Mauvaises Herbes

Note: 5/5
(5/5 pour 3 avis)

D'après le témoignage d'une esclave sexuelle durant la guerre du Pacifique.


1939 - 1945 : La Seconde Guerre Mondiale Corée Documentaires Gros albums La BD au féminin Maltraitance infantile [Seconde Guerre mondiale] La Guerre du Pacifique et le conflit sino-japonais

1943, durant la guerre du Pacifique. La Corée est sous l’occupation du Japon. Sun, une jeune fille de 16 ans, est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l’armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu soixante ans loin de son pays, Sun revient sur sa terre natale. Le moment de raconter son histoire bouleversante est venu. Il fallait bien un roman graphique copieux pour donner corps au destin tragique de cette adolescente condamnée à la prostitution, la violence, l’opprobre et l’exil. Le témoignage de Lee Oksun ne se contente pas de rappeler l’esclavage sexuel organisé par l’armée impériale (ce que nient encore les nationalistes japonais), mais montre également les responsabilités de certains Coréens et le rejet social dont ont été victimes les rescapées.

Scénario
Dessin
Traduction
Editeur / Collection
Genre / Public / Type
Date de parution 26 Septembre 2018
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Mauvaises Herbes © Futuropolis 2018
Les notes
Note: 5/5
(5/5 pour 3 avis)
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09/05/2024 | Smart Move
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Par Emka
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Voici une œuvre marquante, à côté de laquelle je serais passé si ne fréquentais pas ce site. "Mauvaises Herbes" un témoignage puissant de l’histoire des “femmes de réconfort”, souvent passé sous silence. Cet album, réédité par Futuropolis, raconte avec une grande sensibilité le destin tragique de Oksun Lee, victime de l’esclavage sexuel sous l’occupation japonaise en Corée. Dès les premières pages, on est frappé par la force brute du trait en noir et blanc. L’autrice joue habilement avec les épaisseurs de lignes pour donner à la fois un sentiment d’enfermement et de brutalité, tout en laissant place à une certaine douceur dans les paysages naturels. Ce contraste visuel reflète parfaitement le dilemme entre la beauté du monde et l’horreur des expériences humaines. Les mauvaises herbes, symboles de résistance et de résilience, parsèment l’œuvre comme un écho à la ténacité de ces femmes oubliées. Le récit alterne habilement entre les souvenirs de Oksun et les entretiens que Keum Suk Gendry-Kim a menés avec elle. La structure narrative est fluide, permettant de ressentir le poids du traumatisme tout en étant guidé avec délicatesse à travers cette mémoire douloureuse. Gendry-Kim choisit d’aborder les moments les plus horribles avec pudeur, optant pour l’implicite plutôt que pour des représentations explicites, ce qui renforce la puissance émotionnelle de l’œuvre. Le travail de l’autrice s’inscrit dans une démarche de mémoire, de réhabilitation de la parole des victimes, trop longtemps ignorée. Le ton est juste, sans voyeurisme ni surenchère dramatique, ce qui rend l’ouvrage d’autant plus poignant. On ne peut qu’être ébranlé par cette histoire, témoin d’une période sombre et encore taboue de l’histoire asiatique. C’est une œuvre nécessaire, un devoir de mémoire aussi essentiel que les autres récits historiques qui évoquent les grandes tragédies humaines. Cet album est un coup de poing émotionnel, j'ai lu les 500+ pages d'une traite. Le dessin, brut mais subtil, la narration poétique et touchante, et surtout le sujet traité avec une sensibilité rare font de cette bande dessinée un véritable chef-d’œuvre qui devrait être lu et partagé largement. Je rejoins les avis précédents, une oeuvre magistrale et un grand coup de coeur.

17/09/2024 (modifier)
L'avatar du posteur bamiléké

Voilà une lecture essentielle pour entretenir le devoir de mémoire et le respect de la parole des victimes. Je dois remercier Smart Move pour son bel avis (justement primé) qui a mis en lumière un ouvrage qui était passé de façon incompréhensible sous le radar du site lors de sa première diffusion (Delcourt). Futuropolis a repris le flambeau pour rééditer ce pavé de 500 pages et on ne peut lui souhaiter que beaucoup de succès. Reconnaissance que l'autrice Gendry-Kim a déjà goûtée hors nos frontières quand on lit la liste interminable de prestigieux prix obtenus dans le monde. La thématique des " femmes de réconfort" n'est pas nouvelle en Corée. Depuis les années 90 date des premiers témoignages entendus et acceptés par une société jusqu'alors sourde à la parole des victimes, cette thématique empoisonne les rapports diplomatiques entre le Japon et la Corée (voire d'autres pays conquis et 37-45). Comme le reconnait elle-même l'autrice le sujet a déjà beaucoup été exploité en 20 ans par différentes formes d'art. Peu connu en France ce sujet a pourtant percé en Europe à la suite du témoignage de victimes hollandaises qui étaient devenues les esclaves sexuelles de l'armée impériale japonaise après la conquête de l'Indonésie. C'est très bien expliqué dans l'ouvrage de madame Jung Kyung-a Femmes de réconfort (esclaves sexuelles de l'armée japonaise). Les deux ouvrages se complètent à merveille. Jung Kyung-a avait choisi une vision assez large qui mêlait témoignages de plusieurs victimes mais surtout qui s'appuyait sur les rapports d'expertises du médecin-capitaine Aso Tetsuo qui travaillait à mettre des procédures pour empêcher la diffusion des MST au sein de l'armée. Gendry-kim choisit un récit bien plus intimiste centrée sur le destin de madame Oksun Lee jeune coréenne vivant dans la misère quotidienne avec sa famille. Gendry-Kim remonte ainsi dans le passé colonial du Japon vis à vis de la Corée. L'exploitation à outrance des richesses naturelles et de la main d'œuvre coréenne explique pourquoi une misère endémique régnait dans ces années-là. Le procès du colonialisme n'est plus à faire mais l'ouvrage y apporte sa pierre. Cette colonisation brutale explique à la fois le grand nombre de jeunes filles coréennes abusées par les soldats japonais et le grand nombre d'hommes envoyés en travaux forcés au Japon. Ces 500 pages se lisent très facilement grâce à une construction astucieuse. Le récit historique très lourd ne prend qu'une partie de la narration, c'est toujours traité avec délicatesse mais avec une extrême précision. Le discours est de femme à femme et certains passages ne cache pas grand-chose de l'intimité que ces pauvres jeunes filles essayaient de préserver malgré le manque de tout. Gendry_Kim travaille constamment dans la finesse et la délicatesse, aucune image explicite morbide ou voyeuriste ne vient troubler la douceur du récit. Cette douceur contraste avec force avec la dureté et la sauvagerie du contexte. Une sauvagerie qui va durer bien après la fin de la guerre. L'autrice se met en scène dans des scènes d'interviews avec Oksun qui a alors presque 90 ans. Cela permet à l'autrice de s'interroger sur la légitimité de sa démarche. Elle nous fait part de ses doutes et de ses interrogations quant à introduire tel ou tel sujet sensible (comme le premier viol, l'hygiène féminine, les enfants). L'autrice ne se met jamais en avant et laisse la parole se libérer d'elle-même. On n’interviewe pas une personne de cet âge avec de tels traumatismes comme un joueur de foot multimillionnaire égocentrique. Il faut une grande qualité d'écoute tout particulièrement pour des personnes qui n'ont pas été écoutées pendant des décennies. La parole est donc souvent rare toujours riche malheureusement cruelle. Gendry-Kim se heurte à la problématique de l'image de l'indicible. C'est vrai pour tous les auteurs qui racontent l'ignoble de masse : Rwanda, Cambodge, Shoah, Congo... Gendry-Kim choisit l'implicite qui souvent à bien plus de puissance que l'image crue. En choisissant de peindre des paysages d'arbres parfois en fleurs parfois tourmentés, l'autrice nous renvoie à l'insignifiance de la folie humaine pour une nature qui va son chemin de résilience malgré les bombes et les atrocités. Le trait au pinceau est très fluide et souple. Cela permet à l'autrice de travailler sur les épaisseurs de tracés. Les noirs sont très présents surtout dans la partie historique. A eux seuls ils produisent cette ambiance d'enfermement insupportable vécue par Oksun et ses amies. J'ai trouvé beaucoup d'originalité et de caractère à cette narration graphique si importante dans l'équilibre de la série. Un must injustement ignoré par les festivals en France.

25/08/2024 (modifier)
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Keum Suk Gendry-kim est une autrice et traductrice sud-coréenne. Elle a d’abord étudié à Sejong avant de rejoindre Strasbourg et qui, après quelques années en France, est retournée vivre en Corée. En plus de ses nombreux travaux de traduction, elle est à la fois l’autrice de bande dessinée jeunesse (dont certaines inédites en francophonie) et de bandes dessinées autobiographiques et reportages. Son ouvrage, "Les Mauvaises Herbes" est paru une première fois aux éditions Delcourt en 2018. Il a été publié en 7 langues et a reçu de nombreux prix à travers le monde. Il ressort aujourd’hui aux éditions Futuropolis et mérite amplement un nouveau coup de projecteur Les « Mauvaises Herbes » est une histoire vraie. Elle est basée sur le témoignage et les souvenirs d’une dame, Lee Oksun, que l’autrice rencontre au détour de la visite d’un centre pour « femmes de réconfort ». Les femmes de réconfort, c’est ainsi que l’on appelait les esclaves sexuelles de l’armée japonaise, en 1943, en pleine guerre du Pacifique. A l’époque, la Corée se trouvait sous occupation nippone. Oksun, a 16 ans et est vendue par ses parents adoptifs comme esclave sexuelle à l'armée japonaise basée en Chine. Après avoir vécu 60 ans loin de son pays, Sun revient sur sa terre natale. Sa rencontre avec Keum Suk Gendry-kim va lui permettre de relater l’enfer qu’elle a vécu à l’époque… un enfer qu’elle décrit de façon très factuelle et qui ne fait que souligner l’horreur qu’on vécues des tas de femmes durant cette période méconnue de l’histoire. C’est un ouvrage long de 500 pages que nous propose l’autrice et, le moins que l’on puisse dire c’est que la force et la puissance de ce témoignage nous fait difficilement arrêter la lecture. Keum Suk Gendry-kim alterne sa narration entre ses rencontres avec une Oksun âgée et le récit imagée de la jeunesse (et du calvaire) de cette dernière. En ce sens, l’histoire rappelle Maus un autre grand témoignage en bande dessinée récit qui lui aussi alternait entre l’horreur des camps de concentrations et le témoignage qu’un homme en faisait à son fils. Keum Suk Gendry-kim relate avec beaucoup de simplicité et de force un récit empli de tristesse, de violence, voire parfois d’un certain nihilisme. Le détachement avec lequel Oksun raconte certains passage de sa vie en captivité est parfois glaçant. On a le cœur brisé pour cette femme qui tant bien que mal, construite , s’est construite une vie malgré les horreurs qu’elle a vécu enfant et jeune femme. De son propre aveu, Oksun semble avoir fait le deuil d’un bonheur qu’elle n’aura finalement jamais connu. La narration que propose Keum Suk Gendry-kim est à la fois dure, pudique et très poétique. On ressent au plus profond de notre chaire les brimades, les humiliations et l’injustice que vivent Oksun et ces autres « femmes de réconfort ». On se sent finalement impuissant face à une profonde et honteuse injustice qui, malheureusement fait partie d’une histoire trop peu racontée. Le trait de Keum Suk Gendry-kim est fascinant. Son dessin est en noir et blanc, son trait est « gras », réalisé au pinceau et à la plume (nous semble-t-il) et constitué de gros aplats noirs. C’est un dessin aussi brut que l’histoire qu’il raconte (et sans doute que le témoignage d’Oksun) et dont parfois ressortent des vrais moments de grâces, notamment dans la représentation de la végétation (dont les « mauvaises herbes » qui ont, en partie, inspiré le titre) et de certaines scènes entre ces différentes femmes de réconfort. Cet ouvrage est véritablement un témoignage coup de poing. A titre personnel, c’est une partie de l’histoire que je ne connaissais que trop peu, voire pas du tout. Découvrir le traitement que ces femmes ont subies il y a à peine 80 ans (quasiment rien à l’échelle de l’histoire humaine) a quelque chose de profondément choquant, déstabilisant, éprouvant… La vie d’Oksun, telle que décrite dans ce livre, a été une succession d’épreuves et d’injustices. Des épreuves que la jeune femme a traversé avec une colère étouffée et, parfois, une résignation perturbante et glaçante. Quand on réalise à quel point la situation de cette jeune femme et de ses camarades d’infortunes était désespérée (ainsi que celle, dans une moindre mesure, de certains des militaires japonais, pris eux aussi dans un engrenage malsain), on ne peut que saluer la force de caractère et d’abnégation de cette femme qui se sera, envers et contre tout, accrochée à un instinct de survie. Un instinct de survie dans tout ce qu’il a de plus primaire. Une volonté de vivre qui lui aura permis de croiser la route de Keum Suk Gendry-kim et de faire en sorte que son histoire ne soit jamais oubliée « Les Mauvaises Herbes » est un récit dévastateur qui ne vous laissera pas indemne. Une histoire froide et profondément humaine qui donne, enfin, une voix, à celles qui en ont été privées pendant trop longtemps. Une histoire qui, nous l’espérons, accordera à leur courage toute la place qu’il mérite dans l’histoire de l’humanité.

09/05/2024 (modifier)