Les Fleurs rouges (Akai Hana)
Recueil de 12 nouvelles graphiques parues entre 1967-1968. Second tome (dans l'ordre chronologique) de l'anthologie consacrée à Yoshiharu Tsuge.
Garo (Editeur Seirindo) Gekiga Les petits éditeurs indépendants Seinen Seirin Kôgeisha
Au début des années 60, Yoshiharu Tsuge commence à collaborer à la mythique revue Garo qui se décrit alors comme un « lieu d'expérimentation de soi ». Il y développe des bandes dessinées d'un genre nouveau où autobiographie et fiction s’entremêlent délicatement pour faire surgir dans le récit une forme d'authenticité inédite. Cette approche avant-gardiste est appelée watakushi manga : « la bande dessinée du moi ». Dans cette manière moderne de construire la narration, la psychologie des personnages est placée au centre du récit et le décor devient un élément narratif à part entière. Le rêve et le voyage, qui conjuguent réalité personnelle et construction imaginaire, deviennent des sources d'inspiration majeures pour Yoshiharu Tsuge, qui s'ouvre de plus en plus aux impulsions de son inconscient, sans jamais abandonner un humour distancé.
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Date de parution | 07 Février 2019 |
Statut histoire | Histoires courtes 1 tome paru |
Les avis
Note : 3.5/5 Yushiharu Tsuge est un digne représentant du style Gekiga, ces tout premiers mangas qui ont choisi de représenter des thèmes plus adultes et sombres que les manga pour la petite jeunesse qui étaient la norme à l'époque. Il est essentiellement célèbre pour être l'auteur de L'Homme sans talent. Le Marais est chronologiquement le second volume de l'anthologie que les éditions Cornelius lui ont consacrée. Il est précédé par Le Marais et suivi par La Vis. Il comprend des histoires réalisées en 1967 et 1968 pour le magazine Garo, une publication de mangas qui se démarque des autres de l'époque car elle est l'une des premières à chercher à s'adresser à un public plus âgé. J'ai lu cette anthologie dans le désordre, ayant commencé par Le Marais qui m'avait plutôt plu, puis par La Vis qui au contraire m'avait franchement déçu. Comme Les Fleurs rouges fait la jonction entre ces deux époques, j'étais assez inquiet car j'avais peur d'y retrouver ce que je n'avais pas aimé dans La Vis. Mais en fait, c'est probablement cet album là que j'ai préféré. La première histoire, La Veillée funèbre, n'est pas marquante. Elle se déroule dans le japon historique et met en scène une petite bande de brigands qui n'est absolument pas impressionnée à l'idée de dormir auprès d'un cadavre. Son style est proche des histoires se déroulant à la même époque dans l'album Le Marais avec une mise en scène où se mêlent les influences de Tezuka et de Shigeru Mizuki (Kitaro le repoussant). L'histoire est trop courte et pas très intéressante à mon goût. Plein Soleil change carrément de registre pour nous plonger dans le désert égyptien de nos jours où les passagers d'une jeep renversée se retrouvent bloqués dans un endroit inaccessible à attendre désespérément des secours. C'est un récit cruel sur la lâcheté humaine face au danger et sur le retour aux instincts bestiaux. Pas mal foutu du tout. La Salamandre est ensuite une histoire qui m'a rappelé La Métamorphose de Kafka si ce n'est qu'au lieu d'avoir un narrateur transformé en cafard, c'est ici une salamandre dans des égouts sordides. Et loin de prendre cela mal, il nous montre au contraire qu'il se satisfait pleinement de cette vie immonde aux yeux d'un humain. Pas mal quoiqu'un peu court. L'histoire suivante a marqué le lectorat japonais à l'époque car elle introduisait pour la première fois dans le manga une notion de récit autobiographique, avec en tout cas un narrateur qu'on peut imaginer être une représentation de l'auteur qui parle de lui-même à la première personne du singulier. Il raconte son installation dans une petite bicoque à moitié délabrée et présente ensuite la famille de voisins avec qui il cohabite en partie, cette dernière étant assez spéciale, surprenante voire un peu amusante. Nous les retrouverons d'ailleurs en partie dans une autre histoire dans l'anthologie La Vis. Le Chien du col est une histoire qui m'a un peu moins marqué, racontant la rencontre du héros avec un chien en partie errant. J'ai peu de choses à en dire en vérité, si ce n'est que ça se laisse lire... L'histoire suivante raconte la rencontre d'un homme et d'une jeune femme sur une plage en vacances et un début de romance entre les deux. Celle-ci sera forcément sans lendemain puisqu'ils vont rapidement retourner chez eux, mais on les suit profiter du moment présent. Pas mal même si je n'ai pas été tellement touché. A partir de là, les histoires suivantes mettent toutes en scène un narrateur qu'on imagine facilement être une représentation de l'auteur qui découvre différents lieux de la campagne japonaise et y fait des rencontres variées. Les Fleurs rouges, même si elle a donné son titre à l'album, est celle de ces histoires qui m'a le moins enthousiasmé car j'ai trouvé sa conclusion un peu nébuleuse. J'ai par contre beaucoup aimé les suivantes car j'ai trouvé qu'elles dégageaient une belle atmosphère, avec des lieux dépaysants et beaux, du Japon authentique et de ses traditions rurales, mais aussi avec de personnalités intéressantes et souvent attachantes. Je me suis senti assez transporté dans ces lieux grâce aux récits de Tsuge et j'y ai passé avec lui des moments agréables et parfois envoûtants.
La réédition de l'intégralité des œuvres de Tsuge par Cornélius est une bénédiction. De cet auteur obscur, longtemps opposé à toute tentative de traduction des ses œuvres, on connaissait uniquement l'édition de L'homme sans talent parue chez Ego Comme X en 2004. La lecture de ce manga m'avait alors enchanté, moi qui ne suis pas très versé dans la bande dessinée japonaise au sujet de laquelle je suis longtemps resté cantonné dans mes a priori. C'est donc non sans une certaine curiosité que j'ai entamé ce premier tome rassemblant les nouvelles graphiques de Tsuge parue entre 1967 et 1968. Il faut signaler que l'édition de ses œuvres n'est pas appelée à suivre nécessairement un ordre chronologique, mais qu'elle réunit plutôt les nouvelles par "période", chacun des 7 volumes (4 restant à paraitre) prenant le titre d'une nouvelle en particulier, soit parce qu'elle est caractéristique de la dite période (c'est le cas ici), soit parce celle-ci marque un tournant dans l’œuvre de l'auteur (c'est le cas par exemple du volume 2 intitulé La vis). Cela étant dit, il convient de saluer la qualité exceptionnelle de cette édition. Couverture rigide, épaisse, belle jaquette repliée sur elle-même (ce qui renforce l'impression de solidité du papier), présence d'un signet en tissu incorporé au tranchefil, reliure cousue, papier de qualité... L'objet est très beau et agréable à lire. S'ajoute à cela un appareil critique de qualité, de nombreuses traductions émaillant les pages (même les onomatopées sont traduites) ainsi qu'un petit corpus de notes en fin d'ouvrage fournissant d'utiles précisions culturelles ou sociales sur certains aspects évoqués dans le livre. Merci donc à Cornélius pour ce magnifique travail ! Intéressons-nous à l’œuvre en elle-même maintenant. Exception faite de la deuxième nouvelle de ce volume (Plein soleil) qui m'apparait inexplicablement sans grand intérêt tant graphique que narratif, les histoires qu'il contient sont renversantes... Tout d'abord, le dessin de Tsuge, bien que réalisé il y a plus de 50 ans, apparait encore aujourd'hui d'une modernité impressionnante. Le travail sur les ombres est remarquable par sa simplicité, et le soin apporté aux paysages est tout bonnement estomaquant. La narration quant à elle est ici élevée au rang de science tant elle peut compter sur un découpage dynamique. On est très loin du traditionnel gaufrier, encore très en vogue à l'époque. Et puis ce dessin, simplissime, efficace, immédiatement déchiffrable, ne dévoile que le strict nécessaire, abandonnant volontairement le reste à la pudeur de par la grâce de son trait. Tsuge donne au fil des pages une leçon de dessin magistrale. Le dessin est frais, les visages sont très expressifs, et la composition des cases confine à l'art de l'estampe. La force de ces histoires de trois-fois-rien réside dans la puissance de suggestion de l'auteur. Il faut lire la très métaphorique nouvelle éponyme pour s'en convaincre : arrivé à la dernière case, je n'ai pu m'empêcher de lâcher un "wow !" de sidération. Tour à tour poétiques, drôles, voire burlesques, parfois dramatiques, ces nouvelles nous plongent dans un Japon qui, bien qu'encore fortement empreint de tradition, et sur lequel Tsuge jette un regard d'une infinie tendresse, connait alors une vague de libération des mœurs. La nouvelle intitulée Paysage de bord de mer, traitée un peu à la manière de la Nouvelle Vague, est particulièrement significative de cette tendance. Je suis loin d'être un spécialiste du Japon, un pays dont j'ignore à peu près tout, mais je sais que ce manga m'a ému, entre autre raison parce qu'on éprouve cette sensation de basculement d'un monde à l'autre. Je l'ai dit au début, le manga n'est pas mon truc. A part L'Homme sans talent, je n'avais lu que Quartier lointain de Jiro Taniguchi, ou peu s'en faut. Désormais, il serait plus juste d'écrire que le manga N'ETAIT PAS mon truc. Là réside le moindre des mérites des Fleurs rouges, une œuvre monumentale, dense et rêveuse. Aussi, pour cette année vingt vingt déjà bien entamée, je me suis concocté un petit programme de rattrapage comprenant la lecture des œuvres d'Asano, Urasawa, Mizuki ou bien encore Mochizuki. On m'aurait dit ça il y a encore six mois, je vous jure que je m'en serais froissé une côte de rire. Comment c'est déjà le truc qu'on dit avec les avis des imbéciles ?...
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