Clairette

Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)

À la fois intrigue policière et histoire sentimentale, Clairette a été crée en 1956 par Jean-Michel Char­lier et Albert Uderzo pour un hypothétique Supplément Illustré. Cette bande dessinée en noir et blanc sera finalement publiée, entre 1957 et 1958, dans le journal Paris-Flirt, au milieu de dessins légèrement coquins et d'autres séries de bandes dessinées.


Albert Uderzo Charlier Les petits éditeurs indépendants Secrets de famille... Séries avec un unique avis

L'histoire débute lorsque la mère mourante de Clairette lui avoue l'existence de son demi-frère. Celui-ci inconnu de Clairette doit hériter d'une fortune considérable. La mère de Clairette lui demande de le retrouver. Mais une infirmière a surpris cette confidence. Elle convainc, Polo, un mauvais garçon, de jouer le rôle du demi-frère. Clairette pourra-t-elle déjouer tous les pièges ? Retrouvera-t-elle son demi-frère ? Trouvera-t-elle l'amour dans les bras de Jacques Le Gall ? (texte éditeur)

Scénario
Dessin
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 19 Juin 2009
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Clairette © Sangam 2009
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)
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04/05/2021 | Josq
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Par Josq
Note: 4/5 Coups de coeur expiré
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Charlier et Uderzo, à mon avis deux des plus grands auteurs que la bande dessinée franco-belge ait connus, ont très souvent collaboré ensemble, mais nombre de leurs œuvres sont encore méconnues du grand public, faute de rééditions massives par de grands éditeurs. Il ne faudrait pas croire pour autant que leurs œuvres non publiées sont moins bonnes que leurs plus connues, et cette bande dessinée éditée à petit tirage par les éditions Sangam (qui ont également édité Kim Devil du même Charlier - mais avec Forton au dessin - avant de disparaître des écrans radar) est là pour nous le prouver. Initialement, cette série avait été conçue pour être publiée dans Le Supplément illustré, projet de supplément aux grands titres de journaux que Goscinny, Charlier et Uderzo voulaient monter. Ils réussirent à obtenir toutes les autorisations nécessaires, mais le projet ne vit finalement jamais le jour pour une raison vraiment bête : cette formule d'un supplément indépendant aux grands titres de presse aurait dû imposer aux marchands de journaux d'effectuer eux-même le geste consistant à glisser ce supplément dans le journal partenaire lors de l'achat par les clients. Les marchands acceptèrent... moyennant vingt centimes par encartage, invalidant ainsi tous les calculs du trio d'auteurs, qui ne put donc jamais concrétiser ce beau projet de démocratiser la bande dessinée en la joignant aux plus grands quotidiens d'information. Malgré tout, de tous les projets destinés à ce Supplément illustré, Clairette fut le seul à pouvoir survivre dans les pages d'un journal coquin de l'époque, Paris Flirt (qui explique que le peu d'images de Clairette en bikini dans la BD ait pu passer malgré une censure très restrictive à cette époque). Avant Tanguy et Laverdure et après Belloy, il faut donc caser Clairette, dont le style très réaliste est à rapprocher bien plus de la future série d'aviation que du pastiche médiéval au style encore très américanisé. En effet, le trait d'Uderzo est plein de délicatesse et touche toujours très juste, nous faisant entrevoir toute l'âme des personnages au travers de visages aux expressions d'une finesse qu'Uderzo lui-même a rarement reproduite à ce point. La taille des cases et des textes empêche en revanche le dessinateur de s'attarder sur les décors, ce qui peut être un peu dommage, mais nous ramène toujours aux personnages, situant ainsi bien le drame à une échelle totalement humaine. Car bien plus qu'un simple thriller ou une romance, c'est avant tout à un drame humain très fort que nous fait assister Charlier. Faisant cohabiter la romance et le thriller à peu près à égalité, il nous livre ainsi une œuvre d'une belle puissance mélodramatique. La mort est présente dès les premières pages de cette bande dessinée, et le reste n'est pas toujours plus joyeux, puisqu'elle nous montre Clairette être victime d'une arnaque franchement violente (se faire passer pour un demi-frère disparu il y a trente ans en profitant de la mort accidentelle d'une mère, c'est quand même pas joli, joli...), résister aux avances d'un homme un peu trop entreprenant (une scène d'une belle modernité où Clairette montre une indépendance de caractère et une force rarement présente chez ce genre de personnages à l'époque), devenir le bouc émissaire bien solitaire d'un tas de personnes qui croient fermement à sa culpabilité (les uns sincèrement, tandis que les autres non). Bien sûr, rien de tout ça n'est très osé vu d'aujourd'hui, mais pour l'époque, ça sort pas mal des codes habituels du genre, mine de rien... Ainsi, Clairette peut s'appuyer sur une intrigue d'une force toute propre à Charlier (dont le pic émotionnel fut atteint à mon avis dans le premier dyptique incroyable de Tanguy et Laverdure), créant des passages d'une intensité rare et d'une réelle émotion. Alors qu'on aurait pu s'attendre à des flots de mièvrerie dû à l'aspect romantique de l'histoire, Charlier ne bascule que très rarement dans ce piège, grâce à des péripéties habilement montées. Ainsi, quand Clairette et son love interest (étrangement appelé... Jacques Le Gall !) se séparent, hésitent et cherchent à revenir l'un vers l'autre, Charlier habille tout cela avec un art consommé, justifiant pleinement chacun de ces actes par son intrigue policière. Et de fait, l'interaction entre l'intrigue policière et l'intrigue romantique est extraordinairement bien mise en avant. Aucun personnage n'agit de manière outrancière pour faire avancer le scénario, aucune coïncidence énorme ne vient décrédibiliser l'histoire générale (il y a une seule grosse coïncidence qui débarque à la fin, mais bon, ça n'invalide rien de ce qui s'est passé jusqu'alors), même les méchants agissent intelligemment ou en tous cas en toute cohérence avec leur plan et le caractère de chacun d'entre eux. Cela permet à Charlier de tisser un filet qui se resserre très étroitement autour de son héroïne, nous la rendant d'autant plus attachante, surtout dans le climax, assez dur à supporter si on a réussi à s'impliquer auprès des personnages. Bref, ni vraiment romance, ni vraiment thriller mais pourtant chacun des deux à part entière, Clairette manie chacun des deux registres à la perfection, les entremêlant pour nous donner un résultat qui démontre tout le génie de Charlier, magnifié par celui d'Uderzo. Dense et complexe, mais jamais bavard et incompréhensible, Clairette est un modèle de narration et d'équilibre, digne de la meilleure époque du film noir hollywoodien, et qui devrait inspirer tous les auteurs qui s'essayent au genre si casse-figure du mélodrame. Mais bon, pour cela, il faudrait que cette pépite soit un peu moins rare et un peu moins inatteignable (le prix des quelques tomes mis en vente sur internet va du très cher à l'aberration la plus complète). Il serait pourtant normal que cette belle histoire puisse s'ouvrir à un public un peu plus large que les collectionneurs les plus fous et les admirateurs les plus inconditionnels de ces deux auteurs...

04/05/2021 (modifier)