Antipodes
David B. et Éric Lambé, duo de prestige, nous livrent une aventure et une réflexion sur la nature humaine
David B. Ecole Duperré
Au milieu du XVIe siècle, l’aventurier français Villegagnon installe une colonie sur un îlot proche de la côte brésilienne. Afin de communiquer avec les Indiens Tupinambas, il charge Nicolas, jeune catholique français, d’apprendre leur langue et de servir d’intermédiaire. Échappant de justesse au cannibalisme des Indiens grâce à ses talents de chanteur, Nicolas s’intègre peu à peu à la tribu : il vit nu, épouse une Indienne nommée Pépin, et mange même du Portugais ! Il tente surtout de comprendre les coutumes et croyances de ses nouveaux compagnons. Persécutés de toutes parts par des démons réels et imaginaires, les Tupinambas décident de partir en quête de la « Terre sans Mal », pays mythique qui devrait les éloigner définitivement du malheur. Mais la réalité s’avérera beaucoup plus dure pour les Tupinambas, Pépin et Nicolas…
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Date de parution | 28 Août 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Le premier sens d’antipode est géographique. S’il s’agit généralement du point opposé à l’autre bout du globe, l’antipode était aussi une créature anthropomorphe imaginaire qui avait les pieds tournés vers l’arrière, une représentation faite à une époque où l’on pensait encore que la Terre était plate ! C’est avec cette image que démarre le récit, révélant l’état d’esprit entretenu par ce qu’on n'appelait pas encore l’Occident vis-à-vis des terres inconnues, et ce bien avant la conquête des Amériques, augurant du mépris pour les populations natives que les conquérants allaient bientôt soumettre avec la plus grande violence, en leur déniant toute humanité. Concocté par David B. et Eric Lambé et basé sur des faits historiques, « Antipodes » s’avère une lecture atypique non dénuée de charme. L’auteur de L'Ascension du Haut Mal, chef d’œuvre autobiographique qu’on ne présente plus, a chaussé ici sa casquette de scénariste. Pour le dessin, il s’est adjoint les services d’Eric Lambé, co-lauréat quelque peu oublié du Fauve d’or en 2017 pour Paysage après la bataille, une œuvre boudée par le public, probablement pour son côté abscons et austère. Avec « Antipodes », on se rapproche beaucoup plus des codes traditionnels de la bande dessinée pour offrir au lecteur un récit fluide et accessible se déroulant dans un Brésil où les Blancs en sont au début de leur emprise sur ce vaste pays. C’est par les yeux d’un personnage hors normes et quelque peu lunaire, Nicolas, que l’on va découvrir à quoi pouvaient ressembler les interactions entre des Européens en « mission civilisatrice » et la tribu locale réputée pour son cannibalisme. Dans un premier temps capturé par les Tupinambas, qui avaient prévu de s’en nourrir, celui-ci sera finalement adopté par ces derniers, séduits par ses mélopées enchanteuses. Quant à Nicolas, s’il est issu du camp des envahisseurs, il aura tôt fait d’adopter leurs coutumes, prenant plaisir à déambuler dans le plus simple appareil. Mais sa bienveillance totalement désintéressée ne l’empêchera pas d’être accusé de paganisme et puni par Villegagnon, le très catholique gouverneur de la région. Le dessin d’Eric Lambé recèle un charme naïf et désuet, évoquant les précurseurs de la bande dessinée du XIXe siècle, tels Rodolphe Töpffer ou, au début du XXe, Winsor McCay, voire dans une certaine mesure les peintures du Douanier Rousseau pour les scènes dans la jungle. La discrète touche de modernité est à rechercher dans la mise en couleur, avec en particulier ce violet décalé d’une brillance obscure, un rien psychédélique. En évoquant la brève présence des Français dans le Brésil du XVe siècle, bientôt chassés par les Portugais, ce récit donne à David B. l’occasion de déplacer la perspective historique en relativisant la « sauvagerie » de ces Indiens du Brésil, car si ceux-ci consommaient de la chair humaine (estimant par ailleurs que ceux qui la mangeaient crue étaient des sauvages !), ils étaient un peuple paisible à la physionomie avenante, vivant en harmonie avec les éléments, loin de l’image d’Epinal du barbare primitif. Et comme on le verra, leurs « proies » promises au festin semblaient accepter leur sort avec philosophie. La sauvagerie n’était-elle pas plutôt le fait des colonisateurs, qui n’hésitaient pas à massacrer ces peuples quand ils ne voulaient pas collaborer ? Cela étant, David B. ne fait pas non plus dans le mythe rousseauiste du bon sauvage. Dans ce livre, on découvre que les Tupinambas, dès lors qu’ils étaient menacés, n’hésitaient pas à se défendre de la façon la plus sanglante, peu importe que l’attaquant soit l’Homme blanc ou une tribu adverse. Recourant à un humour subtil, l’auteur en profite pour tacler la religion des conquérants, adeptes des conversions forcées, face à des Indiens qui eux, « ne cherchent à convertir personne », confortant la décision de Nicolas à vivre parmi eux. Si l’on retrouve la fascination de David B. pour les scènes de bataille, celui-ci puise également dans la mythologie de ces peuples pour introduire une part d’onirisme, avec ce « dieu défiguré » que l’on pouvait voir en creusant un trou dans la terre et qui avait le pouvoir de vous entraîner vers les antipodes si vous ne preniez garde où vous posiez le pied. Cette fiction historique, au titre judicieux par le fait qu’elle décrit les rapports entre deux mondes aux antipodes l’un de l’autre, se termine par un constat en demi-teinte. Le rapprochement de deux cultures trop différentes a de fortes chances d’être compromis par divers obstacles, que ce soit la langue ou les mœurs, mais de l’échange il en restera toujours quelque chose. Non pas un enrichissement matériel qui resterait vain, mais « a contrario » un gain de l’ordre de l’impalpable, un apport spirituel qui changerait notre façon de voir le monde et d’accepter les différences. Doté d’une belle édition avec une couverture toilée pour le côté rétro, « Antipodes » s’avère globalement une lecture très plaisante avec une immersion bienvenue dans un univers peu habituel mais plutôt envoûtant.
Encore une BD que j'avais envie d'aimer. Ca partait plutôt bien, mais au final, il manque un petit quelque chose d'indéfinissable. Peut-être l'absence d'éléments graphiques a-t-elle joué. Ou le manque de profondeur qui fait qu'on peine à entrer dans la tête du personnage principal, à comprendre ses motivations. Ou cette fin, certes intrigante puisqu'elle nous laisse sur notre fin, précisément, mais que j'ai trouvée assez déprimante, manquant de lumière alors qu'il m'a semblé, tout au long de ma lecture, que le déroulé appelait justement cette lumière... Un peu de tout cela, sans doute. Graphiquement, c'est chouette. Le trait d'Eric Lambé m'a plu. Outre les personnages eux-mêmes, il y a peu d'éléments graphiques. Quelques cases se chargent de fixer le cadre (forêt, village, forteresse...), mais l'essentiel se focalise sur les personnages; Ca ne choque pas du tout, au début du moins. mais à la longue, un petit vide graphique se fait sentir dans la seconde partie du récit, alors même que celui-ci erre un peu entre deux eaux, peinant à parvenir à la conclusion. Conclusion qu'en prime, on peine à interpréter. En effet, qu'ont voulu dire les auteurs ? Qu'on ne pouvait pas devenir autre chose que ce qu'on nait ?... Je ne suis pas certain de mon interprétation, ce qui n'est pas grave en soit, une œuvre ouverte (comme c'est le cas ici) étant essentiellement polysémique. Mais si tel est le cas, je ne suis absolument pas d'accord avec ça. Mais ce n'est pas tant le problème de cette conclusion hésitante, car cela en générale ne me pose pas de problème (l'excellent film Anatomie d'une chute, où chacun a vu quelque chose de différent est un bon exemple à cet égard). J'ai beau essayer de trouver ce qui cloche, de chercher le caillou dans la chaussure, rien n'est immédiatement identifiable. J'ai aimé Antipodes mais je m'y suis un peu emmerdé par moments. J'aime le trait, mais je trouve les cases cruellement vides sur la longueur. J'aime le ton, mais l'ensemble manque de sérieux aux moments où il en aurait fallu une once. Voilà, c'est un peu tout ça. Je sors d'Antipodes assailli de sentiments tout à fait contradictoires. Je mets 3/5, mais si ça se trouve, d'ici quelques jours ou semaines, il est possible que je relève la note parce que les choses se seront décantées. On verra bien...
Antipodes est un récit qui met en scène des colons en Amérique du Sud. Nicolas, un des colons européens vit dans le village des autochtones. Il semblait au début avoir été utilisé en tant que traducteur, mais de fil en aiguille il s'est retrouvé totalement intégré à la communauté indienne. Et il a même épousé une des leurs. A partit de ce postulat de départ, David B. et Éric Lambé nous livrent une aventure et une réflexion sur la nature humaine. Le propos sera à la critique de la religion, des croyances et coutumes en tout genre et de la bêtise humaine. Le ton est parfois léger, parfois doux-amer, parfois rigolo. Cette alternance est particulièrement efficace et sert habilement le propos du scénariste. Celui-ci est bien construit, on s'amuse des situations un peu grotesques, on se questionne face à la bêtise dans laquelle s'acharne les colons. On s'amuse des croyances improbables des indiens, on se questionne sur le fondement de leurs croyances... Tout ça fonctionne plutôt bien. Graphiquement c'est assez simple, il y a pas mal de cases, voire de planches entières, qui mettent en scène uniquement les personnages sans décor. Ou alors éventuellement un petit aplat de couleur vite fait. Pourtant on n'a pas l'impression de trop peu, c'est plutôt efficace. Bien trouvé également l'idée d'orner les phylactères selon la langue employée par les protagonistes. Ca fluidifie bien la lecture, et ça intègre bien la diversité culturelle qui est au centre du récit. En conclusion cet Antipodes est un album original, tant par son graphisme que par son contenu. Le propos est plutôt intelligent, on a une sorte de conte philosophique façon Candide. Ca marche plutôt bien, on passe un bon moment de lecture, même si ma toute petite réserve est que je en suis pas sur que cette lecture sera marquante durablement.
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