La Forêt (Ott)
Balade introspective.
Auteurs suisses BD muette Carte à gratter Les petits éditeurs indépendants Une image par page
Thomas Ott au sommet de son art Après 12 ans d’absence (Thomas Ott se consacrant à l’illustration), le maître suisse de la carte à gratter nous livre ici enfin une nouvelle fiction. Une histoire courte, sans paroles, en 25 grandes images qui conduisent un jeune garçon à fuir au plus profond d’une forêt pour y trouver un refuge, mais aussi se confronter aux grandes terreurs des hommes et finalement faire l’expérience de suivre, sans peur, son propre chemin. Certainement le récit le plus intime du maître suisse de la carte à gratter qui nous parle ici de cheminement, de réparation, d’espoir.
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Date de parution | 10 Novembre 2020 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Deuil enfantin - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2020. Il a été réalisé par Thomas Ott. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc, comportant vingt-cinq pages, entièrement dépourvue de dialogue. Il s'agit d'un format imposé dans cette collection des éditions Martin de Halleux, inspiré de l'ouvrage 25 images de la passion d'un homme (1918), réalisé par Frans Masereel (1889-1972). La forêt est le premier tome de cette collection. Il s'agit d'une histoire racontée en 25 gravures sur bois, chacune imprimée comme un dessin en pleine page, sans aucun dialogue non plus. L'auteur suisse respecte cette contrainte à la lettre, à raison d'une image par page. Un. Dans le salon d'une maison bourgeoise, un jeune garçon est assis sur le canapé, avec une place vide de chaque côté de lui. Il porte des culottes courtes noires et une chemisette blanche. Il est bien peigné. À une extrémité, une vieille femme pleure et essuie ses larmes dans un mouchoir. Derrière, sur le manteau de la cheminée se trouvent des gerbes de fleurs, l'une d'elle portant une banderole, ainsi qu'une enveloppe. Encore un peu derrière, à côté de l'escalier qui mène à l'étage, deux hommes en costume tiennent un verre à la main, la tête inclinée vers le bas, l'air grave, recueilli. Deux. le garçon a quitté le salon et il est sorti dans le jardin, une simple pelouse, par la porte de derrière. Il y a un tuyau d'arrosage et quelques piquets en bois, ainsi qu'une pelle posés contre le mur. le garçon jette un coup d'œil en arrière, tout en passant par-dessus la clôture en bois. Trois. le garçon marche sur un chemin d'un pas tranquille et assuré. Il longe une bordure herbue qui ceinture un champ au milieu duquel se trouve un épouvantail. Il passe devant un tas de piquets sur sa droite, en attente d'être utilisés pour une clôture. À quelques centaines de mètres devant lui, se trouve la lisière de la forêt. Quatre. le garçon se tient immobile à l'orée de la forêt. Il se trouve à la frontière entre la lumière des espaces ouverts derrière lui, et l'obscurité du chemin qui s'enfonce dans la forêt devant lui. Il marque une pause avant de s'y engager. Cinq. le garçon s'est remis à marcher, d'un pas plus lent. Il se tient légèrement courbé, comme s'il sentait la pesanteur de la pénombre, ou comme s'il appréhendait ce qui va se trouver sur sa route. Il apparaît bien petit par comparaison avec les hauts troncs des arbres formant la forêt et bordant le chemin. Quelques rares rayons de lumière transpercent les frondaisons et parviennent jusqu'au sol. Cinq. le garçon continue de marcher sur le sentier, peut-être d'un pas un peu plus rapide. Les racines des arbres courent juste sous la surface du sol ; elles traversent le chemin dans un entrelacs. Six. le chemin se fait plus difficile et la forêt plus sombre. le garçon doit enjamber un arbre mort, en se tenant avec les mains de chaque côté. Derrière un gros tronc d'arbre, semble se tenir une vague silhouette, ce qui s'apparente à oeil captant un reflet de lumière. Voilà un défi très contraint : raconter une histoire complète en vingt-cinq pages, sans avoir recours à aucun mot, uniquement par les images. Il s'agit donc d'une histoire qui se lit rapidement, très simple en termes d'intrigue, pouvant se dévorer en cinq minutes, même en prêtant un peu d'attention aux dessins, et en fournissant un petit effort pour formuler le lien logique permettant de passer d'une image à l'autre. S'il a lu 25 images de la passion d'un homme, le lecteur ne retrouve pas la même ambition narrative dans le présent récit. Sa temporalité est beaucoup plus courte : de l'ordre d'une heure vraisemblablement, deux grand maximum. Il n'y a pas d'enjeu social apparent, ni de reconstitution historique ou de témoignage sur une époque. Comme pour l'original, le lecteur peut se poser la question de la nature de la forme narrative : est-ce vraiment une bande dessinée ? Est-ce une suite de tableaux ou d'illustrations ? En l'absence d'une définition définitive de ce mode d'expression, il se dit que cette question s'avère un peu oiseuse : voilà un récit raconté sous la forme d'une succession d'images qui auraient très bien pu être disposées à raisons de deux ou quatre par page, ou plus, et la question ne se serait alors pas posée. L'auteur narre son récit sous une forme visuelle, avec des images descriptives. le lecteur observe également que le parti pris esthétique de l'artiste s'inscrit dans un mode descriptif, avec des dessins dans lesquels les textures prennent une forte importance, représentées avec des treillis de petites hachures. Ces illustrations formeraient des dessins un peu chargés dans une mise en page traditionnelle, c'est-à-dire des cases alignées en bande. Elles ne s'inscrivent pas non plus dans un courant pictural artistique marqué, comme c'était le cas pour les bois gravés de Frans Masereel. Le lecteur se focalise plus sur l'intrigue : un jeune garçon dont le grand-père est décédé et qui assiste à une réunion sociale qu'il subit, où les adultes se retrouvent pour accomplir un rituel de deuil, chacun prenant acte de la disparition de cet homme, perdu à tout jamais pour les vivants, sans possibilité de nouvelles interactions avec lui qui ne participe plus à la vie. L'absence de texte souligne le fait qu'aucun adulte ne vienne communiquer avec le garçon pour mettre en mots ce changement radical : avant cet être humain existait même s'il n'était pas en présence du garçon, après il n'y a plus de contact possible et cet être humain ne sera plus jamais présent avec une possibilité d'interagir. Dans ce contexte, le garçon doit lui-même faire son deuil avec son entendement de petit garçon. de fait, il ne participe pas vraiment à la société des adultes. L'image le montrant franchissant la petite clôture autour de la maison peut s'entendre comme une métaphore : il franchit la frontière séparant la société des adultes, et son paysage intérieur de petit garçon. Dans l'image suivante, il s'en éloigne progressivement, dans un paysage encore familier, mais avec cette forêt comme horizon, un lieu ne permettant pas de voir ce qu'il contient, un territoire mystérieux. Lorsqu'il s'arrête à la lisière de la forêt, il doit faire le choix conscient de s'aventurer par lui-même dans le questionnement sur la mort de son grand-père, sans rien pour le préparer à ce qu'il va trouver. Il apparaît donc assez rapidement que ce récit peut être considéré sous la forme d'un conte : à la suite du décès d'un proche, un petit garçon s'aventure dans une forêt pour… Pour quoi au fait ? Visiblement, il n'entretient pas de lien affectif particulier avec les adultes présents, ou bien ses parents sont occupés avec d'autres adultes, et il s'éloigne de cette atmosphère pesante pour se promener. Dans un conte, une forêt recèle forcément des surprises, et souvent des dangers, des créatures ou des individus auxquels le lecteur sait bien qu'il ne fait surtout pas faire confiance. Effectivement, le petit garçon se retrouve face à un ou deux monstres. Il fuit le premier, se cache du deuxième, regarde avec appréhension le troisième, pas très sûr de comment il doit les envisager autrement que comme des dangers évidents. le dessinateur n'essaye pas de leur donner une forme plausible ou merveilleuse. Il les représente avec la même approche descriptive, avec la même densité de textures. le premier est un géant sans bras entièrement recouvert de longs poils qui ne laisse pas voir son visage, et qui obligent à deviner la forme globale de sa silhouette, sans réelle certitude de son physique. le second est une femme nue flottant dans les airs, avec ses cheveux lui masquant le visage. L'apparence du troisième permet au lecteur de comprendre qu'il s'agit selon toute vraisemblance de la manière dont le petit garçon personnifie la mort. N'ayant pas les constructions mentales lui permettant d'en faire un concept, il l'imagine sous forme d'un monstre ou d'un autre, par association d'idées avec les mots qu'il a pu entendre dans la bouche des adultes. Au cœur de la forêt, il trouve non pas un trésor, mais une personne : toujours sans aucun mot, l'auteur sait mettre en scène un processus psychologique complexe permettant à l'enfant d'accepter cette mort. Le récit peut également être considéré comme une métaphore de ce processus psychologique. Sans un mot, uniquement avec des images formant un récit, l'auteur parvient à évoquer l'isolation de l'enfant dans un monde d'adultes, ne parvenant pas à donner un sens à l'adieu au défunt, hautement ritualisé, par des pratiques qui ne restent indéchiffrables pour l'enfant. L'esprit de celui-ci se met alors à vagabonder, laissant son imagination prendre le dessus. Ses pensées s'aventurent dans des territoires jusqu'alors inexplorés. Son imagination fait en sorte de conjurer des images de la mort à partir des contes qu'on lui a lus, des illustrations qu'il a déjà pu observer. Ce processus mental le ramène tout naturellement à l'objet qui préoccupe toutes les personnes rassemblées par l'occasion. L'enfant formule alors tout naturellement une stratégie lui permettant de concevoir avec ses moyens et son expérience de la vie, comment appréhender ce phénomène et comment vivre avec. Le titre de cette collection explicite qu'il s'agit d'un exercice de style : raconter une histoire en vingt-cinq images sans mot. Une première lecture laisse un sentiment de frustration : trop rapide, des dessins trop pragmatiques, pas de place pour l'interprétation ou pour l'imagination. Une seconde lecture permet d'apprécier comment l'auteur s'y est pris pour évoquer le processus de deuil chez un enfant, dans l'idée qu'il ne peut pas être identique à celui des adultes, que les rituels mis en place par eux ne font pas sens pour l'enfant. Vu sous cet angle, cette bande dessinée révèle alors son ambition et sa réussite apparaît.
Je suis assez embêté dans la note que je dois donner à cette BD, puisqu'il s'agit de noter à la fois le travail éditorial, le contenu et la forme. Ici, chacun mériterait une note à part entière, et la synthèse laissera forcément des incompréhensions globales. Le gros point noir de cette BD, c'est son prix au prorata du temps de lecture. La BD se finit en une minute montre en main et coute 22 €, un ratio qui est bien trop excessif pour n'importe quel amateur du genre. Et la qualité éditorial justifie le prix, bien sur. Ce n'est pas au niveau de l'arnaque pure et simple, mais au niveau de la BD très bien réalisée et qui a un prix de revient trop élevé. Déjà là, il y a un souci. Le deuxième hic, c'est qu'en plus d'être lu rapidement, le souci vient de la contrainte, certes intéressante dans la forme et qui conviendrait bien pour une exposition, mais qui ne permets pas de développer grand-chose de plus après les vingt-cinq images. Sans texte et sans beaucoup de relectures possible, ça reste au niveau du sympathique sans plus. Je pense que la contrainte ne convient pas suffisamment pour faire une BD en tant que telle. Au final, je crois que ce que je retiens c'est le trait graphique de Ott, magnifique avec son style de carte à gratter et qui pose une ambiance, une très bonne mise en scène. Rien à redire là-dessus ! En fait, je crois que cette BD est surtout une BD de bibliothèque, parce que je vois mal quelqu'un dépenser autant pour une lecture aussi courte et aussi peu profonde. C'est une curiosité à lire, mais je ne peux vraiment pas vous conseiller l'achat.
De Thomas Ott je n’ai lu que La Bête à cinq doigts, qui ne m’avait pas marqué plus que ça… j’ai quand même retenté l’expérience avec « La Forêt », car la thématique me semblait intéressante. J’ai effectivement plus accroché à cette histoire remplie de symbolisme, ce petit garçon qui vit une expérience émotionnelle à l’enterrement de son grand-père. J’ai trouvé le message touchant, et l’aspect visuel m’a vraiment enchanté. En revanche l’album se « lit » en environ 1 minute : il n’y a pas de texte, une seule image par page, et très peu de pages. L’expérience est donc TRES courte. Intrigant, c’est sûr… mais je conseille personnellement la lecture en bibliothèque.
Cela faisait quelques temps que Thomas Ott n’avait pas publié d’album, et j’étais curieux – comme toujours avec les productions de cet auteur suisse – de voir ce qu’il allait nous montrer chez ce nouvel éditeur. Éditeur que je découvre donc, et qui inaugure ici une collection avec un cahier des charges des plus sévères : une histoire muette de 25 pages, avec une image par page. A voir ce que cela pourra donner par la suite avec d’autres auteurs (un autre opus au moins est d'ors et déjà prévu). En tout cas, c’est clairement un bel objet (voir description dans la fiche de l’album), et on ne peut que saluer le très beau travail éditorial ! L’histoire est forcément rapide à résumer (comme à lire d’ailleurs !) : nous suivons un enfant, qui traverse une forêt, passe outre ses peurs, dans ce décor propice à les faire surgir, puis qui revient chez lui, alors qu’on semble enterrer son grand-père. Sa « balade » l’a rasséréné, lui a donné confiance en lui, et lui a donné la force de surmonter certaines douleurs – comme la mort de ce grand père semble-t-il. Ce récit vaut surtout pour le travail à la carte à gratter de Thomas Ott, superbe, et qui convient parfaitement à l’atmosphère sombre des sous-bois, et de l’histoire. Mais je reste quand même un peu sur ma faim, du fait de la trop grande rapidité de lecture. C’est beau (je salue ici auteur et éditeur), mais l’histoire elle-même – contraintes et format oblige – manque de profondeur. Je trouve en effet le principe de cette collection risqué, un peu casse-gueule. Car si cela convient parfaitement pour des portfolios, des arts books, le lecteur de BD peut sortir frustré (ça a été mon cas) de sa rapide lecture. Mais c’est quand même un bel objet, et un très beau travail graphique.
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