La Route

Après Le Rapport de Brodeck, Manu Larcenet adapte de nouveau une oeuvre majeure de la littérature. Couronnée par le prix Pulitzer en 2007, "La Route" a connu un grand succès et a été adaptée au cinéma en 2009 avec Vigo Mortensen dans le rôle principal.
Adaptations de romans en BD Après l'apocalypse... Larcenet Les Arts Appliqués de Paris
L'apocalypse a eu lieu. Le monde est dévasté, couvert de cendres et de cadavres. Parmi les survivants, un père et son fils errent sur une route, poussant un caddie rempli d'objets hétéroclites, censés les aider dans leur voyage. Sous la pluie, la neige et le froid, ils avancent vers les côtes du sud, la peur au ventre : des hordes de sauvages cannibales terrorisent ce qui reste de l'humanité. Survivront-ils à leur périple ?
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Date de parution | 29 Mars 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |

29/03/2024
| Paul le poulpe
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Les avis


J’ai lu le roman, que j’avais trouvé à la fois prenant, mais parfois un peu creux. Mais en tout cas il développait, avec une économie de moyens, de mots, une ambiance crépusculaire et terrible. L’impression d’assister à une fin de monde en accompagnant les derniers agonisants. Larcenet s’est emparé de cette histoire, mais, malgré toutes ses qualités, narratives et surtout graphiques, il ne peut empêcher de faire perdre une partie de ce qui faisait la force du roman : tout ce que notre imagination ajoutait au récit lui-même, assez taiseux. Ici le dessin comble certains trous, mais aussi du coup rend presque plus palpable, et donc rassurante, moins inquiétante, ce road trip désespéré. Reste que le dessin de Larcenet est vraiment très beau. Qu’il a su – avec cette colorisation jouant sur toutes les nuances du gris, avec quelques touches de rouille – nous jeter à la figure cet apocalypse en train d’advenir. Sans doute joue-t-il un chouia trop sur les morceaux de corps accrochés – pendus – un peu partout, mais l’ambiance créée ici ne trahit pas le récit (même si, comme je l’ai dit, cela atténue en leur donnant corps les visions de cauchemar entrevue en lisant le roman). Le récit reprend les principaux passages du roman, les coupes ne sont pas trop claires, même s’il y en a (en particulier il résumé un peu rapidement le seul long passage « calme et serein » du récit, lorsque nos deux héros vivent dans un entrepôt sous-terrain au milieu de gros stocks de nourriture). En fait, j’ai l’impression qu’en raccourcissant les passages « intermédiaires », où il ne se passait rien si ce n’est quelques dialogues minimalistes, des silences, le temps qui passe, Larcenet a pris le risque de se priver d’une partie de la force du roman. Mais bon, ma remarque est peut-être sans objet ? Un très bel album en tout cas. Une histoire noire, dans tous les sens du terme – même si une petite note d’espoir nous permet de respirer sur la fin.


Manu Larcenet met en bulles et en images La route, le roman culte de Cormac McCarthy qui avait obtenu le prix Pulitzer en 2007. Un pari osé mais un album réussi et très fidèle à ce monument littéraire. Manu Larcenet avait déjà lâché en 2009 une petite bombe dans le petit monde la BD avec Blast : exit les couleurs acryliques et rutilantes, Manu nous proposait quatre gros albums au noir & blanc éclatant, expressif et même lumineux. Déjà, c'était une histoire de SDF errant sur les routes. Après avoir adapté Le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel, il était somme toute assez logique que Manu Larcenet s'attaque au roman culte de Cormac McCarthy, qui avait déjà été porté sur écran en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen. De toute évidence, la noirceur du dessin de Larcenet était faite pour illustrer ce sombre récit post-apocalyptique. La fin du monde a eu lieu. On ne sait pas trop comment et cela commence même déjà à dater, d'une bonne dizaine d'années. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes sorties de Mad Max. Un récit dans lequel il n'y a plus de noms, presque plus de mots, il n'y a que l'homme et le petit, une solitude insondable, plus personne à qui parler et le roman de McCarthy était avare de dialogues, rempli de silences et de non-dits. Voilà qui laisse toute la place à Larcenet pour déployer son talent de metteur en scène et faire en sorte que le dessin devienne lui-même le récit - un beau challenge pour un bédéaste. Sans cartouches de texte "off", sans bulles explicatives, c'est uniquement grâce à l'enchaînement des cases et à la force suggestive des dessins que le récit est retranscrit dans un noir et blanc sale et charbonneux à l'image de ce monde de cendres apocalyptiques, parfois teinté de sépia ou de teintes orangées. Les rares phylactères jaillissent de cet univers pour mieux souligner les non-dits des rares dialogues entre l'homme et son petit. Le génie de McCarthy c'est d'avoir écrit son bouquin avec une seule image, celle de cet homme et son petit sur la route avec leur caddie, une image qu'il nous repassait sans cesse, encore et encore. Mais quelle image puissante ! Une image qui lui a valu un Pulitzer, une image si pleine de sens désespéré, si lourde de terribles sous-entendus, qu'elle imprégnait durablement le lecteur et même tout le monde littéraire. Une image dont s'est emparé avec brio Manu Larcenet dont les planches arrivent à nous faire partager le quotidien de ces deux êtres en perdition et ressentir les souffrances (et les trop rares joies) de ces corps amaigris. En un peu plus de 150 pages, l'auteur prend tout le temps de développer fidèlement le roman avec ses scènes les plus notables : le coca, le revolver, le bunker... tout y est. Le pari était osé, voire risqué, mais avec la réussite et la reconnaissance des lecteurs, le succès est au rendez-vous : l'album a déjà été réimprimé et cela dans plusieurs langues. Larcenet avoue tout de même un regret : « Ne pas avoir pu remettre cet album à Cormac McCarthy lui-même. » puisque l'auteur américain est décédé en juin dernier. À noter : les éditions Points (avec l'arrivée de Thomas Ragon transfuge de chez Dargaud) ont eu la bonne idée de ré-éditer le roman de McCarthy en version "collector" avec quelques planches illustrées tirées de la BD, histoire de doubler le plaisir avec la (re-)lecture du roman ! • On voit tout de suite ce qui a pu séduire Larcenet dans ce texte rapidement devenu mythique. Le sombre récit de McCarthy laissait les rares et pauvres dialogues se dissoudre dans une prose puissante. Les planches en noir et blanc de la BD sont à la hauteur de la puissance du récit et les bulles y retranscrivent les rares dialogues presque mot pour mot. • Un complément essentiel au livre où l'enfant prend toute sa place. La fin du monde a eu lieu. Quelques survivants, quelques moribonds, errent sous la pluie sur les routes couvertes de cendres, comme cet homme et son enfant. Ils vont vers le sud, cherchant un peu de nourriture, en évitant quelques misérables hordes à la Mad Max. [...] Il sera de quelle couleur l'océan ? Et quelques planches plus loin : [...] Je te demande pardon ... L'océan n'est pas bleu.


Je n’avais adoré ni le roman, ni le film. C’est donc tout logiquement que je n’ai pas adoré cet album. Je reconnais cependant que Manu Larcenet a fait un formidable travail d’adaptation, en particulier graphiquement. C’est tout simplement magnifique, les décors et détails sordides de ce monde en décomposition sont superbement rendus. L’ambiance qui se dégage des planches m’a beaucoup rappelé la série télévisée Walking Dead (je précise que je n’ai pas lu les comics), en particulier la représentation des villes laissées à l’abandon. C’est un monde terriblement sombre, dans lequel l’espoir n’a plus sa place. Et pourtant ce père s’y raccroche de toutes ses forces, car malgré tout une chose survit dans ce monde apocalyptique : l’amour d’un père pour son fils. C’est cet amour filial qui maintient ce duo en mouvement, dans l’espoir d’atteindre l’océan, puis le sud… pour y trouver quoi au juste ? Ce père et ce fils avancent donc sur cette route qui semble ne jamais devoir finir. Les nombreux silences rendent ce voyage encore plus pesant. Les rencontres avec d’autres êtres humains représentent bien plus souvent une menace qu’une opportunité. Tout au long du voyage se pose la question : dans un tel monde, où se situe la limite entre le bien et le mal ? Comment rester humain ? Face à ces interrogations, c’est le plus souvent le fils qui guidera son père. Je n’ai en fin de compte aucun reproche à formuler à l’égard de cet album, et pourtant, comme pour le roman ou le film, j’ai l’impression de passer un peu à côté. C’est très bien fait, mais ça ne me marque pas. Peut-être parce que ce monde dépeint est trop déprimant, sans espoir, et qu’une part de moi préfère garder ses distances avec l’histoire et ses personnages pour me protéger.


Grandiose, fascinant, extraordinaire. Je pourrais ainsi aligner d'autres superlatifs pour dire tout le bien que je pense de cette adaptation. Depuis Le Rapport de Brodeck, je suis un grand fan du dessin de M. Larcenet et plus particulièrement de sa maitrise du noir et blanc. Quelle maestria, il n'en fallait pas moins pour rendre compte de cette ambiance post apocalyptique. La fin du monde comme si vous y étiez. A ce propos je m'interroge sur les avis de posteurs précédents qui s'interrogent sur le manque d'ambiance du récit. Ben mon colon ! Pour du glauque nous sommes servis, cet inexorable "road trip" ponctué de rencontres effrayantes si elles ne font pas sursauter ou flipper le lecteur laisse tout de même un sentiment d'inéluctable sans espoir de rédemption pour l'humanité. Oui ce n'est pas drôle, cela pousse à désespérer du genre humain. Pour ceux qui pensent qu'il reste un peu d'espoir dans ce monde ben ce récit nous montre de quoi l'homme est capable et que l'on ne vienne pas me dire que j'affabule. Forcément culte et coup de cœur.


Pas facile de se lancer dans la rédaction de cet avis de 'La Route' de Larcenet. Autant 'Le Combat ordinaire', 'Le Retour à la terre', 'Blast', c’était un grand OUI. Puis vint 'Le Rapport de Brodeck' au travers duquel j’étais complètement passé, tout comme, dans un autre genre, 'Thérapie de groupe'. 'La Route' était très attendu ; je me précipitai donc sur la version noir & blanc sans avoir vu le film, ni lu le roman. Difficile donc d’apprécier la qualité et la fidélité de l’adaptation. Alors, OUI, Larcenet maîtrise le trait, transmet cette noirceur glaciale, crée une sombre ambiance de fin du monde. Mais pour le reste… NON. Un road movie sans début ni fin où, avouons-le, il ne se passe pas grand chose. Quelques rencontres malheureuses, quelques scènes de tentative de subsistance et puis, ben c’est fini ! L’unique lieu d’humanité entre le père et son fils ne sauve pas vraiment l’affaire. Bref, je me suis plutôt ennuyé. Les qualités du dessin ne font pas tout. Note pour la prochaine fois : ne pas se précipiter sur les adaptations de Larcenet.


Autant le dire dès le début mais si vous cherchez une BD pour vous distraire et vous remonter le moral, passez directement votre chemin. Cette œuvre est froide, âpre, dure et sans espoir. Cette nouvelle adaptation d'un roman par Larcenet est une nouvelle fois une réussite, après l'excellent Le Rapport de Brodeck qui m'avait également emballé (peut-être un poil plus d'ailleurs). Pourtant, au contraire de cette dernière œuvre, il semblait beaucoup plus difficile d'adapter le livre de Mc Carthy tant les émotions passent essentiellement par les silences entre un père et son fils et les descriptions de ce monde désolé. Cette BD est d'autant plus réussie que Larcenet arrive à s'approprier l'ouvrage initial tout en restant fidèle à l'histoire. A cet effet, la fin très ouverte qui rejoint à quelques détails près celle du film, reste pour moi la meilleure manière de finir cette histoire. Ainsi, Larcenet arrive de très belle manière, par le dessin essentiellement, à transcrire cette amour entre un père et son fils dans un monde post-apocalyptique et déshumanisé ne laissant plus beaucoup de place à l'espoir. Les "alors d'accord" concluant chaque réponse du père aux questions parfois naïves mais toujours touchantes de son fils agissent comme autant de pincements au cœur du lecteur. Le sujet du suicide est également traité amenant chacun à se questionner sur ce qu'il ferait à pareille place. Mais c'est bien par le dessin que cette œuvre de Larcenet mérite à mon sens la note ultime. Tout comme dans "Le rapport Bordeck", le trait est fin et soigné et le monde fourmille de détails. Les corps sont décharnés et les visages presque morts. Les teintes de gris nuancées parfois de rouge, de jaune, de mauve et d'ocre sont vraiment du plus bel effet et transcrivent de très belle manière le côté poussiéreux de cette Terre dévorée par les flammes et suffoquant de ses cendres. Une œuvre magnifique qui a su me toucher. Le cœur me dit donc de réhausser ma note à 5/5. SCENARIO (Originalité, Histoire, personnages) : 8,5/10 GRAPHISME (Dessin, colorisation) : 9/10 NOTE GLOBALE : 17,5/20

J'avais pour ma part beaucoup aimé Blast et j'ai vraiment apprécié " La route ". En principe, je fuis les adaptations, en principe, je fuis les bds trop sombres voire celles qui comportent peu de textes, mais il y a ces bds et celles de Larcenet. Et Larcenet, vos principes, il s'en fout, il est juste immense. Lors de ma lecture (alors que j'y allais à reculons en pensant que l'adaptation serait forcément manquée donc), j'ai vraiment été happé par l'ambiance. J'ai même trouvé certains moments touchants alors que je connaissais déjà l'histoire (Larcenet n'est pas dans la surenchère, le ton est juste), ce que contiennent les regards peut parfois nous étreindre et je trouve qu'il a justement réussi à retranscrire l'âpreté du récit. Le dessin est vraiment impressionnant : chaque case (le tableau le plus noir, l'apparition d'un cadavre, un pendentif d'os humains, un panache de fumée et de cendres...) devient une gravure qui évoque notamment Dürer ou O. Dix. Larcenet peint l'horreur et c'est beau. Je garde en tête également les cases du robinet en gros plan, du plat de pâtes, qui montrent le confort retrouvé de façon inespérée dans ce local souterrain par exemple et cette sensation finit même par irradier le lecteur. Pour moi, on ne pouvait retrouver l'ambiance du roman (que j'avais bien aimé), ça me semblait impossible de retranscrire en même temps dans une BD, la progression difficile au milieu de la désolation, la combat quotidien pour la survie, la tendresse du père pour son fils, la faim qui tenaillle, le froid et le vent, de peindre ce sentiment étrange aussi face à cette mer qu'ils ont cherché obstinément à atteindre et qui s'étend devant eux, grise, indolente... Et on retrouve tout cela, Larcenet condense même tout cela parfois dans les yeux du père. Très bel album.


Larcenet refait le coup de Le Rapport de Brodeck : une adapation difficile d'une oeuvre marquante et un trait noir et blanc magnifique. Et comme pour cette série, je ressens la même chose: une noirceur, un désespoir mais qui oublie la réflexion du roman, qui ne parvient pas à créer l'empathie avec le personnage principal même s'il est fidèlement reproduit. Les réactions sont parfaitement dépeintes mais il manque l'étincelle que couchait MacCarthy sur papier et que Viggo Mortensen arrivait à jouer dans le film éponyme. Eh oui pas facile avec le support BD. Bess a réussi à me scotcher avec Dracula (Bess), Larcenet m'a convaincu à 90% ewt c'est sur ces petits derniers 10% que tout se joue lorsqu'on est un grand auteur comme lui (mais j'attendrai évidemment avec impatience sa prochaine oeuvre).


Je sais que ça va faire grincer des dents, donc j'ai intérêt à argumenter... Je me suis beaucoup ennuyée à la lecture de cette BD . J'avais beaucoup apprécié le roman, (pas vu le film) et comme souvent, la projection d'un autre imaginaire que le sien sur un très très bon moment de lecture est la plupart du temps décevant. Comment traduire par le dessin ce qui se passe dans la tête d'un père en très grande précarité dans un monde totalement incertain, qui essaye juste d'assurer la subsistance de son fils sans pouvoir lui imaginer un avenir et encore moins entretenir un espoir dans son esprit ... C'est peine perdue. Le dessin de Larcenet, répétitif et lancinant, comme une succession d'estampes japonaise, rend abstrait ce que j'avais entièrement pris à mon compte comme un problème très concret et particulièrement bien observé. Les quelques phrases échangées, tirées du livre, sont très belles mais l'océan de beauté triste qui entoure ces quelques dialogues efface le dilemme plutôt que d'en être la chambre d'échos. Bref je ne conseille à personne la lecture de ce long recueil, malgré toute la sympathie que j'ai par ailleurs pour Larcenet et pour toutes ses œuvres précédentes, lisez plutôt le roman de Cormack McCarthy...


C’est comme ça que font les gentils. Ils essaient. Ils ne laissent pas tomber. - Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Il s’agit d’une adaptation en bande dessinée, du roman La route, paru en 2006, de l’écrivain Cormac McCarthy. Sa parution originale date de 2024. Il a été réalisé par Manu Larcenet pour l’adaptation en scénario et les dessins, et pour la mise en couleurs. Il compte cent cinquante-deux pages de bande dessinée. L’auteur a déjà réalisé une adaptation précédemment : Le Rapport de Brodeck (2 tomes) en 2015 & 2016, du roman de Philippe Claudel. Des nuages chargés de cendres, de particules qui tourbillonnent sans fin, qui vont en s’épaississant, jusqu’à saturer l’air. Sous une toile tendue pour faire un abri de fortune, Père et Fils dorment, sous plusieurs couches de vêtements. Père se lève et s’éloigne un peu jusqu’à un promontoire. Il porte les jumelles à ses yeux et regarde : des paysages désolés, des constructions délabrées s’effondrant progressivement, des arbres décharnés sans feuilles, des immeubles massifs sans aucune lumière, la route qui s’étend vide, dans le lointain un pont métallique. Il retourne au campement de fortune : Fils s’est réveillé et l’attend. Ensemble, ils enlèvent la toile et la plie, et récupèrent les piquets qu’ils chargent dans leur caddie. Ils reprennent la route, en silence, père poussant le caddie devant lui. À un moment, il fait le constat en deux phrases brèves qu’ils ne pourront pas survivre à un autre hiver par ici, il faut continuer vers le sud. Le fils répond laconiquement en deux mots : D’accord alors… Et ils continuent de marcher, les cendres et les particules continuant de voleter dans l’air. Ils atteignent le pont à hauban et le franchissent, toujours sans un mot. D’autres arbres décharnés, une côte à monter qui coupe le souffle à Père qui doit faire une pause. Fils demande s’il peut regarder, en désignant les jumelles ce que père accepte. Fils regarde alentour, et Père demande ce qu’il voit. La réponse est fonctionnelle : Rien, il va pleuvoir, c’est tout. Père ajoute que ça va encore faire une boue bien collante avec la cendre. Ils reprennent leur marche sur la route. La pluie commence à tomber assez drue. Père indique que c’est fichu pour aujourd’hui et il va faire nuit. Ils vont aller chercher un abri en forêt. Ils trouvent un endroit abrité, sous une avancée rocheuse, et ils s’installent. Père reprend les jumelles pour observer alentour : pas de feu, on dirait qu’il n’y a personne, c’est bon, Fils peut allumer un feu. Ce dernier prend la boîte d’allumettes et s’exécute. Il allume une petite lampe à pétrole, ils attendent en silence. Le lendemain, la luminosité a un peu changé : moins grise, avec une nuance verdâtre. Ils reprennent la route. Fils a repéré une station-service. Un drapeau à damier flotte encore au vent. Père décide qu’ils devraient aller voir. Ils fouillent méthodiquement le site : chaque recoin, chaque tiroir, chaque placard, chaque étagère. Il n’y a rien d’intéressant, le lieu a déjà été fouillé. Par acquis de conscience ou par réflexe, mais sans espoir, Père décroche le combiné téléphonique. Puis il découvre un bidon avec quelques gouttes d’essence. Un défi peu raisonnable, relevé par un bédéiste hors norme au vu de sa bibliographie. Une démarche affichée : raconter ce roman en images, avec le moins de mots possible. De fait, la narration visuelle semble de prime abord très simple et même très terre à terre. Des nuages de cendres, et hop ! deux pages de remplies. Un type qui se réveille et qui regarde à la jumelle. Père & Fils qui se mettent à marcher dans un environnement mangé par l’air chargé en particule qui ne permet pas de voir bien loi, et hop ! des fonds de case en ombre chinoise, pour une première séquence de cinq pages presque sans un mot. Le lecteur éprouve rapidement la sensation d’un monde silencieux, ce qui induit un vrai effort de la part des personnages pour parler, briser le silence. Il peut compter trente-quatre pages sans aucun mot, tout en ayant l’impression qu’il y en ait beaucoup plus. Ce choix narratif lui donne l’impression de se trouver aux côtés des deux principaux personnages et de regarder avec eux ce qui les entoure. Il scrute avec eux chaque centimètre carré de la station-service pour ne pas rater quelque chose qui pourrait être récupéré. Il observe avec la même inquiétude les silhouettes indistinctes et assez massives au loin, prêt à aller se planquer fissa lui aussi. Il reprend la route en poussant son chariot devant lui, par automatise, sans plus penser à autre chose. Dès la couverture, le lecteur est frappé par l’investissement de l’artiste pour donner à voir, pour représenter, pour faire exister ces lieux, le quotidien concret de Père et de Fils. Il peut voir chaque pli des vêtements, leur épaisseur lui donnant une indication du nombre de couches superposées, hypothèse confirmée quand ils en viennent à se baigner. Il prend la mesure du chargement du caddie, avec tous ces paquets soigneusement emballés, certainement également de plusieurs couches pour être certain que leur contenu ne soit ni endommagé, ni altéré. Il se retrouve littéralement projeté à leurs côtés en voyant ce qu’ils voient, en vision subjective, découvrant en temps réel un lieu par leurs yeux : en fonction des lieux, des bâtiments délabrés, des cadavres en état de décomposition avancée avec tout juste la peau sur les os, des restes calcinés d’ossements humains, des cadavres encore attachés ou des membres tranchés. L’imagination du lecteur tourne alors à plein régime, quant aux circonstances dans lesquelles des êtres humains ont pu infliger de tels traitements à d’autres êtres humains, puis dans un second temps quant aux conséquences sur le moral et l’état d’esprit de Père et de Fils. Le même mécanisme intellectuel se produit quand les deux voyageurs découvrent un abri enterré en parfait état, et que leurs regards parcourent les étagères chargées de tout ce qu’il faut pour survivre, à commencer par la nourriture. Il ressent physiquement le contentement qui vient avec les six premières cases de la page cent-trois : une ampoule qui brille, une goutte d’eau qui finit de se former à l’extrémité d’un robinet, des gélules de médicament en parfait été dans leur plaquette, une canette de soda qui vient d’être bue, un plat de coquillettes chacun, de l’eau à volonté pour tous les usages. La narration visuelle génère une immersion d’une rare qualité. Le lecteur peut se dire que telle case lui fait penser à André Franquin (1924-1997) période Idées noires (1977-1983), que telle autre évoque (merci Bruce d’avoir pointé du doigt les deux références suivantes) le célèbre tableau Christina’s World (1948) d’Andrew Wyeth (1917-2009), ou qu’il y a du Francisco de Goya (1746-1828) dans certains cadavres, une touche de Gustave Doré (1832-1883) par-ci, une touche d’Albrecht Dürer (1471-1528) par-là, etc. Autant d’influences plausibles, pleinement assimilées par l’artiste qui les a faites siennes consciemment ou inconsciemment pour les mettre à profit dans un tout personnel. Il joue admirablement bien avec les couleurs : le lecteur sort de ce tome persuadé que les pages sont en noir & blanc avec des nuances de gris à une ou deux exceptions près. Un feuilletage a posteriori met en évidence des ambiances discrètement différentes d’une séquence en l’autre, par l’usage d’une teinte très effacée. Le lecteur se fait l’observation que les pages sont variées, alors que pourtant la marche sur la route revient très régulièrement. Il voit que l’artiste utilise des cases sagement alignées en bande, avec un nombre variable en fonction de ce qui est raconté, pouvant aller d’un dessin en pleine pages, à treize cases dans une seule page. Il observe également que le dessinateur joue sur le niveau de détail : de descriptions très précises, à de simples ombres chinoises, de bâtiments avec chaque débris apparent, chaque poutrelle, chaque plateau, à de simples silhouettes en ombre chinoise pouvant évoquer les meilleurs dessinateurs de strips britanniques comme Jim Holdaway (1927-1970) dans Modesty Blaise. Le lecteur est donc de tout cœur avec ces deux personnages, dans un récit linéaire et simple : ils vont de l’avant vers le Sud en essayant d’atteindre l’océan. En fonction de sa sensibilité, le lecteur peut y voir un conte. L’auteur prend grand soin de représenter la désintégration progressive du monde : les immeubles qui s’effondrent, les véhicules abandonnés et immobiles, les ressources quasi inexistantes, l’air toujours chargé en particules diverses, le monde végétal à l’agonie, la faune brillant par son absence. Pour autant, ces visions ne se veulent pas être une projection scientifique ou technique sur le délabrement progressif du monde, à la suite d’une catastrophe planétaire et l’absence de toute maintenance humaine, de tout entretien, de la déliquescence progressive au fur et à mesure que l’entropie fait son œuvre. La question des médicaments est évoquée, toutefois le lecteur sent bien qu’avec cet air pollué, l’eau également polluée, l’absence de légumes et fruits frais, l’état des rares survivants devrait être beaucoup plus dégradé, ce qui ne retire rien de bouleversant, de dramatique, d’émouvant, d’oppressant, de pathétique, de tragique, au récit. Le périple de ce fils et de son père s’avère accablant pour le lecteur. Ils survivent. À peine. Aucun espoir d’assouvir leurs besoins de sécurité : leur situation n’est ni stable ni prévisible, elle est remise en cause à chaque risque de rencontre, à chaque fois que l’eau ou la nourriture vient à manquer, l’anxiété est permanente. Ils ne peuvent que penser à court terme. Ils trouvent juste assez de quoi assurer leurs besoins physiologiques comme boire et s’alimenter, pour tenir jusqu’au lendemain, tout en éprouvant continuellement un état de manque et d’inquiétude. À plusieurs reprises, ils se posent la question de savoir s’ils vont mourir. Le père prépare même son fils à se donner la mort, plutôt que de risquer d’être capturé, torturé, estropié, et finalement mangé. Outre la méfiance envers tout autre humain, le plus important savoir qu’il lui transmet est de lui apprendre comment se suicider efficacement avec leur revolver. Par ailleurs, chaque rencontre est un danger grave et imminent, mortel après des souffrances ignobles. Là encore, il s’agit d’une dynamique paradoxale : à deux, ils sont tout juste (à peine) capables de survivre, leur seule possibilité de faire un peu mieux serait de s’unir avec au moins un autre survivant. Paradoxalement, envisager d’établir un contact avec un autre revient à jouer à la roulette russe, avec cinq balles dans le barillet. Les individus isolés sont encore plus démunis qu’eux, plus proches de la mort, les petits groupes ne négocieront rien, s’accapareront les maigres possessions d’autrui et les réduiront en esclavage ou les tueront. D’une certaine manière, en termes d’intrigues, le lecteur peut aussi rapprocher ce récit de deux œuvres majeures de la bande dessinée. Lone Wolf & Cub (1970-1976) par Kazuo Koike (1936-2019) & Gôseki Kojima (1928-2000), pour le voyage sans espoir d’un père et de son fils. The walking dead (2003-2019) par Robert Kirkman & Charlie Adlard, pour le thème de la survie dans un monde dévasté où les autres survivants constituent majoritairement un danger fatal. En établissant cette comparaison, le lecteur voit également apparaître les différences. Contrairement à Itto Ogami et Daigoro, Père & Fils ne font pas preuve d’une sensibilité spirituelle, encore moins religieuse. Ils sont entre la résignation et l’acceptation de l’état du monde, sans espoir d’un futur, quasiment sans vie intérieure. Il ne semble pas y avoir d’autres enfants, et ils ne croisent pas de femmes. Contrairement à Rick Grimes, Père n’a pas de vocation pour la justice, et les deux vagabonds sont bloqués au stade de la survie animale, déjà bien avancés vers l’état de morts qui marchent. Pour autant, d’autres thèmes affleurent. Par exemple, Fils veut savoir si son père et lui font partie des gentils. La réponse : Les gentils, ils essaient, ils ne laissent pas tomber. Une réponse qui mêle pulsion de vie et valeur morale. À un autre moment, le père se montre catégorique : on ne tue pas les chiens. En outre, incidemment, Fils interroge son père à deux ou trois reprises sur leur comportement, ce qui constitue une remise en question sur leur relation à autrui, par exemple quand ils abandonnent un homme isolé après l’avoir dépouillé de ses vêtements. Le dénouement illustre également le fait que le père a pris leur situation comme un état de fait généralisé, cela fait ressortir sa conception personnelle du monde, comment il l’a projeté à tout jusqu’à en faire une vérité absolue, et comment il y a adapté son comportement. Avec cette adaptation, Manu Larcenet réalise une bande dessinée d’une qualité remarquable. Il met à profit tout son savoir-faire de bédéiste pour donner à voir un fils et son père continuant à aller de l’avant, ou du moins à marcher, dans un monde postapocalyptique dévasté, toute civilisation anéantie, toute rencontre un danger mortel. La narration visuelle génère une immersion sensorielle et émotionnelle grâce des dessins pouvant aussi bien être des descriptions concrètes quasi photoréalistes, que des évocations hantées et expressionnistes. Le périple ressemble à une marche sans espoir, des êtres humains continuant vaille que vaille, malgré l’absence de tout espoir, la pulsion de vie contrebalançant tout juste des conditions de survie fragile, une vie dépourvue de tout plaisir. Ils continuent de marcher presque comme des poulets sans tête, pris dans le paradoxe de ne pas pouvoir stabiliser leur situation tout seuls et de ne pas pouvoir courir le risque d’un contact avec autrui. Poignant.
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