Eloge de la surface - Dans les profondeurs de la téléréalité
Entrez dans les coulisses de la téléréalité pour en comprendre le fonctionnement et les raisons de son succès.
Documentaires La BD au féminin Télévision
Yasmina, psychologue de 35 ans, est consommatrice de programmes de télé-réalité. Petite dernière d'une brillante famille d'universitaires, elle décide de leur prouver que la télé-réalité est un sujet de recherche digne d'intérêt et parvient à se faire embaucher sur le tournage d'une émission comme journaliste. Plutôt que de s'arrêter au constat méprisant que ces émissions sont au mieux mainstream et au pire avilissantes, les autrices interrogent avec intelligence et humour les mécanismes psycho-sociologiques qui viennent se nicher dans ce désir addictif de regarder l'intimité d'inconnus à la TV.
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Date de parution | 30 Juin 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Parce que la bêtise est l’apanage des autres. - Ce tome contient un exposé complet, indépendant de tout autre ; il ne nécessite pas de disposer d’informations au préalable. Sa publication date de 2023. Il a été réalisé par Stella Lory pour le scénario, les dessins et les couleurs, et par Tilila Relmani pour le scénario. Il comprend cent-seize pages de bande dessinée. Il se termine par une page listant les sources (livres, articles, études, émissions, soit vingt-cinq références), et une page de remerciements. Un avion approche de l’aéroport de Phuket, en Thaïlande, avec à son bord Yasmina Makleoud. Elle est attendue à sa sortie par un homme qui tient une pancarte portant son nom à elle, précisant le nom de l’entreprise Turfi Prod. Il la conduit en voiture, à la villa des Sudistes, et il lui souhaite bonne chance. Déposée devant, elle frappe à la porte en notant la culotte et le soutien-gorge négligemment jeté sur la statue de Bouddha sur le côté. La porte s’ouvre et une dizaine de jeunes gens sont en train de se lancer des spaghettis en sauce à la tête, avec deux caméramen en train de les filmer, et un individu hors champ derrière un fauteuil en train d’envoyer un message sur son portable. Yasmina se tourne vers le lecteur en déclarant qu’elle peut tout expliquer. Chapitre un : aux origines de la téléréalité. Quelques jours plutôt, Yasmina participait au repas de la famille Makleoud, une tablée comprenant sept adultes et un bébé. La grand-mère se râcle la gorge et annonce que cette après-midi, elle va voir l’exposition Arte Povera, en demandant si quelqu’un veut l’accompagner. Le frère aîné annonce qu’il n’est pas libre car il doit avancer sur sa thèse d’habilitation. La grande sœur donne une conférence à la Sorbonne cette semaine : elle prépare un colloque sur les crises de civilisation. Son compagnon parlera de la dissolution symbolique des organes de représentation du peuple. Rym donnera une conférence à la cinémathèque sur l’évolution des critères de beauté dans le cinéma taïwanais. Seule Yasmina n’a pas d’activité intellectuelle à son actif. La conversation reprend à table et Rym demande si les parents préfèrent que Yasmina leur annonce qu’elle va faire les anges de la téléréalité, ou qu’elle part en Afghanistan pour épouser un moudjahidine ? L’absence de réponse consterne Yasmina qui rappelle que la téléréalité la passionne. Devant l’effarement de la famille, elle leur demande s’ils ne brûlent pas de comprendre pourquoi ces programmes ont autant de succès. Et d’où viennent ces candidats aux physiques surréalistes ? Et pourquoi on aime les regarder comme si on avait accès à quelque chose d’interdit ? La mauvaise réputation de la téléréalité ne montre-t-elle pas à quel point on stigmatise les candidats et la culture populaire en général ? En quoi la téléréalité serait un sujet d’étude plus déshonorant que l’Arte Povera du président Pompidou ? Bien lancée, elle continue : avant la téléréalité, il n’y avait pas que des programmes intelligents. Elle se rappelle une émission d’Apostrophes où Bernard Pivot recevait un auteur dont le roman raconte une histoire d’amour bouleversante entre une jeune fille de quatorze ans et un écrivain de soixante-dix ans. Le titre propose un programme fort alléchant, quelque peu tempéré par le sous-titre, en fonction de l’appétence du lecteur pour la téléréalité. La scène d’ouverture le conforte dans ses a priori, qu’il soit plutôt intéressé par l’aspect dubitatif quant à l’intérêt de ce type de programme télévisuel, ou au contraire qu’il y prenne grand plaisir au premier ou au second degré. La dessinatrice a opté pour une apparence visuelle jeune et amusée, une exagération dans les expressions de visages et le langage corporel, une simplification dans les formes, un point de vue féminin (affirmé au cours du récit) sur son immersion dans cette parodie des Marseillais : le lecteur peut aussi bien y voir une forme de dérision appliquée au sujet, autant qu’un entrain accompagnant les facéties et les outrances des histrions qui se donnent sciemment en spectacle devant la caméra. Dans le même temps, dès cette séquence introductive en deux parties (l’arrivée à la villa à Phuket, le repas de famille qui conduit à l’inscription de Yasmina), l’artiste fait preuve d’un investissement de toutes les cases, que ce soit pour le niveau de détails, ou l’énergie et l’émotion. Le lecteur ne peut qu’éprouver du respect pour l’honnêteté de sa démarche, et sa curiosité pleine et entière. Il peut donc lire cette bande dessinée comme une mise en situation, une immersion dans la production d’une émission de téléréalité, calquée sur celle qui connaît le succès à ce moment-là. Rapidement, il apparaît que Yasmina Makleoud ne jouera pas le rôle de candidate, mais de journaliste (son titre officiel), enfin plutôt assistante réalisatrice dans la villa elle-même, en prenant bien soin de rester hors champ à tout moment, et elle va nouer une réelle amitié avec Lenina, l’une des candidates. L’autrice montre qu’elle a effectué un solide travail de recherche sur les modalités de tournage : elle représente les différentes situations correspondantes. Le lecteur arrive ainsi en pleine bataille de spaghettis en sauce, puis la bande dessinée reprend l’ordre chronologique en partant du casting que passe Yasmina, puis elle participe à l’audition d’autres candidats. Viennent ensuite la première journée de travail à la villa, à suivre Ada, la productrice totalement survoltée, la régie avec les écrans de contrôle et le retour de tous les micros accrochés au candidats et disséminés partout dans la villa, la phase d’interview des participants en fin de chaque journée, la découverte du script pour le lendemain, la journée de repos et ses occupations, les placements produits par les candidats sur leurs réseaux sociaux respectifs, les sorties organisées (quad, jet-ski, boîtes, n’importe quelle activité consumériste), etc. Le lecteur est emporté par le tourbillon d’activités, par l’énergie déployée pour rendre chaque moment excitant, par l’intensité de n’importe quelle émotion (sans grand rapport avec n’importe quel instant, chacun relevant du non-événement). La narration visuelle utilise les codes de la comédie comique, exagération, réactions disproportionnées, comportements infantiles, jeunisme, mise en scène agitée, pour rendre compte de cette animation perpétuelle, de cette ébullition désordonnée. Yasmina concocte une journée type pour les candidats, teintée de parodie : 12h00 : contre toute attente, les candidats mangent des tagliatelles au pesto sur le canapé du salon quand Aaaron vient leur annoncer une activité consumériste. 13h30 : l’activité du jour, quad. Encore une distraction choisie sur un modèle bien capitaliste : coûteuse, polluante, inutile, et surtout la moins culturelle possible. 18h00 : on annonce aux candidats qu’ils vont passer la soirée en boîte de nuit, consentants ou pas. 18h20 : préparation des mecs = temps de cuisson d’un œuf à la coque. 20h15 : préparation des filles = temps d’affinage d’un brie de Meaux. Elles vérifient la théorie bourdieusienne selon laquelle la femme doit rester cet objet accueillant attrayant et disponible. 20h45 : sous le silicone et les nano-robes en polyester se dissimule un système de pensées conservatrices, mantra des programmes. L’injonction à se mettre en couple (hétéro, cela va de soi) pour durer dans le programme. La fidélité. Mais surtout la respectabilité. Des devoirs exclusivement féminins. Malgré leurs efforts, les Sudistes ne passent toujours pas le test Bechdel-Wallace : l’indicateur du sexisme des films en trois critères. 20h45 : Show must go on, Lenina se traîne vers le dancefloor. Grave erreur tactique de Lenina qui se croit autorisée à assumer enfin son désir pour un autre homme. 22h47 : Aaaron fulmine et entame une nouvelle parade de la virilité. 23h00 : finalement tout le groupe s’est mis d’accord, la seule et unique fautive est Lenina. 00h37 : édifiante master class illustrant combien, sous un apparent libéralisme, les valeurs conservatrices de la téléréalité sont fortes. De manière intriquée, l’autrice développe des interrogations et des analyses sur chacune de ces facettes de la téléréalité. Elle évoque les débuts historiques de ces programmes : Loft Story et Big Brother. Puis leur déclinaison sur de nombreux formats : Pékin Express, Koh-Lanta, Super Nanny, Nouveau look pour une nouvelle vie, Top Chef, Pascal le grand-frère, et bien sûr Les Marseillais, autant de catégories : vie en communauté, compétition, télécrochet, environnement de vie, séduction, sensations, mise en scène de vedettes, modes de vie, et plus si affinité expérience de vie, rénovation, rencontres, canulars, show culinaire, en soulignant le passage d’une téléréalité d’enfermement à une téléréalité de vie collective. Elle fait référence et cite plusieurs sociologues et artistes : François Jost (1949-) sémiologue, Andy Warhol (1928-1987) artiste, Patrick Le Lay (1942-2020) patron de chaîne et sa célèbre formule de Temps de cerveau disponible, Eva Illouz (1961-) sociologue et universitaire spécialisée dans la sociologie des sentiments et de la culture, Pierre Bourdieu (1930-2002) sociologue, le test Bechdel-Wallace, Didier Anzieu (1923-1999), psychanalyste. Elle aurait pu également inclure la notion de société du spectacle annoncée et théorisée par Guy Debord (1931-1994). Loin de pointer du doigt les candidats comme des boucs émissaires, elle expose les mécanismes comme les valeurs réactionnaires véhiculées par cette forme de téléréalité (le capitalisme scopique), en particulier le fardeau imposé aux femmes, le narcissisme des candidats qui savent très bien mettre en œuvre la stratégie du retournement du stigmate, la danse à deux du voyeuriste et de l’exhibitionniste. Parti pour une lecture légère aux apparences girly sur la téléréalité de type vie collective, le lecteur en a pour son argent avec une mise en situation au sein d’une émission évoquant Les Marseillais, accompagnant une jeune femme dans la fabrication d’une saison directement dans la villa, à un rythme d’enfer avec une narration visuelle colorée et à fond de train. Dans le même temps, les autrices tiennent également la promesse de sonder ce média dans ses profondeurs, avec une analyse sociologique nourrie et pénétrante. Un ouvrage vulgarisateur, et une analyse qui s’immergent sous la surface, en reconnaissant le succès de ces divertissements comme relevant de la culture populaire.
Je ne regarde plus ce genre d’émission depuis longtemps mais j’étais bien présent aux prémices. J’avoue une certaine curiosité à découvrir une enquête sur ce milieu. Malheureusement pas mieux que Mac Arthur niveau ressenti. L’humour déployé ne m’a pas touché et la démonstration m’a semblé assez insipide, on n’apprend pas grand chose de cette industrie, ça confirme juste l’image qu’on en a, le factice. Niveau graphisme, c’est fluide mais je n’aime pas trop le trait et l’énergie de l’auteure. Bref je n’y ai pas trouvé mon compte. Je constate juste que le système s’est bien perverti.
A titre personnel, je ne peux malheureusement que constater l’échec de la démarche. Les autrices voulaient nous expliquer les raisons de la fascination qu’exercent les émissions de téléréalité du type Loft sur la population… et à la fin de ma lecture, je n’ai toujours pas compris ces raisons. Bon ! Je reconnais être mauvais public puisque je ne me souviens même pas avoir regardé plus que le temps nécessaire pour zapper sur une autre chaine (soit grand maximum 2 secondes d’affilée) ce type d’émission. Mais si ces émissions ne m’intéressent pas, le sujet, lui m’intriguait et je me suis lancé dans cette lecture avec envie, bien aidé par le ton général de la bande dessinée (certes très girly mais traitant sérieusement du sujet sans se prendre au sérieux (et ça, c’est quelque chose que j’apprécie d’ordinaire)). Qu’ai-je appris ? Que ce type d’émission était scénarisé ? Bahhhh, on s’en doute un peu, non ? Que les candidats soignent leur narcissisme en exhibant ainsi leur supposée vie privée ? Intéressant… se faire passer pour des idiots soignerait donc leur ego ? Là, les autrices marquent un point ! Je ne l’aurais jamais supposé ! Que les candidats ne sont pas tous des idiots et qu’ils jouent le rôle qu’on attend d’eux ? Bahhh oui, comme n’importe quel acteur, même le plus médiocre. Que le rythme de tournage est effréné ? Pas vraiment de surprise là non plus ! Que tout le monde a au moins regardé une fois dans sa vie ce type de téléréalité ? Ah bon ? J’ai l’intime conviction que les autrices croient dur comme fer que c’est bel et bien le cas et que ceux qui disent ne jamais avoir regardé ce type de téléréalité mentent par fierté mais je pense très sincèrement qu’elles se trompent et que beaucoup plus de personnes qu’elles ne l’imaginent n’en ont rien à battre de ce type de voyeurisme. Les autrices abordent aussi le sujet du sexisme et de l’image de la femme proposé par ces émissions. Je n’y ai été que très peu sensible tant il m’a semblé que l’image de l’homme n’était pas plus glorieuse (elles : objet sexuel, idiotes, jalouses – eux : glorifiant leurs corps, crétins, immatures, infidèles – pour moi, il y a match nul). Mais la grande question était pourquoi autant de personnes regardent ces émissions. Et le seul argument que j’ai retenu est que regarder des personnages incultes valorise l’image que nous avons de nous-mêmes. Et comme chez moi, c’est plutôt l’effet inverse (voir des jeunes abrutis claquer un fric dingue (offert par les producteurs) sans tenir compte de réalités climatiques, écologiques, politiques ou autres me fait surtout déprimer et espérer que l’humanité est bien en voie d’extinction), j’ai du mal à accepter l’argument. Sinon, d’un point de vue technique, la bande dessinée est plutôt bien faite. Le docu-fiction est bien équilibré, facile à lire, facile à comprendre. Certains détails sont pertinents… mais je capte toujours pas ce que des jeunes jouant aux idiots sexuellement instables partant en excursion en jet-ski peuvent apporter de constructif et de positif aux personnes qui les regardent. Voilà, c’était une belle tentative, c’est pas mal fait dans son genre, mais pour moi l’objectif n’est pas atteint. Tout au plus cela déculpabilisera certains spectateurs qui se diront qu’il y a bien une raison psychologique au fait qu’ils regardent ces émissions… mais honnêtement, la raison invoquée me fait penser que ces spectateurs ont eux-mêmes un problème d’ego et d’image d’eux-mêmes (à ce titre, il est intéressant de constater que les autrices ont justement choisi comme héroïne une psychologue affublée d’un gros complexe d’infériorité vis-à-vis de sa famille, CQFD ?).
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