Nick Carter et André Breton - Une enquête surréaliste
Enquête policière prétexte à un hommage aux "serials" et au mouvement surréaliste.
David B. Ecole Duperré Format à l’italienne Le Surréalisme Romanciers et Monde littéraire
Sous couvert d’une enquête pleine de références et de folie imaginative, David B. aborde avec magnificence, intelligence et humour le surréalisme, mouvement artistique du XXe siècle. André Breton, le fondateur du mouvement, est bien démuni : il n’a plus de femme dans sa vie, ses compagnons surréalistes sont partis ou ont été exclus et surtout, il lui semble qu’il a perdu ce qui faisait l’âme du surréalisme. Il engage donc son ami, le détective Nick Carter, pour enquêter et retrouver cette chose indicible qui lui aurait été volée. Nick Carter va parcourir le temps et l’espace dans un entrelacement de décors fantastiques, de personnages tortueux, de femmes fatales, de situations périlleuses, de crimes et de machines extraordinaires pour remettre la main sur ce qu’André Breton appelait « l’or du temps ». (site éditeur)
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Date de parution | 20 Novembre 2019 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
C'est difficile de détruire des poèmes. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. La première édition de cet ouvrage date de 2019. Elle a été réalisée par David B. pour le scénario le dessin, l'encrage et les nuances de gris. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, contenant 50 planches. Elle se présente en format à l'italienne. Elle commence par une préface de l'auteur, évoquant le roman feuilleton ayant pour héros Nick Carter, el grand détective américain, créé en 1886 par l'écrivain John Russell Coryell (1851-1924), et son ennemi récurrent le docteur Quartz, ainsi que son adoption par certains artistes surréalistes. Son nom est Nick Carter, il est détective. Il a combattu les pires criminels du monde : le docteur Quartz, les Poignardeurs, l'Écorchée, le Tigre à face humaine, le Grand Nain, les Rampants, le Dévoreur, la Bande des Treize, le Cercueil, le général de la Nuit… Il est très ami avec certains peintres et poètes du groupe surréaliste. Carter est engagé en 1931 par André Breton qui traverse une mauvaise période. Il avait des problèmes d'argent, sa compagne l'avait quitté, il était rejeté par le parti communiste, le groupe surréaliste avait explosé. Breton pensait qu'on lui avait dérobé quelque chose sans pouvoir le nommer précisément. Il lui a parlé de la beauté, de convulsions, d'or… et Carter est reparti avec un dossier plein de mystères. Il a commencé son enquête en allant interroger le poète Robert Desnos. Lors de la rupture avec Breton, il avait été un des plus violents. Breton avait reçu des lettres et des coups de fil anonymes, des couronnes mortuaires et des cercueils. Carter s'est glissé dans les petites rues des Halles où Desnos habitait. Lorsque Nick Carter est arrivé chez Desnos, ce dernier était en train de dormir. Il était un grand rêveur. C'était la première fois que Carter interrogeait un homme qui dormait ; heureusement, il était de ceux qui révélaient plus de choses en dormant qu'éveillés. Selon lui, personne n'avait rien volé à Breton, il avait lui-même dressé ses amis contre lui. le surréalisme était mort et pourrissait avec son créateur. Carter savait qu'il n'en tirerait rien de plus et il est sorti. Des rêves sillonnaient la nuit des Halles et le traversaient. Il avait l'impression d'être suivi. Il voulait continuer son enquête en interrogeant Nadja, l'ancienne maîtresse de Breton, c'était une femme entretenue, et elle avait trempé dans une affaire de drogue. le hic, c'était qu'après sa séparation d'avec André Breton, elle avait sombré dans la folie et avait été internée dans une maison de fou à Bailleul, dans le nord de la France. Objet bédéique non identifié ? La couverture annonce déjà la couleur (même si la BD est en noir & blanc) : André Breton (1896-1966), poète et écrivain français, le principal animateur et le principal théoricien du mouvement artistique appelé Surréalisme. Un créateur prônant l'utilisation de toutes les forces psychiques de l'être humain libérées du carcan de la raison. Pas facile de se montrer à la hauteur d'un tel programme en bande dessinée, presque cent ans après la création du mouvement. Certes, David B. (de son vrai nom Pierre-François Beauchard) n'est pas le premier venu, auteur entre autres de L'Ascension du Haut Mal (1996-2003), avec une carrière de plus de 50 bandes dessinées. Il est vraisemblable que le lecteur ne s'intéresse a priori à cette bande dessinée que s'il a déjà un goût pour le surréalisme ou pour l'auteur, ce dernier servant alors de passeur vers un courant artistique par le biais d'une bande dessinée. La forme est assez particulière puisque l'ouvrage se distingue des autres du fait qu'il soit en format à l'italienne, plutôt qu'en format paysage, et que chaque page est construite sur la base d'une case unique. Chacune des planches se présente de la même manière : un dessin en pleine page, le numéro inscrit dedans à un endroit variable, un titre courant sur la forme d'une bannière, ou de plusieurs étiquettes (seule la planche numérotée 8 ne dispose pas de titre), un texte de deux ou trois lignes en dessous de la case. Il ne fait nul doute qu'il s'agit bien d'une bande dessinée car il y a une histoire qui est racontée tout du long dans un ordre chronologique, avec un personnage central (Nick Carter) et un personnage auquel il est fait référence à presque toutes les pages (André Breton). le lecteur s'immerge dans une narration séquentielle mariant textes et images… … Mais il peut vite avoir l'impression qu'il lui suffit de lire les bandeaux de texte apposés en bas de chaque page pour suivre l'intrigue. L'auteur a choisi un fil conducteur simple et accessible : une enquête pour retrouver ce qui a été volé à André Breton, le client de Nick Carter. de fil en aiguille, le détective se retrouve à côtoyer des membres de la pègre, à servir de garde du corps à son client, à se défendre contre les attaques du docteur Quartz et même de certains surréalistes, à suivre son client dans ses pérégrinations. Au fil des pages, le lecteur lit le nom d'un nombre impressionnant d'artistes de ce mouvement : Robert Desnos, Paul Éluard, Salvador Dalí, Louis Aragon, René Magritte, René Crevel, Toyen (Marie ?ermínová), Vít?zslav Nezval, Frida Kahlo, Max Ernst, Man Ray, Yves Tanguy et quelques autres. Ces rencontres ou ces évocations constituent autant d'hommage au mouvement surréalistes et aux créateurs qui l'ont composé, qui en ont fait partie. le déroulement chronologique du récit sert aussi à apporter des éléments biographiques choisis sur la vie d'André Breton, retraçant ainsi sa vie, mais pas sous l'angle de ses œuvres, sous l'angle de ses relations avec les autres surréalistes, et de ses voyages. L'intrigue surprend le lecteur parce que les rebondissements entremêlent des crimes (trafic de drogues, meurtres, enlèvement par exemple), et quelques éléments surnaturels. Parmi ces derniers : des individus se donnant des noms étranges reflétant une caractéristique physique ou comportementale, des rêveurs et leurs rêves, un revolver à cheveux blancs, un rite magique, la méthode d'Hervey de Saint Denis (1822-1892) pour diriger les rêves… Du coup, le lecteur voit bien qu'il a tendance à lire les bandeaux de texte en premier et à se dire que ça lui suffit pour comprendre et suivre l'intrigue. Sauf que comme les bandeaux sont placés en bas de chaque page, il voit quand même en passant l'image… Sauf que ces images sont très chargées en traits, en aplats de noir, en personnages, en accessoires, et qu'il ne peut pas en saisir la composition globale en un seul coup d'œil. En outre, il a acheté une bande dessinée et il compte bien bénéficier de dessins, donc forcément, il les regarde. Il se prend aussi au jeu très immédiat de repérer le numéro de chapitre (parfois bien assimilé dans la composition globale de la page), ainsi que de prendre connaissance du titre de cette page en essayant de voir en quoi il se rattache au bandeau de texte. Il est sensible à cette dimension ludique dès la première page, parce qu'il lui faut comprendre comment fonctionne cette bande dessinée, quel est le rapport entre le texte et le dessin, ce que chacun raconte. Dès la première illustration, le surréalisme règne en maître : Nick Carter a six bras chacun tenant une arme de poing, la dizaine d'ennemis représentés ont tous une difformité plus ou moins possible dans le monde réel. Cela place l'image dans le registre de l'imaginaire, de la représentation fantasmée, d'une représentation mentale projetant dans le monde réel des qualités supposées, projetant les attributs du nom ronflant de chaque ennemi sur son physique. En fonction de sa sensibilité, le lecteur fait un blocage sur ce mode narratif un peu éclaté, ou bien il apprécie cette dimension ludique, et il devient participatif. En fonction des pages, il regarde d'abord l'illustration, ou il parcourt le bandeau de texte en premier. Il cherche le numéro de page / chapitre, ou bien le titre, ou au contraire, il n'y prête aucune attention. Il prend le temps de regarder chaque image et il apprécie l'inventivité de David B., sa manière d'inviter des objets et des accessoires saugrenus, sa capacité à rapprocher des éléments hétéroclites pour créer une association poétique, sa faculté à illustrer la situation avec des visuels premier degré, ou au contraire métaphoriques. le lecteur peut s'amuser à relever ce qui l'étonne le plus : des bras armés d'un pistolet, sortant d'une enveloppe, des volutes de fumée pourrissante, la pioche des creuseurs, un individu à six bras 2 courts et 4 longs, un revolver à cheveux blancs, des masques africains, des seins géants à la fenêtre, des spectres intangibles, un tiroir pubien, Frida Kahlo chevauchant le squelette d'un cheval dans la cage thoracique duquel un homme est prisonnier, une armée de robots, etc. Il remarque que certains objets reviennent comme des leitmotivs, à commencer par les couteaux tranchants. Les images combinent des formes oniriques et psychanalytiques avec les situations réelles et concrètes, pour une représentation de la pensée, entre naïveté et associations inconscientes, générées autant par les mots du langage que par les images similaires. David B. rend hommage au surréalisme au travers de la biographie choisie de son penseur André Breton, avec des images surréalistes. Il a conçu une forme bédéique originale qui pourra déconcerter certains, mais qui fonctionne bien suivant le principe du surréalisme, des automatismes psychiques, développant une trame solide.
Encore une magnifique production de chez Soleil dans la collection Noctambule, qui décidément avec son autre collection Métamorphose, fait la part belle au bel ouvrage. Là, petit format à l'italienne que j'affectionne, couverture toilée pour mettre en valeur une superbe couverture de David B. : on est gâté ! Ajoutez à cela une histoire qui fait la part belle au surréalisme, mouvement artistique qui m'a toujours intrigué, voilà de quoi me réjouir pleinement avant même de commencer ma lecture. David B. s'amuse à nous concocter un album très graphique où sa maîtrise du noir & blanc fait merveille en nous proposant une succession de planches qui nous propose de suivre le détective Nick Carter, personnage emblématique des romans feuilletons américains de la première moitié du XXe siècle. La littérature feuilletonesque de cette période s'inspira donc beaucoup de ce personnage, et les surréalistes s'en donnèrent d'ailleurs à coeur joie lâchant la bride à leur imagination débridée et à leur goût pour l'improvisation. Si j'ai grandement apprécier le travail graphique de David B. dans cet hommage rendu, l'histoire surréaliste qu'il nous propose de suivre ne m'a pas pour autant passionnée. Alors oui, on se plaît à retrouver les personnages marquants qui ont fait la renommée de ce mouvement artistique, mais sorti de là ce fût plus pour moi un régal des yeux qu'une histoire transcendante. Je me suis donc laissé plonger dans ces planches remarquables, hypnotisantes où surgissent petit à petit une foultitudes de détails qu'on se surprend de n'avoir vus avant. Au final, un très bel album, un régal pour les yeux, mais n'attendez pas forcément une histoire classique ; un bel hommage au surréalisme.
Depuis le temps que David B. faisait la part belle à l’onirisme à travers son œuvre, il paraissait logique qu’il finisse par produire un ouvrage sur le surréalisme. Et pour parler du surréalisme, quoi de plus normal que de convoquer André Breton, l’un des illustres théoriciens de ce mouvement artistique né au début du XXe siècle. Pour évoquer l’homme, David B. s’est centré sur la seconde partie de sa vie, à partir de 1930. Il a eu en outre cette idée originale de la raconter sous l’angle de la fiction, en faisant référence à une personnage de roman-feuilleton américain de l’époque, le détective Nick Carter, qui vivait toutes sortes d’aventures échevelées, ce qui plaisait beaucoup aux surréalistes. C’est donc dans une aventure pareillement échevelée, entre réalité et fiction, que l’on va suivre le détective, engagé par Breton pour retrouver quelque chose qu’on lui a dérobé, sans qu’il puisse le nommer… L’action débute à la période où le groupe surréaliste vient d’exploser, entraînant son lot de querelles et de haines entre les acteurs du mouvement. Carter va ainsi rencontrer entre autres Robert Desnos, Nadja, l’ancienne maîtresse de l’écrivain, Salvador Dali, Gala, Louis Aragon, ainsi qu’un autre personnage fictif issu de la littérature feuilletonnesque comme le diabolique docteur Quartz. Bien évidemment, on pourra difficilement trouver une quelconque rationalité dans cette histoire à l’imagination débridée, avec la présence récurrente de symboles plus ou moins ésotériques. On tentera au mieux de démêler le vrai du faux, la plupart des faits concernant les artistes étant avérés, telle la rencontre entre Trotsky et Breton au Mexique ou la rupture avec Paul Eluard. Si le parti pris narratif est original, le point fort de l’ouvrage, qui est une succession de planches pleine page et donc pas vraiment une bande dessinée, demeure sans conteste le dessin de David B., qui rend ainsi un magnifique hommage à ce mouvement artistique, en y injectant sa propre noirceur. Dans un tourbillon incessant, fantômes, squelettes, créatures fantasmagoriques et masques inquiétants viendront peupler cette parabole surréalistico-paranoïaque. Comme d’habitude, le noir et blanc va comme un gant au trait si particulier de l’auteur de L'Ascension du Haut Mal, à la fois rigide, minutieux et foisonnant, venant nous rappeler que le merveilleux peut être aussi fait d’angoisses insondables. L’ouvrage bénéficie en outre d’un tirage splendide au format italien, avec une couverture entièrement toilée, ce qui en fait littéralement un objet d’art, un plaisir de collectionneur.
Je suis passionné de poésie, et particulièrement par le mouvement surréaliste (que ce soit au niveau politique, poétique et pictural – ces trois aspects formant un tout indissociable). C’est donc avec grand intérêt (mais aussi avec quelques craintes) que j’attendais cet album, après en avoir entendu parler (d’autant plus que David B. est un auteur que j’apprécie plutôt). Ma première surprise est de retrouver cet album chez Soleil, alors qu’il aurait très bien pu être édité par L’Association, berceau habituel de l’auteur, et chez qui il vient de publier un album au format à l’italienne similaire, « Le Mort détective ». Mais bon, c’est dans la collection Noctambule de Soleil, et donc l’habillage est de qualité (c’est clairement l’une des meilleures, sinon la meilleure collection de cet éditeur pas toujours « haut de gamme »). David B. a choisi pour cette « histoire », de mêler le feuilleton tel qu’il se pratiquait au début du XXème siècle dans la littérature populaire (et qu’adoraient les surréalistes, Breton, Desnos et Prévert en tête) à la vie du mouvement surréaliste et principalement de celui qui de l’extérieur apparaissait comme son « leader », André Breton. La narration est fluide. Chaque page est occupée par un dessin (le plus souvent chargé, dans le style classique de l’auteur, un peu stylisé), avec en dessous un texte développant, sinon une intrigue, du moins une « histoire », une sorte d’enquête, mais aussi, plus qu’en filigrane, l’évolution du mouvement surréaliste. C’est là que le bât blesse d’après moi. En effet, sans vouloir passer pour un gardien du temple, je trouve que David B. n’a qu’une connaissance superficielle du mouvement, et qu’il a trop facilement repris quelques clichés (sur l’autoritarisme de Breton – ne parle-t-on pas de « pape » à son propos, contre toute évidence pour qui connait ses idées, et le mode de fonctionnement réel de sa pensée et du mouvement, ce que la lecture de ses correspondances, qui commencent à être publiées depuis 2016 permet de préciser). Ceci s’accompagne donc d’imprécisions, voire d’erreur (sur les motifs de la rupture entre Breton et Aragon – qui ne se sont sûrement pas rencontrés aux Etats-Unis ! – entre Breton et Dali, etc.). Breton a déjà été utilisé de très nombreuses fois dans des romans, et c'est généralement peu concluant - les polars de Pécherot étant sans doute une exception. Après, libre à chacun de créer sa propre histoire, et cet album n’a rien d’historique. Mais l’hommage qu’il voulait ou prétend rendre à Breton, détourne trop la réalité pour que je m’y retrouve vraiment - d'où ma relative déception. Reste le dessin de David B., que j’aime bien, et un hommage aux « feuilletons », aux serials, lui plutôt sympathique. D’où ma note « moyenne », du fait des partis pris que je conteste. Note réelle 2,5/5.
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