La Grimace

Note: 5/5
(5/5 pour 1 avis)

La rue Thiers, celle qui fut jadis, au temps des usines, l'une des plus bruyantes de Longwy, est désormais silencieuse. Dans une maison, à l’abri d’une fenêtre, protégé par le temps qui s’est écoulé, Vanoli découvre les silhouettes fantomatiques de ses camarades d’enfance dont les visages grimaçant le plonge dans son passé.


1961 - 1989 : Jusqu'à la fin de la Guerre Froide Autobiographie Grand Est Les petits éditeurs indépendants Perles rares ? Séries avec un unique avis

C’est à un voyage dans le temps doux-amer que nous convie Vincent Vanoli. Doux parce qu’il a la saveur de l’enfance, du temps suspendu qu’étire la contemplation des escargots dans le potager. Doux encore, comme le « lait-lait » que l’on boit avec les copains tandis que la maison familiale avec son grenier, ses passages secrets et ses escaliers offre un terrain de jeux et d’aventures hors-pair. Un monde archaïque qui pourtant va peu à peu se craqueler et révéler son impermanence… Les relations sociales se compliquent, le cocon familial laisse apparaître des dissensions, tandis que sévit, dans le bassin lorrain, la crise de la sidérurgie. Vanoli en est conscient, le temps qui passe sédimente et déforme les souvenirs, estompant certaines expériences pour mieux en révéler d’autres qui s’agrègent, formant une mythologie personnelle. Avec son dessin expressionniste et texturé aux mille nuances de gris, ses personnages sautillant, Vanoli nous immerge avec un humour grotesque dans son enfance lorraine. Un récit tournoyant aux allures de songe.

Scénario
Dessin
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 06 Mai 2021
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série La Grimace © L'Association 2021
Les notes
Note: 5/5
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20/06/2024 | Présence
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Les animaux eux ne mettent jamais de masques. - Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre, d'inspiration autobiographique. Sa première édition date de 2021, et elle compte 70 pages en noir & blanc. C'est l’œuvre de Vincent Vanoli, auteur complet, scénario et dessins. Il s'agit de sa quarantième bande dessinée, la précédente étant le promeneur du Morvan parue en 2019. Elle se termine avec une postface de deux pages en petits caractères. La rue Thiers. À la fin des 1970, en Meurthe et Moselle, à Mont Saint-Martin, la famille de Vincent habitait rue Thiers. Si ses souvenirs de ce temps-là sont si incertains, c'est parce qu'il alors était trop occupé à faire face à la grimace. Occupant l'espace resserré entre les bords de la fenêtre et les rideaux, le voilà dans le temps arrêté de la rue Thiers, comme elle s'appelait à l'époque des usines, aujourd'hui silencieuse et vide, quand elle était la plus passante et la plus bruyante quand autobus et autres poids-lourds faisaient vibrer la maison elle-même. Impression. Il se tient immobile comme devant le miroir et son reflet. C'est cette rue immuable qui lui donne l'impression qu'il est toujours le même, ou plutôt que celui qu'il est contient encore une part de celui qu'il était. La grimace. Soudain des silhouettes fugitives font irruption dans la rue. Qu'est-ce que c'est ? Qui sont-elles ? Ce sont ses camarades du passé. Ils sont là exprès : ils ont dû guetter son retour et ils reviennent pour lui faire la Grimace, pour qu'elle se réactive. Et il devient le reflet de ce qu'il voit. La case-fenêtre ne le protège plus et il se déforme. Voilà qu'à son tour maintenant, il refait la Grimace. Dehors ses copains font des grimaces d'enfant et il en fait de même par mimétisme. L'usine. L'adulte se souvient qu'enfant il sentait une odeur envahir parfois les rues : une des odeurs de l'usine qui s'immisce silencieusement, un rappel qu'elle est bien là. le tabac. Vincent adulte se retrouve dans la chambre qui apparemment est la sienne, mais qui devrait normalement être celle du dessous, celle qui possède une terrasse. Ce n'est pas grave, de celle-ci, il voit le bois de peupliers d'un peu plus haut. Elle est peut-être seulement un peu plus basse de plafond. Quelqu'un est venu pour préparer son lit. Son tabac sent bon et il en aime l'odeur, mais elle est détestable quand il est fumé. C'est pour ça qu'il aurait préféré la chambre d'en-dessous, pour pouvoir aller sur la terrasse. Il doit descendre : passer du sommet de la maison, zone symbolique dédiée à l'imaginaire qui y déploie ses ailes, à sa base stabilisant et maintenant l'édifice par son enracinement dans la terre-mémoire. En descendant les escaliers. Grâce aux escaliers qu'il emprunte, il va rejouer malgré tout la mélodie du passé. Ils sont une portée musicale dont les notes sont des creux dans le bois de la rampe ou les défauts particuliers de vieilles marches. Arrivé en bas, il voit sa mère qui l'attend avec sa petite sœur habillée et le manteau sur le dos, avec son cartable : c'est l'heure d'aller à l'école. Dès la première page, le lecteur découvre ou retrouve les particularités graphiques si prégnantes de l'auteur : des dessins avec une forte densité de noir et de gris dans chaque case, une minutie dans les détails marquée d'une forme de naïveté dans certaines représentations, un gauchissement des formes et des perspectives, une représentation des personnages qui fait qu'il n'est pas possible de les prendre complètement au sérieux, à la fois du fait d'expression parfois ridicules ou simplettes, et de leur nez en trompe de papillon recourbée. Sur la planche 3, il voit aussi les cases biseautées, en trapèze pour introduire une forme de désordre. En bas de cette même page, l'artiste utilise une déformation en œil-de-chat. En planche 6, il réalise une savante construction de page : dans la partie gauche de la planche, Vincent descend l'escalier, étant représenté à trois niveaux différents, chaque palier desservant une pièce différente dans la partie droite de la planche, sans bordure de case entre les deux, avec les cloisons séparant les pièces en vue de dessus, une construction savante et complexe, parfaitement lisible. le premier phylactère n'arrive qu'en planche 7. En planche 8, il réalise un dessin en pleine page, avec à nouveau Vincent représenté à trois endroits différents, ayant progressé en marchant. Planche 10 : seulement deux cases muettes racontant un accident de camion transportant des cochons. Planche 18 : une case centrale en insert sur des cases disposées en deux bandes. Planche 29 : des cases de la largeur de la page pour montrer les joueurs répartis sur la largeur du terrain de football. Planche 54 un dessin en pleine page montrant l'extérieur de la maison de la famille des Vanoli, et trois inserts pour montrer ce que fait chaque membre dans une pièce différente. La planche 67 est un dessin en pleine page, repris à l'identique pour la couverture qui a bénéficié d'une mise en couleur en bleu. Cette forme de diversité dans la construction des planches, et de pointe de caricature dans la représentation des individus (le nez en trompe de lépidoptère, leurs membres parfois un peu caoutchouteux, la position pas toujours très naturelle de leur main) n'empêche en rien un niveau de détails élevé. le lecteur s'en rend compte dès la première page avec la vue générale de la rue Thiers : chaussée, trottoirs, poteaux électriques, pavillons à l'architecture différente (toiture, rambarde, persienne, forme des fenêtres, cheminée, porte de garage), arbres d'alignement. de page en page, le lecteur apprécie cette qualité descriptive, cette représentation des environnements quotidiens de Vincent enfant : son pâté de maison, le grand jardin, sa chambre, l'entrée de la maison, la cave, la chambre de sa sœur Catherine, le grenier, la buanderie, le terrain de foot, les rues alentour, la chambre du fils de la propriétaire avec sa collection de masques, la passerelle au-dessus du complexe industriel, la vision des cheminées des hauts fourneaux, etc. Il lui suffit de regarder le dessous de caisse du camion renversé en bas de la planche 10, pour voir le savant mélange d'éléments techniques précis et réalistes, et d'éléments fantaisistes maîtrisés venant accentuer l'impression : mine de rien, l'artiste fait œuvre d'une reconstitution historique minutieuse et bien fournie. Dans la postface, Vanoli explique que dans son enfance, chaque fois que lui ou un de ses camarades émettait une fantaisie, surtout une qui ressemblait à se donner de l'importance, ou avoir une trace de prétention, il était tout de suite moqué. Il fallait toujours se faire remettre à place, et l'humour et l'ironie avaient vite fait de leur rabattre le caquet, leur faisant avoir honte d'avoir pu se croire plus malin. C'est pour ça que ses pages seront toujours noires, et sûrement aussi à cause de cet état d'esprit de moquerie permanente d'alors que les facéties grotesques y occuperont toujours une place. Dans cette même postface, l'auteur explique également qu'il se représente sous les traits d'un adulte archétypal car c'est celui adulte qui raconte et revit les scènes, alors quel intérêt de se redessiner enfant ? Cette bande dessinée relève donc des souvenirs d'enfance, entre 1975 et 1981, c'est-à-dire quand l'auteur avant entre 9 et 15 ans. Il explicite son objectif : une volonté nostalgique de faire revivre cette période. Mais tout s'est donc transformé dans son esprit et surtout pendant la conception car c'est bien au moment de dessiner les planches que lui viennent toujours les idées précisées, les solutions, les prises de position esthétiques : les choses qu'il écrit ou qu'il imagine avant se transforment quand il dessine sa page. de fait, le lecteur découvre bien des souvenirs d'enfance, en ayant conscience qu'ils ont été transformés par la mémoire, et retranscrits avec une pointe de dérision. En vrac : une expression étrange utilisée par sa mère pour saluer ses connaissances dans la rue (Pour rien, bonjour Madame), aller chercher le lait à la ferme, l'accident du camion transportant les cochons, le plaisir intense de boire la crème du lait, aller jouer au sous-sol, la crainte diffuse de la fermeture des usines, aller jouer dans le grand jardin, les après-midis d'automne passés à s'ennuyer dans le jardin, le père qui organise une aventure pour aller dans le grenier, un match de football interclasse, le souvenir de s'être perdu à quatre ans pour aller à l'école ménagère de sa mère, le visionnage du film le cuirassé Potemkine, les pollutions nocturnes, le paysage industriel, sa mère restant debout lors d'un repas chez la belle-famille en guise de protestation, etc. Ce sont des petits moments de l'enfance, des expériences universelles dans ce qu'elles apportent, et totalement spécifiques à l'enfance de l'auteur. Ces souvenirs sont aussi une reconstitution historique avec des artefacts culturels : Chéri Bibi (1976, 46 épisodes, 13mn), Croc-Blanc (1906) de Jack London (1876-1916), Capitaine Fracasse (1863) de Théophile Gautier (1811-1972), Pink Floyd, le Muppet Show, le cuirassé Potemkine (1925) de Sergueï Eisenstein (1898-1948), une représentation avortée des Fourberies de Scapin. En filigrane, c'est la perception inconsciente d'une réalité sociale, celle de l'industrie de la sidérurgie dans le bassin Lorrain à la fin des années 1970. Il est question de l'ampleur du bassin industriel, des usines qui composent le paysage, de la menace de leur fermeture dans une mesure non quantifiée et donc du chômage comme une épée de Damoclès. Les deux souvenirs les plus vivaces de l'enfant sont celui de marcher sur le dos de la bête, c'est-à-dire l'usine avec son odeur, son grondement qui se transmet au corps, ainsi qu'une journée où tout s'est arrêté (planche 55) où toute la population avait d'abord voulu s'isoler, comme honteuse d'avoir été frappée et trahie, avant d'oser sortir à nouveau pour réagir. le lecteur en déduit qu'il s'agit du 19 décembre 1978, journée Ville morte, puis manifestation de vingt-cinq mille personnes. Cette planche (numéro 55), comme toutes les autres, présente un titre en haut : Silence (2), ce qui renvoie par rapprochement à la page intitulée Silence (planche 24) où Vincent contemple la partie potagère du jardin, en silence. L'ouvrage se termine de six pages, au cours de laquelle l'auteur parvient à s'évader. le lecteur comprend que Vincent est entré dans l'âge de l'adolescence où il s'émancipe, devient plus autonome et construit sa personnalité adulte avec ce qu'il a été enfant, ce qui a été transmis par ses parents et par son environnement, et ses expériences sans eux, avec d'autres individus. Finalement, il n'aura presque pas parlé de sa sœur. Pour autant, le lecteur a découvert avec curiosité ces souvenirs d'enfance, transcrits par une narration visuelle aussi élégante et sophistiquée, que potentiellement déroutante par son esprit de dérision et de fantaisie. Il a fait l'expérience de l'universalité de certaines prises de conscience, de la manière dont l'environnement géographique, familial, socio-culturel façonne l'enfant et l'adolescent en devenir, avec une forme aussi personnelle qu'affective à sa manière.

20/06/2024 (modifier)