Le Dernier Sergent
Dans le cadre de son autobiographie au long cours, Fabrice Neaud publie un nouveau cycle, plus de vingt après son Journal.
École européenne supérieure de l'image Gays et lesbiennes Gros albums
L'amour, la création, l'homophobie, la précarité, dans la France au tournant du millénaire. Le Dernier Sergent fait suite à Journal et structure "Esthétique des Brutes", le colossal projet autobiographique de l'auteur. Tandis que Fabrice termine le tome 3 de Journal, une certaine reconnaissance de son travail lui fait rencontrer artistes et intellectuels qui structurent son émancipation politique. Mais n'est-elle pas encore pour certains privilégiés ? Les slogans progressistes cosmétiques peuvent-ils augmenter le territoire concret des rencontres entre hommes quand celui-ci a toujours la même surface au sol ?
Scénario | |
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Editeur
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Genre
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Public
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Type
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Date de parution | 27 Septembre 2023 |
Statut histoire |
Série en cours
(4 tomes prévus)
1 tome paru
Dernière parution :
Moins de 2 ans
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Les avis
C’est peu dire qu’on l’attendait avec impatience cette reprise des aventures autobiographiques de Fabrice Neaud, deux décennies après la clôture du premier cycle. Si l’ouvrage incroyablement dense et volumineux (plus de 400 pages !) peut faire peur au premier abord, il continue à captiver tout autant que les précédents. Certains le jugeront peut-être élitiste dans sa réflexion intellectuelle de haute volée, mais le pouvoir de la BD — et surtout le talent graphique et narratif de son auteur — permet de le rendre plus accessible aux moins patients d’entre nous. Car malgré la consistance de l’objet, les passages les plus « textuels » alternent avec des séquences dialoguées ou aérées par un dessin plus descriptif, fournissant une respiration qui confère un bel équilibre à l’ensemble. Qui plus est, Neaud sait recourir à l’humour et l’autodérision dans un dispositif globalement réaliste qui pourrait laisser penser qu’il se prend au sérieux. Au milieu de ses coutumières errances nocturnes dans les parcs en quête d’un bon coup (l’occasion de questionner encore et toujours la visibilité réduite des lieux de rencontre entre hommes au tournant du millénaire, et ce malgré une évolution certaine des mœurs), Neaud évoque de nombreux sujets qu’il serait impossible à détailler ici. Il revient sur la mort de sa sœur et de son père, tous deux atteints d’un cancer, et subséquemment de son hypocondrie croissante dans un contexte où le Sida faisait encore des ravages. Par transition, il questionne le poids des relations familiales avec cette « loi du silence » imposée par une mère à la fois peu aimante et étouffante. Celui à qui on reprochait de ne pas respecter le droit à l’image dans les tomes précédents fait preuve ici d’une retenue qui peut poser question : en effet, ni sa sœur ni sa mère (et encore moins son père, qu’il n’a jamais revu après le divorce parental) ne sont portraitisés, ou alors en silhouette ou de façon partielle. Par pudeur peut-être, ou par souci de ne pas réveiller des plaies douloureuses ? Plusieurs scènes plus ou moins fortes jalonnent le récit, pour certaines carrément saisissantes. On retiendra notamment celle racontant une descente de crétins homophobes dans un bar gay-friendly, déferlement de haine aveugle orchestré qui plus est par des lesbiennes revanchardes (autre sujet abordé subtilement dans le livre : la question de certains lieux gays ayant du mal à accepter la présence féminine). On assistera également aux retrouvailles « inopinées » à Angoulême avec la figure centrale du tome 3 du Journal, le « Doumé », des retrouvailles froides et quasi-silencieuses dont Neaud ne dira rien, preuve s’il en fallait qu’il sait rester pudique à bon escient. Mais désormais, ce chapitre tumultueux de sa vie semble s’être refermé définitivement, sur une rédemption aussi salutaire qu’inattendue. Même si dans cette décennie 90 d’un Internet balbutiant les réseaux sociaux n’existaient pas, on pouvait déjà s’exprimer sur les forums. Et déjà, la violence des mots, la mauvaise foi et le manque de nuance se déversaient sans égard pour la cible visée, avec la désinvolture inhérente à l’anonymat, et l’auteur en a fait les frais à propos de la fameuse question du droit à l’image, accusé d’être une ordure sans empathie et autres noms d’oiseaux, alors qu’aucun des protagonistes de ses livres ne s’était ouvertement manifesté. Fabrice Neaud en fut profondément affecté, et son rapport à Internet à jamais entaché. Ainsi, l’ouvrage se conclut sur une note douce-amère, dans un désenchantement poétique métaphorisé par des vues d’arbres abattus par LA tempête, celle de 1999, surplombés par des ciels lyriques et monumentaux venant en contrepoint, tels des tremplins vers l’évasion spirituelle, des planches de salut pour les âmes torturées par l’insoutenable pesanteur terrestre. Les plus observateurs pourront sans doute noter une évolution du trait, qui s’est encore affiné depuis « Les Riches Heures ». Il faut préciser toutefois que, comme le révèle l’auteur, une centaine de pages du livre ont été réalisées au début des années 2000, ne représentant que 10 % du livre, mais que certaines pages ont dût être remaniées, la rupture graphique étant trop flagrante selon lui. Une chose est sûre, son talent ne s’est pas démenti, ces « Guerres immobiles » entérinant cette concordance parfaite entre textes et dessins. Un journal intime révèle toujours un certain égocentrisme de celui qui le rédige. Fabrice Neaud en est plus que conscient mais chez lui, l’exercice a clairement fonction d’exutoire ou de thérapie, dont il assume la subjectivité. Car plutôt que la lumière, l’auteur préfère l’obscurité des parcs, lui qui se définit comme un « phasme souffreteux ». Et cette lumière, il choisit de la diriger sur « ses » mâles bien balancés, pour mieux les croquer sur ses carnets, tel un vampire, un « narcisse vide [ayant] besoin de se nourrir de la substance de l’autre », pour reprendre une des citations du livre de Marie-France Hirigoyen, « Le Harcèlement moral », dont il reproduit un long extrait, avec cette définition qu’il reprend courageusement à son compte. A cette époque, il ne s’aimait pas beaucoup, et cette façon de se mettre totalement à nu (au propre comme au figuré) ne peut que susciter l’empathie du lecteur pour cet écorché vif qui n’hésite pas à tailler dans l’os. Rarement dans la BD, un auteur s’est livré avec autant de sincérité, avec un jusqu’au-boutisme assez touchant où ses obsessions sexuelles, dans un savant équilibre, le disputent à une réflexion élaborée, comme une sorte de match entre la tête et les couilles… Dans la lignée des opus précédents, « Le Dernier Sergent », dernière pièce de ce qui se profile comme un véritable chef d’œuvre, celui d’une vie assurément, installe un peu plus le travail de Fabrice Neaud au rang d’art, dans le vrai sens du terme. Ce pavé est bien évidemment inspirant et incontournable pour la communauté LGBT, en particulier pour ceux qui (comme moi) ne se reconnaissent pas dans les caricatures, mais il devrait interpeler aussi l’ensemble du public désireux de découvrir une approche totalement hors des clichés habituels. Et ça, ça fait un bien fou !
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