L'Alcazar
Véritable portrait social et culturel de la société indienne dans ses hiérarchies et fragmentations les plus intimes, L’Alcazar est un récit choral d’une beauté formelle saisissante, terriblement audacieux et dépaysant.
Bâtiments et architectures École supérieure des Arts décoratifs de Strasbourg Inde Les petits éditeurs indépendants
Inde, de nos jours, dans le quartier résidentiel d’une grande ville... Sur le chantier d’un immeuble en construction coexistent une dizaine de personnages venus des quatre coins du pays : Ali, le jeune ingénieur inexpérimenté, Trinna, un contremaître intransigeant, Rafik, Mehboob et Salma, manoeuvres provinciaux rêvant de lendemains meilleurs... mais aussi Ganesh et sa bande de Rajasthani, carreleurs hindous aux accents conservateurs qui viennent grossir les rangs de ce chantier supervisé par un jeune et riche promoteur. Ce petit théâtre offre une vue microscopique de l’Inde contemporaine, où se côtoient langues, religions, chefs et larbins dans une précarité toujours portée par un vent tragi-comique. Et, à mesure que l’immeuble s’élève laborieusement, les rêves et ambitions de chacun se heurtent et s’entremêlent dans ce paysage humain et urbain à couper le souffle.
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Date de parution | 02 Septembre 2020 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je fais partie des biens satisfaits avec cet album. J’ai bien aimé l’idée que le « héros » de l’histoire soit un immeuble en construction, le « remplacement » des personnages en cours de route ne m’a pas choqué. Un parti pris plutôt original qui permet à l’auteur de montrer une petite part de la diversité de la vie en Inde. Le dessin est simple mais accompagne bien le récit, on reconnaît bien les persos et les couleurs donnent une belle chaleur à l’ensemble. On ajoute à ça, un auteur complet que je découvre et une belle qualité d’édition pour un bon moment de lecture. Bien construit, intéressant et dépaysant, du bel ouvrage. 3,5
J'ai eu une très bonne surprise en lisant cette série. Simon Lamouret a eu une idée très originale en nous contant ce quotidien d'un chantier de construction en Inde. L'auteur nous livre un récit intimiste très touchant et criant de vérité avec ces différents personnages socialement et ethniquement très différents mais unis autour d'un projet commun et l'amour du beau travail. J'ai pu y lire aussi une parabole sur une Inde moderne qui ne renie pas ses traditions mais qui s'élève (comme l'immeuble) par ses propres moyens vers des réalisations impeccables. Le récit tissé autour du groupe Salma, Rafik et Mehboob est bien construit et très fluide. Je me suis attaché très vite aux petites anecdotes qui font le quotidien des aléas d'un chantier et à celles dues à la promiscuité d'une vie au jour le jour dans des conditions précaires peu imaginables en France. J'ai senti l'empathie de l'auteur pour ses personnages, empathie qu'il réussit très bien à transmettre. Le graphisme semble un peu naïf au premier abord mais après quelques planches cela m'a fait rentrer de plein pied dans cet univers cosmopolite et coloré de l'Inde. De plus il y a un côté documentaire sur des épisodes de la construction et de l'élévation de "L'Alcazar" que j'ai bien apprécié. Une belle lecture originale pour une oeuvre qui se démarque de façon très plaisante.
L’Inde. Pas celle du Mahabharata, pas celle des Maharadjas non plus, ni celle de Bollywood. Non, l’Inde de tous les jours, des gens ordinaires, des ouvriers sur un chantier de construction. Un immeuble de logements sort de terre à Bangalore, et c’est le ballet des ouvriers. Ils sont recrutés (sans contrat) par le contremaître, sans forcément d’expérience et apprennent le métier de manœuvre sur le tas. Ils vivent sur place, le chantier avancera plus vite. Et puis il y a les différents corps de métiers, l’architecte, le donneur d’ordre, les futurs acheteurs d’un appartement dans l’immeuble… On a la vie quotidienne, avec ses conflits entre ouvriers de confessions différentes, ses rebellions contre le patron qui essaie de payer moins et le contremaître qui retient les salaires à son profit, les ennuis quand le chantier prend du retard ou ne se passe pas comme prévu… Ça pourrait être d’un ennui mortel, mais pas du tout, au contraire. Il est facile de s’attacher à tout ce petit monde, même les pas trop honnêtes. On voit bien qu’ils ont tous leurs motivations et puis finalement il se passe plein de choses sur ce chantier... Le rendu graphique est intéressant, avec de beaux contrastes de couleurs, bleus et orangés se répondent pour une belle luminosité. Et les pleines pages sur l’avancement de l’immeuble sont magnifiques. On voit que l’auteur était sur place et a tout suivi sur le vif. Bel ouvrage éditorial également. Je recommande.
Créer une fiction BD autour de la construction d'un immeuble de rapport en Inde, aujourd'hui, peut sembler une idée bizarre. Pourtant, l'Alcazar nous fait toucher du doigt tous les travers de nos sociétés inégalitaires en suivant le parcours de trois ouvrier.e.s, embauché.e.s sur ce chantier, vivant sur place, le temps de la construction. Mehboob et sa femme Salma sérieux et consciencieux ainsi que Rafik, qui cherche toujours un système moins éprouvant pour gagner sa vie, se retrouvent à dormir à même le sol dans une petite cabane construite au bord des fondations. Salma apporte le sable toute la journée dans une grande coupe qu'elle porte sur sa tête et fait à manger pour le trio le soir. Bref leur quotidien au milieu des autres métiers, les fournisseurs, le patron, le propriétaire, les acheteurs, toutes les ambiguïtés, les rapports de force économiques sociaux et ethniques sont décrit précisément. Le dessin est étonnamment puissant, il utilise seulement deux couleurs déclinées dans toutes leurs concentrations : un bleu outre-mer et un orange vif. Ce choix systématique contribue à la force de la composition graphique. Les personnages, assez petit dans l'organisation générale, nous sont donc familiarisés essentiellement par leurs dialogues, plutôt que par la précision de leur visage. Ils restent comme des éléments minuscules d'un tout. J'ai été extrêmement frappée par ce livre comme une très belle composition, et ému par la justesse des observations. En revanche, j'avoue, ne pas m'être vraiment attachée aux trois héros, qui restent en moi comme un souvenir triste...
Nous suivons la construction d'un immeuble de 5 étages au cœur de Bangalore en partant du terrain vague jusqu'à son inauguration. Une bd qui est plus un reportage qu'une fiction, les personnages principaux sont des anonymes pauvres ou de la classe moyenne. Une immersion en Inde, un autre pays, une autre culture et surtout un autre code du travail ou plutôt l'absence du code du travail. L'auteur nous fait vivre le quotidien de ces hommes et femmes, il est allé vivre sur place pour donner à son récit une authenticité qui permet de découvrir le monde réel du travail en Inde. Le quotidien des ouvriers de chantier est décrit, vivant sous des bâches, logés sur place pour assurer la sécurité la nuit et la construction le jour, ils perçoivent un salaire si le responsable du chantier veut bien les payer. Un exemple supplémentaire de l'exploitation des hommes mis à la merci d'intermédiaires sans scrupule. La pénibilité des tâches est illustrée par l'absence d'une grue et la sécurité des hommes placées après les coûts de production, l'auteur aborde ces thèmes sans les dénoncer, il les montrent simplement sans juger. Un dessin classique par contre la couleur est originale avec une dominante bleu et orange. Un témoignage révélateur des excès d'un système et de la violence des rapports entre les hommes.
Cet album recèle de beaucoup de qualité mais il lui a manqué un petit quelque chose pour que je sois totalement conquis. Première qualité : sa lisibilité. Le dessin comme la narration garantissent une lecture aisée. C’est aéré et plaisant tant à voir qu’à lire. Deuxième qualité : le sujet. Consacrer un album à la construction d’un immeuble en inde permet d’aborder des sujets sociaux tels que la lutte des classes ou la précarité d’emploi. Troisième qualité : l’objet en lui-même. Un grand format avec un grain dans le carton de couverture, c’est beau à voir et à tenir en main. Malheureusement, comme je disais, il manque à ce récit un petit quelque chose, une intrigue globale ou un suspense, même artificiel, qui m’aurait permis de ressentir plus d’empathie pour les personnages. Le fait aussi que l’on quitte le trio qui nous occupe durant la première partie du récit pour nous concentrer sur une autre équipe pour la seconde partie ne favorise pas non plus la mise en place d’un climat empathique. J’ai donc lu ce beau livre sans ennui mais aussi sans ressentir cette émotion recherchée. Un auteur à suivre, en tous les cas.
C'est après avoir discuté avec son auteur, croisé sur un salon du livre, que j'ai fait l'acquisition de cette grosse BD sortie chez l'excellent éditeur Sarbacane qui, soit dit en passant, réalise souvent de magnifiques albums. Aux dires de Simon Lamouret lui-même, c'est une histoire vraie puisqu’il a en effet eu l'occasion de suivre les étapes de la construction d'un bâtiment de standing lors d'un séjour en Inde. Il y raconte donc ce qu'il a vu, et ça valait bien une histoire ! Une histoire qui prend la forme d’un parpaing de plus de 200 pages, ce qui nous laisse le temps de faire connaissance avec les personnages qui les habitent, le temps de rentrer dans le paysage graphique, de se couler dans le rythme imposé par la construction. Ici, le temps est paradoxalement comme suspendu, entre parenthèse, comme dans une bulle assaillie par les délais impartis et les futurs locataires trépignant d’impatience… L'Alcazar ! Soit le palais, la forteresse... 200 pages, c’est le temps qu’il faudra pour monter à l’assaut de cet immeuble luxueux… A condition toutefois de ne pas regarder en cuisine... Graphiquement, ça m'a immédiatement sauté dans l’œil. Le dessin, un brin ligne claire, est souple et élégant, avec un travail sur les ombres et la lumière qui lui confère une ambiance vraiment prégnante tout au long de la lecture, avec ses nuances de bleus profonds et subtils et ses oranges suaves, veloutés. Les couleurs chaudes (même les bleus sont chauds, c'est dire) semblent exhaler une odeur, celle des épices, du béton, du plâtre frais, de la terre... Les personnages sont attachants, y compris ceux qui sont nous présentés comme les mauvais de l’histoire. On sent de l'empathie de la part de Lamouret pour ces ouvriers et contremaîtres pas tous scrupuleux ou réglos. La mise en scène est très réussie. L'auteur conserve une unité de lieu. Le récit est d'ailleurs régulièrement émaillé de pleines pages splendides montrant les différentes étapes de construction. Ainsi, tout se passe sur le chantier, ou presque. Les ouvriers dorment sur place, dans des habitats de fortune, parfois constitué uniquement de vulgaires bâches en plastique, si bien que l'on finit par lire cet ouvrage comme une pièce de théâtre, un peu vaudeville sur les bords. Tout au long de ces 200 et quelques pages, on partage les ambitions des uns et les déceptions des autres, on côtoie des hommes en proie aux difficultés personnelles comme à l'ambition sans limite, on rit avec eux, on s'amuse des bassesses, des vengeances, de la stupidité parfois. Peu à peu se dévoilent ce qui nourrit leurs motivations respectives, quelquefois leurs renoncements. Tout ce petit monde semble improviser, si bien qu'au final, ça avance comme ça peut en tentant un peu vainement de respecter les délais impartis, et les multiples langues parlées par les ouvriers venus des quatre coins du pays n'arrangent rien à l'affaire. Mais tous espèrent ainsi toucher un salaire un peu moins misérable qu'ailleurs. C'est un peu le cœur battant de l'Inde actuelle qui nous est donné à lire (et même à vivre) avec brio. En fait, on pourrait aisément y voir une revisitation de la parabole de la Tour de Babel, matinée ici d'un fond sociologique indéniable. C'est certain, cette BD fera dubiter ceux qui n'ont apprécié ni La Guerre d'Alan ni Rébétiko. C'est lent (d'autres penseront plat), il n'y a ni échange de coup de feu, ni action trépidante. Il n'y a pas de gentil ni de (vrai) méchant et le thème n'est pas sexy pour un sou. Mais celzéceux pour qui une ambiance forte où frétille la vie prime sur un scénario construit comme une équation mathématique, celzéceux qui préfèrent les expériences humaines et les personnages travaillés aux aventures improbables de milliardaires de pacotille ou de sempiternels mafieux à la psychologie de bazar, celzéceux qui apprécient la fraicheur et l'intimité d'un John Cassavetes ou d'un Abbas Kiarostami, celzéceux-là trouveront très certainement leur compte dans cette tranche de vie qui fleure le vécu. En ce qui me concerne, j'ai adoré participer (un peu) à ce chantier. Un bel ouvrage qui, pour le coup, n'est pas fini à la truelle.
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