Lodger

Note: 4/5
(4/5 pour 4 avis)

Après Stray Bullets, Maria & David Lapham reviennent dans ce récit sombre et crasseux à travers les paysages américains. Et comme tous les meilleurs récits noirs, LODGER est avant tout une histoire d'amour bien déjantée.


IDW Publishing

Ricky Toledo avait quinze ans lorsqu'elle est tombée amoureuse d'un beau et ténébreux vagabond qui louait une chambre dans sa maison familiale. Puis le bellâtre a tué sa mère et fait en sorte que son père soit envoyé en prison pour ce meurtre. Trois ans plus tard, Ricky ne recule devant rien pour se venger. Et la jeune femme brisée est accompagnée de son fidèle compagnon - un Smith et Wesson 45 en or nommé Golddigger...

Scénario
Dessin
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 13 Septembre 2023
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Lodger © Delcourt 2023
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 4 avis)
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Les voyages forment la jeunesse. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il contient les 5 épisodes de la minisérie, initialement parus en 2018/2019, coécrits par David & Maria Lapham, dessinés et encrés par David Lapham. Il s'agit d'une bande dessinée en noir & blanc. Ed Piskor a écrit une introduction d'une page, soulignant le fait que les époux Lapham écrivent des personnages complexes qui dépassant les catégories Bons & Méchants, et qu'ils comptent sur l'intelligence du lecteur pour participer activement. le tome comprend également la couverture variante réalisée par Bill Sienkiewcz, ainsi que 8 pages de crayonnés et d'études graphiques. Dans son blog, Lodger évoque son arrivée dans la petite ville de Blossom, 1.400 habitants, située au nord du Lac Supérieur, après avoir passé 2 mois à voyager en bus. Dans un des pavillons, un homme âgé rentre chez lui et se rend dans la chambre où sa femme est alitée. Il indique qu'il a parlé à quelqu'un (peut-être leur fils) et que celui-ci va venir séjourner quelques jours chez eux, ce qui amène un grand sourire sur le visage de sa femme. Il lui rabat son masque sur les yeux pour qu'elle se rendorme. Dans son blog, Lodger continue d'expliquer son périple : il a préféré s'arrêter à Blossom, plutôt que de se rendre à Winnipeg comme il en avait l'intention, la ville lui semblant très accueillante. Ailleurs dans la ville, Ricky arrive au volant d'une voiture et se stationne devant le drugstore. Elle parle à haute voix à un certain Golddigger. Alors qu'elle va pour y entrer, un vieil homme ouvre la porte, en sort et la lui tient ouverte en l'assurant qu'elle sera comblée par les glaces faites maison. Elle se dirige vers le comptoir et se renseigne auprès du barman pour savoir pourquoi il y a autant de voitures de police dans la rue. Ricky indique au barman qu'elle a lu de bonnes appréciations sur le blog de Lodger. Elle lui pose des questions sur les glaces faites maison, et en particulier le parfum Rêve d'Amande. Finalement elle repart sans avoir rien consommé et se rend chez Jeanie Southbird, une habitante louant des chambres près du lac. Sur le pas de la porte, elle remarque le courrier accumulé non ouvert. Elle rentre à l'intérieur et découvre la logeuse inconsciente sur son lit, ses chats en train de la regarder. Il y a des mouches qui baguenaudent sur son visage : elle semble morte, suite à un suicide médicamenteux. Ricky fouille un peu dans ses affaires, puis s'éclipse discrètement par la porte de derrière. Elle s'est éloignée de quelques mètres quand une voix lui intime de s'arrêter, de placer ses mains sur la tête, et de se retourner. Ricky Toledo obtempère à l'injonction des 2 policiers, tout en faisant discrètement tomber son revolver par terre, à leur insu. Ils vérifient son identité et elle leur indique que la veille elle se trouvait au Pine Ranch Lodge, en bordure de la ville d'Omaha. Un policier vérifie ses dires, pendant qu'elle explique à l'autre qu'elle recherchait Freddie, son copain qui l'a laissée tomber. L'autre policier revient en indiquant qu'un autre cadavre vient d'être découvert. Un lecteur avertit en vaut deux et ce ne sera pas de trop. S'il connaît déjà les époux Lapham pour leur série Stray Bullets, le lecteur sait qu'il s'apprête à plonger dans un polar noir et glauque. S'il a lu l'introduction d'Ed Piskor, il sait qu'il va devoir mettre son cerveau à contribution pour une lecture active. Sinon, il découvre une première page attestant déjà d'une narration sophistiquée : les cellules de texte s'apparentant à des entrées de blog de voyage, les dessins montrant des lieux de vacances avec une suite indiquant la progression de celui qui regarde. Dès la deuxième page, il (re)trouve le découpage de planche qu'affectionne David Lapham : une grille de 8 cases répartie en 4 lignes de 2 cases. En fonction de la séquence, l'artiste peut fusionner 4 de ces cases pour n'en former qu'une : les 2 bandes supérieures, ou les 2 bandes intermédiaires, ou encore les deux bandes inférieures. Il s'agit d'une disposition de cases de type gaufrier, reproduite systématiquement, ce qui produit un effet un peu surprenant de prime abord. Elle renforce la force du lien de cause à effet entre les 2 cases de chaque bande, et elle imprime un rythme très régulier. Les auteurs s'en servent pour accenteur la déstabilisation du lecteur. En effet, il faut du temps au lecteur pour remettre les faits dans l'ordre. le récit est construit en rapprochant des séquences qui ne se déroulent pas dans l'ordre chronologique. Comme à chaque fois dans la mise en pratique de cette recomposition temporelle, le lecteur s'interroge sur ce qu'elle apporte à l'expérience de lecture. le premier effet est de maintenir le lecteur sur le qui-vive puisqu'il ne peut pas faire l'économie d'un dessin ou d'une phrase, et qu'il se demande quel lien logique unit ces différentes informations. Il prête également plus d'attention aux informations visuelles, le dessinateur réalisant des images très prosaïques, banales même, mais pouvant pourtant receler un autre sens. Cela commence dès la deuxième scène : que faut-il voir ou comprendre dans les gestes attentionnés de Carl pour Carla-Ann sa femme alitée ? Lapham fait en sorte de dessiner la séquence, les gestes, pour que le lecteur s'interroge sur l'intention réelle du mari. Page 11, le vieux monsieur tapote sur l'épaule de Ricky pour un geste affectueux dénué de sous entendu pervers. Page 21, le lecteur se rend compte qu'il a sous-estimé l'importance de ce geste, surtout parce que le dessin ne montrait pas tout. Pour autant il n'a pas besoin de revenir en arrière pour s'assurer de ce qui s'est passé. le deuxième effet est que chaque séquence génère des sensations et des ressentis plus riches : celui généré par ce qui est montré au premier degré, celui généré par les suppositions que le lecteur est amené à faire, celui qui survient en décalé quand il prend la mesure de ce qui s'est passé. du coup, le lecteur est plus attentif, et le récit exhale plus de saveurs : la forme recomposée de la ligne temporelle se trouve pleinement justifiée. Les dessins réussissent à dégager à la fois une sensation de spontanéité et de rigueur, pour une impression globale surprenante. Prises une par une, les cases comportent un bon niveau de densité d'informations visuelles, concrètes. L'artiste montre la petite ville de Blossom, en bordure du lac, avec ses bâtiments à un étage, bien alignés le long de la rue principale en bordure du lac, les bungalows majoritairement bon marché en périphérie de la ville, la gare routière très fonctionnelle portant déjà les premières marques de l'usure du temps. La majeure partie des retours en arrière se déroulent à Elroy, en Arizona, une ville écrasée par la chaleur, comptant 312 habitants (enfin 312 au début) : le lecteur voit que cette petite ville s'est construite en fonction de la chaleur, pour des habitants avec un budget limité. Tout du long du récit, les personnages évoluent dans une Amérique des classes populaires. Les décors informent donc le lecteur sur leur niveau social et le récit comme l'intrigue sont intrinsèquement liés à ces lieux banals et fonctionnels. Les auteurs s'en servent pour opposer cette normalité au comportement des personnages. La couverture annonce la couleur : une jeune femme sous le coup d'une forte perturbation émotionnelle armée d'un flingue. Il s'est passé quelque chose et ça va dégénérer. Rapidement, le lecteur comprend que Ricky est à la poursuite de l'individu qui tient le blog du Lodger, et qu'il s'est passé quelque chose de traumatisant à Elroy par le passé, quand elle était plus jeune. Dans un premier temps, il hésite à imputer les entrées sur Lodger sur le blog à Dante ou à Ricky elle-même. Cela fait partie de la dimension active de la lecture, et cela rapproche finalement le poursuivant et le poursuivi, montrant que leur état d'esprit est potentiellement plus similaire qu'il n'y paraît. le décalage entre les entrées de blog et ce que montrent les dessins introduit également une forme de schizophrénie car il n'y a pas exacte correspondance entre les 2 points de vue. Cela sous-entend qu'un ou deux personnages, ou peut-être plus ne sont pas forcément bien dans leur tête, que ce soit sur le plan émotionnel, ou sur leur façon d'interpréter la réalité qu'ils captent avec leurs sens. Les températures très élevées d'Elroy (en moyenne et en valeur absolue) échauffent les esprits et affectent les comportements. Ricky fait régulièrement usage de violence et se montre obsédée par l'idée de retrouver Dante. Ce dernier a également une drôle de façon d'envisager sa place dans la société et le rôle qu'il souhaite y jouer. Quand le lecteur arrive à la fin du récit, il se rend compte que toutes les pièces du puzzle se sont assemblées d'elles-mêmes sans qu'il ne doive fournir d'effort supplémentaire, sans qu'il ne doive retourner en arrière. La recomposition de la ligne temporelle s'est avérée un dispositif pertinent et bien utilisé, donnant plus d'impact au drame qui vient de se jouer. Lodger n'est pas une lecture facile et immédiate en cela qu'il faut accepter de participer de manière active pour se demander ce qui se passe réellement, à partir de ce qui est dit et montré, et pour reconstituer progressivement la chronologie des événements. Dans le même temps, c'est un récit qui touche le lecteur directement, du fait des émotions et des états d'esprit des personnages, et de leur léger décalage par rapport à ce que le lecteur considère être comme normal. Alors qu'il observe des endroits banals et communs, il se rend compte des petites bizarreries dans le comportement et les réactions des uns des autres, comme lui-même peut se sentir en décalage avec les personnes qui l'entourent et qu'il côtoie. de séquence en séquence, il mesure à la fois le naturel du comportement de Ricky, de Dante et des autres, ainsi que leur anormalité, éprouvant l'expérience d'être eux. Il ressort bouleversé en ayant compris le manque émotionnel qui habite Ricky.

27/04/2024 (modifier)

Stray Bullets étant une référence majeure en matière de polar, je ne pouvais décemment pas passer à côté de Lodger, le nouveau bijou concocté par David et Maria Lapham. Grand bien m'en a pris puisque le titre est excellent. Lodger c'est d'abord une histoire de vengeance en mode course poursuite parsemée de cadavres à travers les États-Unis. Mais Lodger, fi du trash et de la violence, c'est avant tout une très belle histoire d'amour (trahie!) impossible.... Le récit est finement écrit et construit et une deuxième lecture plus attentive s'avère très intéressante pour mieux comprendre l'ensemble et identifier des éléments négligés à la découverte. Le trait très élégant de David Lapham fait encore une fois des merveilles. Un incontournable pour tous les amateurs de polar.

03/10/2023 (modifier)