Le Prof qui a sauvé sa vie
Albert Algoud (ex-plume de la grande époque Canal +) raconte à Florence Cestac ses années d'enseignant.
1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Autobiographie Ecole La BD au féminin
Jeune prof fraîchement diplômé, au début des années 1980, Albert Algoud atterrit dans le trou du cul du monde : un bled de Haute-Savoie. Anticonformiste, faisant fi des vieilles lunes éducatives, Algoud est le pendant foutraque de l'enseignant Daniel Pennac (Chagrin d'école). Comme quoi, un bon enseignant, ça peut vraiment changer des vies, à commencer par la sienne !
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Date de parution | 24 Mars 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
03/04/2023
| Mac Arthur
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Les avis
Je ne crois pas connaitre Albert Algoud et ce n'est qu'en lisant cette BD que j'ai appris son lien avec Canal+ et Hara-Kiri. J'ai donc entamé cette lecture comme celle de la simple découverte du parcours d'un jeune professeur de Français dans les années 70/80 en Savoie. Je n'y ai vu au départ qu'un jeune homme désireux d'enseigner à des jeunes qu'il voyait certes avec le regard un peu condescendant d'un parisien en province mais aussi bienveillant et ouvert d'esprit : très de gauche, dans le bon sens du terme. Face à une direction d'établissement un peu trop rigide, il va utiliser de méthodes assez libres pour donner l'envie de lire à ses élèves, mais aussi pour gérer les récalcitrants et les visiblement nombreux fauteurs de trouble. Des initiatives sympathiques, parfois assez convenues pour un esprit moderne (on ne parle pas vraiment du Cercle des Poètes Disparus non plus), mais louables... ça et là entrecoupées de détails faisant réaliser que le personnage lui-même joue avec la limite de l'ordre et de la loi. Ça commence par quelques vols de livres, "pour la bonne cause", puis des actes violents pour corriger des harceleurs, des troubles à l'ordre public du collège en représailles contre le directeur d'établissement ou encore des relations trop proches avec des élèves et anciens élèves, souvent faites d'alcool et de pêtards. Bref, d'un professeur ouvert d'esprit mais restant dans son rôle, on voit que le personnage ne se sent plus à sa place dans son métier et dans son système. Jusqu'à la rupture qu'il présente comme le moment qui a sauvé sa vie. Je suis un peu circonspect vis-à-vis d'un tel parcours de vie, et notamment de son impact sur les élèves, sûrement positif par bien des aspects mais peut-être limite dans plusieurs cas, en tout cas trop anarchiste pour moi. Mais j'apprécie la sincérité avec laquelle il est raconté, et j'ai apprécié de voir comment on peut passer de prof de lettres à humoriste télé et dans les journaux. C'est finalement l'aspect documentaire et humain qui m'a intéressé dans cet album, sans pour autant me convaincre.
Les parents n’ont pas porté plainte, mais essayez de vous contrôler. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, à caractère autobiographique. Sa parution date de 2023. Il a été réalisé par Albert Algoud pour le scénario, et par Florence Cestac pour les dessins et les couleurs. Il comprend cinquante-neuf pages de bande dessinée. Florence Cestac a commencé à dessiner la première page, et elle demande à Albert à quoi correspond ce titre : Le prof qui a sauvé sa vie. Elle trouve que c’est plutôt lui qui a sauvé la vie à bien des élèves. Il répond que certes, mais il a bien failli y laisser sa peau. Et il commence son histoire : Septembre 1978, sa première affectation, à Bruyère, dans la vallée de la Vologne. Il est assis sur le lit d’une chambre d’hôtel, accablé, ses valises pas encore défaites, et étant sûr qu’il va crever d’ennui dans ce bled maudit, maudit car plus tard c’est ici qu’éclatera l’affaire du petit Grégory en 1984. Heureusement, trois mois plus tard, il reçoit une lettre du rectorat lui indiquant qu’il est titularisé : il va être prof de français au collège Tom-Morel de Roc-les-Forges, en Haute-Savoie. Son père s’était livré à une imposture auprès du ministère : il les avait appelés en se faisant passer pour Jean-Jacques Chaban-Delmas, et en exigeant qu’ils reçoivent rapidement le jeune Albert Algoud. Il fut convoqué très vite par un conseiller peu aimable. Pendant l’entretien, Albert remarque qu’il y a un journal de gauche sur le bureau du conseiller, et il sort son propre exemplaire du même journal ; l’entretien devient immédiatement cordial. Après un interminable périple en train et en autocar, il se retrouve dans une riante bourgade savoyarde, sous une pluie battante. Le lendemain matin, c’est le jour de la rentrée. Albert commence par passer à la boulangerie pour acheter un croissant. La boulangère lui dit ne pas s’encoubler à cause qu’elle a laissé la panosse. Devant l’air ahuri du client, elle traduit : ne pas se prendre les pieds dans la serpillère. Elle lui demande s’il faut mettre le croissant dans un cornet… Elle explique : un sachet. Au collège, il est accueilli par le principal : surnommé le Hareng, à cause de sa forte ressemblance au fourbe Acidenitrix, dans Le grand fossé, de René Goscinny & Albert Urderzo. Il se présente : Jacques Dacaure, le principal. Puis il lui présente ses collègues. Entre autres, il y avait Fanfoulé, prof de français et latin, personnage hors du commun. Pierre prof de gym, fumeur, laïc résolu, mélomane, sarcastique et grand lecteur. Mme Y, prof de maths, il s’est toujours demandé si elle n’était pas un homme. Jean-Paul, prof d’anglais, chanteur et joueur de saxo. Mme Tambet, prof de maths, dite la Vénus, acariâtre et terreur des nuls. Albéric, prof de dessin, toujours sympa et enthousiaste. Mlle M., prof d’histoire, chahutée, elle menace régulièrement ses élèves de se suicider. M. Z, prof de techno, sympa mais très porté sur la boutanche. M. D, alias la Science, prof de Sciences Nat, cordial, diplomate. Le jour suivant, rentrée des élèves et premier jour de classe. Les élèves de cette classe de sixième le dévisagent d’une façon incrédule. Un titre qui retourne une expression, puisque ici, c’est le professeur qui doit sauver sa vie, plutôt que de sauver la vie de ses élèves. Le lecteur peut avoir été attiré par la dessinatrice également autrice de Harry Mickson, Les Déblok, Le Démon de midi, ou encore Ginette. Elle est également la co-fondatrice de la maison d’édition Futuropolis avec Étienne Robial. Il peut aussi avoir envie d’en savoir plus sur les circonstances qui ont amené l’auteur à quitter l’éducation nationale pour devenir humoriste et travailler avec Antoine de Caunes et Karl Zéro dans Nulle Part Ailleurs, puis faire connaissance avec le professeur Choron, puis l’équipe d’Hara Kiri (Charlie Schlingo, Vuillemin, Jackie Berroyer, Gourio, Gébé, Cabu, Cavanna, Wolinski). Le titre indique également que l’auteur ne s’épanouissait pas dans son métier initial, et que l’ouvrage va donc être à charge contre le système éducatif en France, tout du moins tel qu’il existait à son époque. Ce parti pris apparaît dès la première page, dans laquelle Albert Algoud répond à l’artiste qu’il a bien failli y laisser sa vie. Puis il effectue un rapprochement entre le lieu de son affection et le fait qu’il sera le siège de l’affaire du petit Grégory six ans plus tard, établissant ainsi une curieuse relation de cause à effet à rebours de l’ordre chronologique. La description de ses collègues s’avère également très orientée : d’un côté les gens originaux et sympathiques, de l’autre les conformistes forcément névrosés et mortifères. Bien sûr, la tonalité de la narration s’inscrit dans un registre humoristique du fait des caractéristiques des dessins. L’artiste dessine ses personnages avec des gros nez, de type bande dessinée humoristique franco-belge et des mains ne comprenant que quatre doigts. Elle exagère les expressions de visage pour en faire des mimiques, avec le double effet de rendre apparent l’état d’esprit de chaque personnage et d’obtenir un effet comique doux. Le lecteur remarque d’ailleurs que le volume imposant de ces nez arrondis induit un décalage de côté un peu particulier de la bouche pour qu’elle puisse être visible. Pour autant, la direction d’acteurs reste dans un registre exprimant des nuances, sans tomber dans la caricature. Le lecteur éprouve ainsi de l’empathie pour chaque personnage : l’air sérieux du père d’Albert se faisant passer pour Chaban-Delmas, l’accueil souriant de la boulangère, le caractère acariâtre de Mme Tambet, la posture dépressive de Mlle M, les émotions plus intenses des adolescents, l’énergie mise par le prof quand il joue littéralement les scènes lors de la lecture à voix haute à ses élèves, l’insolence inébranlable de Félix qui imite Roland Magdane, le rire sans retenue des élèves devant un tableau de Joan Miró, la curiosité naturelle de ces mêmes élèves lors de la sortie à la foire aux bestiaux chaude en septembre, l’énervement du fonctionnaire de police découvrant que les lettres dénonçant les émissions de radio d’Albert Algoud ont été écrites par lui-même, la haine viscérale des skins comprenant qu’ils ont été moqués lors de leur propre défilé, sans oublier toutes les fois où Albert lui-même perd son contrôle de soi et explose. Le lecteur se retrouve en pleine empathie avec ce jeune professeur, avec ses amis, avec ses élèves, complètement de son côté. Il comprend qu’il voit les personnes et les lieux avec le point de vue subjectif d’Albert. Quand il arrive à Roc-les-Forges, le dessin montre une ville morose avec une couleur terne, et une pluie incessante, ce qui reflète l’état d’esprit dans lequel se trouve le professeur. Quand il entre s’acheter un croissant, la boulangère est tout sourire, le prof étant rasséréné par ce contact humain souriant et chaleureux. Lorsqu’il se trouve pour la première fois dans sa classe, les murs sont nus et sans identité, comme ceux d’une cellule. En revanche, lorsqu’il se trouve devant les rayonnages d’une bibliothèque, les dos sont colorés, un décor beaucoup plus attirant. Lors de la sortie scolaire à la foire aux bestiaux, les cases semblent pleines à craquer, pleines de nouvelles choses à découvrir. Lorsqu’il projette des diapositives d’œuvres d’art contemporaines, tous les élèves deviennent indistincts dans la pénombre, comme rendus anonymes par l’originalité des œuvres d’art de Paul Klee, Jackson Pollock, Joan Miró, René Magritte. Albert Algoud raconte cette période de sa vie de manière chronologique : l’annonce de sa titularisation en Haute-Savoie (où il semble se rendre tout seul, sans son épouse, ni sa fille), sa prise de contact avec les élèves et les autres professeurs, ses accrochages avec les élèves, ses échanges avec ses collègues sur ses difficultés pédagogiques, ses innovations pédagogiques (à cette époque, et dans cette région de la France), sa gaffe avec l’expression Crétin des Alpes (et le fond de vérité historique), ses relations extra-professionnelles avec certains collègues, avec certains élèves (tout en ayant conscience du risque), et enfin d’autres activités, à commencer par l’animation d’une émission sur une radio-libre, jusqu’à démissionner de l’éducation nationale. Le lecteur est de tout cœur avec lui pour cet investissement à trouver le bon mode d’intéressement des élèves, pour son côté redresseur de torts, pour son inventivité et son énergie lui permettant d’exprimer sa personnalité en sortant du cadre rigide de l’éducation nationale. De temps à autre, le lecteur ne peut pas s’empêcher de s’interroger sur une facette ou une autre de ce qui est raconté. Il a bien noté qu’Albert tient un nourrisson dans ses bras en page 4, et qu’il doit être marié ou en couple, mais il n’est plus jamais fait mention d’eux par la suite, le jeune professeur ayant certainement dû se délocaliser seul en Haute-Savoie. Il ne peut pas s’empêcher non plus de penser de temps à autre à ses collègues. Albert semble plein de respect pour le prof de français et pour ses citations latines peu communes, en revanche les autres n’ont pas le droit à sa considération. Il indique à plusieurs reprises qu’il dérobe des livres dans des librairies pour les intégrer dans la bibliothèque de sa classe. Ces attitudes renvoient à la mission affichée dans le titre : sauver sa vie, en s’échappant d’un système trop strict. Une bande dessinée autobiographique pétrie de bonne humeur. Les dessins font voir le monde par les yeux du scénariste : des personnages pleins d’entrain, sauf pour quelques adultes morts à l’intérieur, l’énergie inépuisable des adolescents, les emportements du professeur, soit d’enthousiasme, soit d’indignation. Le scénariste revient sur cette période de sa vie : une solide motivation pour exercer son métier de professeur, mais un système éducatif qui perpétue l’injustice sociale, et qui exige que pour enseigner il faut avoir la foi dans sa vocation. En prime, une anecdote savoureuse avec Fabrice Luchini découvrant que son chauffeur de taxi connaît Albert Algoud.
Une lecture dont je suis sorti déçu. J’ai toujours eu du mal avec le dessin de Cestac. Certes il est très lisible, mais je n’accroche pas à son style et ses gros nez – affaire de goût sans doute. Mais c’est d’Algoud que j’attendais plus, ou autre chose. En fait, je n’ai pas aimé le ton avec lequel il présente son action d’enseignant, avec lequel il se met en scène. C’est con, mais lui que j’apprécie dans ses actions et ses travaux plus ou moins décalés, iconoclastes, m’a donné un ressenti horripilant de lui-même. Même lorsqu’il présente sa pédagogie – hors des clous, voire son compagnonnage avec Choron et l’équipe d’Hara-Kiri, on a l’impression de lire un vieux con qui donne des leçons. Un côté « prétentieux » qui détonne par rapport à ce qu’il fait ou dit, et par rapport à ce que je connaissais de lui. Et je ne parle pas de tous les aspects du métier d’enseignants qui n’apparaissent pas – un peu comme dans les épisodes télé de « L’instit ». A Canal (version historique, des débuts bien sûr), mais aussi dans les revues qu’il évoque (« La crécelle noire », « Camouflage »), dirigées par Jimmy Gladiator, par lesquelles je l’avais découvert (on a dû se croiser quelques fois dans des cafés ou dans des revues ultérieures, au tout début des années 1990, mais je n’en ai pas gardé souvenir), Algoud a pourtant joué un rôle intéressant d’agitateur d’idées. Algoud, un personnage qui gagnait à être connu selon moi, mais qui ne convainc pas ici.
C’est la déception qui prévaut à la fin de cette autobiographie partielle d’Albert Algoud. En effet, je n’ai pas trouvé son parcours d’enseignant très intéressant. Je peux même dire que son discours aura été du genre à m’horripiler furieusement. Trop caricatural, trop moralisateur de gauche avec ce côté « laissons faire les enfants et ils deviendront des génies » qui ne cadre pas avec mes propres convictions, trop paternaliste (avec ce sentiment qu'il se sent supérieur à ces provinciaux certes amusants et sympathiques mais quand même un peu retardés). Je ne crois vraiment pas que c'était l'image qu'il voulait donner de lui... mais c'est celle qui s'est dessinée dans mon esprit. Au dessin, Florence Cestac œuvre dans son style habituel. D’énormes patates en guise de nez, des personnages souvent très souriants, des décors des plus secondaires. A titre personnel, j’aime bien la bonne humeur qui s’en dégage. Ce trait a un côté maîtrisé décomplexé qui me plait. Je n’ai pas été séduit par l’image qu’Albert Algoud donne de lui-même. Je n’ai pas trouvé ses anecdotes spécialement drôles ou émouvantes ni étonnantes. Et le dessin de Florence Cestac, s’il ne m’a pas déplu, ne fait tout de même pas partie de ceux qui me font oublier le caractère roboratif d’un scénario. Techniquement parlant, il n’y a cependant rien de vraiment négatif : la narration est vivante, le découpage est clair, l’album a une longueur suffisante pour développer le sujet sans se traîner en longueur. Mais je me suis quand même passablement ennuyé.
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