La Porte de l'univers
Le grand retour de Daniel Goossens, 7 ans après Combats.
Absurde Goossens Magazine Fluide Glacial
Robert Cognard, humoriste lessivé, voit sa vie basculer. Son histoire, faite de destins brisés et de silences, le rattrape alors qu’il n’a plus de gag pour se défendre. En effet, le public ne rit plus des mêmes choses aujourd’hui qu’hier. Son boss (oui, parce que dans le monde de Goossens, Robert Cognard est un salarié comme un autre !) tente progressivement de le pousser vers la sortie et ses collègues se détournent de lui. Pourtant, Robert ne veut pas s’avouer vaincu et va se lancer dans une quête, plus absurde que rationnelle, pour tenter de reprendre la main et reconquérir son public. Une quête qui le mènera vers des sphères… haut perchées !
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Date de parution | 04 Mai 2022 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
C'est de l'humour de vieux, place aux jeunes. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, ne nécessitant pas de connaissance préalable de l’œuvre de l'auteur. Il a été réalisé par Daniel Goossens, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Cette bande dessinée bénéficie d'une introduction d'une page rédigée par Édouard Baer, et d'une courte phrase sur le bandeau en quatrième de couverture de Benoît Poelvoorde (La porte de l'univers… Voilà qui met en appétit). Il se termine avec une postface de six pages, écrite par l'auteur, essayant d'expliquer son humour. Chapitre 1 : Robert Cognard. Ce monsieur est assis à sa table de travail : c'est un comique professionnel et il cherche de nouvelles idées de gags. Il est complètement à sec. Il n'a plus un gag en stock, lessivé. Que des redites. C'est la fin des haricots péteurs. Il se rend à la réunion de travail chez son employeur, mais il pousse la porte de la salle de réunion alors que celle-ci se termine, que tout le monde s'est déjà levé, et prend congé. Il s'adresse à Jean-Pierre, à Chantal, mais ils préfèrent l'éviter. Il se dirige vers le patron et il engage la conversation. Celui-ci lui propose de l'accompagner dans son bureau. Robert explique qu'il cherche du neuf, que ce n'est pas le tout de faire rire, qu'il faut également dénoncer la bêtise. Arrivé dans le bureau du patron, celui-ci explique que les gens sont exigeants, qu'ils veulent du nouveau, toujours du nouveau. Robert continue de soliloquer sur ses mollets poilus, mais le patron lui tend un chèque. Il lui conseille de prendre du bon temps, de s'amuser avec des filles. Il ne le vire pas, il lui offre la liberté, en conseillant à Robert de saisir sa chance. le comique s'en va, les larmes aux yeux, citant Pierre Desproges : on peut rire de tout, mais pas de n'importe qui. Robert Cognard est rentré chez lui. Il a relevé son courrier : les factures, les papiers d'huissiers, les convocations au tribunal, et il n'a plus le moindre gag en stock. Sa compagne Sheila a revêtu une robe pimpante assez courte. Une dispute s'en suit, et elle fait calmement sa valise, alors Robert s'emporte de plus en plus. Il se rend au bar et aborde une femme, lui racontant la blague de pourquoi Popeye avait des avant-bras musclés. Il finit par la raccompagner chez elle, tout râlant sur le fait que ça ne suffit plus de les faire rigoler, après, il faut allonger la friche. En entrant dans son appartement, il remarque une affiche de Corto Maltese. Il se lance dans un soliloque en s'adressant à la prostituée. Elle rêve d'être emmenée par un beau marin ? Elle aussi, elle est attirée par la lumière ? Il n'existe pas d'âme vraiment simple et pure ? Corto Maltese, c'est juste le prestige de l'uniforme. le p'tit foulard, les p'tits galons, la casquette de marin… Les vrais marins, ça se pomponne pas. Ça a pas l'temps pour la galipette. Y a-t-il donc que lui de lucide ? Si Corto Maltese avait eu le même succès avec une casquette Pernod, il aurait dit Chapeau l'artiste ! C'est facile quand on est marin et beau. Lui, croit-elle qu'on lui ferait une gâterie à l’œil avec la casquette de Corto Maltese ? On ferait la fine mouche, oui ! Un nouvel album de Daniel Goossens : plus de quarante-cinq ans de métier avec des histoires publiées dès 1976 dans le magazine Pilote, et des albums dès 1979. Ici, il propose une histoire continue, plutôt qu'une série de scénettes, composée de douze chapitres : Robert Cognard ; Les Grands du rire ; le Salon du rire ; La Taverne des artistes ; le Procès ; Dans le pétrin ; La plus belle femme du monde ; Les Marines de l'Alabama ; Épilogue ; La Porte de l'univers ; le Jugement dernier ; Dernier épilogue avant l'éternité. Toutes les caractéristiques qui font le charme de ce bédéiste sont bien présentes. le lecteur identifie immédiatement sa manière de dessiner : des décors tracés d'un trait sûr, allant à l'essentiel, parfois avec plus de détails le temps d'une case ou deux. le lecteur sait immédiatement où il se trouve : le bureau de Robert Cognard avec ses armoires métalliques à tiroir et son escabeau, la salle de réunion avec ses tables et ses fauteuils, le bureau du patron avec un mobilier plus couteux, le bel appartement du comique avec sa cheminée, un simple bar, un grand hall du bâtiment pour la convention, une salle de procès avec la barre des accusés, une cellule avec deux bat-flancs, une grande prairie avec des cowboys et des vaches, une navette spatiale. Les accessoires sont tout aussi parlants et bien choisis : la sacoche en cuir de Cognard, les tenues vestimentaires différenciées et faisant apparaître une facette de la personnalité du l'individu représenté, la coiffeuse de Sheila, le flacon de M. Propre, la reproduction des cieux d'un tableau de Vincent van Gogh, les différents modèles de fauteuil de bureau, le tutu rose, la selle de cheval, etc. L'artiste a atteint un niveau remarquable dans la représentation des personnages, leur posture, leur langage corporel, la palette d'expression de leur visage, au point de transmettre l'émotion avec un naturel évident, même si la représentation peut être exagérée, ou caricaturale. le lecteur ressent immédiatement une connexion avec Robert Cognard : un homme marqué par l'âge, sûrement la soixantaine, de petite taille, endurant, encore plein d'énergie, mais peut-être dépassé par l'époque, ne parvenant plus à lutter avec les nouvelles générations car il est vrai que l'humour se démode. Un homme qui essuie les échecs et qui les supporte sans se plaindre, un homme encore capable d'enthousiasme, un homme qui y croit encore. Quelqu'un qui essaye de se maintenir dans le coup, qui bosse pour proposer de nouvelles blagues, mais aussi quelqu'un avec les valeurs et la culture de sa génération. Il est impossible de rester de marbre devant cet individu avec des valeurs, avec une vraie envie de continuer, avec un tel cœur à l'ouvrage. le lecteur souffre avec lui quand il se heurte au refus poli mais implacable du patron, à la froideur de sa compagne qui ne le soutient pas, à la médiocrité des blagues de ses pairs se contentant d'un humour bourgeois, alors que lui reste un ouvrier dans l'âme. Il sourit devant le général qui se vante de ses cinq étoiles alors que son interlocuteur n'en a que trois, ou encore devant ce dieu à la longue barbe blanche, au halo impeccable et à la longue robe blanche immaculée. Et puis bien sûr, l'incongru et l'absurde sont fidèles au rendez-vous. Par exemple visuellement : Corto Maltese avec une casquette Pernod au lieu de sa casquette de marin, Robert jeune le pantalon et le slip baissés sur les chevilles en plein milieu d'un trottoir passant, Robert en tutu avec des mollets très poilus, le même Robert montant dans une fusée, etc. Sans oublier les caricatures de Corto Maltese à Capitaine Tintin & le jeune reporter Haddock, en passant par François Mitterrand avec sa belle écharpe rouge, Full Metal Jacket (1987) de Stanley Kubrick (1928-1999), ou une célèbre série policière télé. Ça dérape également dans l'absurde et dans l'incongru avec les réparties, à commencer par la citation erronée de Pierre Desproges (1939-1988) : on peut rire de tout, mais pas de n'importe qui. Ou encore ce détournement d'un aphorisme de Georges Brassens : Sans le talent, le travail n'est qu'une sale manie. En fonction de sa sensibilité, certaines blagues fonctionnent immédiatement sur le lecteur le faisant rire à haute voix, alors que d'autres le laissent interdit, entre platitude littérale et idiotie. Pourtant… Pourtant arrive un moment où l'émotion l'emporte sur tout. En pleine plaidoirie pour se défendre d'un gag éculé qui a mal tourné, Robert Cognard explique que le vrai courage est de laisser tomber son pantalon dans la rue d'un seul coup, sans prévenir. Et il a eu ce courage à dix-sept ans, et il n'est pas sorti intact d'une telle expérience. le lecteur éprouve un élan irrépressible de sympathie et de pitié l'emporter devant ce jeune homme humilié par l'indifférence des passants qui s'écartent, alors qu'il s'est littéralement mis à nu pour son art. Dans le chapitre huit, l'auteur réussit un autre exploit avec une élégance légère, celle de faire croire à l'élan d'amour pur entre son personnage principal et une vache faisant la figurante parmi un troupeau en arrière-plan dans un western. C'est ridicule, absurde et même idiot, et en même temps un drame d'une rare authenticité. Un peu plus loin, Robert Cognard parle de la société qui exige que les clowns se maquillent pour sortir, et le lecteur y voit l'écho de l'exigence que les femmes se maquillent, un écho pénétrant d'une exigence sociale implicite et lourde de sens. le lecteur se prend d'une réelle affection pour Robert Cognard dont il ne doute pas un seul instant que tout le monde prononce son nom comme s'il ne comprenait pas la lettre G. À certains moments, il se dit que cet artiste comique qui n'y arrive plus vraiment, qui semble atteint par la limite d'âge, incarne ce qui pend au nez de l'auteur lui-même, ou peut-être ce qui lui a déjà été mis dans les dents, que sa carrière est derrière lui, et que son grand prix de la ville d'Angoulême date de 1997. Avec cette idée en tête, il relève quelques phrases. C'est de l'humour de vieux, place aux jeunes. Un comique, c'est pas un génie, nom d'une pastèque en slip ! C'est un écorché vif, prêt à se déculotter pour le public ! Je suis un comique, moi ! J'ai besoin de prendre des risques ! Je ne peux pas me contenter de vos petites vies tranquilles. Puis le lecteur passe à la dernière partie : la postface écrite par l'auteur. Elle est constituée de six chapitres : Les aventures de Cognard - Les connivences - La connivence humaniste - Effets de manche et contenu intellectuel - Autres points de vue sur les mêmes phénomènes - de quoi je me moque et pourquoi ce n'est pas forcément partagé. L'auteur décortique ce qui le motive à s'exprimer, ce qui constitue son sens de l'humour. le lecteur découvre ou retrouve les intentions de l'auteur qu'il a pu percevoir, ou qu'il n'a pas saisies au cours de cette bande dessinée. C'est une véritable profession de foi, sans fausse modestie, sans acrimonie non plus. C'est honnête et intelligent, sans prétention, sans donner de leçon, sans fard. Un album de plus d'un bédéiste avec plus de quarante ans de métier ? Oui, bien sûr, c'est du Goossens. Pas seulement, car c'est un format long sous forme de douze scénettes, c'est une toujours aussi absurde et incongru, drôle et parfois impénétrable. C'est aussi une mise en abîme et une profession de foi directe. C'est abordable et enlevé. C'est un très grand cru.
Je suis un grand fan de Goossens, un immense auteur d’humour déconne, un champion de l’absurde qui m’a fait rire sur nombre de ses séries. Ici, il m’a quand même un peu déçu. En courts chapitres, il brosse le portrait d’un « comique » de la vieille école, en mal d’inspiration, dépassé avec ses vannes d’une autre époque, décalé par rapport à la jeune génération, avec des références anachroniques, des approximations dans ces mêmes références. On a donc droit à pas mal de tentatives d’humour poussives, lourdingues – un humour dont auquel Goossens n’est pas habitué. Le problème vient du fait que Goossens, durant une bonne partie de l’album, ne dépasse pas complètement ce côté dérisoire. Alors certes, le personnage de Robert Grognard, passéiste et pathétique, a des côtés navrants, il fait pitié et nous arrache le sourire avec ses pauvres rêves, ses citations erronées, ses jérémiades maladroites. Mais j’ai trop longtemps attendu que « ça » parte en vrille. Ce qui arrive dans le dernier tiers, où l’on retrouve le Goossens furieusement absurde, celui que je préfère. Je finis donc sur une bonne impression, mais c’est un Goossens mineur, avec quelques passages amusants au début, mais trop de longueurs – même si je sais que Goossens joue sur ce lourdingue. Note réelle 2,5/5.
Je suis fan de l'ami Goossens depuis la première heure. Il est un des rares auteurs à provoquer chez moi des crampes d'estomac au point qu'il m'est impossible de lire ses BD au lit parce j'empêche ma compagne de dormir. j'ai par conséquent acheté La porte de l'univers les yeux fermés. Et là, c'est le drame. Serait-ce "la fin des haricots péteurs" ?* Je n'ose y croire... * Cf page 1 du récit (page 6 selon la pagination), case 4, la seule qui soit parvenue à m'arracher un sourire. Ça partait pas si mal...
Un Goossens vaut-il mieux que deux tu l'auras ? Après presque 40 ans de lecture de Goossens, j'ai commandé son dernier album, comme la jeunesse de 1914 allait la fleur au fusil, sûre de son destin. C'est d'avoir déjà trop vécu, sans doute. Mauvaise nouvelle à la réception : le bandeau rouge promotionnel d'édition, avec logo Rance inter et recommandations de deux maréchaux d'Empire de la Kulture du rire, Poelvoorde et Edouard Baer. Voilà l'annonce de légion d'honneur et des palmes académiques de trop. Le faire-part d'enterrement de rêveur avant la lettre. Hmmm, conneries de marketing d'éditeur, tout ça... A quoi ressemble le bouquin lui-même ? on ne manque pas la couverture satinée, presque luxueuse, avec un lettrage pour taupes aveugles. La 4ème de couv' renforce le malaise : logo France Inter à nouveau, plus une présentation de l'auteur qui, en plus d'être inutile, tristement se veut drôle. Aïe-aïe-aïe ! Et une critique signée Télérama : on espère encore que c'est un fake. A l'ouverture du livre, ça y est, il fallait le craindre, on est sur le front. Rrrroulements de tambours de remerciements annonçant une préface et une postface. Qu..Quoi ? Une préface ? Et une postface ? Alors là, ce n'est plus le front, mais l'arène, avec sauce à la menthe sur le supplicié destiné aux lions : pauvres bêtes ! A moitié paniqué, les jambes campées sous moi comme pour fuir une lecture que j'affronterai de toutes façons, je tourne la page et je tombe immanquablement sur la préface d'Edouard Baer. Je revis la stupeur du paysan russe du Stalingrad de J-J Annaud ouvrant la porte du wagon plombé sur le flamboyant spectacle de "l'Opération spéciale" allemande sur la ville en 1942. Nom de... Taxi, à la fin de l'Univers, vite ! Et là, comme le défilé impeccable des troupes après l'inévitable victoire du Bien contre le Mal, comme un monument aux morts contre l'oubli du yaourt de l'existence aux vrais morceaux de vie, une postface de cinq pages de ...je me frotte les yeux... Daniel Goossens, qui démonte méthodiquement son œuvre. Je crois voir un informaticien démontant son ordinateur pièce par pièce, en vous expliquant dans le détail la fonction de chacune d'entre elles. Nom d'une... passez-moi le tuto, je plane. La viande de l’œuvre ne déçoit pas, bien sûr. Ferme et goûteuse, sans trop de nerfs, la parade des Looney Tunes caricaturaux de Goossens a bien lieu, dans sa scénographie Hollywoodienne d'avant les "block busters", code de saveurs désormais réservé aux seniors. Contradictions et absurdités s'alignent dans la file, le ticket à la main. Leur tour vient inéluctablement. A l'âge d'être grand-père, comment ne pas sourire devant un album photo imprégné de la nostalgie d'un humour qu'on a si bien appris à déchiffrer ? Pourtant, j'ai eu du mal à démarrer et j'ai rongé mon frein (je freinais en démarrant ?) jusqu'au 4ème chapitre. Et c'est au cinquième, Le Procès, que mes zygomatiques se sont spontanément relâchés. Bref, on peut perdre patience avant de trouver satisfaction à la lecture de cette BD. Juste une chose : à la fin de l'album, il y a quand-même écrit "Fluide glacial 2022". Dans le domaine de l'absurde, il me semble qu'à partir de mars 2020, notre espèce a sublimé les évocations de Goossens de la manière la plus grotesque, édifiante et inattendue. Sidérante, disaient certains. Qu'on aurait même pu rendre sidérale pour la faire passer par La porte de l'univers. Mais alors, pourquoi aucune allusion à cette immanquable démonstration de connerie grégaire humaine dans ce dernier opus de mon auteur préféré ? Daniel Goossens est-il encore confiné, masque sur la bouche ? Comme ces soldats japonais oubliés sur une île du Pacifique, et qui croyaient être encore en guerre, ignore-t-il qu'au dehors la vie a repris ses droits ? Ou plus franco-domestiquement, doit-on penser que sa femme le séquestre ? La porte de l'univers, c'est donc toujours du Goossens, on ne peut pas se plaindre. Mais comme pour une musique militaire qu'on entend et qui était annoncée sur la pochette du CD, ça frôle le temps de quelques essais la situation d'une sorte de sergent Pépère qui se mord la queue. Et par compassion pour Goossens, on lui souhaite à son âge d'être devenu noir pour ne pas risquer le lumbago dans l'exercice. On en vient à souhaiter que la cybernétique et l'Intelligence artificielle dont il s'était fait professeur ont conjugué leurs efforts pour mettre au point cet incroyable clone de Daniel Goossens, auteur de La Porte de l'univers. Ou alors... bon sang, mais oui ! Entre 2020 et 2022, j'ai passé sans m'en rendre compte la Porte de l'Univers cyclique pour me retrouver 40 ans en arrière ! Je mourrais de déshydratation à force d'en pleurer d'émotion, si j'osais passer ma porte d'entrée avec cette canicule.
Fidèle de longue date de l’école Fluide Glacial, Daniel Goossens, loin d’être mort, comme le fait si bien remarquer Edouard Baer en préface, est de la trempe de Jacques Tati ou Raymond Devos. Goossens est effectivement un « génie », et Baer possède la crédibilité suffisante pour l’affirmer ! En revanche, le protagoniste principal de « La Porte de l’univers », Robert Cognard, est adepte, lui, de la blague à tonton, celle qui a fait – et fait peut-être encore, sait-on jamais - les beaux jours des repas de mariage et autres banquets. Robert Cognard pourrait très bien être le versant gras de Daniel Goossens, le type qui vous fout un peu la honte en public avec ses blagues éculées. Force est de constater que cet album déçoit. Le problème vient en grande partie de ce nouveau personnage qu’est Robert Cognard, qui à la base n’est pas vraiment drôle. Ce n’est tant par ses plaisanteries navrantes sur lesquelles Gossens joue en toute connaissance de cause, mais cela serait plutôt dû au fait que ce dernier ne semble pas réussir à les transcender, comme si son humour à lui ne pouvait s’accommoder d’un humour pompier (pipi caca compris), comme s’il avait tenté de marier la carpe et le lapin, évidemment sans y parvenir, si doué soit-il. Un peu comme si Devos faisait un sketch avec Jean Roucas, comme si « la 7e Compagnie au clair de lune » déboulait dans une scène de « Mon Oncle ». Et même si le dessin de Goossens est toujours réjouissant avec ses personnages aux expressions hilarantes, cela ne suffit pas à compenser l’absence de drôlerie qui caractérise cet album. À ce nouveau personnage agité et stressé qu’est Robert Cognard, on préférait largement le flegme de Robert et les extravagances de Louis (qui fait une apparition discrète ici), ou encore les bébés désopilants de sa fameuse « Encyclopédie »… La partie la plus digne d’intérêt de « La Porte de l’univers » reste encore la postface dans laquelle l’auteur nous expose une mini-thèse sur l’humour et sa fonction, d’une façon assez pénétrante, ce qui ne surprend pas de la part du chercheur en intelligence artificielle qu’est Goossens ! D’ailleurs on ne l’avait jamais vu aussi sérieux ! Il y explique également que « Cognard est un révolté qui veut dénoncer la bêtise et la médiocrité, dans une totale incompréhension du réel ». Ce qui, il faut bien l’avouer, ne saute pas aux yeux à la première lecture. On peut en réalité se demander si cette postface ne sert pas à compenser les doutes de l’auteur quant à la pertinence de son personnage. N’est-ce pas quand on cherche à expliquer son humour que l’on est le moins drôle ? Les questionnements de Cognard dans le chapitre final où il lance cette injonction à la face du Grand Barbu (« Envoyez-moi de l’inspiration, bon sang ! ») ne seraient-ils pas les siens ? Cognard se ne se révélerait-il pas le double angoissé et « maléfique » de son créateur, confronté à l’angoisse de la page blanche ? Pour un peu, on serait tentés de croire que le maître de « l’Umour en bandessinées » traverse lui-même une profonde phase de remise en cause... Celui-ci approchant désormais le cap des 70 ans, ça ne paraît pas si improbable, d’autant qu’il a mis la barre très haut avec ses productions précédentes.. Nous n’avancerons pas davantage d’hypothèses, mais il faut se rendre à l’évidence, « La Porte de l’univers » laisse un sentiment de frustration. Si l’on y retrouve bien l’univers de Goossens et ses situations décalées et absurdes (Cognard se rendant à un salon du rire pour y piocher de nouvelles blagues, Cognard jugé pour avoir tué un homme en plaçant une énorme punaise rouillée sur sa chaise…), il y a quelque chose qui ne fonctionne pas. Les fous rires que j’ai pu avoir dans les premières pages se sont vite émoussés, et c’est seulement dans la conclusion que j’ai réussi à esquisser de nouveau quelques sourires – mais c’est juste parce que je me suis rappelé que c’était du Goossens ! Ce que l’on ne peut qualifier que de faux pas ne remet évidemment pas le talent de cet auteur, qui reste sans conteste le roi de l’humour absurde en bande dessinée. On le lui pardonnera bien volontiers, et après tout, les champions eux aussi ont le droit d’avoir leur coup de mou. Néanmoins, l’indulgence n’empêchera pas qu’il sera attendu au tournant avec son prochain opus. Mais surtout, ne le lui répétez pas, ça pourrait nuire à son inspiration…
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