Le Droit du sol

En juin 2019, Étienne Davodeau entreprend, à pied et sac au dos, un périple de 800km, entre la grotte de Pech Merle et Bure.
Davodeau Documentaires Énergie nucléaire Environnement et écologie Marche et randonnée
Des peintures rupestres, trésors de l'humanité encore protégés aux déchets nucléaires enfouis dans le sous-sol, malheur annoncé pour les espèces vivantes. Étienne Davodeau, sapiens parmi les sapiens, interroge notre rapport au sol. Marcheur-observateur, il lance l'alerte d'un vertige collectif imminent et invite à un voyage dans le temps et dans l'espace. De quelle planète les générations futures hériteront-elles ? Qu'allons-nous laisser à celles et ceux qui naîtront après nous ? Comment les alerter de ce terrible et réel danger pour leur survie ? Il est de notre responsabilité collective d'avancer sur les questions énergétiques pour protéger la "peau du monde". Dans cette marche à travers la France, il est parfois accompagné d'amis, de sa compagne, mais aussi de spécialistes, qu'il convoque sur ces sentiers pour qu'ils nous racontent l'histoire unique du sol de notre planète, ou encore celle du nucléaire et de ses déchets, dangereux pendant plusieurs centaines de milliers d'années. À la marge du témoignage et du journalisme augmenté, le Droit du sol marque le grand retour d'Étienne Davodeau à la bande dessinée de reportage.
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Date de parution | 06 Octobre 2021 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis


Je découvre avec stupeur que ce beau roman graphique est particulièrement mésestimé ici. En fait, je m'en attriste mais ne m'en étonne guère : les BD un peu engagées, contredisant les pensées dominantes sont généralement dénigrées pour leur soi-disant parti-pris militant. Regard critique sur le parti-pris souvent oublié lorsque les points de vue défendus sont ceux majoritaires. (D'où la nécessité de cet avis très tardif, ma lecture ayant eu lieu il y a sans doute plus de 2 ans.) Nous avons là le pendant rigoureux et important au dogmatique Le Monde sans fin du duo Blain-Jancovici. Sur le sujet du nucléaire, il est impensable de ne lire que le second sous peine d'avoir une vision bien trop pro-nucléaire des choses. Oui, les violences policières, la problématique insoluble de l'enfouissement des déchets, le retour historique sur ce qui a été (mal) fait jusqu'à présent, la terrifiante inconnue du démantèlement des centrales en fin de vie, etc. seront évoqués, avec une tendre mise en perspective poétique via la comparaison avec les peintures rupestres. C'est beau, important et certes un peu didactique donc parfois fastidieux.


C'est en lisant ce genre d'ouvrages que la BD vaut d'être qualifiée comme efficace, populaire, ludique et puissante. Avec une telle écriture, facile de retenir les différents messages dégagés par le récit. Un récit à la fois initiatique et méditatif, où le lecteur paresseux parvient à suivre sans difficultés la marche de Davodeau et l'évolution de ses pensées. Factuellement sur le dessin, 90% des cases sont composées d'un ou deux être(s) humain(s) qui marche(nt). Pourtant, chaque planche apporte quelque chose de nouveau. Factuellement toujours, la totalité de l'ouvrage est fait de nuances de gris. Mais là encore, j'arrive à voir des couleurs partout. C'est fascinant l'aspiration au voyage que cette BD peut susciter en moi. C'est vu comme simple, accessible, "démocratique" comme nous dit l'auteur : il suffit de marcher. Voilà avant de parler du fond du sujet, je voulais déjà commencer par remercier l'auteur pour cette approche graphique, vraiment. Elle n'est pas sans défauts, les mains sont souvent biscornues, les corps de temps en temps aussi... Mais qu'importe, ça ajoute du charme et cela nous laisse penser que l'auteur n'a pas ou très peu retouché ses croquis pendant son périple. Le trait fin, le remplissage subtil et la douceur de contraste entre les différents gris m'ont aidé à être transporté. Il y a une grosse part de parcours initiatique. Ca n'est pas pour me déplaire, mais je déplore certains passages, où je trouve que l'auteur met trop en avant la pseudo-idiotie des individus qu'il croise furtivement. Y'a un décalage de vision de "l'auteur-artiste" je trouve: car son projet personnel est un petit luxe tout de même, et non pas une simple ballade démocratique. Je m'explique : on dirait que Etienne Davodeau reproche aux gens de ne pas être inquiets sur ce projet d'enfouissement et sur ce que cela implique pour le sort de l'humanité. On rencontre plusieurs exemples: la première personne rencontrée dans le récit, la fois où il croise des jeunes avec un écran devant la tronche, le commerçant hébété... Cette juxtaposition de scènes me fait penser que l'auteur ne cible pas le problème de fond, qui est celui de la médiatisation (peu et mal diffusée). Mais ce thème est effleuré en tout fin d'album seulement. Aussi, je ne suis pas complètement d'accord avec l'auteur sur la prétendue simplicité de marcher. En vérité, je trouve que c'est un luxe que d'avoir le temps pour se documenter, marcher plusieurs centaines de kilomètres et ainsi réfléchir à des questions existentielles, etc. Tout ça, c'est proche de l'activité philosophique. Ce reproche est léger hein, mais du coup je trouve ça un poil vicelard. A sa place, j'aurais certainement fait 1.000 fois pire évidemment. En tout cas sur l'approche, je préfère clairement Saison Brune où l'auteur, Philippe Squarzoni, écrit et assume complètement les contradictions entre ses principes et ses actes, comme nous tous. Ici, j'ai l'impression que Etienne ne se juge pas lui-même et juge trop facilement les autres (ce qui entache le principe d'introspection que l'on recherche à travers ce voyage). De la grotte de Pech Merle à Bure, ça fait une sacrée trotte. Aussi je suis bien content de découvrir l'itinéraire de l'auteur juste avant de fermer le bouquin, en annexe. Tout au long de son périple, Etienne Davodeau met en scènes ses entretiens avec différents acteurs, que je classerais en trois catégories. 1) Les acteurs anti-nucléaires, allant du chercheur à l'activiste. Et l'auteur est très clair sur sa ligne de conduite et précise qu'il ne souhaite en aucun avoir une approche impartiale sur son bouquin. Naturellement chez moi, je suis toujours un petit peu frustré de ne pas avoir la photo complète des différentes positions. Mais bon, j'ai qu'à chercher le reste ailleurs aussi! Les entretiens sont super intéressants, et terminer avec Joël permet d'avoir un épilogue franchement réussi : une approche terre-à-terre et concrète qui indigne. 2) Les scientifiques (sémiologues, chercheurs) et historiens. Cette catégorie m'a franchement fait plaisir intellectuellement, je sors grandis des échanges que l'on y trouve. Et surtout des questions qui y sont posées. Et dont on ne sait pas les réponses. A première vue, je me disais que les thèmes abordés étaient originaux, alors que c'est le b.a.-ba de ce projet plurimillénaire : la logistique, le stockage de nos connaissances... Bref, comment qu'on fait pour pour ne pas faire tout capoter ? Pensez donc: 100.000 ans. C'est la durée de vie de dangerosité sévère d'un déchet radioactif issu d'une centrale nucléaire. Donc sérieusement: comment peut-on transmettre cette gestion sans tout faire péter ? Impuissant pour répondre à cette problématique, il est par contre facilement convenu de dire que tous les décideurs publiques et privées s'engagent dans une politique d'aveuglément sur l'avenir. Alors que l'ANDRA affiche fièrement en page d'accueil de son site web : "Gérer les déchets radioactifs français pour protéger les générations présentes et futures". L'ANDRA prend cher (Agence Nationale pour la gestion des Déchets Radioactifs), CIGEO prend cher (organisme porteur du projet), et les présidents de la cinquième république prennent chers également. Tous. 3) les proches (femme, copains). On retourne sur la partie intime de l'auteur. Un peu plus en retrait pour moi, je retiens moins ce passage (j'ai même publié mon avis dans un premier temps sans l'avoir abordé) pourtant il apporte un moment paisible et amusant qui est vraiment la bienvenue. Ce sont des passages qui sont aussi importants pour que l'auteur exprime ses ressentis et réflexions. Une chose qui m'embête. Comme toujours, il est essentielle de mettre en avant les erreurs du passé qui se répètent (construction de notre dépendance à l'énergie nucléaire), et j'accepte facilement que le livre soit partial, d'autant que je me trouve dans le même camp que l'auteur. Cependant, il m'est pénible de ne pas lire un passage qui explique les autres solutions qui étaient possibles dans les années 60, ni même les solutions alternatives actuelles. C'est facile et convenu de critiquer les mauvaises décisions du passé, mais c'est tout de suite plus complexe lorsqu'il s'agit de rappeler les autres solutions de l'époque qui étaient à la fois possibles (technologiquement) et plus propres (écologiquement, éthiquement). Et ça manque ici. Et ce problème de base en génère un autre. Comme il n'y a aucun éclaircissement sur les solutions, il y a toujours le risque d'alimenter une certaine névrose. Et les magnifiques dessins de paysage ne suffisent pas pour rééquilibrer la balance. Aussi j'interprète que: les décideurs (privés/publics) gardent la mainmise à ce sujet et cette politique obscurantiste nous foutra tous dans la merde. Bon, déjà ça calme mais ok, c'est une réalité. Ensuite, l'auteur fait intervenir des acteurs pour se concentrer sur une question à laquelle, finalement, personne ne peut répondre. Et là, en tant que lecteur ayant déjà lu Saison brune, je fais une fusion de toutes les idées dégagées par ces 2 bouquins, et c'est l'angoisse. En définitive, je salue carrément le travail d'Etienne Davodeau et je ne pense pas vouloir fermer les yeux sur la réalité en disant ça, mais il faudrait arrêter de montrer qu'il n'y a toujours eu qu'un sens unique dans notre histoire, et qu'il n'y en aura qu'un seul pour notre avenir. Joël est le symbole de la lutte, chose essentielle, mais il ne représente pas non plus cet "autre avenir possible". Et ça, ça manque aussi. Un superbe récit, très ludique, qui peut définitivement vous permettre de conforter votre position au sujet du nucléaire et son principal défaut. Cette BD ne donne pas une photo complète de la problématique mais l'approche est très intéressante. Aussi je retiendrai beaucoup l'amour simple que l'auteur dégage pour la randonnée. Un vrai bonheur de suivre cette balade. Pour cette audace, je monte à 4/5.


Ma copine a pu m'emprunter cette BD à la bibliothèque de sa fac, et j'en suis bien content parce que le sujet m'intéressait beaucoup, avec les nombreux débats autour du nucléaire qui sont plus présents aujourd'hui entre anti et pro. Des débats animés qu'il me semble important d'avoir, au vu de ce qui est produit par le nucléaire en compensation de notre énergie. Davodeau parle ici de l'industrie nucléaire mais surtout de la façon dont l'homme occupe son environnement. En traversant à pied une partie de la France, partant de cette grotte aux peintures si anciennes, on traverse une France rurale, propice aux réflexions introspectives et aux discussions qu'il a eu avec divers protagonistes de la question. Et effectivement, le nucléaire en prend pour son grade (même s'il avoue ne pas avoir interrogé des pro-nucléaires, estimant que leur avis est déjà largement assez diffusé). Ce que je retiens surtout de tout cela, c'est que dans le débat pro et anti-nucléaire, très rarement le véritable problème est abordé : la question de notre dépendance à l'énergie et la décroissance. Ces idées anti-capitalistes sont exposées dans la BD et me semblent les plus pertinentes quant à la question de notre utilisation de l'énergie. Faut-il continuer de produire autant d'énergie ou au contraire chercher à en utiliser le moins possible ? Dans ce genre d'idée, le nucléaire devient alors inutile, pour peu que l'on fasse l'effort de s'en passer. Parce que, mine de rien, la question des déchets nucléaires ne semble largement pas réglée, loin s'en faut. C'est bien beau de les enterrer (en espérant qu'ils n'explosent pas dans l'intervalle) et d'attendre 100.000 ans qu'ils soient inoffensifs, mais je pense que l'on s'en fiche bien de ce qu'il va advenir de tout cela après nous. Une sorte de pensée qui refoule le tout dans un avenir lointain, loin de nous, qui ne nous concerne plus. Une pensée qui me semble bien aller avec cette idée de capitalisme, où l'avenir n'est qu'incertain et le présent essentiel, à conserver et à maintenir. Ce n'est pas sans me rappeler les mots de l'économiste Keynes qui disait "A long terme, on est tous mort". Bref, la BD explore le temps d'une marche longue la France profonde et la façon dont nous occupons ce sol, en l'utilisant pour enfouir les déchets les plus dangereux jamais crée par l'homme. C'est une très bonne BD, rythmée par des pas lents, avec des dialogues prenants et saisissants (la façon dont sont traités les opposants dans le dernier dialogue ...), le tout enrobé dans une volonté claire mais pas moralisatrice d'exposer ce qu'il se passe réellement. Et je comprends bien mieux la réflexion qu'ont les anti-nucléaires sur ce sujet. Un des nombreux sujets pour lesquels il va falloir se battre dans les prochaines années. Parce que c'est important de prendre conscience de ces sujets cruciaux pour nos avenirs.


On a là un excellent Davodeau – sans aucun doute l’un de ses meilleurs si ce n’est son meilleur album, dans la lignée des « Ignorants ». Le dessin est simple et aéré, mais donne quand même envie de suivre cette longue balade, nous donnant une belle vision des paysages traversés et observés par l’auteur durant son périple entre l’ancienne grotte préhistorique et le futur site d’enfouissement des déchets atomiques. Le récit est aussi aéré que le dessin. Il alterne les passages bucoliques, les réflexions terre-à-terre de Davodeau, avec des considérations plus « élevées », autour de réflexions philosophiques, politiques et éthiques. Pour rendre son récit captivant, Davodeau a la bonne idée de faire comme si les intervenants qu’il invite pour discourir l’accompagnait quelques temps sur les sentiers (alors que les entretiens ont eu lieu avant et ailleurs). Le procédé est simple mais efficace. Et le message de Davodeau passe bien. On reste scandalisé par la désinvolture de nos dirigeants, soumis depuis des décennies au lobby nucléaire, et qui use de procédés antidémocratiques (absence de débat serein et informé, menaces et « achat de l’acquiescement au prix de subventions débiles, voire des lois scélérates prévues au départ pour lutter contre le terrorisme, et qui sont détournées pour briser la résistance passive et citoyenne de personnes non seulement non violentes, mais en plus habitées par la volonté de défendre le bien-être de l’humanité). Le long parcours réalisé par Davodeau permet de relier la grotte de Pech Merle au site de Bure, et d’ainsi présenter en les reliant une belle et triste image de ce que nous allons léguer à nos futurs parents. Mais ce voyage permet aussi de montrer des choses simples et belles, le fonctionnement de la vie sur Terre, et d’ainsi placer les enjeux à leur véritable place. Œuvre militante, certes, mais qui ne sacrifie jamais au prêchi-prêcha. Une belle réussite en tout cas, dont la lecture est hautement recommandable. Note réelle 4,5/5.
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