Petit pays
Exilés au Burundi, Gaby et Ana, enfants métis franco-rwandais, voient leur quotidien joyeux bousculé par la guerre civile. Alors que leur famille se déchire, le génocide des Tutsi au Rwanda voisin vient mettre un terme à leur innocence.
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D'ailleurs, déjà à l'école, Gaby assiste à une bagarre entre un Tutsi et un Hutu, que rien ne semble pourtant séparer si ce n'est - d'après son père - la forme de leur nez... Mené par Marzena Sowa et Sylvain Savoia, l'adaptation du best-seller à résonance autobiographique de Gaël Faye, prix Goncourt des lycéens 2016, qui a lui-même choisi les auteurs de Marzi parmi les nombreux projets présentés. Aussi magnifique que poignant.
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Date de parution | 12 Avril 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Cette lecture m'a vraiment touché au cœur. Pourtant j'étais prévenu. Outre le très bel avis de Ro, j'ai commencé par lire le roman que m'a conseillé ma libraire au moment de l'achat de la BD. Cela m'a permis de m'imprégner de la pensée et de la belle langue de Gael Faye. J'ai été immédiatement envoûté par ma lecture et je conseille aux futurs lecteurs de commencer par le roman. J'ai ensuite visionné le film d'Eric Barbier qui m'a beaucoup plu par sa maîtrise du jeu des enfants et la réalité de la vie expatriée en Afrique. Toutefois j'ai moins senti cette montée de la dramaturgie programmée. Il me restait la série à découvrir avec pas mal de points d'interrogations : Pourquoi avoir choisi Sowa comme scénariste ? Comment Savoia allait pouvoir traduire visuellement l'indicible de certaines scènes du génocide des Tutsi au Rwanda ? Quelles allaient être les libertés du scénario par rapport à l'œuvre originale ? Il faut bien dire que mes craintes se sont évanouies dès les premières planches. J'ai immédiatement été séduit par le graphisme de Savoia. À la lecture des premiers cadres, je me suis tout de suite retrouvé à Bujumbura. Je suis persuadé que les auteurs ont fait le voyage pour pouvoir traduire les paysages et l'organisation de la cité d'une façon aussi crédible. C'était d'ailleurs une exigence de Faye pour le film et je pense qu'il a demandé la même chose pour la BD. Savoia nous charme instantanément par la beauté des paysages, des manguiers ou des rives du lac Kivu ou Tanganyika. Une "Fantaisie des dieux" comme le rappelle le journaliste Saint-Exupéry grande voix de ces évènements. A la lecture de cette première partie, je comprends comme une évidence le choix de Marzena Sowa. L'autrice polonaise est une experte des récits mettant en scène les enfants. Elle est donc l'une des scénaristes les plus légitimes pour mettre en scène la pensée de Faye dans ce récit à hauteur d'enfants de douze ans. Ensuite j'admire le travail de découpage effectué sur le texte de Faye. C'est pratiquement mot pour mot le texte du roman spécialement dans la voix off mais aussi dans de nombreux dialogues. La découpe du texte original et son utilisation dans la série permet de construire un ensemble très cohérent, fluide et surtout qui introduit la montée de la tension dramatique au fil du récit. Tension qui s'exprime par les désaccords du couple (petite histoire) pour atteindre son paroxysme dans la haine criminelle des Hutu contre les Tutsi. Haine dans laquelle le jeune Gaby va être entraîner presque malgré lui par un effet boomerang. C'est un des point forts (qui n'en manque pas) du roman et de la BD de Faye de nous faire réfléchir sur notre possible position de bourreau. "Je peux être une victime mais pourvu que je ne devienne jamais un bourreau" disait Jacques Attali dans une interview. Le scénario respecte scrupuleusement le roman à deux épisodes près (la bicyclette et l'anniversaire) en plus de la modification du groupe d'enfants (de 5 à 3). Mais ces modifications, sauf peut-être l'anniversaire, ne changent pas l'esprit de l'histoire et sa compréhension. Cette vision interne du génocide des Tutsis au Rwanda et les affrontements ou massacres au Burundi et au Rwanda est rare. C'est un vrai témoignage qui sert le devoir de mémoire. Comme pour la Shoah, il a fallu du temps pour vaincre le silence de l'indicible. Tout n'a pas encore été dit mais un récit comme celui de Gael Faye est un vrai trésor pour la paix et le futur. Enfin je termine par le formidable graphisme de Savoia. J'ai déjà exprimé mon admiration pour ses extérieurs et l'ambiance proposés. Son dessin est précis, dynamique et terriblement expressif dans la douleur et la souffrance. Il restait à traduire en image le génocide sans tomber dans le voyeurisme morbide et en respectant le souvenir des victimes. Sylvain propose deux passages. Un passage extérieur (p 85-87) comme une vision d'information en couleur coincée entre "les résultats sportifs et les cours de la bourse". Cette vision est horrible mais elle s'évacue par différents moyens comme les livres de madame Economopoulos pour Gaby. Enfin la vision vécue, celle du récit d'Yvonne, celle qui vous transforme définitivement (p95-97), sans couleur, vision de cauchemar dans laquelle vous risquez de sombrer. Cette vision ne passe pas aux infos mais détruit aussi surement que la machette des assassins. J'attendais ce passage si difficile à mettre en images. Eric Barbier dans son film a contourné la difficulté avec un récit très émouvant de la grand-mère. Ici Savoia respecte le récit original avec beaucoup de délicatesse et d'émotion. Il est impossible de rester de marbre sur ces deux pages qui en disent plus long que tous les discours de certains hommes politiques ou responsables de l'Elysée à l'époque. Faye ne s'attarde pas sur le côté politique des responsabilités, c'est l'affaire des juges ou des journalistes. Son monde est celui de l'enfance qui ne comprend pas avec son cerveau mais qui agit avec son cœur. Ce faisant c'est notre cœur qu'il touche. Cette série touche juste dans tous les domaines. Malgré ma connaissance récente du roman j'ai ressenti une très forte émotion à relire ce très beau texte bien mis en valeur et soutenu par de si belles planches. Une lecture plus que conseillée mais lisez le roman aussi (la lecture est rapide).
Il y a des BD qui vous informent factuellement sur des évènements bien précis. Il y en a d'autres qui vous les font ressentir. Petit pays fait partie de ces dernières, et elle le fait d'une telle manière qu'elle pousse immanquablement le lecteur à vouloir se renseigner davantage sur un sujet éminemment complexe. Inspiré des souvenirs du rappeur et écrivain franco-rwandais Gaël Faye, le roman Petit Pays, paru en 2016, raconte l'histoire du jeune Gabriel qui vit une enfance heureuse au Burundi malgré une ambiance étrange qui laisse présager le génocide des Tutsis à venir dans le Rwanda voisin. Sa mère étant Tutsi et exilée au Burundi depuis plus de 10 ans, celle-ci ressent de très près les tensions marquantes entre Hutus et Tutsis et la situation politique sur le fil du rasoir dans son pays d'origine. Mais hormis le conflit que cette situation crée entre sa mère et son père, expatrié belge un peu à côté de la plaque, le petit Gabriel est protégé autant que possible de la terrible réalité et vit une enfance joyeuse avec ses amis et voisins. Cependant, tandis que la situation se tend de plus en plus, l'enfant va être témoin de plus en plus de changements dans sa vie jusqu'à ce que la tragédie impacte irrémédiablement le Rwanda et par extension le Burundi aussi, de même que la famille et les proches de Gabriel. C'est un récit réalisé avec brio. Les éléments se mettent en place avec le plus grand naturel. D'une situation nostalgique d'enfance heureuse, on passe doucement mais sûrement à une situation dramatique avec des impacts géopolitiques majeurs et des conséquences familiales tout aussi importantes. Et le tout vu par les yeux d'un enfant intelligent et sensible, avec à la fois les non-dits mais aussi une véritable compréhension instinctive de la bizarrerie et du danger de cette situation. Le pire étant qu'en 1994, à l'époque de ce récit, j'étais au lycée dans la capitale du Kenya voisin, avec des Rwandais dans ma propre classe, et que tout comme les enfants de cette histoire je n'avais qu'une vision tronquée de ce qui se déroulait dans leur pays au même moment. Le dessin de Savoia est parfait pour cet ouvrage. Ses décors du Burundi sont aussi beaux et exotiques que poignants quand on pense à l'horreur qui s'y déroule et qui va défigurer ce paradis pour occidentaux. J'y ai retrouvé en grande partie l'ambiance de ma propre jeunesse africaine. Et tant sa représentation des personnages que son sens de la mise en scène permet une lecture d'une grande fluidité et d'une parfaite efficacité graphique. C'est beau et bien raconté. Alors que ce récit se déroule au Burundi voisin, j'ai appris davantage avec cette BD sur le génocide rwandais que dans toutes mes lectures précédentes. C'est avant tout la question de la haine ethnique et de son absurdité qui est présentée ici, ainsi que les ravages que cela va causer. La manière dont elle va dévaster des familles et des amitiés frappe aussi le lecteur de plein fouet. Très dur et cruel tout en restant toujours dans la retenue et la sobriété, cette représentation de l'horreur sait se rendre lisible et compréhensible par tous. On pourrait lui reprocher son manque d'explications sur les causes, les parties en présence et sur le déroulement précis des faits de génocide, mais c'est justement vers la recherche de davantage d'informations que cet album nous pousse, pour comprendre comment les choses ont pu en arriver là et savoir poser des faits sur ce que l'on vient de ressentir. J'ai refermé cet album la gorge nouée et avec l'impression d'avoir bien mieux compris non pas une énumération de faits mais bien toute l'émotion qui a impacté une région entière de l'Afrique centrale et tous les peuples et individus qui l'habitaient.
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