Iris, deux fois
Un drame littéraire intimiste et troublant qui nous donne à réfléchir sur la question du choix et de ses conséquences, sur notre condition sociale et sur la fragilité du principe de réalité…
La BD au féminin Les petits éditeurs indépendants Romanciers et Monde littéraire
Iris a réussi sa vie : trois romans plébiscités, un mari éditeur attentionné, un appartement confortable au cœur du Quartier latin… Et pourtant, alors qu’elle s’apprête à recevoir un important prix littéraire, un mauvais rêve vient assombrir ce bonheur sans nuage. Chaque matin, elle se réveille avec la très nette sensation de vivre, la nuit, la vie d’une autre version d’elle-même, un double déchu, abîmé, au bord du gouffre, une Iris des mauvais choix et des galères, une Iris de la France d’à côté. Et si ce cauchemar n’en était pas un ? Si cette vie d’écrivaine à succès n’était qu’une illusion ?
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Date de parution | 03 Février 2021 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Après Le Mystère Henri Pick, c’est la seconde série que je lis récemment se déroulant dans le milieu de l’édition, en l’égratignant – un peu. Même si, ici, ça n’est pas forcément le cœur du sujet. En même temps que l’héroïne, autrice rêvant chaque nuit d’une autre elle-même à la destiné moins rose, vivant un enfer personnel, alors qu’elle est épanouie socialement, Anne-Laure Reboul nous propose une histoire double, parallèle, avec deux récits qui s’imbriquent de plus en plus. Et surtout qui s’enchevêtrent au point que l’Iris qui au départ semble vivre l’enfer, va peu à peu supplanter celle qui se croyait au paradis. On ne sait pas ce qui relève du rêve ou de la réalité au bout d’un moment. De la même façon, tout le côté artificiel de l’Iris « réelle » éclate, alors que l’Iris « rêvée », dans le dur mais avec plus de niaque, va s’avérer brillante romancière, le couple de l’Iris rêvée battant de l’aile. Bref, les rôles s’inversent de façon inattendue, mais ce basculement est bien amené. Un scénario simple, mais quand même assez roublard pour nous faire accepter ces deux Iris, sans faire appel à un fantastique frelaté. C’est une lecture rapide, mais plaisante.
Intéressante et légèrement troublante cette idée d'une femme qui se rêve toutes les nuits dans la vie qu'elle aurait pu avoir si elle avait fait un choix différent une quinzaine d'années auparavant. On parle là d'une romancière bien installée dans sa vie de couple parisienne qui commence à connaitre pour de bon le succès et la célébrité, et qui se rêve dans une vie sordide avec un mari alcoolique et un enfant idiot. C'est d'autant plus angoissant pour elle que loin d'être un simple cauchemar, elle ressent pour de bon cette autre vie en détails, comme la réalité, et elle sait que c'est vraiment ce qui aurait pu lui arriver si elle n'avait pas quitté cet amant alcoolique à l'époque. Au point que ni elle ni le lecteur ne sait bientôt plus qui rêve qui, quelle vie est réelle, si l'une est plus réelle que l'autre. La vision sinistre de l'Iris qui a raté sa vie est la plus marquante car elle est parfaitement crédible, écœurante et désespérante. Son mari en particulier est bien rendu, à la fois pitoyable et détestable, éloigné du cliché du poivrot violent mais tout aussi haïssable par son côté culpabilisant et manipulateur. On ressent parfaitement comment la femme est prise au piège, vivant avec un être qui la révulse et en même temps bloquée là à cause de cet enfant qu'elle a eu avec lui et pour qui elle a besoin de lui. Son autre vie aussi se révèle intéressante. Malgré son aspect lisse de départ, l'auteur nous ouvre les yeux sur sa relative superficialité et l'héroïne en vient à se demander qui est la véritable elle-même, si l'âme de celle qui a souffert n'est pas une version plus profonde, plus authentique et forte de son être. A cela s'ajoute une réflexion sur la production artistique, littéraire dans ce cas précis, qui se nourrit de ce trouble et cette double vie. Intéressant et bien mené.
Gros, gros, gros coup de cœur pour cet album ! Décidément, j’aime beaucoup le travail de ce petit éditeur (Sarbacane). Le récit s’articule autour de deux idées qui me parlent énormément. D’un part, une question existentialiste que les mathématiciens explorent avec le monde quantique. Et si la vie que nous vivons n’était qu’une possibilité de vie ? Et si notre destin avait été tout autre ? Et si d’autres réalités de nous coexistaient dans des mondes parallèles ? Qu’est-ce qui détermine ce que nous sommes ? La chance ? Le hasard ? Une ‘destinée’ immuable ? N’allez pas croire qu’il s’agit d’un récit prise de tête ! Bien au contraire, sa lecture est très aisée mais les autrices posent de bonnes questions sur le sujet et nous permettent de nous interroger à notre tour sur cette idée : quelle aurait été notre vie si… ? La dimension fantastique en devient secondaire (d’ailleurs, y a t’il seulement une dimension fantastique ou est-ce là la simple réalité quantique de nos existences ?) Deuxième thématique : le processus de création (ici littéraire). Qu’est-ce qui rend une œuvre forte ? Le confort nuit-il à la création ? Faut-il souffrir pour créer ? Un thème déjà abordé dans « Bluesman (Ariño) » que j’ai lu il n’y a pas si longtemps et qui revient ici dans un autre contexte mais avec toujours autant de pertinence. Ces deux thématiques entremêlées sont portée par un personnage au bord de la crise de nerf (voire au-delà), Iris, forte et fragile à la fois. Un très beau personnage féminin qu’un double éclairage humanise merveilleusement. Ce personnage m’a touché dans ses interrogations comme dans ses pétages de plomb. J’ai dévoré ce récit même si je suis moins convaincu par la forme. En effet, le découpage est parfois excessif. Certains enchainements de cases auraient gagnés en rythme si au lieu de tenir en trois cases, ils avaient été concentrés en une seule. Le dessin est parfois un peu figé et ne dynamise pas ce récit… Mais en fait, je me fiche bien de ces petits détails techniques de pinailleur qui aime chercher la petite bête. La vérité est que j’ai été touché par cet album et que je l’ai dévoré sans pouvoir le lâcher. Gros coup de cœur du moment et un 4/5 amplement mérité.
Dès les premières pages, le malaise s’installe. Le quotidien glauque du double cauchemardé d’Isis, l’écrivaine qui a réussi, saisit le lecteur avec une note de dégoût. Ce double, c’est Osiris, modeste employée de supermarché, qui se réveille aux côtés de son mari éthylique, qu’elle ne supporte plus et qui vient de souiller le lit conjugal de ses excréments. Le quotidien d’Osiris va ainsi s’immiscer subrepticement dans la vie feutrée et voluptueuse d’Isis. L’enfer de l’une contaminant le paradis de l’autre. Peu à peu, Isis va perdre pied sous les coups de boutoir de sa jumelle ratée, création de ses rêves noirs qui surviennent chaque nuit depuis quelques temps. Ce n’est pourtant qu’un rêve, mais ce rêve semble si réel, si perturbant de réalisme, qu’il va bousculer et atteindre Isis psychologiquement, provoquant chez elle une totale remise en question, alors même que son roman vient d’obtenir le prix Renaudot. Le lecteur, lui aussi, se laissera prendre au jeu de cette histoire au pitch original, où les univers de deux femmes de condition sociale très éloignée, l’une réelle, l’autre fictive, vont s’entrechoquer, avec une incursion discrète du fantastique mâtiné de considérations philosophico-scientifiques sur les dimensions parallèles. Pour ce drame intimiste, la scénariste Anne-Laure Reboul utilise des clichés sociologiques pour mieux bâtir un récit en forme de parabole d’une France divisée. D’un côté la France périphérique des invisibles, celle des Leclerc et autres Carrefour défigurant uniformément les abords du moindre bourg provincial, cette France paupérisée et « réfractaire ». De l’autre, la France aisée, snob et égocentrique qui pète dans la soie et s’épanouit dans les cocktails mondains de la capitale. En quelque sorte, cette histoire raconte la France des Gilets jaunes bousculant les états d’âme de la France des « bobos », la France « d’en bas » saccageant les nuits de la France « d’en haut », ce qui n’arrive jamais dans la réalité. S’il n’est pas question de faire de « Iris, deux fois » un plaidoyer politique pour l’égalité des chances, la narration est plutôt captivante et plutôt bien menée malgré quelques longueurs, mais c’est peut-être surtout la conclusion qui déçoit, laissant le lecteur dans une sorte de flou un peu frustrant qui vient déséquilibrer ce bel échafaudage. On attendait peut-être quelque chose de plus marquant, de plus radical, comme aurait pu le suggérer l’introduction en particulier. Le dessin est assuré par Naomi Reboul, la sœur. Si le trait est un peu sommaire, on appréciera le travail sur le cadrage et les postures très réalistes des personnages, ainsi que l’aquarelle qui renforce agréablement l’atmosphère intimiste du récit. En résumé, « Iris, deux fois » est une mise en abyme plutôt plaisante, un récit-miroir qui nous interroge sur la possibilité d’un double de nous-mêmes, winner ou loser selon les cas, une histoire de gémellité et de connexions mystérieuses, conçue par deux frangines très ressemblantes. A défaut d’une fin tout à fait satisfaisante, l’ouvrage fascine et donne à réfléchir, accréditant l’idée que depuis toujours, c’est l’écriture qui sauve les âmes des tourments liés à la condition humaine.
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