Comment Betty vint au monde
Autant pour l'auteur que pour le lecteur ou l'héroïne, Comment Betty vint au monde est une expérience radicale. Fusion entre dessins classiques, peinture expressionniste et historiette pour enfants, le premier récit en couleurs de L.L. de Mars conte les aspirations d'une jeune fille à se construire elle-même. Débordants, les désirs de Betty se heurtent aux bien-pensants, famille, artistes et autre faux dieux étouffant tout embryon de création.
Les petits éditeurs indépendants
C'est en déconstruisant et réinventant les codes du médium que l'auteur offre à cette enfance, au lecteur et à la bande dessinée, le sérieux (et la jouissance) qu'on leur refuse. Le fil de cette quête consume les pages, mots et cases mêmes de l'histoire jusqu'à une chute inévitable. Le geste du peintre et une narration urgente se conjuguent dans une spontanéité fascinante qui fait vaciller les normes. Du déchiffrage de cette ode pamphlétaire naît une infinité de lectures et d'échos, de la Comtesse de Ségur à Jean-Michel Bertoyas, de Will Eisner à Fragonard. L'auteur a entre autres publié M, une traversée des chants de Maldoror (6 pieds sous terre, 2005), Quelques prières d'urgence à réciter en cas de fin des temps (Les Rêveurs, 2009) et explore une quantité d'autres média avec la même énergie insatiable. L'histoire ? C'est l'histoire d'une jeune demoiselle prénommée Betty. Dans le prologue, il est évoqué sa première leçon de peinture, le rapport entre Dieu et les artistes, de l'anus de son chien, de l'horreur de vider de leur sens des mots comme Mort ou Angoisse, en les mettant en chanson. Dans le premier chapitre, Betty éprouve l'envie de devenir un poisson, ou plutôt une grenouille, mais surtout pas expert-comptable. Problème : il n'y a pas de ventricule de grenouille caché dans son cœur.
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Date de parution | 01 Mai 2011 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
En première lecture, j'ai détesté. Oh, je n'ai pas détesté le dessin. C'est un beau trait souple au pinceau, des couleurs puissantes et très belles, une foule d'essais plastiques, de tampons et autres tâches. Mais déjà l'incroyable profusion et l'enchevètrement de formes, de couleurs, de traits et de bavures surprend par son aspect confus, comme improvisé. On y voit le talent graphique mais sous une forme libérée où tout se mêle dans un chaos semi-esthétique et réfractaire à la logique classique de narration graphique. Ce chaos se révèle également dans ce qui tient lieu d'histoire à cet ouvrage. Les textes, quand ils ne sont pas tronqués, superposés, à demi effacés ou griffonnés, tiennent de l'écriture automatique, du déversement psychanalytique, sans structure séquentielle, au point de m'interroger sur le fait d'avoir face à moi une vraie BD ou plutôt un recueil d'illustrations réalisées au gré des envies et inspirations de l'auteur. Illisible et bien trop abscons pour un lecteur matérialiste tel que moi. En deuxième lecture toutefois, je suis parvenu à mieux comprendre. Même si le dessin restait souvent gratuit, le texte lui se faisait plus compréhensible maintenant que j'avais une meilleure vision d'ensemble du sujet. Betty y devient en effet l'alter-ego d'une artiste au sens général ou de l'artiste auteur de cet album-ci en particulier. Et à travers sa génèse, son développement et sa fin, l'artiste/auteur se parle en grande partie à lui-même. Il pose des thématiques telles que l'artiste contre les diktats de la bonne société, l'artiste qui doit réaliser son potentiel et ne pas se laisser guider vers un avenir tout tracé, l'artiste qui ne doit pas avoir honte de ses erreurs mais les afficher et apprendre d'elles, ou encore son rapport intime à Dieu et à Jésus... Le message commençait donc à passer de manière un peu plus claire, mais toujours aussi décousue, aussi gratuite, avec à nouveau pour moi de grandes difficultés à ne pas décrocher toutes les 3 pages, à trouver désagréable cette mise en scène. Tant et si bien qu'une fois encore, j'ai eu du mal à ne pas survoler le dernier tiers de l'album. C'est le genre d'ouvrage artistique qu'il faut prendre le temps de lire, relire et analyser pour en déterminer le message ou juste l'état d'esprit de l'auteur... sauf que pour cela, il aurait fallu qu'il parvienne à m'en donner l'envie et cet excès de confusion et d'improvisation me prend tellement la tête que ce serait me faire souffrance que de vouloir chercher à creuser davantage une thématique qui visiblement ne me parle pas.
Intranquillité - Cet album contient une histoire complète indépendante de tout autre. Il est initialement paru en 2011, entièrement réalisé par L.L. de Mars. L'histoire ? C'est l'histoire d'une jeune demoiselle prénommée Betty. Dans le prologue, il est évoqué sa première leçon de peinture, le rapport entre Dieu et les artistes, de l'anus de son chien, de l'horreur de vider de leur sens des mots comme Mort ou Angoisse, en les mettant en chanson. Dans le premier chapitre, Betty éprouve l'envie de devenir un poisson, ou plutôt une grenouille, mais surtout pas expert-comptable. Problème : il n'y a pas de ventricule de grenouille caché dans son cœur. Par la suite il est encore question de Dieu, mais aussi du fait que sa mère ne faisait plus caca depuis 26 ans. Elle doit devenir, devenir quelque chose, devenir ce qui est en elle, devenir une artiste, et surtout elle ne doit pas cacher ses ratures et ses ratages. Elle doit éviter de devenir une esthète stérile, comme l'envisage sa mère. Mais il lui faudra bien gagner sa vie, or la vie d'artiste ne garantit rien. À l'évidence, il s'agit d'une bande dessinée d'artiste, et peut-être d'un ouvrage difficile. La couverture pose bien la difficulté et la dichotomie de la lecture. D'un côté, il s'agit d'une peinture, essentiellement de nature abstraite, où il est possible de reconnaître un morceau de silhouette (le tronc, les bras, les mains) noyé dans un tourbillon de couleurs, vraisemblablement expressionniste. Mais même intimidé, le lecteur se dit qu'il ne s'agit jamais que de 58 pages de BD, sous une forme très traditionnelle, avec cases et phylactères. Au pire, il aura perdu une demi-heure (il n'y a pas tant de phylactères que ça) et n'y aura rien compris (mais il n'est pas obligé de l'avouer), au mieux il aura vécu une expérience enrichissante sortant de l'ordinaire. De fait il découvre une histoire avec un déroulement chronologique, plutôt intelligible. Betty est une jeune fille au début du récit. Elle reçoit l'enseignement de diverses personnes dont son oncle qui est artiste. Elle souhaite devenir une artiste elle-même. Elle se confronte aux envies de sa mère, aux exigences de son père, à l'envie d'être grenouille. Les phrases échangées sont courtes et souvent elliptiques. La graphie du lettrage évolue en fonction des sentiments exprimés, plus ou moins grande en fonction du volume de la voix, changeant parfois de couleur en fonction des émotions exprimées. Curieusement, l'auteur a parfois laissé les traits tracés pour écrire droit, sans raison apparente ou explicite. Comme le laisse supposer la couverture, l'approche graphique est très personnelle, et ne se restreint pas à un registre figuratif. le lecteur de bande dessinée classique peut retrouver des traits de contour, réalisés au pinceau avec des déliés très élégants, évoquant des gestes sûrs et précis. Ces contours peuvent être très précis pour représenter un chien, un être humain avec son visage, un soldat de l'empire romain. Ils peuvent être plus lâches préférant s'attarder sur l'allure d'une silhouette, sur la composition générale d'un cheval pour en souligner le mouvement ou la direction. Comme pour le lettrage, les traits de contour sont parfois tracés avec une couleur autre que le noir, pour insister sur une caractéristique globale de l'élément représenté, ou pour le faire ressortir par rapport aux autres. Dans une poignée de cases, il n'est pas possible d'identifier la forme représentée. le contraste est alors total quant au détour d'une case apparaissent des logos reconnaissables comme ceux d'Ikea, de Carrefour ou de Super U. Dès la couverture, et à chaque page par la suite, la couleur remplit une fonction expressionniste. Il en s'agit pas de mettre les formes en couleurs pour refléter les couleurs elles qu'elles peuvent être perçues par l’œil humain. Elles viennent souligner une partie de contour, rendre compte d'une ambiance, ou donner forme à des flux pouvant évoquer des émotions, des tensions psychologiques, des élans du cœur, etc. Il appartient alors au lecteur de les interpréter en fonction de sa sensibilité. Au fil des pages, le lecteur comprend que le thème principal du récit est la vocation d'artiste de Betty et la manière dont elle va pouvoir s'exprimer en fonction de l'éducation à laquelle elle est soumise. Il court un discours sous-jacent de refus de se soumettre à tout formatage imposé par les personnes enseignantes (qualifiées de maître dans les phylactères) et contre tout formatage socio-culturel. Betty refuse la morale judéo-chrétienne et doit prendre position par rapport aux attentes de ses parents, en particulier d'avoir une bonne situation. En ce qui concerne les cases, l'artiste respecte le principe de causalité d'une case à l'autre, que ce soit la temporalité (une scène se déroulant après l'autre) ou même 2 moments successifs dans une séquence. le regard du lecteur apprécie les couleurs plutôt gaies, ainsi que les dessins facilement lisibles (à une demi-douzaine d'exceptions). le résultat est très agréable à l’œil. L'approche graphique subit des variations de genre, de la gravure de la fin du dix-neuvième siècle, à l'art abstrait, en passant par l'aquarelle, évoquant parfois le fauvisme. le lecteur se laisse porter par ces dessins qui ressemblent parfois à des illustrations de livre pour enfants de par leur degré de simplification, ou la manga d'Hokusai, avec ces tracés de pinceaux si élégants. Cette impression est encre renforcée par les expressions des visages, franches et simples évoquant les illustrations des romans de la collection Bibliothèque Rose des années 1970. Le lecteur se laisse embarquer dans ce conte sur la maturation d'une individualité se destinant à la carrière d'artiste. Cette impression de conte est à a fois donnée par ces dessins gentils et expressifs, et par une forme de narration décousue. le récit passe d'une scène à une autre, sans donner de précision de lieu ou de date. Il convoque des images servant d'allégorie, une fois un chien, une fois un cheval, sans que ces animaux ne soient reliés à des éléments matériels, comme une niche, un panier, ou une écurie. Il voit une jeune fille pleine de caractère, soumise à la forme éducative décidée par ses parents, soumise aux états émotionnels de ses parents, qui tombent de manière arbitraire, castratrice, des contraintes l'obligeant à se conformer, une éducation ne sachant pas l'aider à développer ses talents personnels, mais lui imposant façons de voir préformatées. Au fil des pages se dégage une leçon de vie un peu étrange, rendue encore plus bizarre par la fin inéluctable du récit. Au travers des séquences l'auteur évoque la question de la vocation artistique et de la manière dont elle doit s'affirmer contre les enseignements imposés, contre les idées reçues, contre l'ordre établi. Il s'agit d'une posture de type politique au sein d'une société établie. le lecteur ressent à la lecture toute l'implication de l'auteur dans ce récit et y voit son credo ainsi que son intention d'artiste. En première lecture, il apparaît que ce récit n'a pas usurpé sa réputation d’œuvre difficile et artistique, mais que ça ne la rend pas impénétrable ou insurmontable. Cette lecture n'est pas pour autant une épreuve. Certes le lecteur ne peut prétendre tout comprendre du premier coup. Certes il reste coi devant certaines bizarreries narratives (c'est quoi cette histoire de ratés ?). Certes plusieurs images décontenancent et semblent plus gratuites qu'indispensables à la narration (pourquoi un soldat romain ?). Mais il y a bien une intrigue linéaire, avec une fin en bonne et due forme, des dessins agréables à regarder et des remarques qui font mouche. Tout ça pour ça ? En fait, L.L. de Mars jouit d'une réputation de créateur ambitieux dans le milieu de la bande dessinée, et sa bande dessinée présente un aspect artistique et expérimental caractérisé. Il est possible de consulter une interview en ligne sur le site Du9 dans laquelle il explique à que point ses œuvres souffrent d'une forme de prophétie auto-réalisatrice. Concrètement comme les éditeurs considèrent qu'il produit des œuvres à destination d'une élite, il en est réduit (également par choix) à travailler avec des maisons de publication confidentielles qui ne disposent pas d'un budget suffisant pour promouvoir une œuvre de ce type (= qui ne se vendra pas par palettes entières). En conséquence de quoi, ces BD sont tirées à faible exemplaire, et distribuées sporadiquement dans des petites librairies spécialisées qui ne les mettent pas forcément en avant. Dans les faits, elles sont difficiles à trouver, et il est même difficile d'en avoir entendu parler. Suite à cet entretien avec Xavier Guilbert se trouve un long texte dans lequel L.L. de Mars parle de ses œuvres dont Comment Betty vint au monde. Il commence par établir que ses commentaires ne constituent pas une clef d'interprétation permettant d'accéder au sens caché de l'ouvrage. Il précise qu'il parle de ses intentions, mais encore plus des thèmes qu'il souhaitait aborder, ce qui n'obère en rien la validité de la lecture qui en est faite par chaque lecteur. En cela, il fait preuve d'humilité, mais aussi il intègre les travaux de l'École de Constance sur le caractère éphémère, inventif, pluriel, plurivoque de la lecture. Il établit qu'une fois l’œuvre livrée au public, elle n'appartient plus à son auteur et les différents sens donnés par les lecteurs présentent tous un degré de validité recevable. Toujours dans le même texte, L.L. de Mars évoque la manière dont il a procédé pour réaliser ces pages. Il voulait absolument atteindre une autre manière de construire ses dessins, une façon de délier sa main pour la libérer des gestes appris devenus des automatismes génériques, sans réflexion vis-à-vis de l’œuvre en cours de réalisation. Il évoque le recours à des hallucinogènes naturels pour se libérer de ses habitudes graphiques. À partir de là, le lecteur peut commencer à ironiser au choix sur le délire artistique, la prétention artistique, ou la posture artistique, ayant à charge contre l'auteur des dessins non figuratifs à l'intention peu claire, produits sous influence. L.L. de Mars continue lui-même de s'enfoncer en indiquant qu'il a laissé des erreurs dans ses pages (en termes visuels), sans chercher à les corriger. Il estime vaniteux de vouloir recouvrir ses ratages, de les masquer, ou pire encore de les laisser, tout en laissant subsister en dessous des traits de construction attestant de l'évolution de la page. Mais arrivé à ce niveau-là du commentaire de l'auteur, le lecteur se rappelle la page sur laquelle une voix adjoint à Betty de ne surtout pas essayer de masquer ses ratages par des faux repentirs malhabiles, et de les assumer totalement. Effectivement, au fur et à mesure de la lecture du commentaire de l'auteur, le lecteur établit le lien avec ce qu'il vient de lire et reconnaît les thèmes abordés dans la bande dessinée. Assumer ses erreurs fait partie intégrante du processus d'amélioration personnelle de Betty, tout comme de celui de l'auteur lui-même. Il apparaît que Betty est un avatar bien plus proche de l'auteur que ne le laissait supposer le récit. Lui aussi assume ses ratages ou ses ratures en fonction des pages. le lecteur ne peut que reconnaître l'honnêteté de la démarche artistique, mais quand même laisser des erreurs sciemment, c'est un peu proposer un produit mal fini. Bien malin qui saura dire quelle case souffre d'un ratage. Chaque lecteur avec sa sensibilité peut estimer que telle ou telle case lui parle moins, mais rien n'est moins sûr qu'il s'agisse de la même que celle pointée par le voisin. Chaque case correspond à une composition plus ou abstraite, engageant la sensibilité de celui qui la contemple, il n'y a donc pas de règle universelle. Quand bien même une case reste muette pour le lecteur, cela ne compromet jamais la compréhension de l'intrigue. de la même manière, une ou deux répliques peuvent faire tiquer le lecteur. Par exemple, le narrateur informe que "La mère de Betty était redevenue une petite dame sous une cloche de verre sur la commode du serpent.". Ce constat semble renvoyer à un élément culturel ou à une association d'images incompréhensible pour le premier venu. de même, quand Betty déclare qu'elle veut juste une heure ou deux ; un moment seule pour s'enfoncer dans la terre, pour prendre deux ou trois centimètres de chair de Betty-sans-nom-de-famille, le sens de la phrase, du souhait reste cryptique. Et pourquoi diantre, apparaît-il un empereur romain le temps d'une page ? Quel rapport avec la choucroute ? Il faut dire que L.L. de Mars est un poète accompli et qu'il manie également l'ellipse et le sous-entendu avec habileté. Quand une grenouille déclare à Betty qu'il n'est pas sûr que le devenir chenille soit plus excitant que son devenir adulte, il évoque le champ des possibles qui s'ouvre à elle, que la vie d'artiste offre des horizons beaucoup plus larges et gratifiants que ceux d'emplois non créatifs. Quand la grenouille effectue le constat que Betty ne veut pas du tout être grenouille, mais qu'elle veut une vie de grenouille, le lecteur comprend que Betty recherche une position (sociale ou professionnelle) usurpée, en décalage avec sa nature profonde qu'elle souhaite conserver. Enfin quand sa mère lui indique qu'elle ne perd rien au change parce qu'il n'y a pas de grenouille d'exception, elle sous-entend que Betty deviendra une personne d'exception sous réserve qu'elle réalise son plein potentiel. Finalement en 58 pages, l'auteur aborde de nombreux sujets. Ils peuvent sembler un peu hétéroclites au départ, mais son commentaire éclaire le fait qu'il s'agit avant tout pour lui de parler de la condition d'artiste, de sa propre exigence envers lui-même. Vu sous cet angle, les séquences et les observations prennent tout leur sens. le lecteur revient sur le thème qui court tout au long du récit relatif à l'éducation comme moyen de faire se conformer les enfants à des conventions préétablies, à des dogmes, à un académisme présenté comme universel, comme un chemin obligatoire. Il pousse ce raisonnement jusqu'au bout avec la mère déclarant à Betty que les gens comme eux ne jouent pas de violoncelle. Pris à froid cela ressemble à une boutade gratuite. Replacé dans le contexte, il s'agit d'une phrase péremptoire obligeant de se conformer à un comportement de classe, fermant une possibilité qui pourrait se révéler la vocation réelle de Betty. le lecteur comprend que cette déclaration fait écho au credo de l'artiste de ne rien s'interdire en termes de moyens narratifs, de mode de création, d'outils d'artiste, de mode opératoire pour créer. Cette volonté d'être ouvert à tout conduit à rejeter tous les dogmes. L.L. de Mars dépeint le Christ comme un brave type vaguement opportuniste et totalement incongru dans la démarche de Betty, donc il faut rejeter la religion et ses dogmes. Betty bénéficie de leçons de peinture données par son oncle. Elle relève que ses conseils sont en décalage avec la vie qu'il a menée, ce qui la conduit à rejeter son enseignement. de la même manière, elle doit se protéger des projections de sa mère qui la voit en ceci ou en cela, mais surtout pas en ce qui ne se fait pour des questions de bonnes manières ou d'étiquette. C'est peut-être le thème le plus délicat à entendre dans ce récit. L.L. de Mars l'applique à son œuvre avec honnêteté en ne se pliant pas aux diktats normatifs et validés par l'usage de ce qui se fait en bande dessinée. Mais ses dessins portent la marque d'un artiste maîtrisant des techniques, quand bien même il affiche la volonté de les désapprendre. le lecteur comprend bien cette soif de liberté de manœuvre pour pouvoir exprimer le plus profond de son être sans subir les idées reçues (au cours des années de formation), mais ce n'est rendu possible que par les techniques apprises et la conscience qu'on en a acquise. En prenant cette bande dessinée comme un manifeste de l'auteur qu'il applique à ses propres créations, il ne se produit pas une mise en abyme vertigineuse et révélatrice, mais plutôt une modification du regard du lecteur. Il comprend que chaque case est porteuse des idiosyncrasies de l'auteur, exprime une partie de sa personnalité à sa manière. Cette bande dessinée devient un témoignage de sa recherche, de sa quête d'une expression absolue, personnelle, débarrassée des automatismes et enseignements prédigérés. Cette démarche ne relève pas du n'importe quoi. L'histoire se tient avec un début, un milieu et une fin, et le narrateur exhorte Betty en cours de route à faire attention au scénario, à le construire pour rester intelligible. L'auteur n'a pas pour objectif de rendre son œuvre la plus absconse possible, pour adopter la posture de l'artiste incompris. Mais il refuse de transiger, quant au fait de la rendre la plus vraie possible. Le lecteur ressent que l'artiste veut assumer l'entière responsabilité de sa façon d'agir, de réagir et d'interpréter le monde, il le revendique même. Il développe sa capacité à se mettre au diapason de ses sensations authentiques comme le suggère Fritz Perls dans sa théorie de la Gestalt. Il est indéniable qu'il y a une forme révolte contre les idées reçues, mais il y a aussi la volonté d'atteindre une forme d'anti-déterminisme. Au fur et à mesure des pages, Betty va, vit et devient (elle-même). C'est une démarche d'apprentissage qui ne souffre aucun compromis. L’œuvre qui en résulte met en pratique le credo exposé dans l'ouvrage. Pour conclure sur cet ouvrage hors norme, le plus simple et le plus vrai est encore de reprendre les mots de l'auteur : enfant, ce qui nous grandit et qui nous habitera au point de nous constituer, ce n'est pas ce qu'on nous destine, ce qui est prétendument fait pour nous, mais ce qui nous est impénétrable, inintelligible, ou interdit. Adulte, cette sensation forte, vertigineuse, que provoque la rencontre d'idées, de productions humaines vraiment autres, insoupçonnables, déstabilisantes, qui ne se donnent pas à nous du premier coup, se fait trop rare.
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