Deep Me
Dans la poursuite de son étude du Grand Rien, Marc-Antoine Mathieu lui confronte cette fois pas moins que l'Esprit. Une conscience isolée, seulement stimulée par l'angoisse de son ignorance.
Les intelligences artificielles (I.A.) Marc-Antoine Mathieu
Adam ! La première information qui lui soit donnée lorsqu'il reprend conscience est un prénom. Son prénom ? Il tente de s'exprimer mais personne ne l'entend. Et qui sont ces gens ? Des médecins, des policiers, son épouse ? Dans ce noir intense, son esprit s'endort et se réveille à intervalle... régulier ? Une image floue se forme à l'évocation d'un mot : l'Eclipse. Il faut qu'elle se précise encore...
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Date de parution | 26 Octobre 2022 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Je ne pense pas pouvoir être totalement impartial lorsque j’avise une série de MAM, tant j’ai depuis longtemps adopté une posture de quasi groupie le concernant – mon avatar vous renvoie d’ailleurs à son chef d’œuvre absolu. Toujours est-il qu’il arrive encore à me surprendre avec ce « Deep me », tout en me contentant une nouvelle fois. Comme souvent, j’ai trouvé l’ensemble très beau et simple sur la forme, complexe et fluide sur le fond. C’est vraiment une de ses nombreuses qualités, cet aspect dialectique, cette capacité à allier questionnements perchés et presque obscures et mise en scène et en œuvre sans fioriture. Je me suis plusieurs fois fait la réflexion le concernant, mais son éditeur, Delcourt donc, doit trembler lorsqu’il reçoit un de ses projets, tant il y a souvent de choses qui sortent de l’ordinaire, et qui vont nécessiter un travail bien particulier. Ainsi des nombreux dégradés de gris, mais surtout de noir, dans la première moitié de l’album : ces différents noirs, très beaux, m’ont fait penser au travail de Soulages. J’ai lu sur certains forum l’étonnement de quelques lecteurs, pensant qu’on se moquait du monde avec ces cases quasi vides. Je trouve au contraire que MAM est exigeant avec ses lecteurs, et qu’on n’a pas là du « prêt à consommer » insipide. Sans trop spolier, je dirais que j’ai préféré les deux premiers tiers de l’album, à la fois brillants et intrigants, avec quelque chose d’un polar décalé, même si le dernier tiers, qui livre quelques clés tout en complexifiant brutalement les questionnements, m’est apparu intéressant, mais finalement moins captivant. Comme souvent avec cet auteur, il faudra sans doute plusieurs lectures pour tenter d’épuiser ce que l’album peut nous dire. Mais cette lecture a été un véritable plaisir. A réserver aux lecteurs curieux peut-être, mais on a là une œuvre bien plus ambitieuse et créative que le minimalisme apparent des premières planches ne pouvait le laisser penser.
Il y a de fortes chances que l’amateur de BD lambda soit quelque peu dérouté par cet étrange objet, vaguement inquiétant, noir comme un écran de smartphone, à l’extérieur comme à l’intérieur, hormis quelques éclipses inversées qui font surgir ça et là des images imprécises au cours de la narration. Les trois-quarts du livre sont constitués de cases noires où seuls les phylactères d’un dialogue mystérieux révèlent très progressivement la teneur du récit. A ce stade, impossible d’en dire trop au risque de gâcher l’effet de surprise qui fait tout le sel de l’ouvrage. On pourra tout au plus dire que le début de l’histoire rappelle ce film terrifiant des années 70, « Johnny s’en va en guerre », d’ailleurs évoqué brièvement, dans lequel un soldat se réveille sur un lit d’hôpital, aveugle et dans l’incapacité de communiquer avec le monde extérieur. Certains reprocheront peut-être cette « paresse graphique » de la part de l’auteur, mais l’approche résolument oubapienne de ce dernier, laquelle est depuis longtemps sa marque de fabrique, le place hors d’atteinte des critiques fondées sur les codes normatifs de la bande dessinée. Marc-Antoine Mathieu nous met d’emblée dans la peau (si l’on peut dire…) du narrateur, privé de la vue et de la parole. Plongé dans un noir d’encre inquiétant, celui-ci entend des personnages dialoguer autour de lui sans pouvoir décrypter leurs propos énigmatiques, tandis que ceux-ci ne l’entendent pas. Le lecteur, qui est le seul à prendre connaissance de ses états d’âme, sera vite happé par l’intrigue, désireux de connaître le fin mot de l’histoire. Avec « Deep Me », titre au nom évocateur qui fait visiblement référence à la fameuse « IA » joueuse d’échec des années 90, Mathieu nous livre une œuvre où il prouve de nouveau avec brio sa capacité à aborder les domaines les plus pointus de la métaphysique tout en tentant de les vulgariser avec son œil d’artiste-poète. L’auteur nous soumet ici les grandes questions ontologiques concernant la conscience, l’immortalité et la nature profonde de l’homme, et bien sûr la question de Dieu, se contentant d’y répondre par des hypothèses à la fois merveilleusement poétiques et terriblement vertigineuses, comme lui seul sait le faire. Ceux qui ont la chance (pourrait-on parler de privilège ?) de connaître — et d’apprécier — le travail de MAM, seront enchantés de cette nouvelle œuvre. Quant aux autres, du moins ceux qui sont fascinés par ces questions ou qui privilégient les ouvrages requérant une certaine participation du lecteur, ils sont vivement invités à la découvrir, ainsi que l’ensemble de sa bibliographie, à commencer par la série Julius Corentin Acquefacques, un OVNI culte et emblématique de son auteur. A ce titre, « Deep Me » nous aura « profondément » comblés.
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