Le Secret (LL de Mars)
Tout le monde veut connaître le Secret.
Les petits éditeurs indépendants Perles rares ? Séries avec un unique avis
La méfiance règne. Accéder au Secret relève de l’ascension sociale. Changer de condition sociale donne accès au Secret, le Secret conforte ce changement de condition sociale. Conserver le Secret assoit le pouvoir de son détenteur et le maintient dans sa position de domination. Gilles, nouvellement coopté dans la confrérie des détenteurs du Secret, fait son apprentissage dans la sphère très fermée de ce club de privilégiés, inaccessible au commun des mortels. Il découvre les mécanismes qui sous-tendent la violence dans les rapports sociaux. L’un des membres de cette corporation d’élus l’exprime simplement: Il n’y a pas de fortune sur Terre qui pousse sur autre chose que des corps d’infortunés. Le Secret incarne la part ésotérique de la lutte des classes. Le coopté est transfiguré, s’animalise, devient irreconnaissable aux yeux de ses anciens congénères de basse extraction. Le secret est une drogue qui ne drogue que les autres. Se pourrait-il que nous, pauvres diables de lecteur, nous puissions avoir accès au Secret grâce à ce livre? L.L. de Mars signe ici une fable/farce politico-sociale féroce, et fait la part belle à l’expressivité picturale de son dessin en tirant parti de toutes les possibilités expressives de son média pour rendre la violence et la cruauté de son récit: collages, encres, crayons, pastels dans une explosion de couleurs, de matières et une mise en page décomplexée. Les cases se décloisonnent, les visages s’estompent, la couleur et les figures circulent librement dans les planches et se contaminent. Les cases se décloisonnent, les visages s’estompent, la couleur et les figures circulent librement dans les planches et se contaminent. Deux oiseaux annoncent le titre du premier chapitre : nourrir les hommes. Deux employés de maison espionnent ce qui se passe dans la maison des patrons, l'un faisant remarquer à l'autre qu'il prend des risques. D'ailleurs Georges finit par se faire repérer par le propriétaire qui le met à la porte sur le champ. L'employé le supplie de le garder car ce boulot, c'est tout ce qu'il a. Philippe, le patron, revient sur sa décision et se retourne vers ses deux invités. Il demande à sa bonne de lui apporter une boîte rouge de la réserve. Les deux autres lui demandent s'il fait encore confiance à cette employée de maison. Philippe explique qu'il peut se méfier de tout le monde, mais que s'il liquide tout son personnel à la première pétouille, il ne va pas tarder à n'être entouré que par des larbins incompétents, et dont il n'aurait que plus de raison de se méfier. Marguerite indique à Georges que Monsieur lui a clairement dit qu'il ne voulait plus le voir fouiner. Marguerite tue Georges, puis va s'occuper du deuxième zozo sur les ordres de Monsieur. Ce dernier appelle Marcel pour le servir, en se demandant s'il est encore vivant. Marcel se présente mais il n'est pas très sûr de vouloir brûler les corps, car tant que ces deux-là restent à la surface il est sûr ne pas les rejoindre. Philippe le congédie et demande à Gilles s'il veut faire le boulot, et combien il veut.
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Date de parution | 11 Mars 2016 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Nous au moins, on participe, on fait notre part. - Ce tome contient une histoire complète et indépendante de toute autre. le premier tirage date de 2016. Il a entièrement été réalisé par L.L. de Mars : scénario, dessins, couleurs. Il contient 52 pages de bande dessinée. Deux oiseaux annoncent le titre du premier chapitre : nourrir les hommes. Deux employés de maison espionnent ce qui se passe dans la maison des patrons, l'un faisant remarquer à l'autre qu'il prend des risques. D'ailleurs Georges finit par se faire repérer par le propriétaire qui le met à la porte sur le champ. L'employé le supplie de le garder car ce boulot, c'est tout ce qu'il a. Philippe, le patron, revient sur sa décision et se retourne vers ses deux invités. Il demande à sa bonne de lui apporter une boîte rouge de la réserve. Les deux autres lui demandent s'il fait encore confiance à cette employée de maison. Philippe explique qu'il peut se méfier de tout le monde, mais que s'il liquide tout son personnel à la première pétouille, il ne va pas tarder à n'être entouré que par des larbins incompétents, et dont il n'aurait que plus de raison de se méfier. Marguerite indique à Georges que Monsieur lui a clairement dit qu'il ne voulait plus le voir fouiner. Marguerite tue Georges, puis va s'occuper du deuxième zozo sur les ordres de Monsieur. Ce dernier appelle Marcel pour le servir, en se demandant s'il est encore vivant. Marcel se présente mais il n'est pas très sûr de vouloir brûler les corps, car tant que ces deux-là restent à la surface il est sûr ne pas les rejoindre. Philippe le congédie et demande à Gilles s'il veut faire le boulot, et combien il veut. Gilles répond que qu'il ne sait pas trop : mille fois le salaire de Marcel ? Sans plaisanter, il ne sait pas pourquoi il aiderait Monsieur. Son fauteuil, oui à la limite, ça l'intéresserait, mais il a peur qu'il dévalue encore plus vite que son pognon. Philippe lui fait une autre proposition : si le pognon ne lui dit pas plus que ça, peut-être qu'il serait plus intéressé par un peu du secret ? Son interlocuteur accepte. le propriétaire demande à son ami présent de faire le guet, et le rassure car il sait ce qu'il fait. Si ces ahuris savaient ça, ils ne feraient jamais tourner les usines. Il remet un morceau de secret à Gilles, en lui indiquant qu'il comprendra vite comment ça marche, et de surtout de ne pas en parler avec ses potes. Gilles sort de la pièce et croise l'employé de maison Lothark à qui il remet quelques piécettes, tout en lui annonçant qu'il a été promu majordome. Lothark espère bien que maintenant que Gilles a été promu, il va peut-être pouvoir apprendre la générosité avec les copains. Marthe vient de se faire poser un nouveau nez, et vu le résultat insatisfaisant, elle se dit qu'il va lui falloir un nouveau chapeau. Elle voit arriver un monsieur qu'elle ne reconnaît pas : il s'agit de Gilles qui a été obligé de changer de tête, en rapport avec son nouveau job. Il lui demande d'aller chercher des pelles à la cave. Les employés discutent entre eux : il paraît que Georges s'est fait dessouder, peut-être qu'en haut ils n'ont plus besoin d'eux, parce que le secret les renforce de plus en plus. Entendant ça, un jeune garçon dit à sa petite sœur Betty que leurs parents sont fichus. S'il a déjà ne serait-ce qu'une seule bande dessinée de cet auteur, le lecteur sait qu'il s'apprête à vivre une expérience de lecture peu commune. Il rapproche la forme narrative à celle de Comment Betty vint au monde (2011) : des peintures assez lâchées, un lettrage irrégulier pour lequel il reste parfois les traits horizontaux dans les phylactères, ou des mots qui débordent des bulles, voire sont en dehors, des illustrations couvrant le spectre du figuratif à l'abstrait au point d'être incompréhensibles pour certaines quand elles sont détachées de la trame narrative, c'est-à-dire celles qui les jouxtent, ou le texte, sans oublier des propos tout en ellipse et en sous-entendu. S'il n'a jamais lu une seule BD de Mars, le lecteur se demande sur quoi il a bien pu tomber : un artiste qui semble composer ses planches à la va comme je te pousse, qui abuse de la licence artistique pour peindre comma ça lui chante sur le moment sans souci de cadrage, de composition ou d'intelligibilité. Bref : une véritable épreuve de lecture pour comprendre de quoi ça parle, pour rétablir des liens plus que distendus entre image et texte, d'une image à l'autre, pour déterminer ce que viennent faire des éléments visuels aussi incongrus qu'un plan masse cadastral, la photographie d'une installation industrielle de raffinage, des tampons d'animaux sur une portée verticale, des individus à tête d'animal, des pages jaunies d'un article avec illustration sur le puzzle de Graf. Alors, oui, il faut du temps de cerveau disponible, ainsi qu'un goût pour le jeu, pour effectuer une lecture participative. Sous réserve d'être prêt à cette interaction participative, le lecteur peut alors commencer à jouer. le titre et la couverture ne lui donnent aucune indication sur la nature du récit ou sur le thème, ni la citation extraite de l'ouvrage sur la quatrième de couverture : des hommes qui n'ont jamais rien monté ont, seuls, pu imaginer que nous manquerions un jour de monture. Il se lance alors dans l'inconnu. Il commence par découvrir le titre du chapitre 1 Nourrir les hommes, et constate à la fin qu'il n'y a que deux chapitres, le second étant intitulé Nourrir les bêtes. Difficile d'effectuer une supposition plausible sur la signification à attribuer au fait que ce titre soit énoncé par deux oiseaux. La deuxième page montre la silhouette de deux hommes dont le visage est effacé, dans des teintes rose et jaune, très joli. Les phylactères permettent de comprendre leur situation : deux employés de maison épiant leur maître. La page suivante demande un peu de temps pour saisir ce qui est montré : une paire de jambes avec une silhouette gribouillée au-dessus du bassin, et coupée au-dessus des épaules, une autre silhouette plus éthérée lui faisant face, avec un rapport de proportion étrange entre les deux, et trois cases en dessous, la dernière étant blanche, vide de tout. le lecteur tourne la page et comprend que la discussion se poursuit entre le propriétaire et ses invités, deux ou trois peut-être, sur le thème des employés de maison. Tout du long, le lecteur va ainsi jouer à expliciter en son for intérieur les liens logiques sous-entendus d'une case à l'autre, entre les images et le texte, tout en se demandant s'il ne fait pas fausse route, s'il a bien décodé l'intention de l'auteur. Il est possible que le lecteur soit hermétique à ce mode communication, et qu'il abandonne rapidement cette œuvre trop sibylline. Il comprend bien que c'est une volonté de l'auteur que de l'obliger à faire l'effort de comprendre. Il peut aussi considérer cette manière de faire comme une façon d'engager un dialogue. Les pages ont été créées et façonnées par l'auteur, mais elles sont bien évidemment incomplètes sans quelqu'un pour les lire, et chaque lecteur en fera une lecture différente. L.L. de Mars les rend ainsi sciemment polysémiques, intégrant dans sa façon de raconter qu'il y aura autant d'interprétations que de lecteurs, faisant en sorte de laisser la place à ce qu'apporte le lecteur à l’œuvre. Une fois son attention en éveil, le lecteur se rend compte que l'effort à fournir n'a rien d'insurmontable. En fait, l'auteur se montre plutôt prévenant. Pour commencer, il donne un nom au personnage principal et le répète assez régulièrement pour qu'il puisse être assimilé naturellement, et que le personnage soit identifiable à chaque apparition sans avoir à effectuer un enchaînement de quatre déductions hasardeuses. Disposant de cet ancrage humain dans le récit, le lecteur éprouve un ressenti émotionnel car il peut se projeter, même si Gilles change de tête en cours de récit, même si sa représentation est floue ou conceptuelle. Au bout d'une demi-douzaine de pages, il apparaît que la situation et la dynamique de l'histoire sont simples et accessibles. Gilles est un employé et par un concours de circonstance sortant de l'ordinaire, son employeur lui propose de lui confier une partie du secret. de page en page, le lecteur relève le registre de langage, ou plutôt le domaine qu'évoque certains mots ou expressions : patron, larbin, bonniche, incompétence, job, gosse de pauvres, usine, participation, fabriquer, machines. Même si les illustrations évoquent vaguement l'industrialisation de la fin du dix-neuvième siècle, il apparaît que le champ lexical évoque la lutte des classes, la domination de l'élite propriétaire sur les employés qui sont considérés comme du bétail, de la main d’œuvre bon marché, anonymes et remplaçables. le lecteur relève également les mots qui vont avec le principe du secret : confrérie, cérémonie, intronisation. Il se retrouve déstabilisé par le fait que ce secret n'est jamais explicité, semble une évidence visible de tous, mais remarquée que de l'élite. Finalement le fil rouge est facile à déceler et à appréhender, et le lecteur se rend compte qu'il tourne la page à chaque fois certain de découvrir des visuels inattendus, sans plus ressentir de crainte d'être perdu. En surface, il éprouve la sensation que l'artiste pratique une sorte d'illustration libre sans s'imposer de plan préétabli, en laissant libre cours à son inspiration du moment. Tiens, là, je vais passer en mode expressionniste total pour un effet barbouillis qui exprime la colère du patron. Tiens, là, ce personnage précis aura une tête de vache. Ici ce sera un crâne perché au sommet d'une colonne vertébrale mais plutôt sous forme de serpent que de succession d'os. Et maintenant passage à des contours peints, sans mise en couleurs, puis des contours aux crayons pour une case de la page suivante, avant de passer à l'encre traditionnelle dans la case du dessous. Etc. le lecteur peut trouver ça épuisant et vain, esthétisant dans le mauvais sens du terme. Il peut également y voir l'expression de la sensation ou de l'état d'esprit de l'artiste pour exprimer son ressenti à une situation du récit. Il ne se limite pas à composer un tableau par case en fonction de sa fantaisie, il établit également une continuité esthétique sur une page, une logique d'évolution dans une séquence, d'une séquence à l'autre. le lecteur saisit peut-être plus facilement avec le texte des phylactères : sous-entendus, ellipses, effets de style, association d'idées par un registre de vocabulaire, etc. Il se rend compte que l'artiste se livre exactement à ce même genre de jeu et de construction avec les images, ce qu'il représente et la manière dont il le représente. Mais il n'impose pas au lecteur une interprétation : il l'invite à formuler son interprétation. S'il ne joue pas le jeu, le lecteur se retrouve avec des visuels surprenants, souvent poétiques, tout en éprouvant une forme de distension, de manque de cohésion superficielle, mais celle-ci est bien présente en profondeur. Comme à son habitude, L.L. de Mars réalise une œuvre unique en son genre qui, de prime abord, semble défier l'entendement, un exercice intellectuel et esthétisant, artificiel et vain. Sous réserve qu'il ne soit pas allergique à cette forme de communication, le lecteur se rend vite compte que l'auteur est beaucoup plus prévenant à son endroit que ne le laisse supposer les apparences, et qu'il se lance dans une expérience sensorielle, s'apparentant à un dialogue avec l'auteur qui a fait en sorte qu'il puisse projeter ses idées, ses émotions, qu'il doive le faire pour qu'il se produise un partage de sens, pour trouver du signifiant parmi ces drôles de signes. Il peut alors savourer une histoire engagée et amusante, un point de vue critique et un humour singulier.
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