Fragile
Certaines rencontres changent une vie, surtout quand on ne s’y attendait pas !
Femmes d'aujourd'hui Gays et lesbiennes La BD au féminin
Emily, étudiante, souhaite gagner un peu d’argent durant l’été et répond à une annonce de la très riche et influente Famille Rascines, qui lui inspire des préjugés plutôt hostiles. C’est ainsi qu’elle rencontre Suzanne, l’aînée de la famille, qui lui confie la tâche de promener tous les jours son chien Mitsou. Suzanne accompagne Emily durant les premières promenades et, contre toute attente, une complicité très forte naît entre les deux jeunes femmes. Peu à peu, Emily s’interroge sur les sentiments qu’elle éprouve pour celle qu’elle appelle désormais Sue. Un jour comme les autres, alors qu’Emily attend Sue et Mitsou, personne ne vient à sa rencontre. Quelque chose de dramatique est arrivé. Comment le lien qui les unit va-t-il s’en trouver transformé ?
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Date de parution | 03 Avril 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Une rencontre cache à tous les coups la possibilité d’un miracle. Celui de l’autre. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2024. Il a été réalisé par Mathilde Ducrest pour les dessins, les couleurs, le scénario et le lettrage. Il comprend cent-soixante-dix-sept pages de bande dessinée. Cet été-là, les pies s’étaient montrées particulièrement voraces. Emily est montée sur une petite échelle pour cueillir les cerises, pendant que Pia, une femme à la retraite, en ramasse par terre en pestant contre les pies qui ont fait un carnage. Elle indique à Emily qu’elle peut descendre, tout en continuant de pester contre les oiseaux, car ils ne pensent qu’à bouffer ses fruits. La jeune femme sourit en faisant observer l’ironie de s’appeler Pia alors qu’on déteste les pies. Elle vit chez Pia depuis sa première année de fac. En échange du loyer, elle s’occupe pour la dame âgée, des affaires qui l’ennuient. Certaines tâches ménagères. L’entretien de la maison. Le bazar administratif. Ça arrive à Emily de tout laisser en plan pour se concentrer sur les cours, ses copines ou le reste. Quand ça lui arrive, Pia lui en tient un peu rigueur. Rien n’a plus d’importance aux yeux de Pia que son jardin. Le toit du monde pourrait s’écrouler que ça lui serait égal, tant qu’elle garde les mains dans la terre. Mais même si voir les oiseaux malmener son petit paradis lui a déjà valu de traverser une à une toutes les étapes du deuil… avec parfois quelques réminiscences de colère, voire du déni… clamer qu’elle déteste tous les oiseaux, c’est faux. Pia est comme ça. Elle exagère. Elle romance. Elle ressasse, prospecte et instrospecte. C’est son truc. C’est au tour de Pia d’ironiser et de déclarer que la véritable vocation de sa résidente, c’est d’ouvrir une enseigne de restauration rapide pour volaille. Les deux femmes sont passées dans la cuisine, et Pia s’affaire à préparer les confitures. Elle informe Emily que cette dernière mangera seule le lendemain, car elle a une réunion avec le comité des médaillés Benemerenti. Elle ne va pas recevoir une médaille, mais elle organise la cérémonie. Emily éprouve toujours des difficultés à croire que Pia a passé quarante ans dans le même village. Sa logeuse répond que la génération d’Emily ne sait rien faire plus de dix minutes. Elle ne critique pas forcément, car elle aussi, à l’époque, aurait bien aimé pouvoir tout envoyer promener de temps en temps. Elle voulait être patronne de son propre établissement. Mais son Lény a dit que c’était exclu, que si elle prenait un bistro, il s’en allait. Or elle, elle est quelqu’un d’ordinaire. Elle développe : la vie, c’est avant tout des devoirs. Une marche à suivre. Surtout pour les gens ordinaires. Et rester loyale à la recette a parfois du bon. Elle enfourne la tarte qu’elle a préparé tout en devisant, et demande à Emily de leur servir un verre. La jeune femme constate qu’il ne reste plus de rosé, et elle prend la bouteille de Limoncello dans le réfrigérateur. Puis elle en sert deux verres. Les deux femmes trinquent, et Pia propose de faire une partie de cartes. Une couverture aux couleurs douces, avec une jeune femme alanguie et des fleurs où volètent des papillons : difficile de ne pas y voir une touche de féminité, sans pour autant savoir ce que désigne l’adjectif Fragile. En effet cette sensation perdure tout du long du récit. L’autrice a choisi une palette de couleurs douces, pastel, pour des ambiances lumineuses ensoleillées, dégageant un calme de chaque instant. Le vert pâle du jardin, l’orange tirant vers le rose du salon, le violet entre parme et mauve, le bleu nuit, tout n’est que douceur. Sauf que de temps à autres, le lecteur observe que les couleurs foncent, sans pour autant rompre le charme. L’artiste navigue avec grâce entre teintes réalistes, et glissement vers l’expressionnisme. Quand Pia se trouve dans sa salle de bains, elle commence par se regarder dans le miroir et sa peau a pris une teinte verte rendant compte de la buée qui s’imprègne de la couleur du carrelage. Alors qu’elle sort de cette pièce pour entrer sa chambre, le naturalisme reprend ses droits avec la lumière naturelle. Tout est soigneusement accordé, avec de temps à autres des effets saisissants. La minutie de la mise en couleurs de la page quatre-vingt-quinze quand Emily découvre la luxuriance de la serre et l’escalier qui mène à l’étage. La nuit violette en début de soirée dans un appartement accompagnant l’irréalité de la présence de la pleine Lune qui n’est en fait que le reflet d’une ampoule dans une vitre. La couleur très foncée de l’habitacle de la voiture de Suzanne Rascines, tellement dure par rapport au teint de peau des jeunes filles. De fait, le récit raconte le début d’amitié entre deux jeunes femmes fréquentant la même université, mais des facs différentes, d’origine sociale opposée, l’une au physique superbe, l’autre en surpoids. La première, Emily, va se retrouver à travailler pour l’autre, Suzanne, en promenant son chien. L’une habite chez une vieille dame, l’autre dans la magnifique demeure avec un véritable domaine, chez ses parents. Il s’agit d’une histoire dont les hommes sont pratiquement absents. Pia évoque son époux Lény une fois et il apparaît une fois dans une photographie. Suzanne évoque son père qui figure partiellement dans quatre cases réparties sur les pages quatre-vingt-quatre et quatre-vingt-cinq. Emily évoque rapidement une relation amoureuse terminée. Et c’est tout. D’une certaine manière, il s’agit de la succession de scénettes de la vie quotidienne : des discussions pour apprendre à se connaître entre Suzanne et Emily, des discussions entre jeune femme et personne à la retraite pour Pia et Suzanne. Il est question de tâches de la vie quotidienne, de préparer une tarte, de jouer aux cartes (le putze, une variante du Jass), de la médaille Benemerenti, de l’espace féminin après la fin de la seconde guerre mondiale, des harpes éoliennes, des différences de milieu social, du comportement des parents perçus par leurs enfants, du plaisir de contempler un chien se prélasser au soleil, de se rendre à la station de lavage pour voiture avec son père, de la manière dont le soleil peut embraser une construction de mille reflets, et bien sûr de l’amitié. Dit comme ça, la première impression peut sembler peu palpitante. Toutefois l’expérience de lecture s’avère différente, grâce à la narration visuelle. L’artiste utilise un mélange de formes avec un contour, et de couleur directe. Les traits de contour prennent la couleur de la forme qu’ils détourent dans une teinte plus foncée, sans jamais de trait noir, ce qui donne une allure plus organique à chaque élément. Dans un premier temps, ils ne semblent délimiter que les éléments les plus importants dans chaque case, la couleur directe se chargeant du reste de la représentation. Toutefois, le lecteur fait le constat que cette proportion varie fortement en fonction de la séquence et en fonction de l’environnement. Les traits de contour prennent régulièrement la première place, par exemple pour la façade du pavillon avec sa terrasse, sa table et ses chaises de jardin, pour le salon avec son canapé, sa table basse, son tapis et les lattes de parquet, pour les différentes parties de la demeure des Rascines et en particulier sa magnifique verrière, pour l’intérieur d’un autocar, pour la grande terrasse avec sa piscine, etc. La technique de la couleur directe prend le devant pour un feu de forêt, les harpes éoliennes, les séquences en forêt, les scènes baignant dans une lumière particulière, artificielle ou nocturne, etc. Les traits de contour étant de couleur, ils se fondent parfois avec la mise en couleur pour des effets poétiques, déréalisants, révélant la sensibilité de l’observateur. Le lecteur ressent inconsciemment que le regard porté par l’artiste est chargé d’une sensibilité sur les impressions produites par chaque environnement en fonction de l’état d’esprit d’Emily, ou de Pia, ou de Suzanne. Il peut ne pas s’en rendre compte, juste se laisser porter par ces représentations un peu en décalage avec une approche naturaliste, jusqu’à la scène au cours de laquelle Emily rentre dans la serre abritée par la verrière. L’amalgame entre traits de contours et couleurs produit un effet féérique des plus surprenants : d’un côté ce n’est pas une vision réaliste, de l’autre la description correspond bien à des éléments concrets. Un enchantement. Ainsi régulièrement, l’esprit du lecteur est comme immergé dans la perception subjective de l’une ou l’autre. Un effet intense et doux : la douceur d’une tisane partagée sur la terrasse du pavillon, l’obsession de la mère de Suzanne pour les pétales de dahlias d’un violet soutenu, la présence impossible de la pleine Lune dans le ciel contemplé depuis un appartement, la sensation d’être coupé du monde en restant dans l’habitacle d’une voiture sous les rouleaux de lavage, le doux bruissement du vent dans une gigantesque harpe éolienne en bord de mer. Ainsi le lecteur ressent les dispositions d’esprit et les émotions fugaces d’Emily, au travers de sa relation avec Pia, et avec Suzanne. Il accueille comme elle, leurs propos anodins et leurs confidences plus personnelles tout en conservant une forme de distance. Il n’y a pas de drame soudain, ou de révélation fracassante, plutôt des petits riens et des instants fugaces. Et pour autant ces échanges conservant une réserve naturelle apparaissent significatifs par le fait que chacune choisit ce qu’elle souhaite dire, ce dont elle parle. Le lecteur comprend ainsi que ces banalités ou ces sujets plus personnels relèvent bien d’une facette intime de chacune, de moments importants ou marquants. Par ailleurs le milieu social, les personnes proches ont participé à la construction personnelle d’Emily et de Suzanne qui auraient sinon été différentes. Et ce qu’elles sont au plus profond d’elles-mêmes façonnent la construction et l’évolution de leur relation. Pour autant, elles disposent aussi d’une part de libre arbitre, elles ont le pouvoir d’influer sur leur relation, ce qui d’une certaine manière la rend d’autant plus fragile et en même temps d’autant plus précieuse. Des couleurs douces, une période d’été invitant à prendre son temps, une absence d’enjeu réel qu’il soit romantique ou social : tout concourt à une lecture facile et tranquille, agrémentée de jeux de couleurs élégants, mais pouvant donner une sensation de futilité. Ces caractéristiques génèrent une forme de sérénité chez le lecteur, avec un accueil aussi bienveillant et prévenant. D’un côté, l’enjeu de parvenir à établir une amitié semble presque trivial ; de l’autre côté la situation et le ressenti d’Emily et de Suzanne sont spécifiques et particuliers. Les anecdotes sont personnelles avec une part d’intimité plus substantielle qu’il n'y paraît, générant une empathie sincère chez le lecteur qui apprécie le chemin parcouru insensiblement par Emily.
Je ne vais pas trop m’épancher sur cet album, un ressenti très proche de celui de Mac Arthur. Je me suis passablement ennuyé à ma lecture. Dommage car le trait et couleurs de l’auteure sont intéressants mais encore faut il avoir quelque chose à raconter. Je n’ai pas saisi où ça voulait nous emmener, les relations entre personnages ne m’ont pas touché. La fragilité de leurs émotions m’est passé bien au dessus (comme les parties de cartes). Je n’ai pas aimé la narration qui se veut douce et poétique, pire je l’ai trouvé lourde et un rien pompeuse. L’auteure indique s’inspirer de Virginia Woolf et d’Emily Dickinson, deux femme de lettres que je ne connaissais pas, et honnêtement je n’ai pas envie de les découvrir. Pas pour moi, un énorme bof.
Il ne me viendrait pas à l’esprit de nier le talent de Mathilde Ducrest, auteure de cet album, mais ce dernier recèle de trop de défauts pour que je me montre enthousiaste. Premier défaut, le plus dérangeant à mes yeux : la vacuité du thème. Deux jeunes femmes que je ne trouve pas attachantes pour deux balles vont se rapprocher avant de se séparer. Pourquoi se rapprochent-elles ? Parce que l’une offre un petit boulot à l’autre, qui est curieuse de découvrir cette famille de rupins. Pourquoi se séparent-elles ? Parce que la deuxième n’a pas pris la première dans ses bras alors que celle-ci était ébranlée par la mort de son chien. Voilà, voilà, voilà… Ce sujet permet d’aborder des thématiques ‘tendances’ (identité sexuelle, héritage familial, place des femmes) tout en glissant un élément visuel poétique (des harpes sculptées). Deuxième défaut : le caractère prétentieux de la narration. Les grandes phrases s’enchainent et les dialogues y perdent toute crédibilité. Tout sonne aussi faux que creux. Ces deux personnages dont l’auteure voudrait nous montrer la fragilité me sont surtout apparues sans intérêt tellement elles sont autocentrées. Et du coup, les grandes phrases, les dialogues travaillés ne font qu’accentuer leur superficialité. Seule la grand-mère s’en sort avec les honneurs. Troisième défaut : le dessin. Celui-ci pourrait à l’avenir devenir une grande qualité de l’auteure (car, je me répète, il y a du talent là derrière) mais dans le cas présent, il y a aussi pas mal d’erreurs, de perspective, de cadrage, de retranscription des émotions. Là encore, ça sonne de manière artificielle. Pourtant, par moments, il y a une certaine sensualité qui se dégage du trait, et c’est d’autant plus fort que l’autrice n’use pas de plastiques avantageuses pour ses personnages (et là, pour cet unique point, je tire un grand coup de chapeau). Mais on retombe vite sur des cadrages qui semblent avoir été pensés pour conjuguer esthétisme et émotion et qui, finalement, n'offrent ni l'un ni l'autre. A titre personnel, je me suis furieusement ennuyé. Je pense sincèrement que l’auteure doit encore mûrir tant dans la manière dont elle veut aborder ses sujet qu’au niveau de son dessin. Mais cette première œuvre me laisse penser qu’il y a une graine de talent chez elle, qui ne demande qu’à éclore.
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