La Synagogue

Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)

Joann Sfar cherche depuis trente ans à inviter son lecteur dans le monde juif. Tous ses récits sont des appels désespérés à la fraternité. "La Synagogue" marque sans doute le début de son épopée la plus intime. Cette fois, il va moins loin que l'Algérie du Chat du Rabbin ou que l'Ukraine de Klezmer. Il a fallu qu'il se trouve sur un lit d'hôpital en 2021 pour que le dessinateur ose enfin raconter ses vraies aventures d'adolescence.


1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Autobiographie Communauté juive En Provence... La BD au féminin Racisme, fascisme Sfar

C'est une génération qui se sent coupable d'être née après Hitler et de ne pouvoir le combattre. Des gosses poings serrés qui se disent que les fils de bourgeois déguisés en skinheads qui croisent leur route ne seront pas des ennemis à la hauteur de leur chagrin. C'est l'histoire des Juifs de France qui rêvent d'être comme tout le monde mais qui ne savent pas comment se rendre utiles lorsque des bombes commencent à exploser dans les synagogues. Derrière le plaisir du dessin et des bagarres, un récit salutaire pour rappeler aux jeunes ce que fut le Front National quand il ne faisait pas semblant d'être un parti comme les autres. "La Synagogue" est un récit qui rappelle la permanence des extrémismes politiques et la nécessité de les combattre, même si cette lutte doit être recommencée à chaque génération.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 30 Septembre 2022
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série La Synagogue © Dargaud 2022
Les notes
Note: 3.75/5
(3.75/5 pour 4 avis)
Cliquez pour afficher les avis.

31/01/2023 | Ro
Modifier


Par Canarde
Note: 3/5
L'avatar du posteur Canarde

Ma BD préférée de Sfar reste Les Olives noires où il n'est pas au dessin, il me semble, mais qui m'a fait découvrir une culture juive qui m'était totalement étrangère. Ensuite les premiers épisodes du "chat du rabbin" ont eu beaucoup de succès dans ma famille, mais c'est surtout l'atroce abécédaire qui a eu la palme familiale à cause de sa provocation professorale. Je suis très admirative aussi de son film Gainsbourg (vie héroïque), qu'il avait sorti bien avant la mode des biopics. C'était drôle, beau, inventif et instructif. Sinon, la plupart du temps il m'agace. Ici c'est un récit autobiographique qui parle de son enfance et de sa jeunesse. Comme d'habitude, surtout quand il parle de l'enfance, il est malin, touchant et drôle. Mais ce qui est intéressant c'est que ça explique son aplomb. Son père était un avocat pied-noir, roulant en Alpha-Roméo décapotable dans les rues de Nice, mais il était aussi un de ses justiciers inclassables, qui s'était fait casser la gueule en Algérie par la police française parce qu'il défilait pour le droit de vote des algériens bien avant la guerre d'indépendance. Cet élan paternel et solitaire vers une justice des hommes donne à Joann Sfar la gnaque pour s'exprimer sur la tragédie de la colonisation et celle de l'antisémitisme conjointement. Et on comprend mieux sa motivation à remuer le couteau dans la plaie : c'est un mandat familial. Il se mets donc souvent en situation de montrer à chacun ce qu'il n'a justement pas envie de regarder. Son récit commence dans un lit d'hôpital alors qu'il manque crever du covid, faisant partie du public "à risque" du fait de son embonpoint. Son discours lénifiant sur le courage des infirmières ou ses pages de fin d'album reproduisant les coupures de journaux de tous les actes anti-sémites en France depuis sa naissance ont le don de me faire bouillir. Pourtant je me trouve a peu près dans la même situation quand j'essaye de parler de la charge mentale des femmes, de leur temps contraint, de la pression sociale qui leur incombe de rester fluettes, imberbe et élégantes pour rester une proie acceptable, etc... cela agace les hommes et c'est pourtant vrai. L'agacement que l'on ressent à se trouver devant quelqu'un qui se présente comme faisant partie d'une communauté qui subit des discriminations, (pour Sfar, se présenter comme juif) et proche de celui que les hommes ressentent devant une femme qui explique les difficultés qu'elle rencontre du fait de son appartenance à un groupe social qui reste minorisé. J'ai trouvé par cette BD, une sorte de réciprocité entre son auteur et moi : Il se moque d'un antisémitisme larvé dans toute la culture française, mais il ne semble pas s'offusquer plus que ça de la domination des hommes sur les femmes. Il m'agace mais si je l'avais sous la main, je saurais l'agacer ! Remarquez, il y a peu de chance que la situation puisse se produire ...

07/12/2024 (modifier)
Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
L'avatar du posteur Présence

Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, de nature autobiographique. Son édition originale date de 2022. Il a été réalisé par Joann Sfar pour le scénario, les dessins et le lettrage, et par Brigitte Findakly pout la couleur. Il comporte cent-soixante-treize pages de bande dessinée. Il se termine avec un dossier de tente-et-une pages composé de quelques textes de l’auteur (sur sa recherche de documentation après coup, la protection des personnes âgées pour Shabbat, Nice & l’extrême droite), une météorologie antijuive du 11 mai 1972 (un colis piégé au domicile des époux Klarsfeld) au 19 juin 2022 (8 sièges à l’Assemblée nationale pour le RN), des articles de presse de l’époque (la profanation du cimetière de Carpentras, la dissolution du mouvement néo-nazi FANE, l’attentat de la rue Copernic, le mitraillage de la rue des Rosiers à Paris, 64 tombes juives cassées à la masse, la violence des skinheads, les bombes dans un foyer Sonacotra à Gagnes, Le Pen à Nice, etc.), ainsi que des photographies du père de l’auteur. Joann a dix-sept ans. Il monte la garde devant la synagogue de Nice. Enfin, au coin de la rue. Le camarade qui est devant la porte a beaucoup plus d’expérience que lui dans cette étrange discipline. Attendre un ennemi qui ne viendra jamais. Si un terroriste passe le coin de la rue Deloye, il doit lui emboîter le pas. Et au premier geste suspect, il doit se jeter sur lui quitte à crever avec lui. Pour protéger la synagogue. Il doit avertir les amateurs de récits d’action que personne ne va mourir dans cette histoire. Et qu’il y aura peu de vraies bagarres. Tout ça pour éviter d’être dans la synagogue. Il préfère passer des heures dehors, même sous la pluie. Même parfois sur le toit de la synagogue, sous l’œil légitimement étonné des habitants du meublé d’en face. Tout plutôt que de faire la prière avec les autres Juifs ! Dieu existe… La preuve que Dieu existe ? Et qu’il a de l’humour ? Et que dès qu’il le regarde, il est content de sa blague : il a pris le Juif qui a toujours tout fait pour fuir la synagogue, et il lui a offert la fortune grâce à un ouvrage intitulé Le chat du Rabbin. Joann a 49 ans. Il vient de faillir mourir du Covid. Après trois semaines d’hospitalisation, il a le nez dans la sainte Torah. Pas par piété ! Mais pour écrire le prochain Chat du Rabbin qui est en retard. Il écrit un chat au sujet des miracles. Peut-être parce que le pneumologue qui lui téléphone tous les jours lui a dit qu’il était un miraculé. On n’a pas assez de pneumologues. Alors quand on a le Covid, un pneumologue retraité téléphone tous les soirs. C’est ce qu’ils appellent l’hospitalisation à domicile. Bizarrement, Joann a vu très peu de vrais docteurs pendant son séjour à l’hôpital. Des infirmières, des internes. Et un jour, un vrai toubib. Ce dernier précise à son patient que sa spécialité, c’est la digestion. Le bédéiste est dans un service de gastro-entérologie transformé en aile Covid. Le médecin ajoute que le patient doit se battre. Joann trouve que c’est assez inquiétant lorsqu’on lui demande de se battre. Planches un et deux : Joann Sfar monte la garde devant une synagogue avec un autre camarade. Planche trois, il est intubé sur son lit d’hôpital pendant le Covid. Planche vingt-et-un, enfant, il s’est caché dans un placard pour échapper à la corvée d’aller à l’office à la synagogue. Planche vingt-huit, son père lui raconte d’où lui vient sa vocation d’avocat. Planche quarante-six, son père et lui regardent la déclaration de Raymond Barre alors premier ministre, à la suite de l’attentat de la rue de Copernic le trois octobre 1980. Le lecteur peut vite éprouver une sensation de souvenirs égrainés au fil de l’eau, comme ils viennent. Le bédéiste dessine comme à son habitude, avec des traits très fins, non jointifs, un peu tremblés, qui donnent une sensation d’esquisse, avec des éléments exagérés ou simplifiés comme les visages (en particulier les yeux, soit des gros ronds noirs, soit des petits points noirs) et les silhouettes humaines (par exemple les doigts où les phalanges ne sont pas marquées), et des zones qui peuvent sembler pas tout à fait finies, comme certaines parties de décor. Les bordures de case renforcent cette impression : tracées à main levée irrégulière, avec des coins arrondis, comme si la main du dessinateur manquait d’assurance. Le lettrage participe également de cette impression plus proche d’une réalisation amateur que professionnelle, assez irrégulier, avec l’objectif de réaliser une quantité de pages importante. Dans le même temps, le lecteur découvre que l’auteur a explicité ses intentions, sa démarche et son mode de travail, en les intégrants dans différents passages. Concernant son objectif, il explique que : il veut bien décortiquer toutes les raisons profondes qui l’ont conduit à ce sacerdoce, à condition de ne pas omettre son besoin vital d’échapper à l’office du vendredi, de Kippour et des autres fêtes. Concernant la structure de cette bande dessinée, il détaille son processus d’écriture en milieu d’ouvrage : On n’est ni dans un jeu ni dans un film, c’est une bande dessinée, écrite par quelqu’un qui tente de ne raconter que des choses vraies. Il continue : Et qui n’a aucune idée de comment il va dessiner ça. Il indique qu’il a ses grands cahiers blancs, il rédige le texte, il accumule de petits storyboards, il regarde des photos de lui à tous les âges. Enfin pour l’approche graphique, il développe : Il fait des carnets de bande dessinée autobiographique depuis 2002. Il en existe une quinzaine de volumes. Et avant qu’un éditeur ne décide de les publier, il tenait déjà ces carnets, depuis 1991 dans son souvenir. Ici, il a deux difficultés : la première, il souhaite que ce soit vraiment mis en scène, comme pour un film. Donc il faut du décor, de la précision. Il a dit à Dargaud : ce sera dessiné comme Le chat du rabbin. Mais tout le style du chat du rabbin dépend du chat. Si on enlève ce diable gris aux yeux citron vert, ça ne marche plus. Comme si on prenait une page de Mike Mignola et qu’on enlevait le singe rouge. Il faut donc qu’il invente une nouvelle façon. Il adore ça, mais ça l’angoisse. Les planches bénéficient d’une mise en couleurs plutôt lumineuse, améliorant la lisibilité et rendant compte de la lumière de Nice. Aussi, même s’il ne le perçoit pas de manière consciente, le lecteur ressent bien qu’il s’agit d’un récit autobiographique structuré : la remémoration linéaire et chronologique appelle des précisions, des anecdotes, des informations sur le contexte au fur et à mesure. L’auteur intervient régulièrement au temps présent pour rappeler qu’il s’agit de souvenirs, d’une reconstruction. Il évoque régulièrement son père, forcément un modèle dans la construction de sa propre personnalité. Il effectue également une reconstruction historique. De temps à autre, le lecteur remarque un petit cartouche de texte, écrit dans une taille plus petite : il s’agit régulièrement du nom du lieu où se déroule la scène, une rue ou une avenue avec le numéro, ou encore un endroit comme le carré juif du cimetière de l‘Est à Nice. Le lecteur se rend vite compte que plus de quatre-vingt-dix pourcents des cases comprennent un décor en arrière-plan, et que celui-ci est chaque fois spécifique, et conforme à la réalité du lieu et de l’époque. Derrière une apparence de traits malhabiles et vite faits, se trouve en fait une reconstruction solide et documentée, l’auteur citant ses références. Intégré à ces représentations, se trouvent également des évocations d’informations relatives à des actes antisémites datant de ces années, avec parfois une représentation des réactions d’un homme politique. Dans le même temps, le bédéiste reconstitue également l’adolescent qu’il était, ses influences autres que son père et sa grand-mère, sa vie de lycéen, ses amitiés, la présence de skinheads, etc. En particulier, il fait intervenir le spectre de Joseph Kessel (1898-1979) avec qui il discute alors qu’il est allongé, intubé dans son lit d’hôpital, un écrivain qui l’a marqué pour son recours à la force physique. Il évoque la rencontre de l’écrivain avec Adolf Hitler (1889-1945) dans un bar en Allemagne. Il est également question de Romain Gary (1914-1980). Il parle de Jacques Médecin (1928-1998) maire de Nice de 1966 à 1990, dont André Sfar (1933-2014) fut un adjoint au conseil municipal pendant un temps. Il évoque aussi l’engagement d’Abba Kovner (1918-1987), poète, écrivain et partisan juif d'origine lituanienne. Au fur et à mesure, il rappelle les actes antisémites ayant eu un retentissement national, comme l’attentat à la bombe rue de Copernic le 3 octobre 1980, la profanation de trente-quatre sépultures du cimetière juif de Carpentras le 9 mai 1990, le moment où Jean-Marie Le Pen a fait applaudir un ancien Waffen-SS, Franz Schönhuber (1923-2005) à Nice au palais Acropolis en 1990, l’attentat au collège-lycée juif Ozar Hatorah àToulouse le 19 mars 2012, et malheureusement d’autres. Le lecteur découvre un pan de la jeunesse de Joann Sfar, l’auteur ne portant pas de jugement sur l’adolescent et le jeune homme qu’il a été. Avec les années passées, l’auteur porte un regard à la fois autobiographique, à la fois analytique sur l’individu qu’il a été, l’époque qu’il a vécue, l’incidence de son milieu familial, de l’engagement et de la personnalité de son père, du contexte social à Nice, et bien sûr de sa forme personnelle de judéité. Il s’agit pour lui de faire œuvre de mémoire d’une époque, et aussi de voir comment se sont construites ses convictions. L’ouvrage se termine par une discussion virtuelle entre lui et Abba Kovner : il fait le constat qu’il n’est pas capable de réaliser un récit qui témoignerait du génocide de la seconde guerre mondiale. Le thème de fond de cette bande dessinée, c’est pourquoi il ne dessine pas Auschwitz. Il montre également comment s’est développé une de ses convictions profondes : il est certain que la violence ne sert à rien. Et aussi : Tout ça pour dire que rien ne sert à rien. Ni la violence, ni la loi. A priori, juste des souvenirs de jeunesse, une phase sortant de l’ordinaire de la vie de l’auteur quand il faisait partie des personnes assurant la sécurité devant la synagogue de Nice. A priori, des pages habituelles de ce bédéiste, avec son graphisme si personnel, entre esquisses à l’apparence mal assurée, et expressivité remarquable à la lecture. Au fur et à mesure se dessine le parcours de vie unique d’un être humain façonné par l’histoire de sa famille et de son père en particulier, par son milieu socio-culturel, par la ville dans laquelle il réside, par une volonté d’engagement, et aussi de se soustraire aux rites religieux. Au final, une évocation d’une richesse extraordinaire à la fois d’une époque, à la fois de la vie d’une jeune Juif à Nice dans la seconde moitié des années 1980, à la fois des formes ordinaires d’antisémitisme, et aussi d’un questionnement sur la manière de vivre avec cette haine, de lutter contre.

03/12/2024 (modifier)
Par Gaston
Note: 4/5
L'avatar du posteur Gaston

3.5 Cela faisait longtemps qu'un album de Sfar en solo m’avait autant captivé ! Depuis son film sur Gainsbourg, j'ai eu l'impression qu'il avait déconné en alignant des albums sans grand intérêt où on dirait qu'il se parlait tout seul ou du moins à un public élitiste dont je ne fais pas partie, avec un dessin de moins en moins travaillé. Ici, c'est vraiment un album du style de la meilleure époque de Sfar, sans doute parce que le sujet lui tient à cœur, tout le contraire de plusieurs de ses albums semblant avoir été faits à la va-vite juste pour s'amuser. Bon, on retrouve tout de même des défauts récurrents de l'auteur. Le ton est décousu et c'est clair que Sfar a fait l'album sans plan et dessine les scènes de sa jeunesse selon l'ordre où les souvenirs lui viennent en tête, mais cela ne m'a pas trop dérangé parce cela reste tout de même facile à lire et le propos est intéressant. Sfar raconte sa jeunesse dans le Nice des années 80-90. On va voir comment il a vécu la montée de l'antisémitisme des années 80, avec la montée du FN et l'apparition des skinheads. Il y aura beaucoup de réflexions au cours de l'album (normal pour du Sfar). Ce qui m'a surtout marqué est que l'auteur va finir par devoir faire un choix entre suivre les pensées de son grand-père pacifiste ou celles de son père qui n'a pas peur de sortir les poings. J'ai aussi aimé voir comment était le Nice de l'époque, la situation socio-politique de cette ville étant bien différente de ce que j'ai personnellement toujours connu. Bref, un album à lire si on a aimé Sfar à un moment dans sa vie.

25/06/2023 (modifier)
Par Ro
Note: 3/5
L'avatar du posteur Ro

Une fois n'est pas coutume, Joann Sfar pose un thème bien précis pour cette BD et, malgré les nombreuses digressions dont il fait forcément preuve, il s'y tient du début à la fin. Le thème, c'est sa propre jeunesse à Nice, comment il a été confronté tout au long à l'antisémitisme et comment cela aurait pu endurcir son cœur. A travers ses Carnets, Sfar s'est déjà beaucoup livré au jour le jour. Mais à ma connaissance, il n'avait jamais jusque là livré à l'œil public un autre Joann que celui de l'instant présent, il n'avait jamais raconté le Joann de son adolescence, plus de trente ans dans le passé, et il n'avait jamais vraiment parlé de son père. En cela, cet album sort des productions habituelles de l'auteur et se révèle aussi plus intime, plus réfléchi et plus structuré que nombre d'entre elles. Graphiquement, il fait le choix d'utiliser ici le même style que dans Le Chat du Rabbin, un style heureusement moins lâché et brouillon que pas mal de ses albums les plus récents qui m'ont fortement déçu. Ce n'est toujours pas ma tasse de thé mais au moins je ne trouve pas ça repoussant. La structure narrative reste propre à Sfar : elle n'est pas linéaire et suit davantage le fil de sa pensée, comme une conversation avec son lecteur. Comme à son habitude, il parle avant tout du monde juif et de sa propre personne, mais il mène ici plus intensément une réflexion sur son propre rapport à ce fameux monde juif et sur la période durant laquelle il a fait le choix de le défendre par une forme de violence plutôt que par les simples mots et images qu'il utilisera durant sa carrière d'artiste. Par le biais de nombreuses digressions sur sa famille, sur la ville de Nice et sur la politique, il nous présente le contexte de sa jeunesse niçoise dans les années 80 et début 90, et dresse un bilan assez rude de l'antisémitisme qu'il a côtoyé à l'époque, avec une quantité de skins et de racistes assez impressionnante pour quelqu'un qui n'a pas vécu ça. Et ce qui va devenir une forme de combat ou du moins d'endurcissement de sa part prend alors la forme d'une suite logique d'évènements, de rencontres et de dialogues, avec toujours le doute en toile de fond sur la bonne méthode à suivre et sur sa propre propension à la violence, quelque part entre la voie pacifique de son grand-père et celle bien plus hargneuse de son père, avocat célèbre mais aussi prompt à l'affrontement physique. Il y a toujours ces petits tics narratifs et graphiques qui m'agacent chez Joann Sfar mais j'ai trouvé cet album sincère et intéressant. C'est en tout cas l'un des albums personnels de cet auteur qui m'a le plus touché depuis pas mal d'années.

31/01/2023 (modifier)