Saga de Xam
L’une des dernières pépites oubliées de la bande dessinée mondiale des années 1960.
Couleur de peau : bleu Les petits éditeurs indépendants Séries avec un unique avis Voyages dans le temps
Saga de Xam fut publiée en 1967, précisément, année mythique du summer of love aux États-Unis. Pour les plus jeunes, Saga de Xam est l’œuvre dantesque et unique de son auteur, Nicolas Devil, sur un scénario du mythique cinéaste Jean Rollin, un jalon dans l’histoire de la bande dessinée francophone, et en particulier en ce qui concerne la science-fiction et le merveilleux héroïque. Sa puissance plastique n’a jamais été égalée. Saga a marqué toute une génération, sans jamais pouvoir rêver à la possibilité d’une réédition. Elle est aujourd’hui possible grâce aux nouvelles techniques de renumérisation, et à l’œuvre d’un passionné : Christian Staebler.
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Date de parution | 1967 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
La récente réédition aux éditions Revival de ce « premier concept album de la BD française » (selon l’excellent Groensteen), m’a permis de découvrir cet ovni, publié à l’origine par Eric Losfeld, éditeur non conformiste s’il en était (éditeur des surréalistes, mais aussi, pour s’en tenir à la BD, de « Barbarella » ou des débuts de Druillet – qui participe d’ailleurs à la Saga de Xam, entre autres projets novateurs). On peut déjà souligner le travail de Revival, qui a refait la colorisation (très importante ici, très marquée par son époque !) pour se rapprocher des planches originales, aujourd’hui perdues. L’œuvre originale nécessitait une loupe (fournie avec l’album), cette réédition nous permet de nous en passer, même si je dois reconnaitre que le texte (en style manuscrit) est parfois difficile à lire (petit, présenté de façon peu académique). Le côté original de l’aspect graphique saute aux yeux. Les couleurs psychédéliques signent l’époque – et, parfois les produits ingurgités par les créateurs (pas tant Rollin que Devil et tous ceux qui passaient chez lui et ont un petit peu participé à l’élaboration de cette saga, Druillet en tête). La mise en page, avec des cases complètement déconstruites, est très moderne pour l’époque (Druillet a dû ensuite s’en inspirer). L’histoire est découpée en plusieurs chapitres se déroulant dans des environnements et des époques différents : chaque chapitre a droit à un style et à une colorisation différents (trois coloristes y ont participé). Très pop culture, certaines planches ne dépareilleraient pas sur la pochette d’un disque de « Sweet Smoke » ! Losfeld oblige, l’érotisme est assez présent, dans une liberté des corps où la nudité perd de son côté scandaleux (femmes dénudées, souvent violentées, amours saphiques entre Saga et Zô), tout ceci ne dépareille pas dans les publications de Losfeld, qui a souvent maille à partie avec la censure à l’époque. Plusieurs héroïnes de BD publiées par Losfeld sont d’ailleurs évoquées au détour d’un dialogue (Barbarella, Jodelle), comme des univers poétiques et mystiques développés par Charles Duits semblent avoir en partie inspiré certains dialogues et situations ? Saga est envoyée par les dirigeantes de sa planète (visiblement peuplées d’êtres féminins) pour découvrir sur Terre une solution à la menace des Troggs. Voilà pour le prétexte du départ, Saga ayant la capacité de voyager dans l’espace et le temps. Mais l’aspect purement SF n’est pas trop expliqué, rien ici de jargonneux, on est plus dans une vision esthétique, mystique, poétique et érotique, Saga, comme Barbarella, étant une femme forte et maitresse d’elle-même – et souvent des autres. Toujours est-il que Saga, débarquant nue en plein moyen-âge, se voit menacée de viol. Après y avoir échappé, elle subit les foudres d’une sorte d’inquisition, menée par un comte de Vignancourt, chevalier de Tixier, et le père Papon. Rollin se défoule ainsi contre des personnalités de droite extrême, tout en plaçant certaines références lui plaisant davantage (le nom de Maldoror est évoqué). Dans le deuxième chapitre (qui se déroule dans un univers viking), Saga fait la connaissance, en la sauvant d’un géant nordique, de Zô (qu’elle croit « venue d’Alphaville » : une référence au film de Godard sorti peu avant, de la part de Rollin, lui-même cinéaste ?). Le troisième chapitre se déroule durant la préhistoire, le suivant dans l’Egypte antique, le suivant à Shanghaï à la fin du XIXème siècle. Le sixième chapitre (Xammax), voit Saga de retour sur Xam, attaquée par les Troggs, une union entre les deux races ne semblant pas faire le bonheur des Xamiennes. Quant au dernier chapitre, il se passe dans les États-Unis des sixties, et ressemble par sa « construction » et ses thèmes à un pamphlet situationniste (faisant référence à l’accident nucléaire de Palomares ayant eu lieu en 1966 en Espagne), pour revenir de façon obscur et fourre-tout aux contestations secouant la société américaine de l’époque. Puis, la fin m’a échappé (tout en me captivant visuellement). Les textes, souvent abondants, déclamatoires (et poétiques), sont aussi présents que la couleur, ce qui donne des planches très chargées. Chargées de références aussi, que je n’ai pas forcément toutes saisies. En plus de celles déjà citées, un extrait d’une chanson de Brel (« Ne me quitte pas »), les noms de Moebius (qui côtoyait Devil à l’époque), Lautréamont, Lovecraft apparaissent au détour d’un dialogue. Quant au dessin, si le style et la colorisation changent d’une époque à l’autre, il est techniquement très réussi, remarque valable pour les planches très riches et psychédéliques, comme pour celles, plus épurées et froides de Xammax, seule partie purement SF, avec des Troggs hideux et loufoques, qui cherchent à se mêler aux superbes habitantes de Xam. Si le propos est devenu assez obscur et politique dans le dernier chapitre, certaines planches sont vraiment superbes, et l’on sent là les discussions enfumées, la consommation de drogue (LSD en particulier) qui ont fait dévier l’histoire, plusieurs amis/visiteurs participant de façon discrète à l’avancement du projet, que Rollin ne dirigeait plus vraiment (des photos retouchées montrent une partie de ce « groupe », dont Druillet faisait partie). Certains dessins m’ont alors fait penser à ceux d’Unica Zürn ou de Marianne Van Hirtum. Dans cette dernière partie, le texte est d’ailleurs moins présent (et particulièrement difficile à déchiffrer parfois !). L’album se conclut avec une série de documents autour de l’œuvre de Devil (affiches, extraits de récits inédits) confirmant son talent graphique bien ancré dans cette époque des sixties. Au final que dire de cet album ? Que graphiquement, c’est inégal, éclectique, mais que globalement j’ai trouvé ça très beau, souvent inspiré, parfois superbe. Concernant l’histoire, c’est encore moins résumable (d’où mon avis très long !), et cela se révèle parfois difficile à appréhender. On est là dans quelque chose d’extraordinaire (au sens premier du terme), et je comprends pourquoi cet album est devenu mythique (faible tirage, totalement inclassable mais hyper moderne). Un ovni donc, que les lecteurs curieux – et pas seulement amoureux/nostalgiques de cette époque – se doivent de (re)découvrir.
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