Le Marais
Les Fleurs rouges (1967-1968) et La Vis (1968-1972) nous montraient Yoshiharu Tsuge atteindre la pleine puissance de son art et fonder le watakushi manga (la bande dessinée du moi). Cette troisième parution (chronologiquement le premier volume de l'anthologie consacrée à Tsuge) propose de retrouver l'auteur alors qu'il vient d'intégrer la revue Garo.
Garo (Editeur Seirindo) Gekiga Les petits éditeurs indépendants
Il n'en est pas à ses débuts - il a déjà presque dix ans de carrière derrière lui - mais il trouve dans l'opportunité que lui offre le magazine la possibilité de franchir une étape et de devenir un auteur à part entière. Plus classiques et plus faciles à lire, les nouvelles réunies dans Le Marais sont encore marquées par les histoires qu'il dessinait pour les librairies de prêt. On retrouve dans ces premières œuvres le vocabulaire du gekiga, appliqué à des récits d'aventures situés à l'époque Edo. Mais le dessin et la narration témoignent encore de l'influence de Shirato Senpei, l'auteur phare de Garo, et de la figure tutélaire d'Osamu Tezuka. Pourtant, le ton se démarque du reste du magazine. Ce qui vaut à Tsuge des réactions négatives des lecteurs, qui ne comprennent pas le caractère novateur du Marais et de Tchiko, nouvelles tournant le dos à l'innocence et préfigurant L'Homme sans talent, le livre avec lequel Tsuge concluera sa carrière vingt ans plus tard. Déçu par ce manque d'enthousiasme, Tsuge cesse d'écrire pendant un an et devient l'un des assistants de Shigeru Mizuki, auprès duquel son dessin gagnera en maturité. Les lecteurs ne redécouvriront les onze joyaux qui composent ce volume que quelques années plus tard, lorsque le talent de Yoshiharu Tsuge les aura définitivement irradiés.
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Date de parution | 30 Janvier 2020 |
Statut histoire | Histoires courtes 1 tome paru |
Les avis
Quelques mois après avoir lu le recueil La Vis chez le même éditeur Cornélius, je suis rentré dans le Marais. Je l'ai même lu deux fois à quelques semaines d'écart. C'est également un recueil d'histoires datant des années 1960 sans lien entre elles et très différentes. La première met un scène un ersatz du célèbre Musashi qui descend dans un hôtel. Cela fait un peu aventure et c'est vrai qu'elle s'approche de ce que Tezuka a pu faire même sur le plan du dessin qui est moins sombre que ce qu'on voit dans la suite. Les autres histoires tournent souvent autour de l'alcool et la misère, on sait que l'auteur malgré son succès était lui-même désargenté à cette époque. Une histoire met en scène un auteur de manga sans le sou, peut-être inspiré de lui-même, dont la femme se prostitue pour faire rentrer un peu d'argent et veut absolument un oiseau, qui coûte un certain prix. Celle qui donne son nom au recueil, Le marais, m'a assez surpris. La fin est déroutante et je n'étais pas sûr d'avoir compris où l'auteur voulait en venir avec cette femme et son serpent apprivoisé qui héberge un inconnu. Une métaphore sexuelle ? Ca m'a rassuré de voir en postface que je n'étais pas le seul et même Tatsumi un mangaka contemporain de Tsuge a eu la même réaction interrogative. Cette postface m'a d'ailleurs pas mal éclairé sur la philosophie de l'auteur qui à une certaine époque avait la volonté de faire des fins ouvertes, de ne pas expliquer et laisser au lecteur le soin de faire sa propre interprétation. Cela éclaire ses histoires ultérieures notamment dans La vis, où j'avais parfois l'impression de fins qui tombaient à plat. En tout cas un ensemble qui se lit agréablement, moins 'malsain' que La vis qui comporte des histoires chronologiquement postérieures et aux thématiques sexuelles plus présentes. Plus qu'à lire Les Fleurs rouges.
Yushiharu Tsuge est un digne représentant du style Gekiga, ces tout premiers mangas qui ont choisi de représenter des thèmes plus adultes et sombres que les manga pour la petite jeunesse qui étaient la norme à l'époque. Il est essentiellement célèbre pour être l'auteur de L'Homme sans talent. Mais les nouvelles qui composent ce présent recueil ont été réalisées une vingtaine d'années plus tôt alors que l'auteur était encore en train de chercher son style personnel. Le Marais est chronologiquement le premier volume de l'anthologie que les éditions Cornelius lui ont consacrée. Il sera suivi par Les Fleurs rouges et La Vis. Il comprend des histoires réalisées en 1965 et 1966 en grande majorité pour le magazine Garo, une publication de mangas qui se démarque des autres de l'époque car elle est l'une des premières à chercher à s'adresser à un public plus âgé. Ces histoires sont très variées dans leur sujet. La première de l'album, la Rumeur, se déroule dans le japon historique du 17e siècle, dans une auberge où un humble samouraï vient passer la nuit. Là, il y croise le chemin d'un ronin qui garde son nom secret mais bientôt le héros puis toute la foule vont être persuadés qu'il s'agit du fameux Miyamoto Musashi. On est très vite capté par ce récit dont la narration n'a absolument pas vieilli. Il y a l'influence de Tezuka dans la clarté du dessin et de la mise en scène. Le scénario est simple mais tient très bien la route et se conclut de manière intelligente. Les trois histoires suivantes gardent un cadre similaire de japon historique et de samouraïs sans le sou. Hormis la première qui est un peu trop courte et vaine pour me plaire, je les ai appréciées au même titre que la précédente. Il y fait preuve de la même clarté de narration et de justesse dans l'atmosphère qui ont su me séduire. On y sent une humilité dans le ton et dans la nature des personnages qui reflétait sans doute l'état d'esprit de l'auteur à l'époque, lui-même sans le sou et essayant de sortir de la galère. A partir de la suivante, l'histoire titre de l'album, Le Marais, on change d'époque pour arriver dans le monde moderne, mais en restant dans un décor campagnard. Il y a ici une rupture de ton par rapport aux précédentes qui préfigure la touche personnelle et adulte que l'auteur mettra dans ces récits les plus aboutis. Celui-là est surprenant, un peu envoûtant, à la manière de l'héroïne qui y séduit le héros tout en étant imprégnée de mystère. J'ai toutefois été un peu désarçonné par la fin que j'ai trouvé abrupte et en queue de poisson. Elle ne m'a pas satisfait. L'histoire suivante, Tchiko, met en scène un couple qui adopte un oiseau domestique. Cette histoire là ne m'a que moyennement convaincu car elle n'a pas su me toucher. Son ton est là encore mature et mêle une touche de cruauté avec une autre de poésie mais elle n'a pas su me toucher. Pour la suite, La Chasse aux champignons, met en scène un enfant tout excité à l'idée d'aller le lendemain matin chercher des champignons avec son grand-père. Il passe la soirée avec ce dernier puis a bien du mal à s'endormir. Je n'ai pas été transporté par son ambiance malgré quelques jolies images. Et surtout sa fin m'a laissé vraiment perplexe. La suivante, La Fille du bouquiniste, est une histoire assez jolie et mignonne sur un passionné de littérature. Elle est cependant un peu banale et peu marquante. Une lettre mystérieuse est un récit assez cruel et qui amène à se poser quelques questions sur les actions et sentiments des hommes. On est là à mes yeux dans une histoire assez typique du genre Gekiga. Un passage de celle-ci est assez marquant car effrayant mais le reste ne m'a pas trop intéressé. La Femme ninja revient à l'époque des samouraïs pour une histoire plus longue et nettement plus classique dans le style et proche à la fois des récits d'aventure et des contes martiaux japonais. Il est agréable à la lecture quoique son dénouement soit un peu trop prévisible. Menotté est un récit policier moderne où un flic attrape un criminel fuyard mais où tous deux se retrouvent bloqués par une tempête. Le policier menotte alors son prisonnier dans une grotte et part seul chercher des renforts. Mais il tombe dans une crevasse et l'accident lui fait perdre la mémoire, tandis que le criminel est lui, toujours bloqué dans la grotte à devoir attendre son retour. J'ai à nouveau trouvé un peu de Tezuka dans cette histoire. Outre le ton de cette dernière, cela vient peut-être aussi beaucoup de la manière de représenter les héros. Globalement, j'ai apprécié la diversité et la clarté de narration de ces 11 histoires courtes. Si certaines m'ont laissé circonspect ou ne m'ont pas trop marqué, j'ai lu la majorité avec plaisir et avec l'agréable surprise d'y trouver des récits modernes dans le ton et dans la manière d'être racontés.
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