overstraeten, en termes d’ordre de parution, et également le deuxième, à ce jour, par ordre chronologique de sa vie. Sa première édition date de 2019. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise couleurs, qualifiée de mise en lumière, c’est-à-dire la même équipe que celle des quatre autres albums de la série : Bruxelles 43 (paru en 2020), Sourire 58 (paru 2018), Berlin 61 (paru en 2023), Innovation 67 (paru en 2021). Ce tome comporte cinquante-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de huit pages, agrémenté de photographies, intitulé Le Congo belge et Léopoldville, retour dans des mondes disparus, découpé en plusieurs articles : une page de contexte rédigée par Patrick Weber, Une histoire de femmes et d’homme, de noirs et de blancs, L’ombre de Tintin, Petit guide de Léopoldville (L’hôtel Memling, le jardin zoologique, le marché indigène, le musée indigène, l’aérogare, la statue de Stanley, la statue de Léopold II, le quartier indigène), l’enjeu de l’uranium, un voyage secret, la manne de l’uranium, Indépendance cha-cha, témoignages d’époque (un second pilote de la Sabena, un steward), 30 juin 1960 indépendance du Congo et après. Dernier article : une interview de Robert Van Michel chef de secteur de la Sabena à l’époque, intitulée le pont aérien Sabena de 1960 une odyssée humaine. À bord d’un vol Bruxelles-Léopoldville, l’hôtesse de l’air Kathleren Ovserstraeten répond à l’appel d’un passager qui souhaite encore avoir un scotch whisky. La responsable du vol Francine Merckx lui indique discrètement de lui méfier de cet oiseau, car quelque chose lui dit qu’il lui faudra beaucoup plus qu’un scotch pour se rafraîchir le gosier. Kathleen doit le servir car le client est roi, mais s’il dépasse les limites madame Merckx se fera un plaisir de lui rappeler les vertus de la sobriété. Le client est satisfait et il tend sa carte à Kathleen lui précisant qu’il descend à l’hôtel Regina et que si le cœur en dit à la jeune femme, ce sera à son tour à lui de lui offrir un verre. La discussion se poursuit ensuite entre madame Merckx et Kathleen dont c’est le premier vol à destination de l’Afrique. En janvier 1960, à Léopoldville, Célestin Bembé est reçu par Pierre Stevens et Arsène Jeanmart qui lui proposent le poste de contrôleur de gestion pour leur agence de Boma. Bembé répond de manière véhémente que c’est très généreux de leur part, mais qu’il ne peut pas accepter. Il ajoute qu’ils ne comprennent pas ce qui se passe ici : bientôt c’est eux qui le solliciteront pour un emploi, car ce pays est aux Africains ! Ils le congédient, ce qui n’atteint pas Bembé convaincu que l’histoire est en marche. Le soir, à la mine d’or d’Uvira au sud Kivu, un individu s’introduit subrepticement sur le site et cloue un masque de sorcier sur la porte du bâtiment principal. En découvrant ce masque le lendemain, les ouvriers africains refusent de travailler dans la mine. Comme pour les autres albums, les auteurs ont choisi une année clé dans l’histoire de la Belgique : l’indépendance du Congo belge a été déclarée le 30 juin 1960, après avoir été une colonie depuis le 15 novembre 1908, soit pendant cinquante-deux ans. Dans son introduction au dossier en fin d’ouvrage, le scénariste précise la nature de cette bande dessinée et son ambition : cet album n’ambitionne pas de porter un jugement sur l’entreprise colonisatrice, sur sa fin et encore moins sur ce qu’il est advenu du Congo depuis son indépendance. Les historiens n’ont pas fini de se pencher sur ces épisodes souvent tragiques et toujours contrastés de la saga nationale congolaise. À travers l’héroïne Kathleen apparue dans l’album Sourire 58, les auteurs ont voulu présenter les événements de 60 sous un angle particulier. Simple et individuel, d’abord parce tous les épisodes historiques se vivent d’abord d’un point de vue personnel. Dans les deux camps, comment les protagonistes ont-ils eu peur ou faim ? Quels étaient leurs regrets ou leurs espérances ? Leurs joies et leurs peines ? Bref, la grande histoire passée au tamis de la petite. De fait, la narration présente les choses elles sont, ou plutôt comme elles étaient, à la fois en termes de représentation visuelle, et en termes de relations sociales, sans révisionnisme politiquement correct. Par exemple, les Congolais appellent les métropolitains par le terme de Bwana, et réciproquement les blancs parlent des Évolués pour désigner la classe moyenne noire qui s’européanisa au Congo belge. Comme dans les autres tomes, le positionnement des dessins dans un registre réaliste et descriptif apparenté à la ligne claire s’avère parfait pour montrer les choses, pour donner à voir des quartiers de Léopoldville, les véhicules, les tenues vestimentaires. Tout commence avec une vue magnifique du d’un avion de la Sabena en plein vol : un Douglas DC6, avion quadrimoteur utilisé par la Société Anonyme Belge d'Exploitation de la Navigation Aérienne, compagnie aérienne nationale belge (1923-2001). Le lecteur garde les yeux grands ouverts pour ne rien perdre : une vue extérieure de l’hôtel Memling à Léopoldville, les wagonnets de la mine d’or d’Uvira, plusieurs artères de la capitale congolaise, les belles voitures, quelques restaurants, la statue de Henry Morton Stanley (1841-1904, journaliste et explorateur) dans le site de son ancien camp retranché, le jardin zoologique de Léopoldville, un bar dans le quartier indigène de Bandalungwa, le musée de la vie indigène, l’aéroport d’Elisabethville à Katanga, des demeures dans le quartier blanc, des maisons dans un quartier indigène, l’avenue Baron van Eetvelde, une séquence dans la brousse, le marché indigène, les bureaux de la Sabena, et un des cinq Boeing 707 affectés à la Sabena pour l’évacuation. La richesse du récit permet également au lecteur de prendre le temps de passer par une rue de New York, plusieurs rues de Bruxelles et même un café pris à l’hôtel Métropole sur la place De Brouckère où se trouve la fontaine Anspach, l’aéroport de Zaventem, une pharmacie bruxelloise pour faire le plein de produit anti-cafards. Les auteurs respectent leur note d’intention et l’Histoire se vit à hauteur d’être humain. Le lecteur retrouve avec plaisir Kathleen Overstraeten et son amie Monique. L’artiste reste dans un registre de type ligne claire, avec un degré de simplification dans leur représentation, tout en conservant un bon niveau de détails, avec une physiologie spécifique pour chacun, des tenues vestimentaires appropriées et en accord avec leur personnalité, et une direction d’acteur de type naturaliste. De temps à autre, une expression de visage peut être un peu exagérée, pour accentuer une émotion, une fois de temps en temps pour un effet comique. Le dessinateur accorde la même valeur à chaque être humain, quelle que soit son origine, ce qui fait ressortir le comportement condescendant au mieux, méprisant au pire des colons, envers les évolués et les non-évolués. La coloriste effectue un travail remarquable de mise en lumière, utilisant avec à propos les aplats de couleurs pour apporter une forte consistance à certaines zones détourées, pour ajouter une forme d’ombrage à d’autres pour accentuer le relief. Elle conçoit une palette restreinte spécifique à chaque séquence pour rendre compte de l’ambiance lumineuse, et de l’environnement, plutôt urbain ou plutôt végétal. Comme à son habitude, le scénariste entremêle une reconstitution historique avec une intrigue romanesque, et une fibre sentimentale. La reconstitution historique visuelle est complétée par de nombreuses références dans les dialogues : le nzombo (plat de poisson fumé), le moambe (plat préparé à base de chair de noix de palme à laquelle on rajoute la viande et les condiments), le terme Évolué (terme utilisé pour décrire la classe moyenne noire qui s’européanisa au Congo belge), Henry Morton Stanley (1841-1904, journaliste et explorateur), les scheutistes (congrégation religieuse missionnaire fondée à Scheut en 1862 par le prêtre Théophile Verbist, 1823-1868). L’intrigue romanesque comprend une composante d’espionnage industriel, avec manipulations, agitations et même un enlèvement. D’un côté, le lecteur retrouve cet ingrédient présent dans chaque tome de la série ; de l’autre, il s’agit d’une réalité historique générée par l’intérêt économique et stratégique pour un minerai bien particulier et essentiel dans l’histoire de cette colonie et du pays colonisateur. Dans ce tome, l’histoire personnelle des protagonistes se développe de manière organique, que ce soit Kathleen devenue hôtesse de l’air, ou les parents de son amie Monique installés à Léopoldville, ou encore la relation amoureuse de Monique avec Célestin Bembé. Le lecteur apprécie la référence à l’album Sourire 58 (2018) au cours duquel les deux jeunes femmes s’étaient liées d’amitié. Il identifie du premier coup d’œil un autre personnage présent dans ce précédent album, créant ainsi une continuité légère qu’il n’est pas indispensable de connaître pour apprécier le récit. Les personnages blancs représentent la majorité des protagonistes avec des dialogues, pour autant les Africains sont également présents et ils ne sont pas cantonnés à de la figuration en arrière-plan. Le dossier en fin d’album s’avère agréable à lecture, facile d’accès, tout en fournissant des compléments et une ouverture sur d’autres dimensions de la colonisation qui ne pouvaient pas être exposés dans l’histoire principale faute de place. Ce deuxième album de la série par ordre de parution s’avère une excellente réussite, tout comme le premier. Les auteurs réalisent une bande dessinée de grande qualité, avec une narration visuelle de type ligne claire très réussie, une histoire mêlant Histoire, intrigue d’espionnage, enjeux personnels aussi bien sociaux qu’émotionnels, pour évoquer la période complexe de la fin d’une colonie belge avec un point de vue à hauteur d’être humain.

10/10/2024 (modifier)
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Léopoldville 60 est le deuxième récit des aventures de Kathleen, la jolie hôtesse imaginée par Patrick Weber et Baudouin Deville. Oui, j’ai écrit hôtesse et du coup beaucoup d’entre vous ont un autre nom en tête. Je me dépêche donc de recentrer le débat : cette série a pour vocation première de revenir sur des événements qui ont marqué la Belgique du siècle dernier. Sourire 58 avait pour théâtre l’expo universelle de Bruxelles, et Léopoldville 60 revient sur les événements qui ont marqué l’accession à l’indépendance du Congo belge. Le lien narratif entre ces deux récits réside dans ce personnage de Kathleen, hôtesse d’accueil durant l’Expo 58 et hôtesse de l’air dans le présent album. Les récits prennent la forme de fictions tirant sur le roman d’espionnage ou sur l’enquête policière… mais l’intérêt premier de ces récit est bien la reconstitution historique d’un lieu donné à un instant donné. Léopoldville 60 revient donc sur les derniers instants du Congo belge. Le récit imaginé par Patrick Weber nous permet de voir l’état d’esprit de différents acteurs et le climat de tension qui régnait à l’époque. Il permet aussi d’aborder le rôle trouble joué par les Etats-Unis dans ces décolonisations, et dans le cas du Congo, de ses visées sur l’uranium que ce pays possédait et possède encore à notre époque. Kathleen nous sert de repère dans ce récit puisqu’elle découvre Léopoldville en même temps que le lecteur. Une amie sur place, une intrigue mêlant relation sentimentale, politique et suspense policier et voilà une histoire rondement menée. Patrick Weber prend soin de rester le plus objectif possible dans sa relation des événements qui ont marqué cette époque. Il montre du positif comme du négatif dans tous les camps, ce récit n’est donc pas un plaidoyer pro-Belgique coloniale pas plus qu’une attaque contre les anciens colons. L’intrigue policière est relativement bien menée même si, à l’occasion, l’envie de relater certains événements historiques vient parasiter l’aspect fictionnel du récit… et tombe à l’occasion comme un cheveu dans la soupe. Le dessin de Baudouin Deville séduira à coup sûr les amateurs de dessin ‘à l’ancienne’. Ce trait clair et soigné est bien dans la lignée de la ligne claire franco-belge des années 60. La colorisation signée Bérengère Marquebreucq va d'ailleurs dans le même sens, elle est classique et soignée elle aussi. L'ensemble est donc agréable à l'oeil et ravira les amateurs du genre. A mes yeux, ce récit manque un peu de pep’s, un peu d’aspérités, il est trop lisse, trop propre sur lui pour totalement me convaincre mais l’évocation historique qui y est faite devrait ravir plus d’un lecteur intéressé par les événements au cœur de ce récit. A lire donc, si le sujet vous intéresse (et il n’est pas obligatoire d’avoir lu « Sourire 58 » pour apprécier cet album à sa juste valeur).

26/11/2019 (modifier)