Ras le bol
Début des années 1970 : le règne des bagnoles, la consommation de masse, le capitalisme débridé, l’exploitation des ouvriers, le pillage des ressources naturelles, le premier choc pétrolier, la guerre froide et les dictatures… Qui pense que c’était mieux avant ?
Format à l’italienne Les petits éditeurs indépendants Séries avec un unique avis
Ras le bol regroupe les strips hebdomadaires de Cardon parus dans Politique Hebdo et l’Humanité Dimanche de 1970 à 1976. Son regard acerbe, son humour noir et sa poésie en embuscade décortiquaient les travers d’une société qui voyait sonner le glas des Trente Glorieuses, un tunnel dont nous ne sommes pas sortis. Et dire qu’il en avait déjà, à l’époque, ras le bol !
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Date de parution | 04 Novembre 2022 |
Statut histoire | Strips - gags 1 tome paru |
Les avis
Regroupant les dessins parus dans L’Humanité et Politique Hebdo de 1970 à 1976, « Ras le bol » est découpé chronologiquement en six chapitres, inauguré chacun par une contextualisation politico-économique de cinq années qui allaient marquer la fin des trente glorieuses et ses conséquences immédiates sur le quotidien des citoyens (chômage, baisse du pouvoir d’achat...). Si Cardon exprimait alors son « ras-le-bol », ses dessins révélaient chez lui une implacable lucidité voire un cynisme effrayant, lui dont le père mourut dans les stalags. De même, le jeune garçon qu’il était au sortir de la Seconde guerre mondiale fut traumatisé à jamais par les atrocités nazies qui imprimèrent dans son cerveau « un pessimisme d’instinct », comme le dit Lucie Servin en préface. On l’aura compris, l’univers de Cardon n’est pas follement gai, mais il traduit aussi la capacité de l’auteur à transcender sa révolte et ses blessures morales par une tournure poético-surréaliste, qui reste un peu inquiétante tout de même. Sans surprise, l’homme, qui est issu d’un milieu populaire, prend fait et cause pour les exploités de la classe ouvrière. Ses dessins nous invitent à une réflexion philosophique sur ces lourdes chaînes qui emprisonnent ceux qui font tourner la machine pour le compte des puissants sans scrupules. Dans cet univers aride aux lignes de fuite infinies ouvrant sur un horizon sans paysages, les personnages semblent écrasés par la pesanteur, telles des bêtes de somme mécaniques conçues pour servir leur maîtres. Représentés dans une totale nudité, ils ne sont que les clones d’une société déshumanisée, et eux-mêmes évoquent aussi bien des créatures extra-terrestres, avec ce crâne difforme et proéminent à l’arrière, que les rescapés des camps de la mort. Par un trait hachuré souvent au bord de l’esquisse, Cardon joue beaucoup sur la métaphore et l’onirisme, conférant ce côté intemporel, mais intègre parfois des faits d’actualité d’une époque déjà lointaine (eh oui !), ce qui pousse « Ras le bol » vers une certaine désuétude et risque aussi de rendre le propos quelque peu sibyllin. On ne sait jamais vraiment si l’auteur cherche à nous faire rire avec ses historiettes un peu lunaires, et il arrive que les chutes soient un peu trop abruptes ou tombent à plat, mais s’il est question de rire, celui-ci est forcément jaune. Pourtant il faut bien l’avouer, l’ensemble dégage quelque chose d’assez puissant, justifiant pleinement cette anthologie qui constitue autant un document historique qu’une invitation renouvelée à briser ses chaînes dans le contexte actuel de régression sociale.
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