De sel et de sang

Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)

Plongez dans un épisode peu connu de l’histoire qui s’est produit à Aigues-Morte. Cette bande dessinée vous permet de comprendre le conflit qui a divisé les italiens et les français dans les marais salants.


1872 - 1899 : de la IIIe république à la fin du XIXe siècle Les ritals Occitanie Séries avec un unique avis

Ce mois d’août 1893 aurait pu disparaître des mémoires. La ville gronde d’une colère folle. L’étranger devient un animal à abattre, sans état d’âme. Saura-t-on jamais ce qui a déclenché une telle folie ? Les auteurs de De sel et de sang s’emparent librement de ces faits réels (qui ont une troublante résonance avec le monde d’aujourd’hui) et racontent ces moments de démence, qu’un journaliste du Journal du Midi a décrit comme « indignes d’un peuple civilisé » (édition du 18 août 1893). On y découvre comment les discours nationalistes et cocardiers, les fantasmes xénophobes et la vieille rengaine « fiers d’être français », ont incité des laissés-pour-compte à se déchaîner contre leurs frères de misère avec une effrayante sauvagerie.

Scénario
Dessin
Couleurs
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 19 Mai 2022
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série De sel et de sang © Les Arènes 2022
Les notes
Note: 4/5
(4/5 pour 1 avis)
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13/06/2024 | Noirdésir
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A la lecture de cette histoire, hélas vraie, me sont revenues en mémoire les lectures de Mangez-le si vous voulez ou Le Singe de Hartlepool, qui racontaient aussi comment une foule décérébrée s’était acharné de façon hallucinante sur un pauvre type (ou un singe !). Mais les victimes sont ici – encore hélas – bien plus nombreuse : des centaines de travailleurs immigrés italiens, exploités dans les salines d’Aigues-Mortes, en concurrence avec d’autres ouvriers français, les miséreux des deux « camps » étant méprisés par les propriétaires – et l’administration, qui n’y voient que fauteurs de troubles, agitateurs, fainéants, et qui préfèrent toujours que les miséreux se battent entre eux (ça n’a pas changé depuis). Paronuzzi s’est beaucoup documenté (une bibliographie quasi exhaustive sur le sujet se trouve en fin d’album), et son récit est monté de façon implacable, il y a de la tragédie antique dans cette montée des tensions, jusqu’à l’éclatement incontrôlable de la violence, de la haine, et de la bêtise. Il faut dire que les propos racistes, le nationalisme exacerbé de la IIIème République revancharde (cela se passe en 1893) ont préparé le terrain. Mais Paronuzzi montre aussi très bien comment le phénomène de foule agit, pour agglomérer autour de quelques excités extrémistes la quasi-totalité des habitants de la ville. La lâcheté des autorités (le maire en tête), la haine de classe du propriétaire (ici presque caricatural) donne alors un blanc-seing au racisme ordinaire. La bêtise de la foule faisant le reste. Il y a eu un procès, et tout le monde a été acquitté ! Hallucinant. Et, à l’heure où le rejet de l’autre, de l’étranger s’impose dans de plus en plus de médias, alors que les dominants y trouvent leur intérêt en faisant en sorte que les dominés se battent entre eux plutôt que contre la domination, cette histoire résonne fortement. Une triste histoire, qu’on aurait aimé être inventée, mais qui est bien racontée. Et le dessin de Djinda, un trait moderne, proche de Gipi (pour rester dans le domaine italien), mais aussi de certains dessins de presse de l’époque (comme on pouvait en voir dans « L’Assiette au beurre » par exemple), s’est révélé agréable. Il accompagne très bien le récit. La colorisation, un peu terne, donne un petit air vieillot qui lui aussi colle bien avec le sujet. Une lecture recommandable, qui fait réfléchir, et qui hélas (encore hélas !) nous renvoie à une actualité qui peut nous faire craindre que ces événements ignobles pourraient tout à fait se reproduire. C’est semble-t-il le premier album de ces deux auteurs. Je serai curieux de les voir sur un autre projet, car cet album est une réussite.

13/06/2024 (modifier)