Bobigny 1972
Le procès qui a permis la légalisation de l'avortement.
1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Femmes d'aujourd'hui Gisèle Halimi La BD au féminin Le droit à l'avortement Pionnières Procès Violences faites aux femmes
En 1972, Marie-Claire Chevalier, enceinte à la suite d’un viol, est dénoncée pour avortement clandestin par son propre agresseur. L’avortement est encore, à cette époque pas si lointaine, un délit passible d’une très forte amende et même d’incarcération. Sa mère qui a tout mis en œuvre pour lui venir en aide, ainsi que des femmes ayant pris part aux événements, comparaissent elles aussi devant la justice, pour complicité. Cette affaire dramatique tristement banale devient l’un des grands procès historiques par le concours de Gisèle Halimi, avocate de toutes les grandes causes féministes et antiracistes. Elle s’empare de l’histoire de Marie-Claire et de sa mère, pour créer un électrochoc médiatique, public et sociétal. Elle ne défend plus une jeune femme « coupable » d’avortement, elle attaque les lois et politiques anti-abortives qui sévissent en France. Forte du soutien de grandes stars françaises, actrices, intellectuelles, journalistes mais aussi personnalités politiques, Maître Halimi a pour objectif de provoquer une jurisprudence dont le tribunal de Bobigny devient le théâtre. (texte : Glénat)
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Date de parution | 10 Janvier 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
C'est votre loi qui est coupable. - Ce tome contient un récit complet indépendant de tout autre, qui ne nécessite pas de connaissance préalable sur le procès de Bobigny, contre l'avortement, en octobre et novembre 1972 à Bobigny. Sa première édition date de 2024. Il a été réalisé par Marie Bardiaux-Vaïente pour le scénario, et Carole Maurel pour les dessins et les couleurs. Il comprend cent-quatre-vingt-cinq pages de bande dessinée. Il se termine avec une page de remerciements et une page de bibliographie, ainsi que les coordonnées de l’association Choisir. Dans les rues de Bobigny, une nuit de janvier 1972, une voiture rouge fonce à toute allure, poursuivie par une voiture de police, sirène hurlante. Coincé dans une impasse, le conducteur doit sortir les mains levées, sous la menace de l’arme de service d’un policier. Il est emmené au commissariat et accusé de vol de voiture, refus d’obtempérer, délit de fuite, mise en danger de la vie d’autrui : Daniel P. va prendre cher. Conscient de ce qu’il risque, le jeune homme déclare vouloir négocier, ce qui fait rire de bon cœur les deux policiers. Quelques jours plus tard, un matin à six heures, une voiture de police se stationne en bas d’un petit immeuble, trois policiers dont un en uniforme montent dans les étages et sonnent à la porte de Mme Chevalier. La voisine ouvre sa porte, mais les policiers lui intiment de rentrer dans son appartement. Michèle Chevalier ouvre sa porte, les policiers entrent et ils procèdent à une perquisition de son appartement. Leur entrée a réveillé les trois filles, dont Marie-Claire adolescente. Les policiers dérangent tous les placards, les armoires, la commode, les matelas et finissent par trouver un objet suspect. Ils embarquent Michèle Chevalier et ses trois filles au commissariat. La voisine Nicole ressort sur le palier avec son nourrisson, et elle prend en charge les deux plus jeunes filles. Au commissariat, la mère et la fille sont interrogées séparément. L’adolescente reconnait qu’elle a avorté, et sa mère reconnaît l’avoir aidée. Les policiers leur posent la même question : Sont-elles conscientes qu’il s’agit d’un crime, relevant de l’article 317 du Code Pénal ? Ils en font la lecture : Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procédé ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, et d’une amende de mille huit cents francs à cent mille francs. Elles sortent du commissariat sous le coup de cette accusation. En juin 1971, plusieurs amies sont réunies : Gisèle Halimi, Christiane Rochefort, Simone Veil, Delphine Seyrig. Elles évoquent l’appel des trois cent quarante-trois femmes, publié dans l’hebdomadaire Le nouvel observateur. Certaines des signataires ont été convoquées par leur employeur. Elles décident de créer une association : Choisir la cause des femmes. Il est possible que le lecteur parte avec un a priori : une bande dessinée retraçant un fait historique et un événement social majeur, ça risque d’être pesant en informations. Il éprouve la surprise de découvrir que la bande dessinée commence par une rapide course-poursuite nocturne en voiture, puis par une effrayante arrestation avec une perquisition sans ménagement. Même s’il connaît le déroulement des faits dans les grandes lignes, ainsi que l’importance du procès de Bobigny menant à la loi du 17 janvier 1975 relative à l'interruption volontaire de grossesse, le lecteur est pris dans la tension des enjeux de ce procès, par la terrible pression qui pèse sur l’adolescente et sur sa mère, par la conviction inébranlable de l’avocate, par l’implication de nombreuses célébrités, par le calme et la patience du juge, et par-dessus tout par chaque injustice, les unes après les autres. Les scènes de prétoire sont bien présentes, mais pas majoritaires : les autrices mettent en scène plusieurs femmes, et elles racontent leur histoire personnelle : le viol et l’avortement de Marie-Claire, aussi éprouvants l’un que l’autre, d’autres avortements, le quotidien modeste de la famille monoparentale Chevalier, la relation mère-fille, l’entraide de la voisine, quelques éléments de médiatisation. Il apparaît également que ce procès devient le point de rencontre de sphères sociales généralement dissociées : une employée du métropolitain, un juge, un procureur, une avocate renommée, une femme politique à l’envergure nationale, une actrice féministe, un médecin, pour finir à l’Assemblée nationale. Avant tout, il s’agit de l’histoire d’une adolescente, violée. Le lecteur assiste à la scène : le jeune homme Daniel P. qui emmène la jeune fille dans sa chambre, en voiture, expliquant d’abord qu’il y aura ses copains, puis qu’ils ne peuvent pas venir mais qu’il y aura sa mère, les dessins mêlent une dimension descriptive pour les décors, et une approche émotionnelle pour les personnages. Le lecteur peut reconnaître la voiture (une DS), regarder la façade des immeubles de banlieue, faire le tour de ce qui se trouve dans l’appartement du violeur (le lit, le désordre, la petite table ronde, les plaques de cuisson, une ou deux bouteilles, etc.), puis la mise en couleur passe d’un mode naturaliste à un mode en noir & blanc avec des nuances de gris, des plans serrés rendant compte des impressions, des sensations, jusqu’à une illustration en double page, sans un mot, Daniel allongé sur sa victime, en vue de dessus ce qui ajoute encore à la force du placage, à l’abjection de cet acte où la victime n’est plus qu’un objet, et le criminel un individu sans empathie aucune. Suit une séquence toute aussi accablante alors que Marie-Claire revient chez elle, toujours dans des tons noir & blanc et gris, montrant le retour au monde quotidien qui n’a plus rien de normal après la sidération du traumatisme. Trente pages plus loin, l’aveu sort de la bouche de la fille face à sa mère, une simple phrase, un constat accablant : Il m’a forcée ! Il n’y a aucun sensationnalisme, aucun voyeurisme : l’adolescente doit vivre avec la double peine de l’inculpation et du traumatisme. Elle doit également faire face au procès, aux questions posées par des hommes, aux interventions de son avocate dont la portée et le contexte sont à l’échelle nationale et s’inscrivent dans une démarche avec un historique et un enjeu sans commune mesure. Dans le même temps, d’autres femmes évoquent leur cas personnel. Le lecteur voit Gisèle en Tunisie en 1938, tenir tête à sa mère, en lui disant que ses frères peuvent faire leurs lits tout seuls et aider à mettre la table, rejetant l’ordre établi que lui énonce sa mère, que les garçons ça ne compte pas pareil, que le rôle d’une fille est de servir les hommes. Il voit une jeune fille s’exprimer avec la fougue de son âge, dans un environnement tunisien, avec les couleurs chaudes du soleil. La séquence se termine par l’avocate en robe, et son credo : elle a décidé que ses mots, cette arme absolue pour défendre, expliquer, convaincre, se prononceraient toujours dans la plus absolue des libertés, et dans l’irrespect de toute institution. Le témoignage de Micheline Bambuck, la faiseuse d’anges, décrit les conditions de son intervention pour Marie-Claire, dans le petit appartement des Chevalier, son déchirement entre ses actes et ses convictions religieuses. La narration visuelle reste très prosaïque, sans pathos ni effet dramatique : la réalité du petit appartement, les instruments, l’adolescente allongée sur le canapé, rien de misérable ou de glauque, mais aucun encadrement médical, des mesures d’hygiène artisanales sans comparaison possible avec l’environnement d’une clinique ou d’un hôpital. D’un côté, le constat d’une sororité dans la prise de risques ; de l’autre côté, une situation insupportable et inique engendrée par une loi qui est coupable, comme le formule Michèle Chevalier pendant les audiences. Lors de son audition, l’actrice Delphine Seyrig (1932-1990) explique qu’elle est complice d’avortements, quotidiennement. S’en suit une autre séquence d’avortement, pratiquée par un médecin, toujours dans un appartement. En pleine empathie avec la victime, sa mère, l’avocate, le lecteur découvre le déroulement du procès : la prise de contact de Michèle Chevalier auprès de l’association Choisir, la demande d’approbation de l’avocate auprès de Marie-Claire dont l’affaire va être médiatisée à l’échelle nationale, plusieurs audiences et plaidoiries. Sans effets de manche, avec quelques expressions de visage légèrement appuyées, l’avocate prend la parole, la victime raconte son histoire, la mère explique comment elle a aidé sa fille, la faiseuse d’anges évoque ses pratiques et leurs conditions d’exercice, le juge écoute, le procureur et plusieurs personnalités se succèdent à la barre. De manière très organique, les enjeux du procès gagnent en ampleur, en contexte, en finalité. En fonction de sa familiarité avec ces années-là, avec l’histoire de la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, avec les mouvements féministes de l’époque, le lecteur identifie et situe ces différents intervenants : Gisèle Halimi, Simone Veil, Christiane Rochefort (1917-1998), Jean Rostand (1894-1977), Jacques Monod (1910-1976), c’est-à-dire les cinq fondateurs de l’association Choisir la cause des femmes, Delphine Seyrig (1932-1990), Simone Veil (1927-2017), Claude Servan-Schreiber (1937-). Il peut également relever le livre de Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi consacré à Djamila Boupacha (1938-). Il est frappé de stupeur par l’injustice de l’article 317 du Code Pénal, par l’évidence pointée par l’avocate que ce sont des femmes jugées par des hommes, par l’absence de connaissances biologiques du procureur, par l’aplomb de Delphine Seyrig sur la réalité de la pratique de l’avortement en France, par l’intervention de Simone Veil contextualisant la place de la femme dans la société française de l’époque. Les autrices prennent soin également de rendre compte de la question de classe sociale, la différence de traitement entre les Chevalier et les femmes connues. Un procès de plus pour avortement, un procès unique de part sa médiatisation et sa place symbolique vers la dépénalisation de l’avortement. Un moment symbolique dans l’histoire des droits des femmes. Les autrices reconstituent le cheminement de Marie-Claire Chevalier et de sa mère, ainsi que de la faiseuse d’anges, à hauteur humaine, l’histoire malheureusement banale d’une adolescente violée, et la médiatisation de son procès. La narration visuelle transcrit parfaitement la banalité du quotidien, la force de faire face de ces femmes, l’aide apportée par l’association Choisir et par l’avocate Gisèle Halimi à l’échelle humaine et individuelle, dans un récit poignant. Elles se montrent tout aussi habiles à faire apparaître les injustices systémiques, que ce soit l’iniquité de la loi, ou le décalage entre les classes privilégiées et le prolétariat. Irrésistible d’humanité et d’humanisme.
Pas aussi emballée que mon prédécesseur, je reste un peu sur ma faim. Les dessins de Carole Maurel n'ont pas la légèreté habituelle, et les couleurs comme les traits en rajoutent dans le sordide, alors que c'est quand même l'histoire d'une grande victoire sur la domination illégitime des hommes sur les femmes. Les dialogues sont plats, les personnages survolés, (Delphine Seyrig et Simone de Beauvoir sont à la manoeuvre mais elles ne sont ni présentées ni même nommées avant de passer à la barre...) bref c'est un moment effectivement très important de notre histoire récente, mais l'approche choisie est morne et froide. Je m'attendais à crier de joie ou pleurer à gros sanglots devant la victoire de Marie-Claire à son procès pour avortement, et je suis juste passée à côté, comme si je lisais un article du Monde : si tu comprends le titre, n'espère pas en savoir beaucoup plus à l'intérieur ! Dommage ! Je mets 3 étoiles pour le côté informatif qui sera quand même utile aux jeunes générations, mais avec internet sur son téléphone pour décrypter...
En 1972 a eu lieu un procès dont le sujet, les débats et la conclusion ont eu un impact énorme sur la société française depuis cinq décennies. Ce procès n'était pas seulement celui de Marie-Claire Chevalier, qui a avorté à la suite d'un viol, et de sa mère, pénalement responsable pour elle, mais aussi celui d'une loi inique, celle de 1920 condamnant toute femme ayant recours à l'avortement à une peine de prison. En 1971, lorsque Marie-Claire et sa mère sont arrêtées, 343 femmes, célèbres et anonymes, sont sortie du bois, pour affirmer qu'elles aussi ont dû avorter (plusieurs fois pour certaines), comme des milliers, des centaines de milliers de femmes (on parlait alors de 500 000 à UN MILLION d'avortements par an dans le pays). Sous l'impulsion de l'association Choisir (qui existe toujours) ces femmes et des milliers d'autres qui manifestent dans la rue refusent que cette situation perdure, que les hommes dictent leur volonté, prennent le contrôle de leur corps. Le procès de Marie-Claire et sa mère Michèle n'est pas le premier du genre, mais l'avocate Gisèle Halimi, co-fondatrice de Choisir, est déterminée à faire de ce procès, tellement exemplaire, celui qui fera basculer l'opinion publique et le législateur dans une nouvelle phase de leur histoire. Marie Bardiaux-Vaïente, historienne et scénariste passionnée par toutes les questions liées à la liberté individuelle et elle-même personnellement concernée par le sujet, a donc décidé, cinquante ans après les faits, de raconter ce moment crucial de notre Histoire. Elle a consulté pour cela de nombreux documents et témoignages, et tenté de retranscrire au mieux les différentes phases de cette affaire. Ainsi, même si Marie-Claire, sa mère et Me Halimi sont au centre de l'histoire, de nombreuses autres personnalités, comme Delphine Seyrig, à l'aura incroyable, Simone Veil, qui a porté au Parlement la loi légalisant l'IVG en tant que Ministre de la Santé, ou encore Françoise Giroud, journaliste qui fait fi des demandes de confidentialité du président du tribunal, sont-elles présentes. On pourra citer également Michel Rocard, qui a porté le projet de loi, ou le prix Nobel de médecine, parmi les personnages masculins. Le récit fait bien sûr la part belle aux interrogatoires et plaidoiries qui ont émaillé le procès, mais n'est pas avare de scènes intimistes, de scènes de mobilisations dans la rue, afin de retranscrire non seulement l'ambiance de l'époque, mais aussi de saisir à quel point les femmes -pauvres, de surcroît, une injustice supplémentaire soulevée par Gisèle Halimi durant le procès- ont pu souffrir physiquement, moralement, socialement, économiquement de tout ça. Le résultat est tétanisant. Certains passages, parmi les intimistes, m'ont serré le cœur. Parce qu'ils synthétisent parfaitement tout ça. Cette souffrance, cette injustice. Pendant le procès, ce sont quatre femmes (en plus de la mère et de la fille, sur le banc des accusées se trouvent également celle qui a pratiqué l'avortement et l'amie qui les a mises en relation) face à quatre hommes. Si le procureur fait preuve de veulerie, d'obscurantisme et de machisme, le juge principal a quant à lui, comme il se doit bien sûr, pris ses responsabilités et fait preuve de discernement et laissé l'avocate dérouler ses arguments, interrogé les accusées et les témoins, les experts. Bien sûr nous n'avons pas l'intégralité des débats, qui peuvent facilement se retrouver si on souhaite approfondir. Le travail graphique de Carole Maurel est remarquable. Chaque case est ciselée, travaillée pour avoir un impact maximal sur le lectorat. Il y a des moments de silence, qui se passent de paroles, tant l'intensité des regards, des attitudes, est forte. Lors de scènes traumatisantes, les ambiances se font plus glaçantes, souvent en noir et blanc, avec quelques effets graphiques mais sans en faire trop. Indispensable.
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