Fleur de lait
Avec Padovaland, récit choral multiprimé en Italie en 2021, Miguel Vila a su créer la surprise. Il revient avec Fleur de lait pour raconter la relation entre Marco et Stella, deux jeunes adultes amoureux qui peinent à sortir de l´adolescence.
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Avec un regard particulièrement chirurgical, voyeuriste et désenchanté, l’auteur dissèque au scalpel ce trio amoureux pour mettre ses personnages à nu et les observer dans leurs hypocrisies, leurs insécurités et leurs désirs inavouables.
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Date de parution | 12 Mars 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Fleur de Lait est la deuxième bande dessinée de Miguel Vila, un jeune auteur qui, comme son nom ne l’indique pas, est italien, et pas espagnol ! On lui devait déjà l’album Padovaland en 2020, qui avait fortement marqué les esprits et qui racontait, de façon chorale, le quotidien d’un groupe de jeunes italiens et italiennes désabusés, morts d’ennuis et en quête de sensations, même pas forcément fortes, dans les banlieues du nord de l’Italie. Fleur de Lait se déroule dans le même univers. D’ailleurs certains décors de Padovaland se retrouvent dans Fleur de Lait et, graphiquement, les ambiances et le sujet traité sont sensiblement les mêmes. Fleur de Lait, en Italien, se dit « Fior di latte » et désigne un fromage à pâte filée fabriqué à partir du lait de vache. Fleur de Lait, raconte l’histoire de Marco, un jeune italien introverti, un peu perdu, en couple avec Stella, une jeune fille dynamique et totalement amoureuse de Marco. Même si le personnage de Stella nous semble un peu antipathique au début, on comprend vite qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour tirer Marco vers le haut, tout en étant aussi parfaitement consciente que son couple ne va pas bien. En effet, au fur et à mesure de l’album, on sent que Marco et Stella n’envisagent pas leur relation de la même manière. Stella lui est dévouée et prête à lui pardonner beaucoup de chose, tandis que Marco s’éloigne d’elle progressivement. A cela s’ajoute le fait que, pour une raison qu’il n’arrive vraiment pas à expliquer (ou qu’il ne veut pas admettre) il ne parvient pas à faire l’amour avec Stella. Autour du couple gravitent plusieurs personnages secondaires, dont un groupe « d’amis » qui n’en sont pas vraiment. On pense notamment à Elena, une jeune fille surpoids que Stella n’arrête pas de critiquer dès qu’elle le peut, et Daniele, un mec un peu insistant qui fait son possible pour faire casser Stella et Marco. Un jour, Stella, qui fait du babystitting, invite Marco à le rejoindre. C’est là que Marco fait la connaissance de Ludovica, trente ans, une mère célibataire, pauvre, au physique très disgracieux et aux formes plus que généreuses. Marco va troublé par Ludovica au point de devenir totalement obsédé par cette femme vulgaire et illettrée et d’entretenir avec elle une relation malsaine basée sur le sexe coupable et…le lait maternel. D'entrée de jeu ce qui est très plaisant dans cet album, c'est la manière dont l'histoire nous est racontée. Miguel Vila enchaine à la fois les cases traditionnelles, carrées, classiques, avec des cases rondes, des cases de petites tailles, voire même parfois minusculissime. Il alterne aussi beaucoup ses cadrages. On passe de plans très serrés à des plans beaucoup plus éloignés. Quand il veut dépeindre une situation générale, il dessine les personnages vu d’en haut, comme si les lecteurs/trices étaient positionnés au-dessus d’eux, puis dans d’autres situations, il passe au gros, voir très gros plan pour accentuer un effet de voyeurisme et une sensation, de malaise (c’est le cas, par exemple, quand il zoome sur les dents jaunes et sales de Ludovica ou les tâches de rousseurs de Stella). Cette alternance de plans fait que l'histoire passe beaucoup par les non-dits, par les silences, par certains cadrages, certains regards, certains éléments du décor, parfois. Miguel Vila a une façon de montrer les choses sans les dire qui nous fait ressentir une sorte de plaisir honteux à entrer dans l’intimité de ces personnages comme le ferait une émission comme l'émission belge StripTease, par exemple. Le dessin est très particulier parce qu’il est à la fois réaliste et un peu cartoonesque. C’est-à-dire que les personnages ont tous l’air un peu bouffis, un peu ronds, on dirait qu’ils sont fait de chewing-gum. Mais en même temps, ils sont anatomiquement et terriblement détaillés. Chaque expression, chaque mimique, chaque bourrelet sonne juste, réel et humain. Miguel Vila est particulièrement doué quand il dessinent ses personnages dans tout ce qu’ils ont de plus laid. Il n’hésite pas à montrer des poils, de la sueur, des dents jaunes, des boutons, de la larme, de la bave et d’autres fluides corporels en tout genre… Quand ses personnages pleurent, ils ont l’air misérables, ils ont les yeux humides et le nez qui coule. Quand ils sourient, ils n’ont jamais l’air sympathiques, on a toujours l’impression qu’ils ont une idée derrière la tête. Par exemple, à un moment, le personnage de Ludovica est couchée au sol, sein nus, même si elle a l’air d’être totalement en plasticine, Miguel Vila prend soin d’ajouter une foule de détails : des veines sur les seins, des vergetures sur le ventre, des poils sur les jambes… on est face à un dessin semi-réaliste où rien n’est laissé au hasard. Et quand l’auteur propose des plans plus éloignés, ses décors sont, à l’image de ses personnages : schématisés et détaillés. C’est difficile à expliquer mais il y a quelque chose de très italien dans cet album. Tant dans les attitudes et les comportements des personnages, que dans l’histoire racontée. Ce récit parle à la fois d’ennui, de cynisme et de pauvreté de façon très rude, parfois désagréable, mais malgré cela, on fini par s’attacher à ces personnages laids et méchants, et plus particulièrement au personnage de Ludovica, une femme absolument grotesque, grossière et misérable qui a pourtant le parcours de vie le plus difficile et le plus touchant. Cette histoire rappelle aussi des thématiques abordées dans le cinéma des années 60/70. On pense à des films tragi-comiques comme « Affreux, Sales et Méchants » d’Ettore Scola ou « Amarcord » de Fellini dans lequel, comme ici, une matrone déniaise un jeune garçon en lui enfournant de force sa poitrine généreuse dans la bouche. Au final, les personnages sont tout autant détestables et cyniques mais Fleur de Lait s’attache à nous faire ressentir tout le mal-être de Marco, Stella, Ludovica et d’en faire des personnages sales, malsains, dramatique et pourtant, c’est terriblement humains.
Si vous vous sentez déconcerté par la couverture — et pour être déconcertante, elle l’est assurément —, vous n’avez pas fini de l’être en vous lançant dans cette lecture. Cette jeune femme – du moins vraisemblablement encore jeune, mais comme usée avant l’âge —, dotée d’une poitrine si gonflée, si lourde, que son centre de gravité semble avoir basculé vers l’avant, nous fixe étrangement de ses yeux cernés, à la fois vides et interrogateurs. Et c’est autour de cette jeune femme, prénommée Ludovica comme on va le découvrir plus tard, que va se centrer le récit. Si laide et si négligée soit-elle en apparence, Ludovica dégage quelque chose de fascinant – et ce n’est pas dû seulement à sa poitrine monumentale, résultat d’un accouchement récent comme on va l’apprendre au début du récit. Ses yeux sont comme des trous noirs, capables d’aspirer tout ce qui passe à sa portée, à commencer par les garçons croisés sur son chemin… Encore une question de gravité… « Fleur de lait » est sans conteste le plus gros OVNI éditorial qu’il m’ait été donné de lire ces derniers mois. Et cet OVNI nous vient de l’autre côté des Alpes, ce qui semble démontrer une certaine vitalité en matière de neuvième art chez nos voisins italiens. Il s’agit du deuxième album de Miguel Vila, après son Padovaland paru en 2022, déjà accueilli comme une révélation. Il y a beaucoup à dire, et ce n’est pas une vaine expression, sur cette bande dessinée tout à fait unique, tant au niveau du contenu narratif que du graphisme. Miguel Vila nous livre ici une véritable étude sociologique de l’Italie contemporaine, dont on constate, comme partout ailleurs, la tendance à se fondre dans la grande marmite mondiale des technologies de communication. Et pour cela, l'auteur s’avère un fin observateur des petites choses du quotidien, de ces détails apparemment sans importance des vies ordinaires, et cela se reflète d’abord dans cette extraordinaire mise en page hyper déstructurée, une approche cubiste, à la fois graphiquement et intellectuellement, avec parfois des suites de cases minuscules disséminées au milieu de larges espaces blancs. Le tout donne quelque chose de très avant-gardiste, qui peut déconcerter au premier abord et pourtant la narration n’est pas négligée, et même curieusement assez captivante, même s’il faut l’avouer, il ne se passe pas grand-chose. Vila dresse ici un portrait cruel et, ce qui est peut-être pire, sans ironie, d’une génération biberonnée aux écrans et sous leur emprise permanente. « Fleur de lait » est une peinture hyper réaliste d’une société ultra connectée où paradoxalement toute authenticité des rapports humains a disparu, où le futile prend le pas sur la gravité, où la solitude des âmes semble ressortir avec plus d’acuité, et ce quel que soit la classe sociale (celle plus éduquée à laquelle appartient Stella ou le sous-prolétariat des petits boulots dans lequel végètent Ludovica et Marco). Et en marge de ce constat quelque peu affligeant, il y a cette histoire de fluide mammaire suggérée par le titre, qui est le nom de la boutique de crème glacée où travaille cette dernière (« Fior di Latte »). Symbole nourricier rendu ici prépondérant par les seins gonflés à bloc d’une Ludovica décomplexée et assumant son récent statut de mère allaitante, des « charmes » auxquels Marco ne va pas manquer de succomber. De plus, sa libido n’en est pas amoindrie, bien au contraire, et de façon assez sordide. En effet, comme on va le voir, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond chez cette jeune mère, alcoolique et sans une once d’instinct maternel, qui nourrit son bébé avec son propre lait à l’arrière-goût de mauvais Spritz. L’accouchement l’a spectaculairement enlaidie, et son apparence semble être le cadet de ses soucis. Ludovica apparaît désormais comme une sorte de pieuvre grotesque suintant ses propres fluides corporels, obscènes. Chez Miguel Vila, la laideur, incarnée par celle qui s’impose comme le personnage central du récit, devient objet de fascination, pour le lecteur peut-être mais en particulier pour Marco, qui semble trouver entre ses seins une sorte de réconfort maternel, si trouble soit-il. Pendant ce temps-là, sa petite amie Stella s’efforce de stimuler son désir sexuel, allant jusqu’à s’épiler le minou. Peine perdue, Marco n’a de désir que pour Ludovica… Derrière le lustre des apparences, mise en évidence au début par la joliesse d’une ligne claire associés à d’aimables pastels pour représenter les paysages, les fissures vont apparaître, celles révélant un microcosme de citoyens paumés livrés à eux-mêmes et dont l’horizon s’arrête à l’écran de leur smartphone. Un univers étriqué où les valeurs sont distillées par un hyperconsumérisme mortifère qui s’est désormais substitué aux canaux traditionnels, miroir aux alouettes atomisant où argent facile, pornographie à gogo et gros fun semblent à portée de clic d’une jeunesse déboussolée. Sans rien déflorer davantage de l’intrigue, on reste déconcerté devant « Fleur de lait », photographie grinçante de notre époque contemporaine qui réussit à instaurer le malaise, à mille lieues d’une « dolce vita » suggérée par les premières pages. Miguel Vila, qui réussit à allier avec brio fond et forme (propos passionnant et graphisme innovant), est un auteur qui méritera toute notre attention dans les années à venir.
J'ai découvert Miguel Vila avec Padovaland, chronique acide d'une jeunesse perdue quelque part entre la banlieue padouane et la modernité qui caractérise désormais massivement les relations numériques, plus tout à fait humaines. L'auteur revient avec Fleur de lait, nouvelle fenêtre ouverte sur le jardin obscur de cette nouvelle génération de Digital Native. Et le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il frappe dur. Si Padovaland était une sorte de récit choral, Fleur de lait recentre son propos autour d'un trio déglingué dont on suit le parcours hasardeux : Marco et Stella, jeune couple peinant à sortir de l'adolescence, et Ludovica, jeune maman larguée au jeu trouble. Graphiquement, c'est toujours aussi pertinent. Dans un style qui n'appartient qu'à lui, Vila éclate encore davantage ses cases façon puzzle. Les actions des personnages sont disséquées, étalées sous nos yeux un peu effarés. Des gros plans ingrats sur des visages qui ne le sont pas moins, des parties du corps disgracieuses, honteuses, graisseuses, parfois inopinément poilues, insistent sur la perversité des personnages que l'on peine à appeler héros, accentuant encore cette impression de pénétrer dans leur sphère intime. Vila capte des comportements apparemment anodins qu'il taraude afin d'enfoncer la vis. Tout cela fonctionne très très bien. Mais sont-ce mes yeux qui vieillissent ou bien les cases qui rétrécissent ? Sans doute les deux mon général ! En effet, l'auteur incère des cases parfois microscopiques. Du coup, la lisibilité s'en ressent, en particulier lorsqu'il y a des dialogues, ce qui me rappelle que je dois prendre rendez-vous chez l'ophtalmo de toute urgence... (Au passage, j'ai trouvé amusant de croiser un personnage déjà présent dans Padovaland, en l'occurrence cette fille en vélo qui manque ici de se faire renverser par Marco alors qu'il suit une leçon de conduite). Cela étant, le récit coule tout seul et avale la poussière qui se cache sous le tapis. A mesure que l'on progresse dans la lecture, la perversité se révèle. C'est particulièrement frappant avec le personnage de Ludovica qui a l'insigne honneur de figurer en couverture. Car c'est bien elle qui est la cheville de cette histoire. Jusqu'à la fin ou presque, le lecteur nourrit une sympathie certaine pour elle, sympathie qui fleurte avec la pitié. Et cette presque fin est d'ailleurs un passage magnifique où l'auteur semble enfin lever le voile sur la fragilité de Marco et Lulu. Jusque là, Lulu semblait en effet subir la vie qui, en contrepartie, ne se gênait pas pour la cogner de toutes ses forces, à commencer par un physique qui n'est pas vraiment celui d'une nymphe. Oui, pauvre fille égarée que cette jeune maman. Mais, ATTENTION SPOIL !!!! Les trois ou quatre dernières pages se chargent de renverser totalement la vapeur. Le piège s'est refermé sur le lecteur, et ça fait boom dans sa tête. Dans ma tête de pinpin naïf, ça l'a fait en tout cas, "boom !", très fort, très très fort. Fin puissante qui dit beaucoup sur les comportements de nos contemporains, noyés dans cette inconsistante civilisation du numérique, aux prises avec l'égoïsme, le chacun pour soi. Qui dit beaucoup également sur le règne sans partage du néolibéralisme. Car c'est bien cela qui ressort avec puissance de la vision de Vila : il ne fait que portrai(tor)turer cette génération sacrifiée, la première à naitre sous influence 2.0. Je terminerai en évoquant cette remarque qu'a lâchée ma compagne en feuilletant Fleur de lait : "Beurk ! Qu'est-ce que c'est laid !" (lait/laid). Oui, c'est laid ; ce que nous donne à voir Miguel Vila est laid, mais c'est bien parce que ce qui sous-tend l'idéologie qui nous pousse dans le gouffre virtuel l'est (lait/laid/l'est) tout autant, diluant à la fois nos responsabilité et notre dignité. Tout se passe comme si sous une impunité toute apparente, nous étions à notre insu privés de nos retenues morales. En ce qui me concerne, je pense que l'auteur cherche, consciemment ou non, à mesurer l'écart qui se creuse entre ce que nous fûmes en tant qu'êtres humains et ce qui nous attend si nous persévérons dans cette voie désespérée et désespérante. En s'attaquant à Fleur de lait, il ne faut pas s'y tromper : ce nom innocent renvoyant à la maternité tout comme cette couverture immaculée dissimulent un récit noir d'encre qui nous saisit des deux côtés. Boom !
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