Nous, les Selk’Nams (Selk-Nam. Fragmentos de un exterminio)
Un ouvrage fascinant dévoilant les mystères d’un peuple aborigène de la Terre de feu.
Documentaires Les petits éditeurs indépendants Patagonie/Terre de Feu
Les Selk'Nams sont les habitants de la Terre de Feu dont Charles Darwin avait dit qu'il représentait le degré de l'évolution humaine le plus bas et le peuple resté le plus proche de l'homme préhistorique. Ce jugement ainsi que la conquête forcenée des territoires de l'Amérique du Sud par l'homme blanc les condamna irrémédiablement à la disparition. Pourtant, la culture des Selk'Nams continue de hanter la société chilienne, et les rares photos qui en restent ont quelque chose d'hypnotique, de magique. Nous, les Selk'Nams nous embarque dans une véritable enquête historique et sociologique autour de ce peuple et de leur héritage au Chili. Une BD reportage sous forme de réparation historique pour ce peuple disparu... Mais a-t-il vraiment disparu? Carlos Reyes et Rodrigo Elgueta, auteurs chiliens qui s'étaient fait remarquer avec la fiction historique Les années Allende (éditions Otium) proposent ici une BD reportage foisonnante qui nous emmène sur les traces du peuple Selk'Nam.
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Date de parution | 15 Avril 2022 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Sortie en catimini, comme jusqu'alors presque toutes les productions des éditions iLatina, ce titre est tombé sur ma route alors que je m'intéressais aux peuples endémiques du continent sud-américain. N'ayant jamais entendu parler du peuple Selk'nam, je me suis lancé dans la lecture de ce titre surprenant. Histoire d'évacuer le fâcheux, je déplore le choix du format, un poil petit, qui ne rend hommage ni aux dessins de Rodrigo Elgueta, ni à ce peuple incroyable sur lequel circulaient bien des légendes. Ceci fait, le reste est plus qu'engageant. De légende donc, il est abondamment question. Le premier à avoir évoqué ce peuple n'est autre que Magellan, ou plus exactement Antonio Pigafetta, rédacteur et témoin direct de l'extraordinaire épopée du navigateur portugais. En effet, lorsque l'expédition aborde les terres encore inexplorées de l'Am-Sud, à savoir la Patagonie, les hommes aperçoivent sur la plage une scène pour le moins étonnante qui confère au récit une dimension homérique : "Toutefois, un jour, sans que personne y pensât, nous vîmes un géant qui était sur le bord de la mer tout nu, et il dansait et sautait et chantait, et en chantant il mettait du sable et de la poussière sur sa tête." D'où le nom Patagon signifiant "grand-pied"... Le mythe a fait long feu. Aujourd'hui, on s'accorde sur le fait que si les habitants de ces terres désolées avaient une constitution imposante avec une taille moyenne dépassant le mètre quatre vingt, on est loin des fantasmes propagés par les premiers navigateurs qui en faisaient des géants de trois mètres. L'anecdote, bien évidemment relatée dans cette BD, suffit à me convaincre d'entamer la lecture. Or des anecdotes, on en découvre bien d'autres. Ainsi, les auteurs de Nous les Selk'Nams déroulent leur affaire à la manière d'une enquête de terrain, se mettant parfois en scène. Mais la force du récit provient surtout d'un curieux et savoureux mélange de genres. L'ouvrage prend tour à tour des accents poétiques, sociologiques ou carrément politiques, et malheureusement bien souvent teinté de tragique. Un récit peu banal qui tente des trucs, au risque parfois de paraitre bancal, mais qui reste toujours juste dans les propos. Tout ceci fait que l'on ne s'agace cependant pas des défauts. On passe au-dessus pour comprendre l'histoire de ce peuple martyr (un de plus), et grâce encore une fois à l'intelligence des auteurs, on saisit mieux ce qu'il fut et ce que fut l'esprit des hommes de la Terre de Feu. Mais voilà que je parle au passé. Erreur ! Grossière erreur ! Car comme le rappelle justement Blue Boy dans sa critique, rapportant les propos de Margarita Maldonardo, l’une des héritières de ce peuple aujourd'hui accroché aux branches : « Utilisez vos outils de diffusion et racontez que nous, les Selk’Nams, nous sommes toujours vivants. C’est comme ça que vous pouvez nous aider ». Une très belle découverte !
Une bd documentaire sur la rencontre de deux civilisations avec pour conséquence la disparition du peuple indigène d'abord ignoré puis massacré par les conquérants d'un nouveau continent, les Européens. La disparition des Selk'Nams de leur territoire situé à l'extrémité de l'Amérique du Sud se déroule sur plusieurs décennies avec à son apogée entre 1878 et 1885 des manœuvres militaires qui ont pour objectif de solutionner le problème de l'arrivée des migrants qui sont de plus en plus nombreux et qui nécessite de plus en plus d'espace. Que reste t'il aujourd'hui de la culture des Selk'Nams dans la société Chilienne? Les auteurs enquêtent pour répondre à cette question et tentent de sortir de l'oubli un peuple qui a disparu. Ils ont laissé peu de traces, sans écrit et avec peu d'images. Les auteurs nous font partager la difficulté pour collecter d'anciens reportages réalisés par les premiers arrivants Européens pour cerner au mieux les coutumes de ce peuple et empêcher que cette culture soit à jamais perdue. Une seule Selk'nams témoigne, elle est complètement intégrée dans la société Argentine et n'a qu'un souhait c'est que la culture Selk'Nams soit reconnue comme faisant partie de l'histoire de son pays. Le dessin en noir et blanc permet de dresser des portraits réalistes des enquêteurs et des témoins. Cette bd participe à réécrire l'histoire du côté des vaincus pour ne pas oublier l'extermination des Selk'Nams.
« Utilisez vos outils de diffusion et racontez que nous, les Selk’Nams, nous sommes toujours vivants. C’est comme ça que vous pouvez nous aider ». Ces paroles de Margarita Maldonardo, l’une des représentantes de cette communauté aujourd’hui au bord de l’extinction, ont sans doute constitué un argument déterminant pour inciter les auteurs à nous offrir ce documentaire. Un documentaire captivant en forme de puzzle, mâtiné de fiction et de poésie, sur cette communauté ethnique de Patagonie qui fut victime à la fin du XIXe siècle d’un génocide, reconnu comme tel par le gouvernement chilien en 2003. Si le terme « Selk’Nams » n’évoque rien pour la plupart d’entre nous, les images représentant des êtres au corps peints de motifs géométriques ou revêtus d’étranges accoutrements feront peut-être émerger du plus profond de notre mémoire une vague sensation de familiarité. Ces personnages, on pourra sans nul doute les retrouver sous forme de poupées dans les échoppes touristiques des régions proches de la Terre de feu, à l’extrême sud du continent sud-américain. Triste destin pour un petit peuple qui vivait en toute liberté avant que les colonisateurs blancs ne viennent les exterminer pour mieux s’approprier leurs terres qu’ils prétendaient désertes… Ainsi, il pourrait paraître difficile d’évoquer avec justesse ce peuple « sauvage » (dans le bon sens du terme) et magnifique, a fortiori dans une bande dessinée de 140 pages, peuple dont il ne nous reste que des récits fragmentés, des clichés jaunis et des témoignages oraux par de très rares descendants qui vivent désormais à l’occidentale. C’est ce que se sont efforcés de faire Carlos Reyes (chercheur, enseignant, scénariste et éditeur de BD !) et Rodrigo Elgueta, dessinateur, tous les deux déjà co-auteurs des « Années Allende », album phénomène traduit dans le monde entier. On peut dire que l’objectif est atteint et que l’ouvrage constitue un superbe hommage à ces mystérieux Selk’Nams, dont la disparition brutale et l’ « omerta » qui a longtemps prévalu sont inversement proportionnelles au regain d’intérêt qu’ils suscitent aujourd’hui. Il ne suffit pas de se donner bonne conscience en s’intéressant à leur culture comme on assisterait avec une fausse bienveillance à une danse folklorique ou comme on lirait un livre d’Histoire, non. Il serait judicieux de comprendre comment, au-delà des légendes caricaturales qui alimentaient l’aura des navigateurs au long cours et faisaient rêver les foules d’Europe, ces hommes et ces femmes arrivaient à vivre en parfaite osmose avec les éléments. Un monde perdu qui s’éloigne du nôtre à la vitesse des galaxies, de notre monde qui, lui, a perdu ses racines, et c’est sans doute en partie ce qui provoque cette fascination et cet intérêt renouvelé. Les deux auteurs chiliens nous aident à entamer ce processus, et y parviennent, malgré une narration dense et prolixe pour les passages historiques et documentaires, mais entrecoupée de passages plus silencieux (une telle culture où la transmission était orale ne peut en effet se limiter à des mots) pour tenter de retracer sur un mode fictionnel et poétique l’état d’esprit d’une communauté dont les mœurs se situaient à des années lumière de la prétendue civilisation européenne lors du premier contact. Considérons les propos de Sandra Rogel, cette jeune femme chilienne « poétesse de terre de feu », qui en tant que petite fille ignorait tout des indigènes de son propre pays — et pour cause. A un moment du livre, celle-ci affirme que, contrairement à l’aspect intellectuel qui motive aujourd’hui la curiosité croissante envers les peuples originaires, ce sont l’empathie et l’émotionnel qui lui ont été indispensables pour aborder l’univers des Selk-Nams, dont la vision du monde était fondée sur des mythes primordiaux ainsi qu’une spiritualité complexe et ritualisée. Des notions dont nous éloigne chaque jour un peu plus chaque jour notre technologie informatique addictive. Mais il semblerait que les esprits des Grands Anciens ne veulent pas mourir et cherchent désormais à se faufiler dans les canaux de communication moderne pour faire entendre leur voix, « eux, les Selk’Nams », et à l’évidence, cette bande dessinée en est un. Alors que le monde est au bord du gouffre, la spiritualité ne serait-elle pas notre planche de salut, si toutefois il n’était pas déjà trop tard ? Sur le plan du dessin, Rodrigo Elgueta n’hésite pas à alterner des styles variés pour distinguer les différents modes de récit. Plus académique et réaliste pour la partie documentaire ou historique, plus esquissé et plus imprécis pour les passages « fictionnels » concernant notamment la mythologie Selk’Nam. Ou encore, lorsque par exemple il évoque « l’Odyssée de Magellan », le dessinateur s’inspire du style Renaissance des gravures d’époque représentant les grandes expéditions maritimes… Elgueta possède une maîtrise certaine du noir et blanc, et son approche un rien disparate est un compromis parfait entre méticulosité et liberté. « Nous, les Selk’Nams » est une lecture certes exigeante dans le sens où elle peut sembler touffue et aller dans tous les sens, mais l’on est facilement captivé par ce récit riche d’enseignements, et pas seulement historique. Il s’agit là d’une œuvre de transmission destinée à éveiller les consciences face à la léthargie généralisée, une œuvre témoignage qui n’a pas vocation à dormir dans une bibliothèque scrupuleusement rangée. Pour les Selk’Nams – et pour tous les autres peuples amérindindiens et aborigènes en voie d’extinction ou dénaturés - que nous, l’Homme soi-disant civilisé, n’avons pas su écouter il y a un siècle, serions-nous disposés à faire amende honorable en mettant la pression sur la zone empathique de notre cortex ? Chacun réagira évidemment à cette question en son ÂME et CONSCIENCE, la première étape avant de se prononcer étant peut-être de découvrir cette bande dessinée très enrichissante…
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