Innovation 67
Cette nouvelle aventure de Kathleen permet à ses auteurs de revenir sur le dramatique incendie du grand magasin "L'Innovation" survenu à Bruxelles en 1967.
1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Bruxelles - Brussels Les petits éditeurs indépendants
1967. Devenue journaliste, Kathleen se rend à Paris pour un reportage. Une occasion pour profiter de la vie nocturne à Saint-Germain-des-Prés. Elle y fait la connaissance de Tom. Ils se reverront à Bruxelles et elle en tombera éperdument amoureuse. Le personnel du grand magasin Innovation, construit en partie par Victor Horta, à Bruxelles, se prépare à mettre à l'honneur des produits venus des USA lors d'une « Semaine Américaine ». Mais dans les rues, la contestation gronde. L'extrême-gauche multiplie les manifestations pour stopper l'impérialisme américain et l'implication des USA dans la guerre du Viêtnam. Alors qu'une odeur de brûlé se répand dans les rayons de l'Innovation, une personne lâche : « je donne ma vie pour le Viêtnam ». Plus de 260 personnes y trouveront la mort. Kathleen couvrira le déroulement de l'enquête. Les antiimpérialistes sont-ils responsables de l'incendie ? Quel est le rôle de Tom ? Pourquoi Kathleen a-t-elle l'impression qu'il joue un double-jeu ?
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Date de parution | 12 Novembre 2021 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je ne suis pas un vase en cristal Val Saint-Lambert. - Ce tome fait suite à Léopoldville 60 (paru en 2019) pour la chronologie de l'héroïne, et à Bruxelles 43 (2020) pour la chronologie de la parution des albums. Sa première édition date de 2021. Il a été réalisé par Patrick Weber pour le scénario, Baudouin Deville pour les dessins et l'encrage, Bérengère Marquebreucq pour la mise en lumière, c'est-à-dire la même équipe que celle des trois autres albums de la série. 1967, Ardenne belge par un bel après-midi de printemps, une Simca 1000 fonce à toute allure sur la route traversant la forêt. Elle franchit un Stop sans marquer l'arrêt et elle est alors prise en chasse par une voiture de police avec gyrophare en fonctionnement. le conducteur de la Simca accélère, mais négocie mal un virage et la voiture termine sa course contre un arbre, puis prend feu, les deux personnes à bord périssant dans l'incendie. Les deux policiers s'arrêtent et descendent de voiture : ils soupçonnent qu'il n'y avait pas que de l'essence dans cette voiture. À Paris sur les grands boulevards, à l'intérieur des célèbres magasins des Galeries Lafayette, Monique est en train de conseiller une cliente sur la couleur d'un ensemble, quand elle entend qu'on l'appelle. Il s'agit de sa copine Kathleen van Overstraeten qui est en train de faire des emplettes. Elles conviennent de e retrouver à onze heures pour la pause de Monique. En train de déguster son café, cette dernière explique qu'elle a effectivement un peu disparu. Après le Congo, tout a été compliqué : ses parents ont mal vécu leur retour en Belgique et sa mère a même traversé une profonde dépression. de son côté, elle se sentait mal aussi et elle voulait démarrer une nouvelle vie. Alors elle a décidé de tenter sa chance à Paris, aussi pour retrouver Célestin. De son côté, Kathleen raconte qu'après le Congo et le pont aérien de rapatriement, elle a donné de nombreuses interviews et écrit quelques articles. Elle s'est prise au jeu : elle a repris ses études et passé l'examen, ce qui lui a permis de devenir une journaliste de radio de la Radio-Télévision belge. Elle est venue à Paris pour l'interview de madame Claude Pompidou, la femme du premier ministre. Monique l'invite à sortir dans un club à Saint Germain-des-Prés. le soir, elles s'y rendent en taxi en passant par la place de la Concorde et les Champs Élysées. Elles dansent sur la piste au son d'un groupe de jazz, tout en dégustant un Martini dry. Monique annonce à son ami qu'elle va revenir en Belgique, pour se rapprocher de ses parents qui commencent à vieillir. Kathleen lui confirme que sa mère travaille toujours au grand magasin de Bruxelles l'Innovation, qu'elle pourrait même travailler jusqu'à septante-huit ans. Un client au bar l'entend, se moque de sa manière de dire soixante-dix-huit. Un autre intervient pour le remettre à sa place. le ton monte et l'individu alcoolisé se retrouve à terre après avoir reçu un coup de poing. le défenseur se présente : il s'appelle Tom et est un pilote d'essai pour des marques d'automobiles, ou des propriétaires de belles mécaniques. Ils partagent un verre, puis les deux femmes rentrent chez elles en taxi. le lendemain matin, Kathleen croise Tom à la gare du Nord. Le principe de la série réside dans la reconstitution historique d'une phase marquante de l'Histoire de la Belgique : l'Occupation en 1943, l'Exposition Universelle de 1958, l'évacuation de Léopoldville à l'occasion de l'indépendance du Congo belge en 1960. Ce nouveau tome reconstitue le drame du plus grand incendie en temps de paix en Belgique, ayant causé la mort de 251 personnes, et ayant fait 62 blessés. le bâtiment avait été conçu par Victor Horta (1861-1947), célèbre architecte, un des principaux acteurs de l'Art nouveau en Belgique. le roi Baudouin s'était rendu sur place l'après-midi même, ainsi que Lucien Cooremans, le bourgmestre de la ville, et le premier ministre Paul Vanden Boeynants. L'incendie a été couvert par le premier reportage de la RTBF en direct, et par un direct radio de quatorze heures, respectivement par Luc Beyer (1933-2018) et René Thierry (1932-2012). À la suite de ce drame, le gouvernement belge a décrété une journée de deuil national, et a conçu et promulgué de nouvelles lois en matière de sécurité incendie. Cet ouvrage se termine avec un dossier de neuf pages, illustré par des photographies : une petite histoire des grands magasins en Europe et en Belgique (une révolution du commerce), des temples du commerce à travers le monde (la date de l'ouverture des premiers grands magasins en France, Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Italie, aux États-Unis), la conception et la construction du bâtiment de l'Innovation conçu par Horta, les faits de la catastrophe nationale, un entretien avec un psychologue expliquant qu'il rencontre aujourd'hui encore des gens marqués physiquement par l'incendie de l'Innovation. Dès la première page, le lecteur sait dans quel genre de bande dessinée il s'aventure : de type ligne claire, avec une attention particulière portée à la reconstitution historique rigoureuse. Enfin, pas tout à fait la ligne claire historique car la mise en couleurs n'est pas faite à base d'aplats de couleurs unies, sans dégradé. D'ailleurs, le travail de Bérengère Marquebreucq n'est pas qualifié de mise en couleurs, mais de mise en lumière. Elle met à profit le potentiel quasi infini de l'infographie pour réaliser un rendu apparaissant comme très réaliste, tout en conservant une lisibilité maximale à chaque case. Elle se charge de figurer les ombres portées par des teintes plus foncées, de rehausser le relief de chaque surface en jouant sur les nuances d'une couleur, d'installer une ambiance lumineuse par séquence, en extérieur ou en intérieur, en fonction de l'heure du jour, de la nature de l'éclairage naturel ou artificiel. Elle ajoute des motifs imprimés, sous forme de trame, comme le motif de la moquette au sol dans le grand magasin, le capitonnage du comptoir dans la boîte de jazz, le motif d'un papier peint, les confettis tombant lors de la parade des majorettes, le motif d'un chemisier de Monique ou de celui de Jane Fonda, et bien sûr les effets spéciaux pour les flammes de l'incendie. Il est impressionnant que cette mise en couleurs riche et sophistiquée n'écrase pas les traits encrés, mais les complète. Le scénariste mêle donc l'histoire personnelle de son héroïne à l'incendie de l'Innovation, avec une intrigue de type thriller. Il s'appuie beaucoup sur les dessins pour donner à voir l'époque et les lieux. le lecteur commence par remarquer les modèles de voiture : Simca 1000, Ford Mustang, DS, les camions, les véhicules de pompier, etc. Il ouvre grand les yeux lors de la virée à Paris : la place de la Concorde, les Champs Élysées. Puis à Bruxelles : boulevard Anspach et la Bourse, la Grand-Place (avec du stationnement), le palais du centenaire, le château où vivent le roi Baudouin et la reine Fabiola, maison de la radio, cathédrale Saint Michel et Gudule. C'est un vrai plaisir que de se projeter dans ces lieux si bien reconstitués, auprès de ces personnages aux tenues d'époque, et à l'intérieur du grand magasin l'Innovation où l'artiste dessine des cases d'après les images d'archives, insérées dans sa narration séquentielle, avec ses personnages, et des moments pour lesquels il n'existe pas de documents historiques, comme le repas dans le self-service, les secrétaires en train de travailler dans les bureaux administratifs de l'établissement, les vendeuses avec les clientes, etc. En termes de reconstitution historique, le scénariste évoque à plusieurs reprises la place de la femme dans la société de l'époque et son émancipation progressive. Kathleen van Overstraeten n'est pas mariée et elle fréquente des hommes, un à la fois quand même. Elle travaille et mène une vie indépendante, envoyant promener l'inspecteur Stan Stout et son comportement paternaliste, ou encore les dragueurs lui rappelant que la place de la femme est aux fourneaux. D'un côté, ces remarques arrivent assez appuyées ; de l'autre, Kathleen croise d'autres femmes indépendantes qui travaillent et qui ont également pu fonder un foyer comme sa propre mère. Ce qui peut passer pour un artifice par moment s'appuie sur de solides fondations car les principaux personnages sont des femmes, sans complaisance, ni hypocrisie protectrice. le lecteur perçoit des caractères différents pour chaque personnage, par leurs actions et leurs paroles, sans que le scénariste n'ait besoin de recourir à des bulles de pensée. Kathleen est bien le personnage principal, sans être un personnage d'action, sans courir au-devant de chaque danger, sans mettre fin à des situations périlleuses par la force de ses poings. La narration reste dans une veine naturaliste, s'en tenant (presque) aux faits historiques, et Kathleen ne met pas fin à l'incendie, tout en évacuant miraculeusement les unes et les autres. Pour autant, le récit ne s'apparente pas à un reportage : il est bien question de la vie de Kathleen au travers de son passage à Paris, d'une amourette, de sa relation avec sa mère, avec sa copine Monique, de sa carrière de journaliste. Weber y entremêle une intrigue de type roman, avec un groupuscule d'extrémistes anti-impérialisme américain. le lecteur le constate avec la course-poursuite en voiture de la scène d'ouverture, et dans le choix du scénariste de retenir la thèse de l'attentat pour l'origine de l'incendie. D'un côté, cette hypothèse n'a pas été prouvée au cours des trois années d'enquête pénale ; de l'autre, le lecteur peut y voir le choix d'une dynamique romanesque et une opportunité pour évoquer une autre facette de la société belge de l'époque. La couverture promet une bande dessinée de type franco-belge traditionnelle, dans le registre Ligne Claire, et c'est exactement ça, avec des caractéristiques plus personnelles. La mise en couleur s'éloigne du dogme Ligne Claire pour une mise en lumière très sophistiquée qui vient compléter les traits encrés sans les supplanter. La reconstitution historique présente la même minutie que celle de Jacques Martin, avec une rigueur remarquable, et un clin d'œil à un autre bédéiste historique apparaissant sur la couverture. le récit mêle le personnage récurrent, sa vie personnelle et la tragédie historique de l'incendie de l'Innovation, avec un fil narratif romanesque pour une lecture très agréable.
Cette nouvelle aventure de Kathleen Van Overstraeten permet à ses auteurs de revenir en détail sur une des plus grandes tragédies survenues à Bruxelles, soit l’incendie de « L’Innovation », un grand magasin dessiné par Victor Horta, qui verra plus de 260 personnes périr, piégées dans un bâtiment devenu vétuste. On retrouve dans ce récit les qualités déjà mentionnée dans les autres aventures de Kathleen : un récit policier bien mené, une reconstitution historique rigoureuse, un dessin élégant en ligne claire bien mis en valeur par une colorisation soignée. Pour qui aime la bande dessinée classique et grand public, ce récit (comme les autres aventures de Kathleen) est extrêmement séducteur. Sans doute par sa dimension très belge (cadre de l’aventure, expressions typiques et références en tous genres), cet album parlera-t-il plus à un lecteur belge qu’aux autres. Il ne s’agit cependant en aucun cas d’une œuvre hermétique et je pense que la plupart des lecteurs pourront capter la majeure partie des allusions glissées ici el là. A titre personnel, si j’ai beaucoup aimé la reconstitution historique (tant au niveau du scénario que du dessin), j’ai moins apprécié l’aspect fictionnel ainsi que le clin d’œil à Louis De Funes (qui, pour le coup, m’a un peu sorti de l’ambiance dramatique du récit, même s’il survient à un moment plus léger). J’ai trouvé les aspirations de certains personnages un peu brouillonnes et les explications finales pas toujours pleinement convaincantes. C’est pas mal mais j’ai le sentiment que ç’aurait pu être mieux encore, de ce point de vue. Au niveau du dessin, je décerne une mention spéciale aux tenues féminines, franchement soignées et qui rappelleront des souvenirs à plus d’un « vieux » lecteur. En conclusion, Innovation 67 ne fait certainement pas tache dans la série des aventures de Kathleen et devrait ravir les lecteurs déjà convaincus par les tomes précédents ainsi que tout lecteur d’âge mur, amateur de bd classique et non réfractaire au fait que ce récit soit très ancré sur le sol belge.
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