La Force de l'ordre

Note: 3.5/5
(3.5/5 pour 6 avis)

Une saisissante enquête anthropologique auprès de policiers en banlieue parisienne. L'engrenage terrible de l'ennui, de la pression du chiffre et des éruptions de violence... adapté d'un essai qui fit date (texte éditeur).


Documentaires

D. Fassin a partagé pendant deux ans le quotidien d'une brigade anti-criminalité. Loin des imaginaires du cinéma ou des séries, il raconte l'ennui des patrouilles, la pression du chiffre, les formes invisibles de violence et les discriminations. Cette enquête « ethno-graphique » montre à quel point les habitants de ces quartiers restent soumis à une forme d'exception sécuritaire (texte éditeur).

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 21 Octobre 2020
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série La Force de l'ordre © Seuil/Delcourt 2020
Les notes
Note: 3.5/5
(3.5/5 pour 6 avis)
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17/02/2021 | Ju
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Par gruizzli
Note: 3/5
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Un documentaire qui m'intéressait depuis un petit moment même si je me doutais de ce que j'y trouverais. Et en effet, le constat sur la police est assez accablant ... Mais pas non plus une condamnation claire de la police. Disons tout de suite que le dessin est franchement "léger". J'ai trouvé que l'on était dans une limite de représentation documentaire (et j'ai vu désormais assez de documentaire dont le dessin m'a scotché) avec une représentation simple et banale du quotidien. C'est d'ailleurs un style avec lequel je suis assez en froid, mais ça passe. La colorisation joue sur les nuits dans les banlieues, renforçant l'aspect sombre de ces endroits. Niveau récit, c'est quelques anecdotes de la police officiant dans ces quartiers, la bien connue "BAC", qu'on rappelle être responsable de la plupart des violences policières recensée. Un "mal nécessaire", apparemment ... Le récit raconte aussi bien la violence policière, que ce soit dans les faits (violence physique, mutilation, blessures ...) que dans les mots (insultes, racisme, délit de faciès ...). La BD est récente mais son propos s'enracine dans les années 2000, avant Sarkozy et avant les attentats. La postface développe un peu cet aspect mais il me semble qu'il y aurait énormément à dire. La BD pose une question assez cruciale sur ce que sont nos forces de police. En l'état, ça semble surtout être devenu un maintien de l'ordre au service du pouvoir, qui use de violence pour accentuer et conforter des positions sociales défavorables (quartiers populaires, immigrés, musulmans ...), le tout au service d'une idéologie dévalorisante pour eux. Ce qui amène à des prises de position politique ... Un pays qui finit par craindre sa police, ça n'apporte rien de bon en général. Mais la BD rappelle que c'est aussi une partie de ceux qui composent les agents de police. La BAC semble être bien dispensable, par rapport à tout ceux qui veulent réellement avoir un métier au service des autres. Un documentaire qui n'apprendra pas grand chose à ceux qui se sont déjà intéressés par le sujet de la police, mais qui permettra sans doute à des personnes assez peu concernées par ces sujets de se rendre compte de l'ampleur de ce problème.

02/10/2024 (modifier)
Par Emka
Note: 2/5
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Cet album met à portée de tous un travail d'enquête ethnographique dense avec un médium plus populaire (bien joué le concept d'album ethno-graphique) Sur le fond c'est intéressant même si je m'interroge sur la vraie dimension scientifique du travail. Si je suis d'accord avec l'auteur, ca ne m'empêche pas de trouver que cela peut manquer d'objectivité et de rigueur. Un exemple page 94, constater que le durcissement des pratiques répressives est concomitant du creusement des disparités économiques n'implique pas scientifiquement que le renforcement de l'action policière a été préféré aux mesures de justice sociale. Comparaison n'est pas raison. Avec ce type de raisonnement on pourrait aussi déduire que c'est lié à la reproduction d'un scarabée en Amerique du Sud. Je suis toujours surpris par ce manque de rigueur chez les universitaires... Je ne suis pas un grand fan du style de dessin utilisé par Jake Raynal qui manque je trouve de précision. Ca me va dans un Fabcaro mais moins ici, compliqué de reconnaître certains protagonistes publics. La colorisation par contre, très sombre et contrastée fonctionne bien avec le sujet. Je le conserverai dans ma bibliothèque comme le témoignage d'une époque qu'il sera intéressant de relire d'ici quelques dizaines d'années.

03/06/2024 (modifier)
Par Titanick
Note: 4/5
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Plus d’un an d’immersion dans le quotidien des brigades de la BAC. C’est quand même édifiant de voir le fonctionnement quasi irrationnel de ces brigades censées maintenir l’ordre en opérant le maximum de flagrants délits possibles. Et comme évidemment, les affaires ne tombent pas toutes cuites et qu’il faut quand même assurer un quota d’interpellations, il ne reste qu’à provoquer le délit, voire à l’inventer. Et quoi de mieux pour ce faire que les quartiers défavorisés où vivent des populations qui auront du mal à se défendre juridiquement. L’enquête est vraiment bien menée. On sent le professionnalisme du chercheur qui observe, écoute les agents, mais n’intervient ni ne commente directement face aux intéressés pour garder le plus intact possible son sujet d’étude et éviter toute interférence. L’ouvrage est bien fait, il montre bien les mécanismes qui engendrent ces dysfonctionnements au sein de ces unités. Le découpage rend l’enquête aisée à suivre et le dessin est parfaitement adapté, simple et efficace. J’aime ce genre de documentaire. Le support de la bd me permet de lire un nombre d’ouvrages pour lesquels je n’aurais jamais eu le temps d’y consacrer la lecture des essais complets. Même si j’imagine que le propos est forcément condensé, il offre quand même une information plus poussée et surtout différente de celle de médias audiovisuels.

20/01/2023 (modifier)
L'avatar du posteur Noirdésir

Cet album est une sorte de « digest », de revisite du travail sociologique réalisé par Didier Fassin. Sans doute le passage au médium BD va-t-il donner une plus forte visibilité à son propos. Ce qui serait souhaitable, tant les faits décrits sont graves, et, hélas, encore plus d’actualité près de quinze ans après la parution de son livre. Plusieurs travers sont passés au crible : le désœuvrement porteur d’ennui et de réactions violente de pas mal de membres des BAC (qui sont au cœur de cette enquête), la « politique du chiffre » insufflée depuis Sarkozy (on va ainsi privilégier les flagrants délits de trafic et consommation de drogue, les contrôles de sans papiers potentiels) et, ce qui découle du précédent point, un racisme bien ancré, auquel s’ajoute un contrôle social : ce sont les quartiers défavorisés qui subissent le harcèlement régulier, les contrôles souvent illégaux, les insultes racistes, avec comme corollaire le développement des plaintes pour « outrage » lorsque les jeunes visés n’obtempèrent pas. J’ai travaillé une douzaine d’année dans des « quartiers sensibles », et je peux directement témoigner de cette politique raciste et violente de la part de certaines unités d’intervention (BAC en tête), par les témoignages que je recueillais des jeunes à qui j’enseignais, mais aussi par certaines interventions scandaleuses auxquelles j’ai pu assister. L’enquête montre bien que le développement des inégalités, le passage dans le droit commun de mesures d’exception relevant auparavant de l’état d’urgence, ont renforcé une gestion répressive, violente, des inégalités et des mouvements contestataires qu’elles entretiennent. Les auteurs montrent aussi que certains policiers refusent cela, mais les unités de la BAC concentrent les plus déterminés « à en découdre » avec une jeunesse souvent issue de l’immigration, pauvre, éloignée de ce qu’ils ont connu (beaucoup des policiers qui interviennent ne connaissent pas les cités de banlieue avant d’y être affectés). Le fossé se creusant entre la police et certains citoyens peut pourtant être comblé. Mais il faut une réelle volonté politique, changer les discours, et surtout travailler sur les causes : il est clair que si les habitants des quartiers huppés avaient droit au même traitement (contrôles au faciès, propos racistes, familiers, non-respect de la présomption d’innocence voire simplement de la loi), si l’on mettait proportionnellement autant de moyen à lutter contre la délinquance en col blanc, la fraude fiscale, la consommation de drogue dans les beaux quartiers, la justice sociale serait sans doute plus réelle. Et le rôle de la police plus juste et compris par tous. Le dessin de Raynal est bon, efficace. Mais je ne sais pas s’il est adapté à ce genre de récit. Très statique, à mi-chemin entre le Fabcaro dernière manière et Vivès, il accentue une certaine déshumanisation – après tout c’est peut-être volontaire ? La colorisation, très sombre, et sans trop de nuances, est, elle, raccord avec le sujet, et bien vue.

10/11/2022 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5
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Un documentaire très intéressant sur l'état de la police en France au cours des années 2000. J'avoue qu'en tant que non-français j'aurais bien aimé qu'on pousses un peu plus l'historique de l'histoire de la police, notamment tout comment l'enterrement de la police de proximité à causer bien du tort semble-t-il, mais cela reste tout de même un bon documentaire malgré ce détail. J'ai bien aimé que l'anthropologue-sociologue a pu faire son enquête sur le terrain en suivant des policiers pendant plusieurs mois, cela permet de montrer la réalité avec des faits et non juste des idées/clichés sur la situation de la police. On voit les dérives d'un système censé protéger les citoyens, notamment pour cette unité spéciale dont l'agissement de ses membres fait froid dans le dos. On voit aussi que tous les policiers ne sont pas des gros racistes, mais qu'ils sont impuissants pour stopper les abus de leurs collègues de travails. Bref, c'est remplis d'informations sur le corps policier et j'ai trouvé que c'était passionnant à lire. Le dessin est correct même s'il est un peu froid, mais bon cela m'embête moins dans le cadre d'un documentaire que dans une œuvre de fiction.

15/01/2022 (modifier)
Par Ju
Note: 4/5
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Cette bd est l'adaptation d'un essai publié en 2011 par Didier Fassin, sur les brigades anti criminalité, les Bacs. Ce qu'il y décrit m'a fait personnellement froid dans le dos, même si le sujet a été pas mal documenté depuis. Je me doutais que ça se passait comme ça, mais le voir est autre chose. Ce qui ressort clairement, c'est que les membres des Bacs sont totalement désoeuvrés. Fassin nous décrit ici des hommes (je n'ai vu aucune femme de la Bac) qui sont venus pour de l'action, pour "faire comme Vic Mackey, le héros de la série télévisée "The Shield"", ainsi qu'il est dit dans la bd. Mais ils se retrouvent à patrouiller en arrivant toujours trop tard, et se retrouvent à faire avec ce qu'ils ont sous la main ; donc des interpellations sans fondement, de la provocation pour envenimer des situations, parfois (souvent voire toujours dans ce qui est montré) en se basant uniquement sur la couleur de peau des jeunes passants. A la sortie de la lecture, j'avoue qu'on se demande bien à quoi servent ces unités, à part faire du chiffre d'interpellations. On voit une fois où ils interrompent un délit (voiture volée), et un policier dit lui même qu'en plusieurs années, il n'a eu qu'un seul flagrant délit de cambriolage. Pour des unités qui sont en principe destinées au flagrant délit, c'est problématique. Et ça montre tous les problèmes de la "politique du chiffre", des interpellations sans fondement pour remplir les chiffres. Le pire, c'est que les responsables policiers ne semblent pas à l'aise et d'accord avec les pratiques de la Bac. Mais difficile de faire bouger les choses dans des unités très autonomes qui ont même le droit d'avoir leur propre blason, chose qui me parait personnellement inconcevable pour des représentants de l'Etat et d'une police qui doit être au service des citoyens. Dans ce cadre, voire un policier avec un blason tête de mort ou représentant une main prête à faire tomber la foudre sur des immeubles me parait aberrant. Cette étude date du milieu des années 2000, et difficile de croire à de réelles évolutions depuis. Les mouvements actuels partis des situations aux Etats Unis aideront peut-être à une réflexion et une évolution de certains comportements policiers. Mais il convient aussi de se rappeler que les rapports Belorgey et Bonnemaison qui prônent une police de proximité datent des années 80, et que celle ci a été abandonnée en France en 2003, juste avant cette enquête, qui montre les échecs de cette politique de répression, qui crée un fossé énorme entre les populations et les policiers. Ce fossé est d'ailleurs très bien montré dans la bd : "ils ne nous aiment pas, on ne les aime pas". Vu l'état des relations entre population et policiers encore aujourd'hui, et les tensions que cela crée, il ne me paraitrait pas saugrenu de tenter autre chose, encore plus à la lecture de cette bd. Il ne s'agit pas de tout changer, d'ailleurs Fassin nous dit bien que tous les policiers n'ont pas les pratiques abusives de la Bac, et que tous les habitants ne sont pas "contre" la police. Mais si on ne veut pas que le fossé devienne totalement creusé (si ça ne l'est pas déjà), il me parait urgent de changer plusieurs choses. En ce qui concerne la bd en elle même, j'ai trouvé le sujet très intéressant et passionnant. Néanmoins, l'ennui que ressentent les policiers se transmet parfois au lecteur. Je m'explique : Les situations auxquelles font face les policiers ne sont franchement pas passionnantes, et plusieurs nous sont décrites. Et du coup, on se retrouve à avoir 3 ou 4 pages sur des situations semblables : les policiers s'ennuient, ils cherchent la petite bête, parlent mal à des mecs qui, parfois réagissent, parfois non. C'est un peu ennuyant à lire car il ne se passe rien. Mais la répétition des scènes permet de voir le desoeuvrement des policiers et la répétition de leurs pratiques limites. Donc personnellement, ma lecture n'a pas été passionnante mais la réflexion qu'elle apporte l'est. Graphiquement, je n'ai pas grand chose à dire. Le style est maitrisé mais je n'en suis pas particulièrement fan, les personnages me rappellent parfois ceux de Vivès, dans la forme de leur corps et de leur visage. La colorisation est assez sombre, comme pour rappeler que le sujet l'est aussi. Il faut aussi dire que beaucoup de scènes se passent la nuit. Un ouvrage que je conseille de lire, que ce soit la bd ou l'essai qui est paru en 2011.

17/02/2021 (modifier)