Cerveaux augmentés (Humanité diminuée ?)
Pensé et réalisé comme une suite à Cerveau augmenté, homme diminué, cet essai graphique actualise la question de l'hybridation de l'homme et de la machine. Une analyse précieuse pour en comprendre les véritables enjeux.
Documentaires Les intelligences artificielles (I.A.)
Avec cette lecture dessinée, Thierry Murat et Miguel Benasayag enrichissent et actualisent les arguments de l'essai Cerveau augmenté, homme diminué, face à l'explosion en cours de la numérisation de nos sociétés et au discours transhumaniste pour qui le cerveau serait comparable à un ordinateur que l'on pourrait optimiser à l'envi. « Le rêve d'un cerveau parfait est une illusion dangereuse » prévient le philosophe...
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Date de parution | 03 Mai 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Bon, autant le dire d’emblée, c’est une lecture très dense, aride sur le fond et sur la forme. Pas une lecture détente empruntée au hasard en tout cas. Sous couvert d’un dialogue entre Murat et Benasayag, c’est en fait l’adaptation par le premier d’un ouvrage du second. Et la partie proprement BD est un peu minimaliste dans la mise en scène, l’action et le dessin. Mais elle est très raccord avec le propos, et la symbiose est parfaite. Mais ça accentue le côté froid et aride évoqué plus haut. Il s’agit de montrer comment le développement de l’informatique, des intelligences plus ou moins artificielles, l’utilisation des écrans, des réseaux sociaux, ont pu modifier l’activité, la réflexion de l’Homme, ont pu agir sur ce qui en est le cœur, leur cerveau. La réflexion de Benasayag s’appuie sur des sociologues, des spécialistes en sciences diverses, des philosophes. C’est intéressant mais, même s’il n’y a finalement pas énormément de texte – en tout cas si les pages sont relativement aérées – c’est un album qui ne se lit pas en cinq minutes ! C’est aussi un album qui nous pousse à réfléchir, à l’heure où des chaines de télé proposent aux annonceurs « du temps de cerveau disponible », et où notre cerveau (ce qu’il contient et sa machinerie) est peu à peu colonisé par des idées et des machines qui peuvent nous faire perdre notre « libre arbitre ». Un éclairage intéressant donc, sur des évolutions pas franchement plaisantes. Note réelle 3,5/5.
Le cerveau ne voit pas, n'entend pas ne parle pas, ni ne pense. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, plutôt une réflexion sur le sujet. Sa publication originale date de 2023. Il a été réalisé conjointement par Miguel Benasayag pour le livre original Cerveau augmenté, homme diminué (2016) et pour la discussion, avec Thierry Murat bédéiste qui en a réalisé cette adaptation, ou plutôt cette lecture commentée. Il s'agit d'un ouvrage en noir & blanc avec une teinte marron. Il comprend cent-quatre-vingt-deux pages de bande dessinée. Un courriel du 21 juillet 2021 à 15h32 : Thierry indique à Miguel qu'il est en possession de son adresse mail. Les éditions Delcourt via les éditions La Découverte la lui ont gentiment communiquée, à la demande du philosophe. Il le remercie pour cette délicate attention, et lui propose de se parler un peu au téléphone, un de ces jours d'été afin de faire connaissance. Miguel lui répond un peu plus tard : il est très content de la proposition et indique qu'ils peuvent aussi se parler par Skype, un de ces prochains jours. Cela désole le bédéiste car il déteste Skype, il déteste tous ces moyens de communication où l'on est obligé de regarder bouger virtuellement les lèvres de son interlocuteur. Ça le stresse et il déteste le stress. Malgré tout il lui répond que ça lui va, et que l'application est installée sur la tablette de sa fille dont il lui communique l'adresse. S'en suivent quelques échanges. Thierry se souvient que chez Paul Auster, dans Cité de verre, c'est un faux numéro de téléphone qui déclenche tout. Là, c'est une véritable lettre qui est à l'origine de cette bande dessinée, celle que Thierry a adressée au philosophe pour adapter son livre. Après des échanges téléphoniques, l'artiste met son projet en suspens quelques semaines car il est invité par l'alliance française en Colombie. Dans l'avion, n'arrivant pas à choisir dans la multitude de films à regarder, il repense au dilemme de l'âne idiot de Buridan. Finalement il s'endort. Rêver que l'on est en train de dormir, ou rêver que l'on est en train de rêver, est un état de conscience tout aussi vertigineux que l'étude de l'objet par l'objet lui-même. Depuis la nuit des temps, le cerveau humain observe, connaît, étudie, s'explique des choses, comprend… Mais à partir du XXIe siècle, grâce aux récentes avancées en imagerie médicale, en biochimie, en neurosciences, le cerveau humain en est arrivé au stade où il est devenu… son propre sujet d'étude. Cette auto-rencontre est une rupture anthropologique sans précédent, certainement la quatrième blessure narcissique de l'humanité. Les trois premières blessures narcissiques, infligées par la science à l'homme dans l'histoire de l'Occident, on le sait, furent douloureuses et le sont peut-être encore. La première déclenchée par Copernic et Galilée : non seulement la Terre n'est pas au centre de l'univers, sous le regard de plein d'amour paternel de Dieu, mais elle n'est qu'un simple caillou parmi tant d'autres, perdu dans l'infini intersidéral. La deuxième, causée par Darwin… Au cours de la bande dessinée, le bédéiste indique que les éditeurs qualifient ce genre d'ouvrage d'Essai graphique, terme repris dans le texte de la quatrième de couverture. S'il lui prend l'envie de feuilleter l'ouvrage pour s'en faire une première idée, le lecteur découvre des illustrations disposées en case, à raison en moyenne de trois par page, avec des cartouches de texte plus ou moins copieux, une forme de bande dessinée, mais pas de narration séquentielle. S'il n'est pas a priori attiré par le sujet ou par l'auteur, il est possible qu'il en reste là, craignant une lecture fastidieuse, et peut-être intellectuelle dans le mauvais sens du terme. Sinon, il franchit le pas en pleine connaissance de cause, et il éprouve la surprise de d'une lecture agréable, même s'il ne s'agit pas effectivement d'une narration traditionnelle en bande dessinée. Le bédéiste aborde explicitement cette question au cours de l'ouvrage en disant : On s'imagine souvent que la bande dessinée doit formellement et absolument mettre en scène des bonshommes à gros nez, bavardant frénétiquement à grands coups de phylactère ovoïde… Il continue : Certains lecteurs auront alors été un peu déstabilisés à la lecture des premières pages du présent ouvrage, où il s'essaie librement à ce genre nouveau que les éditeurs, les libraires et les journalistes de la modernité ont baptisé : l'essai graphique. Il s'agit surtout, là aussi, de créer un monde pour inventer une forme narrative. Ne pas prendre le lecteur pour un âne. Ne pas se contenter de penser que l'on a trouvé ce qu'on cherche en illustrant un catéchisme savant… Ne pas se faire croire que le lecteur doit systématiquement être en position confortable. Chercher. Essayer… Oser surestimer ce qui se passe entre les cases, et y explorer cette temporalité alternative de la lecture que permet le médium Bande dessinée. Les idées visuelles enfermées dans des cases ne sont rien avant de prendre corps entre les mains du lecteur. Libre à lui d'en faire des points d'exclamation, d'interrogation, ou de suspension. Seconde originalité dans cet ouvrage, Thierry Murat fait plus que simplement mettre en image le livre du philosophe franco-argentin : il en reprend la structure, les thèmes, la logique, et il évoque son dialogue avec l'auteur sur différents passages, sur certains questionnements, évoquant également la résonnance avec son quotidien ou ses propres choix. Ce parti pris constitue effectivement un prolongement de l'ouvrage initial, et le lecteur peut faire l'expérience de la rencontre entre ces deux auteurs, de leurs idées communes, exprimées chacun à leur manière. Ce principe est affiché dès les première pages dans lesquelles le bédéiste alterne des images de circuits imprimés schématisés, avec les paysages des Landes en mode semi-nocturne, alors qu'il conduit sa voiture, opposant ainsi le minéral du silicone au paysage ouvert des silhouettes d'arbres et des oiseaux dans le ciel. Dans le même temps, il évoque le processus laborieux de prise de contact directe avec le philosophe, et sa réticence à utiliser un logiciel de visioconférence. Les auteurs mettent en scène l'opposition entre l'artificialité du monde numérique et le vivant organique du réel. Enfin une première conversation téléphonique peut avoir lieu, puis Murat doit différer la réalisation de ce projet du fait de son départ pour la Colombie. Puis le dessinateur évoque le paradoxe de l'âne de Buridan (Jean Buridan, 1292-1363, philosophe français) : cette question philosophique est reprise par la suite sous un angle de logique, en évoquant Deep Blue, développé par IBM au début des années 1990, le logiciel qui a battu Gary Kasparov aux échecs en 1997. Le lecteur se prend rapidement au jeu de la lecture : les échanges entre les deux auteurs qui reprennent le processus de création de l'adaptation et de la bande dessinée, induisant à la fois une forme légère de mise en abîme, une lecture personnelle de l’œuvre, une invitation à la prise de recul de la part du lecteur. Le titre annonce clairement le positionnement des auteurs sur le sujet : le point d'interrogation étant quasiment superflu. En effet, Murat annonce qu'il a abandonné l'usage de tous les réseaux sociaux, Benasayag insistant dès le début sur la comparaison erronée entre le fonctionnement d'une intelligence artificielle et celle du cerveau. Le titre de ses ouvrages parle d'eux-mêmes : La singularité du vivant (2017), Fonctionner ou exister (2018), La tyrannie des algorithmes (2019). Conscient du parti pris des auteurs, le lecteur relève plus facilement que tous les arguments contre le monde du numérique sont à charge. Il se rend compte des omissions sciemment effectuées ou de l'absence de mention des apports du numérique au sens large dans la vie quotidienne, ce qui ne diminue en rien le point de vue des auteurs. Dans cette forme unique, ils évoquent aussi bien les spécificités du fonctionnement organique du cerveau humain, que les techniques de captation de l'attention, le circuit de récompense de la dopamine, ou encore les conséquences des fonctions déléguées aux machines informatiques et aux algorithmes. Il s'agit donc d'une lecture active, se faisant tout naturellement, sans avoir besoin de s'arrêter pour réfléchir sciemment aux liens entre textes et images, au pourquoi du choix de telles illustrations. L'artiste impressionne par son usage de silhouettes, d'icônes, de paysages naturels, de rapprochements visuels, de métaphores imagées. Il couvre tout le spectre de la représentation du dessin descriptif réaliste au symbole visuel, en passant par l'image conceptuelle à en être parfois abstraite si elle est prise hors de contexte de celle d'avant ou celle d'après (ce qui illustre le travail du cerveau pour identifier les schémas et produire du sens, ce qui se passe entre les cases), le facsimilé de bande dessinée humoristique (Les aventures de Thierry & Miguel), des dessins reproduisant des artefacts culturels comme un écran de Pac-Man, le tableau La Joconde, des affiches de réclame, des logos d'entreprise, d'autres œuvres d'art (une sculpture d'Alberto Giacometti, 1901-1966), des écrans d'ordinateur d'avant l'interface graphique, des kanjis, etc., pour une grande diversité graphique que ne laisse pas supposer un simple feuilletage préalable. Cet exposé graphique s'avère fort riche dans son ensemble. Il fait appel à de nombreux éléments cultures, par exemple : La cité de verre (1987) de Paul Auster, Moby Dick (1851) d'Herman Melville (1819-1891), la notion d'apercetion de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716), La grande vague de Kanagawa (environ 1830) de Katsushika Hokusai (1760-1849), la qualité des pensées que l'on a en marchant d'après Friedrich Nietzsche (1844-1900), Blade Runner (1982) de Ridley Scott, l'invention de l'imprimerie par Johannes Gutenberg (1400-1468), la fable du scorpion et de la grenouille de Lev Nitoburg (1899-1937), le corps sans organe d'Antonin Artaud (1896-1948), l'utilité de l'inutile développé par Tchouang Tseu (-369 à -288), l'autobiographie de Corto Maltese (Le désir d'être inutile) par Hugo Pratt (1927-1995), lé dégénérescence des utopies par Claude Shannon (1916-2001, mathématicien, un des fondateurs de la théorie de l'information) & Norbert Wiener (1894-1964, père fondateur de la cybernétique), Bug (2017-2022) d'Enki Bilal, la notion de biopouvoir développée par Michel Foucault (1926-1984), le petit Prince (1943) d'Antoine Saint Exupéry (1900-1944), etc. Les auteurs savent apporter les informations nécessaires pour que tous les lecteurs puissent comprendre ces références et leur rapport avec l'exposé. Ainsi le lecteur saisit aisément la différence fondamentale entre le fonctionnement du cerveau et une intelligence informatique (Tout le corps pense… Pas seulement le cerveau.), la réalité déjà présente du transhumanisme (l'impact de l'omniprésence de l'information disponible en permanence par exemple), le problème avec le progrès (on voit ce qu'on gagne, mais on ignore ce qu'on perd), l'avènement de la société normative (ce qui fonctionne ou ne fonctionne pas), le principe de mariage parfait qui unit aujourd'hui les technosciences et la macroéconomie néolibérale (deux formes d'une même dérégulation), etc. Le titre indique clairement que les auteurs adoptent un point de vue partial sur la question, certainement pour compenser la généralisation et l'enthousiasme pour les technologies numériques sous toutes leurs formes. Malgré une apparence éloignée d'une bande dessinée traditionnelle, le lecteur se rend vite compte du confort de lecture, de l'intelligence de la mise en images, conçue sur mesure pour cet exposé graphique. Il apprécie les points de vue du philosophe grâce à la richesse des références, la clarté du propos, sans pour autant perdre son propre esprit critique. du grand art, de la réflexion très humaine.
Cette lecture est exigeante et assez aride. Thierry Murat effectue un travail remarquable pour transcrire sous la forme d'un essai graphique l'ouvrage du philosophe argentin Miguel Benasayag " Cerveau augmenté, homme diminué". Il s'agit bien d'un essai et pas d'une adaptation sous forme d'un roman graphique. Murat entreprend ainsi un dialogue avec Miguel sur les chapitres de son livre. Cela fait appel à de nombreuses références de philo (surtout Leibniz) ou d'éthique. Les concepts abordés sont difficiles mais Murat parvient à les traduire de façon accessible pour un néophyte sans tomber dans une vulgarisation facile. De plus même si les auteurs tentent d'alerter sur l'inconnu historique que représente cette hybridation homme-numérique le ton évite un catastrophisme anxiogène. Perso j'appartiens à une époque sans portable et je suis resté peu connecté. Je comprends donc parfaitement les arguments présentés et je suis en accord avec ceux-ci. L'ouvrage touchera probablement plus une personne qui a connu, comme moi, tout ce développement du numérique, la transformation et l'influence que cela a sur la vie quotidienne. Le graphisme est à la fois secondaire et important. Secondaire car c'est un texte qui accapare l'attention et important pour proposer un visuel qui entre en résonnance avec la pensée proposée. Une lecture ardue sur un sujet fondamental dans le (dis ?) fonctionnement des sociétés d'un très proche avenir. Un bon 3
De prime abord, il pourrait paraître surprenant de voir Thierry Murat aborder un genre auquel il ne nous a pas habitués : l’essai socio-philosophique. L’homme est plutôt coutumier de fictions intemporelles traitées sur un mode poétique, avec pour fil rouge le rapport de l’Homme à la nature. Et pourtant, à y regarder de plus près, cela s’avère plutôt logique. Le projet de cette bande dessinée est à sa seule initiative. C’est lui qui a contacté Miguel Benasayag après avoir lu son essai, lui proposant d’en faire le « prolongement graphique ». Dans son livre, Benasayag traite peu ou prou, même si son approche est beaucoup plus rationnelle, des thèmes irrigant l’œuvre de Murat, à savoir : notre lien perdu à la nature dans notre course au progrès. Plus concrètement, le philosophe essayiste nous alerte dans son ouvrage des dangers liés au rêve scientifique de concevoir le cerveau « parfait » en l’envisageant plus ou moins comme un ordinateur. A l’évidence, Thierry Murat n’est pas technophobe, mais entretient une méfiance viscérale vis-à-vis des nouvelles technologies, avec nombre de questionnements et d’inquiétudes. Le livre de Benasayag constituait pour lui l’occasion rêvée de l’exprimer, conscient qu’il n’avait pas forcément la légitimité en tant que bédéiste de produire lui-même un tel essai. Son rôle était plutôt d’en faire une adaptation, d’autant que Benasayag lui avait manifesté pleinement son enthousiasme, tout en lui conseillant d’en faire non pas une simple adaptation mais plutôt une « transduction ». Difficile de dire si Murat a respecté la consigne liée à ce terme savant (qui consisterait à coder « les informations du monde extérieur par [nos] récepteurs sensoriels » !) mais on peut au moins reconnaître qu’il s’est approprié formidablement le support d’origine. Ainsi, au fil des pages reprenant des passages du livre s’égrènent les discussions entre les deux hommes, sur un ton amical et avec une complicité qui s’est installée dès la première prise de contact. Murat ne se dépare pas de son style graphique « impressionniste », avec cette tournure sobre et un peu sombre qu’on lui connaît, faisant que l’image répond au texte sans le parasiter. Il sait également faire preuve d’humour en glissant des strips plus « cartoon » où il se met en scène avec Benasayag. Tout cela contribue à insuffler un peu de légèreté à un sujet tout de même assez ardu, si passionnant soit-il. On ne s’étendra pas sur le fond, qui concerne davantage l’ouvrage de Miguel Benasayag, mais la bande dessinée semble avoir parfaitement synthétisé son propos et permet ainsi au lecteur d’alimenter sa réflexion, sans qu’il lui soit demandé d’être érudit d’un point de vue scientifique et philosophique. Et sur ce plan, le projet est une totale réussite. Globalement, il nous invite à faire preuve de vigilance à l’égard de nos outils technologiques et de maintenir notre lien avec le vivant. Notre cerveau n’est pas une simple machine que l’on pourra déterritorialiser comme bon nous semble, mais un organe avec une « histoire vieille de sept millions d’années », tandis que les algorithmes, eux, « ont colonisé le monde entier avec une vitesse incroyable, en quinze ans à peine… » ! A défaut d’augmenter votre cerveau par des artifices en forme de miroirs aux alouettes, cet ouvrage fera sans doute carburer vos neurones, à un moment où ceux-ci sont de moins en moins sollicités par les promesses des « prothèses numériques » (Google ne nous sert-il pas déjà à pallier nos trous de mémoires ?). Si certains termes du livre peuvent paraître compliqués, il ne faudra pas s’arrêter à cela et déployer ses « capteurs sensoriels » pour en tirer la substantifique moelle qui permettra (ou pas) de « réinitialiser son propre logiciel interne » et revenir vers ce qui fait de nous des humains. « Cerveaux augmentés » n’est pas destiné à distraire, mais à communiquer des « données » nous permettant de retrouver, tant que faire se peut, notre libre arbitre dans un monde où l’on peut avoir parfois la sensation que la technologie décide à notre place. Lire ce livre passionnant, extrêmement enrichissant, nécessite certes un certain effort intellectuel, dont les intelligences artificielles « rêvent » assurément — en admettant qu’elles aient commencé à rêver — de nous délester… Une lecture brillante et indispensable, et une voie, peut-être, vers la désaccoutumance technologique et l’addiction à nos smartphones.
Cet album se veut le prolongement de l'essai de l'ouvrage de Miguel Benasayag "Cerveau augmenté, homme diminué" paru chez la Découverte en 2016. Ouvrant la nouvelle collection La Découverte/Delcourt, cette BD documentaire réussit à vulgariser un ouvrage assez pointu traitant du transhumanisme et de l'hybridation homme/machine. En cette période où l'IA fait l'actu et où le numérique prend de plus en plus de place, voilà une réflexion des plus intéressante. Si dans l'ensemble le passage de l'essai au support BD est réussi et permet de faire passer efficacement le message des auteurs, certains concepts perdent à mon avis en explication dans cette transposition. Si je prends le concept d'"aperception" par exemple qui semble en plus être un pilier de l'argumentaire de nos auteurs, j'avoue ne pas avoir précisément saisi son sens, ce qui est plutôt dommageable je trouve. Mais sorti de quelques uns de ces concepts qui m'ont semblé flou, le reste est digeste et ouvre notre réflexion à des problématiques importantes que portent intrinsèquement ces évolutions technologiques. Côté graphisme, j'avoue avoir beaucoup apprécié le travail de Thierry Murat. J'avais découvert son travail avec l'adaptation qu'il avait réaliser du roman Le Vieil Homme et la Mer qui m'avait déjà impressionné. Ici, son travail tout en noir épais et en monochrome sépia joue avec notre imagination et nos codes graphiques pour produire des illustrations très frappantes et pertinentes qui portent une esthétique singulière. J'ai trouvé ça très réussi, son travail permettant au lecteur de s'accrocher au propos parfois pointu développé par Miguel Benasayag. (3.5/5)
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