La Part des lâches
Portrait d’une jeune génération qui prône un meilleur usage des ressources humaines et cherche des modes de vie alternatifs.
La BD au féminin La Vie en Communauté Les petits éditeurs indépendants Séries avec un unique avis
En pleine période de remise en question professionnelle et amoureuse, Aby décide de rejoindre la colocation de son amie Jet, en Auvergne. Elle y fait la connaissance d’un petit groupe de néo-ruraux hauts en couleur, aux discours libertaire et anticapitaliste. Tentée par l’exode urbain et des pratiques plus respectueuses et proches de la nature, mais peu habituée à la vie en communauté, la jeune femme ressent vite le besoin de troquer les murs partagés pour la quiétude de la forêt. Bientôt, Aby est initiée aux propriétés des champignons hallucinogènes par une marginale pour laquelle elle se prend d’affection. De là à passer de la théorie à la pratique… "La Part des lâches" interroge avec un grand sens de l’à-propos les contradictions contemporaines sans manichéisme ni prosélytisme. « Dans La Part des lâches, je tente de développer la trajectoire d’un individu qui cherche sa place à deux niveaux : au sein d’un groupe restreint et à l’échelle du monde dans lequel on vit, en crise écologique et sociale. Ville ou campagne ? Argent ou décroissance ? Liberté individuelle ou interdépendance groupale ? Autant de questions qui traversent mon héroïne, Aby. » Dans un décor de campagne conduisant au rêve comme au retranchement, à la légèreté comme à la mélancolie, Marguerite Boutrolle use d’une teinte profonde et d’un trait appuyé pour dérouler l’escapade d’un personnage, d’un monde, en quête de sens.
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Date de parution | 15 Mai 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Pour faire le vide, Aby avait besoin de grand air et d’espace, beaucoup d’espace. De nature aussi, histoire de se reconnecter à l’essentiel après un quotidien professionnel auquel elle ne trouvait plus de sens, et une histoire d’amour confortable, mais un peu plan-plan… Accueillie par sa pote Jet, elle va donc cohabiter dans une grande baraque défraichie en pleine cambrousse, avec trois autres jeunes gens en quête de sens comme elle, désireux d’inventer des modes de vie alternatifs… Le problème avec Aby, c’est que la vie en groupe n’est pas son fort et qu’elle n’avait pas prévu cette éventualité. Pour la retraite en mode ermite, c’est raté ! … Et Aby, peu réceptive à cette vie en communauté « typique bobo » qui ne fait que reproduire les codes de la vie urbaine ultra connectée, sans vraiment l’assumer, va prendre la tangente, s’éclipsant de plus en plus souvent pour aller respirer l’humus puissant et primitif de la forêt (alors que les autres restent avachis sur les canapés). En totale immersion, Aby retrouve un émerveillement enfantin oublié, observe faune et flore autour d’elle, prend plaisir à écouter le bruissement des feuilles et le bourdonnement des abeilles, à humeur l’odeur des plantes et des champignons. D’ailleurs, son intérêt pour ces derniers va s’en trouver renforcé après une rencontre fortuite avec Elie, ancienne babacool un brin misanthrope qui l’initiera à la mycologie, y compris les psylos qui filent des hallus… Bref, toutes ces petites fugues vont créer quelques tensions au sein du groupe, que Jet ne contribuera pas à apaiser. Cachant mal son désir pour Aby, sa bienveillance va s’avérer de plus en plus pesante, jusqu’au dénouement fatal lors d’une teuf sous champis… L’amie qu’était censée être Jet deviendra la relou de service… L’ouvrage bénéficie d’une narration fluide, entrecoupée de longues séquences de silence où l’on marche dans les pas de cette jeune citadine en manque de vert lors de ses escapades dans la nature environnante. C’est évidemment elle le personnage le plus intéressant du récit (au même titre qu’Elie, avec qui elle partage quelques affinités), celle qu’on veut retenir alors qu’elle ne cherche qu’à s’éloigner. Le dessin en bleu-gris monochrome accompagne parfaitement le cheminement d’Aby, c’est un dessin où les sons ont leur importance, plus que dans n’importe quelle BD. En disséminant des onomatopées à tout bout de champ, Marguerite Boutrolle semble vouloir nous inviter à accorder plus d’attention aux « silences » de Dame Nature face au désastre annoncé… Son trait, certes assez fragile et un peu vert, a du potentiel, et la maîtrise est beaucoup plus flagrante pour ce qui est des attitudes des personnages ou du cadrage, qui permet de mettre en relief ces petits détails en apparence anodins, ces petites choses autour de nous que nous ne savons pas ou plus voir, gavés sommes-nous par les artifices technologiques… On peut également souligner la très jolie couverture ! Mais au-delà du trait, c’est aussi le propos qui est digne d’intérêt dans ce roman graphique qui parle d’une génération, celle des jeunes adultes qui vient de quitter l’adolescence et est encore trop jeune pour être prise au sérieux par ses aînés. Si les grands sujets d’actualité apparaissent en toile de fond, cette jeunesse un peu larguée tente de réinventer un mode de vie plus conforme aux enjeux du présent, pas toujours avec conviction, parfois maladroitement, car l’addiction technologique reste vivace. A un niveau beaucoup plus intime, Boutrolle parle de la difficulté à exister au sein d’un groupe, ou plutôt à rester soi-même, et questionne cet instinct grégaire qui fait que parfois, les relations peuvent vite devenir toxiques voire intrusives lorsqu’on ignore les injonctions du collectif. Aby en fera les frais du fait de son comportement solitaire, qui finit par dérouter ses colocataires et laissera poindre d’une manière ou d’une autre les reproches des uns et des autres. Tout cela fait de « La Part des lâches » une lecture captivante, qui réussit à relier l’intime et le sociétal. Ce récit doux-amer et sensible, voire hypersensible, nous interroge sur la capacité de l’être humain à cohabiter harmonieusement avec ses congénères, à accepter l’autre dans son entièreté.
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