Autopsie d'un imposteur
Comment trouver sa place quand on est certain de ne pas la mériter ? Avec ce polar vintage, Vincent Zabus offre un nouveau défi au talent de Thomas Campi qui prête vie de façon troublante à ce Rastignac de Bruxelles...
1946 - 1960 : L'Après-Guerre et le début de la Guerre Froide Auteurs italiens Bruxelles - Brussels Maisons closes et prostitution
Un polar qui se déroule dans les années 50, à Bruxelles, capitale défigurée par les travaux de L'Exposition Universelle. Un polar existentiel entre un maquereau citant Shakespeare et un héros cherchant à trouver coûte que coûte sa place dans un monde trop moderne pour lui. Un polar où il sera question de prostitution estudiantine, de vieilles bourgeoises, de pieds humains congelés et de jolies indics...
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Date de parution | 22 Septembre 2021 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Tout ce qui le rendait si impressionnant a disparu en un instant. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Thomas Campi pour les dessins et les couleurs, Vincent Zabus pour le scénario et Maïté Verjux pour le lettrage. Il comporte soixante-seize pages de bande dessinée. Les auteurs avaient déjà collaboré ensemble pour L'éveil (2020). Prologue : en début d'automne 1957, un jeune homme à la belle allure se promène dans les rues de Bruxelles. le narrateur omniscient commente. Voici Louis Dansart, le personnage central de ce récit. Un étudiant en dernière année de droit dont les pas résonnent sur le pavé bruxellois en cette chaude journée d'été. Il ne sait pas pourquoi il s'intéresse à ce type, ni pourquoi il prend la peine de raconter son histoire aux lecteurs. Il n'en vaut pas la peine. Regardez-le… Comme tous les jours, il rêve de l'exposition universelle qui s'annonce. Un moment où il en est convaincu, l'histoire basculera et donnera sa chance à des gars comme lui. Comme tous les jours, il passe par les rues chics de la capitale pour observer les bourgeois. Avec attention, il les regarde dépenser leur argent, traque leurs tics langagiers, scrute leur façon de marcher. S'il osait, il se laisserait même aller à les imiter. Eux. Les riches. Toutes les nuits, dans sa mansarde puante, Louis Dansart ne rêve que d'une chose : devenir comme eux, devenir l'un d'eux. Toutes les nuits, il rêve de moment où il en sera fini des repas frugaux et des nuits froides. Louis se retourne dans son lit et demande au narrateur de se taire, car il aimerait dormir. le narrateur en profite pour lui demander pourquoi : il veut être en forme, demain, pour commencer son ascension sociale, c'est ça ? Réponse : exactement, alors il faut le laisser pioncer. Le lendemain matin, le narrateur reprend ses questionnements et demande à Luis Dansart ce qu'il fait au petit marin, devant la vitrine de Chez Degand. Il sait pourtant qu'il n'a pas les moyens, alors que l'homme qui pénètre dans la boutique les a. Il conseille au jeune homme de ne pas y entrer, car ce n'est pas une bonne idée, il devrait lui faire confiance. le jeune homme n'en a cure et il pousse à son tour la porte. Bon… Tant pis pour lui. Odette, une vendeuse s'approche et lui demande s'il veut essayer le costume qu'il est en train de regarder. La réponse est positive, Louis l'essaye et il sourit béatement à son reflet dans le miroir en pied. le patron sort de l'arrière-boutique et pénètre dans l'espace de vente. Il jette un coup d'œil rapide à Louis, il prend la veste avec laquelle il est entré et il effectue des commentaires pour l'édification d'Odette : le col élimé, les coudières mal assorties, et la coupe ! Il ne porterait pas ça même pour sortir ses poubelles. Et en plus ça sent. Il a bien jugé Louis : un blanc-bec sans le sou qui veut se donner des grands airs pour séduire les belles vendeuses. Louis reprend sa veste et sort, humilié et rageur. La voix du narrateur reprend : il l'avait prévenu, et il reprend le terme d'odeur employé par le patron. C'est dingue, Louis a beau se laver, mettre du parfum, il a toujours l'impression qu'elle est là, qu'elle transpire de lui. Peut-être parce que c'est l'odeur de son enfance ? L'odeur de la pauvreté, l'odeur de la honte. Et toujours cette impression que les passants la sentent, eux aussi, non ? Quel étrange début : un narrateur omniscient (ou presque car il n'a pas connaissance de tout le déroulement du récit) commence par dire qu'il ne sait pas pourquoi il s'intéresse à ce type, ni pourquoi il prend la peine de raconter son histoire aux lecteurs. Il n'en vaut pas la peine. Puis, Louis Dansart, le personnage principal, répond au commentaire du narrateur omniscient, comme s'il entendait ses commentaires dans son esprit. Effectivement, par la suite, le narrateur fait preuve d'un mépris certain pour le manque de rectitude morale de Louis. Puis, apparaît Monsieur Albert, le responsable d'un réseau de prostitution aussi huppé que secret, qui semble facilement anticiper certains choix de Louis, qui semble parfois se déplacer avec une rapidité surnaturelle, qui conçoit Louis comme son personnage, et qui, en donnant une forme de théâtralité à son quotidien, concède un certain prix à la vie. Sans cela, il préfèrerait mourir. Pour cet écrivain frustré, il est plaisant de jouer avec ceux qui l'approchent comme s'ils étaient ses personnages. Lors de sa dernière apparition, il se conduit comme s'il jouait devant des spectateurs. le scénariste semble s'amuser avec une mise en abîme à tiroir : il est ce narrateur omniscient persifleur, Monsieur Albert cite régulièrement William Shakespeare (1564-1616) laissant à penser que le scénariste a relu ses pièces récemment, Monsieur Albert voit Louis Dansart comme un personnage ce qu'il est pour les auteurs. Avec une telle entrée en la matière, le lecteur se dit que Louis Dansart doit être un arriviste, prêt à profiter des autres pour sortir de sa condition sociale et s'élever sur l'échelle en marchant sur les autres. La couverture montre un beau jeune homme pris à parti par des individus portant un masque d'animal : il attire la sympathie du lecteur en se trouvant en position d'infériorité. La première page du prologue se présente sous la forme d'un dessin en pleine page. le lecteur commence par remarquer l'importance donnée au décor : les façades de bâtiments se trouvant en arrière-plan. L'artiste a pris le temps de soigner leur représentation : les fenêtres, les rambardes des balcons, l'auvent de l'hôtel. Sur la seconde page, le nom de l'hôtel apparaît : Hôtel Métropole, et si l'envie lui en prend le lecteur peut effectuer une rechercher et constater que l'artiste en reproduit fidèlement la façade. Par la suite, le regard du lecteur s'attarde sur l'aménagement du petit appartement de Louis, les cinq étages de son immeuble qui s'élèvent au-dessus des constructions à deux étages qui l'entourent, la magnifique salle de réception du club dans lequel Camille s'acoquine avec des clients, la brasserie dans laquelle Louis fait le service, le très bel escalier d'un immeuble bourgeois, les magnifiques pelouses de l'université, la modeste cabane au fond des bois, d'autres rues de Bruxelles avec un tramway, et bien sûr l'Atomium pour l'exposition universelle de 1958. La reconstitution de la période historique se voit plus encore dans les tenues vestimentaires, à commencer par la chemise blanche et la veste, peut-être plus de toute première jeunesse de Louis. En passant, le lecteur peut faire le constat que le trio pantalon + chemise + veste n'a pas beaucoup évolué pour ces messieurs, et que les robes de ces dames présentent plus de variété et font effectivement un peu datées vues du début du troisième millénaire. L'artiste représente les individus avec des morphologies normales : une belle silhouette affinée et élégante pour Louis, un corps jeune pour Camille avec des gestes naturels dépourvus de toute pudibonderie ou de pudeur (avec même un geste très nature pour s'essuyer le sexe après l'amour), un corps portant les outrages de l'âge pour des bourgeoises ayant atteint la cinquantaine. Seul Monsieur Albert présente une caractéristique physique exagérée : un nez pointu et allongé, ce qui renforce encore sa nature métaphorique. La narration visuelle s'avère très facile d'accès, avec des cases alignées en bande, présentant la caractéristique d'être sans bordure encrée. Elle se situe dans une veine réaliste, avec de ci de là une petite exagération pour souligner un mouvement (Louis en train de courir avec ses pieds qui ne touchent pas terre), une ambiance lumineuse (parfois des scènes plus sombres), et uniquement les expressions de visage de Monsieur Albert qui sont un peu appuyées, en cohérence avec le fait qu'il donne une forme de théâtralité à son quotidien, qu'il agit parfois comme s'il était sur scène. Le scénariste souligne ce positionnement de Monsieur Albert en lui faisant citer régulièrement William Shakespeare, dont certaines des plus célèbres, comme le temps est le souverain des hommes, car il est leur créateur comme il est leur tombeau, et il octroie ce qu'il veut, et non ce qu'ils demandent. Il est précisé à la fin qu'il a eu recours aux textes traduits par François-Victor Hugo (1828-1873). À l'occasion du refuge dans une modeste cabane en bois, le narrateur effectue une comparaison avec le célèbre conte de Blanche-Neige. Plus loin, il compare Louis Dansart à Rastignac, personnage récurrent de la comédie humaine d'Honoré de Balzac (1799-1850). le lecteur se rend compte que ses références littéraires trouvent leur place dans un ouvrage qui s'apparente à un roman littéraire. Au fil des séquences, les dialogues entre le personnage principal et le narrateur, ainsi que les remarques de Monsieur Albert jettent un éclairage sur différentes facettes de la vie de Louis Dansart, sur son comportement, et sa manière d'envisager son ascension sociale. Ainsi sa personnalité se dévoile : sa certitude que l'Exposition universelle sera l'occasion d'un événement favorable pour sa personne, sa conscience de classe qui s'accompagne d'un sentiment d'infériorité vis-à-vis de la classe bourgeoise et d'une forme de jalousie vindicative, la confrontation de ses idéaux particuliers au principe de réalité, le sentiment insupportable de devoir tout le temps compter en dépensant, la culpabilité de faire commerce de son corps, la monotonie implacable du quotidien, le retour au milieu de son enfance comme environnement protecteur, le sentiment de n'exister que par le regard des autres, etc. De façon organique et discrète, les auteurs abordent de nombreuses facettes de la vie intérieure de leur personnage, de sa frustration, de ses conflits moraux entre ses aspirations et les moyens auxquels il recourt. Il souhaite à tout prix renier ses origines campagnardes et modestes, nier cette partie de son histoire personnelle, donc nier une partie de lui-même. En devenant un gigolo, il se retrouve dans un paradoxe à rendre fou. D'un côté, il vit de ses charmes, une source de revenus confortable lui permettant de s'offrir ses études et de côtoyer cette société qui lui fait tant envie ; de l'autre côté, il est convaincu que tout le monde connaît son activité, ce qui lui barre l'accès à cette même société, lui coupe son désir, et l'émascule d'une certaine manière. Dans le même temps, Monsieur Albert incarne également ce paradoxe. Louis le considère comme un individu vivant de proxénétisme, pervers, mais ce même individu lui cite Shakespeare ! Shakespeare : Il n'y a de bien et de mal que selon l'opinion qu'on a. Louis a l'impression en acceptant de travailler pour lui, de passer un pacte avec le Diable, avec un individu qui s'est affranchit du bien et du mal, qui se place au-dessus, et donc qui fait le mal pour le jeune homme. Lors de sa dernière apparition, il effectue une autre citation : La vie n'est qu'un fantôme errant, un pauvre comédien qui se pavane et s'agite durant son heure durant sur la scène et qu'ensuite on n'entend plus ; c'est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien… Voilà qui ôte tout sens et toute valeur aux actions de Louis, proposant une autre perspective sur sa vie. Le titre suggère une histoire qui va analyser comment un individu s'est passer pour ce qu'il n'était pas. La narration visuelle s'avère séduisante et évocatrice, parfois doucement vénéneuse. Louis Dansart finit par se résoudre à compromettre ses beaux idéaux, la fin justifiant les moyens, mais aussi une forme de passage à l'âge adulte en faisant l'expérience que les idéaux ne font pas le poids face au principe de réalité. L'imposture dévoile alors une autre nature que celle de s'imposer dans une classe sociale, celle d'un être humain qui se trompe lui-même dans ses mœurs, dans sa conduite, afin de se croire plus fort qu'il n'est de se faire passer à ses propres yeux pour une autre personne. Une bande dessinée littéraire à la lecture facile, à la profondeur étonnante.
Fruit d’une nouvelle collaboration entre Vincent Zabus et Thomas Campi, cette fable sociale matinée de fantastique raconte les déboires d’un jeune homme pris au piège de son arrivisme. Coincé entre la honte de ses modestes racines paysannes et ses rêves irréfrénés de richesse, notre jeune « Rastignac » conserve pourtant quelques états d’âme. Sa soif de réussite ne sera, tentera-t-il de se convaincre, gouvernée que par le mérite et le travail, exempte de salissures… Hélas pour lui, les tentations de la ville auront tôt eu raison de ses prétentions de « self-made man » et de ses principes, bien fragiles devant les prestigieuses vitrines de prêt-à-porter… Ainsi, prêt à ravaler son honneur pour accélérer son ascension, Louis Dansart va s’essayer à la prostitution (clandestine évidemment), jusqu’à ce que son destin bascule lors d’un bal costumé échangiste où il tuera accidentellement une de ses clientes. Comme le suggère la couverture, « Autopsie d’un imposteur », c’est avant tout une affaire de masques, de déguisements, en quelque sorte le fil rouge du récit. Les rapports sociaux sont très souvent régis par l’apparence. Un beau costume servira à revendiquer son statut social ou dissimulera une réalité moins glorieuse, mais reflétera toujours le caractère profond de celui qui le porte. Tout comme le masque, en l’occurrence celui de reptile dont est affublé le jeune homme lorsqu’involontairement il blessera mortellement celle qui avait voulu voir son vrai visage. Dès le début, Louis Dansart est obsédé par cette quête des apparences, et lorsqu’il rentre dans une boutique de luxe pour essayer une jolie veste, le patron le chassera après l’avoir démasqué, renforçant chez Louis cette frustration qui va le pousser à griller les étapes de son ascension sociale en se prostituant. Si on peut comprendre les motivations du personnage, Vincent Zabus le fait apparaître d’emblée sous un jour antipathique par le biais du dialogue « silencieux » entamé avec lui, à moins que ce ne soit la mauvaise conscience du jeune homme qui le titille à la façon d’un Jiminy Cricket sarcastique. On pourrait presque avoir envie de prendre parti pour Louis face à ces accusations partiales, mais la suite permettra au lecteur de constater la lâcheté et la duplicité du bellâtre dont on voit qu’il est prêt à tout pour jeter son passé aux orties. Hélas pour notre « imposteur », devenu mort-vivant par ses mensonges, le passé n’admet jamais d’être oublié et finit toujours par vous rattraper d’une façon ou d’une autre. Telle est sans doute la morale de cette histoire, et l’inquiétant Monsieur Albert, écrivain raté devenu maquereau, est toujours là pour le rappeler au jeune homme, telle la mouche du coche, à coup de citations shakespeariennes. A cet égard, on appréciera la conclusion à la fois inquiétante et malicieuse qui verra un Louis aux prises avec ses vieux démons, masqués (toujours le thème du masque !) pour la circonstance. On pourra juste regretter l’absence de critique sociale, le récit dans sa tonalité romanesque étant davantage centré sur le personnage principal. On n’omettra pas de parler du talent de Thomas Campi, qui sait nous délecter de ses ambiances somptueuses à la colorisation riche et chatoyante, ce qui le rapproche du statut d’artiste. Certaines cases évoquent avec bonheur René Magritte, et ce n’est sans doute pas par hasard si le dessinateur italien a mis en images un album dédié à l’univers du peintre belge ("Magritte, ceci n’est pas une biographie »"), toujours en collaboration avec son complice Vincent Zabus. Et pour se convaincre des affinités de Campi avec le maître du surréalisme, il suffira de se connecter sur son site internet.
C'est avec L'Éveil (Delcourt) que j'ai découvert le travail de nos deux auteurs, Thomas Campi au dessin et Vincent Zabus au scénario. L'osmose et l'équilibre qu'ils avaient réussi à trouver en se jouant du fond et de la forme m'avaient impressionné. C'est donc plein d'attentes que je me suis lancé dans la lecture de ce nouvel album. Présenté comme un polar, nous allons suivre le parcours torturé du jeune Louis, monté à Bruxelles pour suivre des études de droit. Ce jeune Rastignac dans l'âme n'aspire qu'à une chose : évoluer parmi la haute société et oublier ses modestes origines campagnardes. Et c'est donc au moment des profonds bouleversements liés aux travaux de l'Exposition Universelle de 1958 que s'inscrit notre histoire. Pour ma part j'y ai plus trouvé une fable sociale sur les luttes de classes qu'un polar. Zabus et Campi nous tissent un récit sombre, certes, amoral, certainement, mais qui nous rappelle que notre conscience ne pourra jamais nous faire oublier nos origines. Nos deux auteurs ne peuvent s'empêcher de jouer de nouveau sur le fond et la forme de leur objet et d'explorer les possibles du medium. Si c'est plus léger et discret que dans L'Éveil, on ne peut s'empêcher de sourire quand le héros Louis prend a parti le narrateur. "Complicité" qui va se poursuivre jusqu'au dénouement... Thomas Campi continue de m'épater par son graphisme flamboyant. J'adore sa gestion des lumières et des ambiances qu'il pose page après page ; elles collent à merveille à l'histoire concoctée par son comparse. Encore une fois, voilà un très bel album, différent, mais qui fait son effet grâce à son charme sombre.
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