Les Bienheureuses (Alle Heiligen)
Fin connaisseur de la période médiévale et de sa représentation du monde, Marcel Ruijters nous livre, après Inferno, un recueil tendre et cruel de voies décidément impénétrables vers la sainteté. Un véritable livre d’heurts !
Auteurs néérlandais Les petits éditeurs indépendants Spiritualité et religion
Ayant assimilé, des siècles durant, les croyances païennes des terres conquises par la chrétienté, l’Église se trouva dans l’obligation au XIIIe siècle de mettre bon ordre dans ses acquisitions et édicta la Légende dorée, catalogue canonique des saints, de leurs martyrs, leurs miracles, leurs extases. Néanmoins, il semblerait qu’une partie du matériau initial brut se soit colportée et naturellement transformée de bouches à oreilles et de par les siècles jusqu’à la plume de Marcel Ruijters, auteur néerlandais contemporain. Celui-ci redonne vie dans Les Bienheureuses à une petite quinzaine de figures féminines ayant acquis de haute lutte leur place au Paradis : la piété de Sainte Solange change le cœur des serpents qui rodent autour de son corps démembré, ceux-ci se fondront en elle pour lui fournir des prothèses bien pratiques dès lors qu’il s’agit de chasser les taupes du couvent ; Sainte Lydwine est poursuivie par le loup, et si la cabane qu’elle a construite de ses propres os ne suffit pas, peut-être que celle de sa consœur, faite de bouse uniquement, saura éloigner la bête ?
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Date de parution | Janvier 2022 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
J'ai suivi le conseil de Noirdésir, celui de découvrir Marcel Ruijters. Et je ne le regrette pas. Mon choix s'est porté sur ces bienheureuses, des femmes qui ont voué leur vie à Dieu. Une BD à l'ambiance moyenâgeuse. Marcel Ruijters prend pour model La Légende Dorée de Jacques de Voragine, une œuvre écrite au XIIIe siècle sur la vie de cent cinquante Saints. Ruijters reprend ce schéma pour nous narrer, en 2 à 14 planches, les parcours de différentes Saintes, mais il choisi la voix de l'absurde, avec des histoires abracadabrantesques, pour se moquer de la chrétienté édifiante de cette période en caricaturant à l'extrême les personnages. À chaque histoire, une chute qui tombe comme un poil de cul dans la soupe. Aucun phylactère, juste une voix off sur un ton neutre. Surprenant. La partie graphique fait indéniablement penser à l'esthétisme médiéval. Ruijters utilise les mêmes codes avec des proportions personnages/décors non respectés et des visages croqués de profil. J'ai pris mon temps pour admirer les nombreux détails de chaque vignette et de ces fabuleuses nonnes désarticulées aux yeux exorbitants. Magnifique. Note réelle : 3,5.
C’est la troisième incursion de Marcel Ruijters dans l’univers médiéval, après Sine qua non et Inferno. Comme pour Inferno, ce sont les éditions The Hoochie Coochie qui nous servent de passeur magnifique. L’adjectif n’est pas galvaudé, tant leur travail éditorial pourrait en imposer à nombre de « grandes » maisons d’édition (belle couverture à rabat, percée, ce qui lui donne l’aspect d’un vitrail). Petit changement toutefois, contrairement aux deux albums précédemment cités, qui étaient en Noir et Blanc et renforçaient leur aspect gravure médiévale, celui-ci est en couleurs. Mais cela n’enlève en rien à l’attractivité de ce dessin, à la fois simple et envoûtant. Si la couleur fait son apparition, c’est que, contrairement aux deux albums précédemment cités et publiés, le versant « noir » est ici dépassé, pour montrer quelques figures non pas positives, mais tout du moins « épanouies », nous quittons les réprouvés de l’enfer rencontrés dans « Inferno », pour côtoyer ceux qui ont eu accès au paradis. Les deux aspects ne s’opposent évidemment pas au moyen-âge, ils ne font qu’un, comme dans l’œuvre de Ruijters d’ailleurs. Et, comme d’habitude chez lui, ce sont des figures féminines qui nous sont présentées, en l’occurrence une douzaine de saintes, brièvement présentées par l’auteur néerlandais. Il n’a d’ailleurs pas forcément choisi les figures les plus « célèbres » (comme Hildegarde de Bingen par exemple). Avec cet album, Ruijters continue de nous donner à voir sa vision du moyen-âge, à la fois très fidèle (ses choix esthétiques jouent sur l’imagerie médiévale, que ce soit dans l’utilisation de créatures imaginaires ou dans une perspective loin d’être moderne) et parfois fantaisiste. Il reprend le thème classique de « La vie des Saints », maintes fois compilées. Mais ces « vies » sont ici en grande partie fantasmées par Ruijters, qui ajoute moult détails loufoques et noirs (le XIVème siècle et la Peste noire accentue cette vision eschatologique du monde), la plupart de ces saintes finissant en martyres, comme il se doit. Le dessin représente toujours des femmes au visage émacié, entourées d’animaux extraordinaires, de squelettes, le contour des cases donnant un rendu proche de certains retables. On a là un habile mélange de « réalisme » (au sens où l’auteur a voulu représenter l’univers et la sensibilité réelle de cette époque) et d’une vision souvent décalée : mais Ruijters ne fait pas n’importe quoi, et on voit bien à la lecture de ses albums qu’il connait bien ce moyen-âge. L’ensemble est un peu inégal (certaines « vies » sont bien courtes). Mais c’est encore un album que j’ai apprécié. Je suis impatient de découvrir son « Jheronimus Bosch » paru récemment, la rencontre des deux univers me faisant saliver d’avance ! Note réelle 3,5/5.
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