En territoire ennemi
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Angoulême 2025 - Prix spécial du jury Etudiante à l'Ecole des beaux-arts de Nantes, Carole s'épanouit peu à peu, loin de sa famille. Sa vie prend un nouveau tournant lorsqu'elle rencontre Stéphane. Très vite, la jeune femme se retrouve isolée, sous l'emprise de cet homme aux idées masculinistes.
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Alors qu’elle est encore adolescente, Carole prend ses distances avec sa famille catholique et ses valeurs traditionnelles. Solitaire et repliée sur elle-même, elle entre à l’école des beaux-arts de Nantes où peu à peu, elle reprend confiance en elle. C’est alors qu’elle rencontre Stéphane. Stéphane est beau, plein d’assurance, et surtout, il s’intéresse à elle. Carole tombe sous le charme et s’investit dans cette relation. Mais rapidement, elle se retrouve isolée, coupée des autres et du monde, à mesure que Stéphane, embrigadé par des discours masculinistes trouvés sur internet, se transforme… Porté par un dessin minimaliste et expressif, En territoire ennemi expose avec justesse les mécanismes qui mènent progressivement à l’isolement pour Carole et à l’extrême droite pour Stéphane. Un récit poignant, brutal et courageux sur la domination masculine sous ses formes les plus insidieuses et radicales.
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Date de parution | 06 Septembre 2024 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
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Une autobiographie centrée sur un sujet dur et intime : une relation amoureuse toxique qui a duré de nombreuses années et dont 2 enfants sont nés. C'est l'histoire de Carole, jeune étudiante en arts pas très sure d'elle et marquée par une éducation catholique qu'elle a rejetée. Aux Beaux-Arts, elle rencontre un gars charismatique et tous les deux tombent amoureux, au point qu'elle devienne accro au personnage et à leur vie de couple qui se renferme sur elle-même. Mais peu à peu, ce dernier laisse apparaitre des comportements toxiques, refusant de se remettre en question, rejetant toutes ses fautes sur les autres et virant de plus en plus misogyne, paranoïaque et extrémiste au fil des années, notamment sous l'influence des discours complotistes et racistes de certains réseaux sociaux. Le pire étant qu'au moment où elle envisage de le quitter, Carole tombe enceinte de lui et qu'elle se retrouve mère d'enfants qu'elle a du mal à assumer car ils lui rappellent trop ce qu'elle déteste dans son compagnon et dans le virilisme qu'elle subit. C'est un sujet cruel et dont on sort assez déprimé car on voit peu de solutions pour ne pas que ces enfants ressortent pourris par cette jeunesse, l'influence de leur père et l'incapacité de leur mère à les en sortir. Par chance, l'autrice met cela en image d'une manière légère et chaleureuse qui adoucit la noirceur du propos. Son trait est simple d'aspect mais il est très propre et j'aime beaucoup la manière dont elle réalise sa colorisation. Il y a de l'esthétisme dans cette simplicité, et une belle fluidité dans la lecture. L'histoire aussi coule très bien. On s'attache bien à l'héroïne et on se méfie d'emblée de son compagnon. La manière dont la situation se dégrade entre eux est bien mise en scène, avec juste ce qu'il faut pour comprendre pourquoi elle n'a pas pu fuir assez tôt et a laissé tant d'années de sa vie et de celle de ses enfants être gâchées. On comprend l'impact de son éducation sur cela, quelles parts de la société ont contribué à faire de son compagnon ce qu'il est devenu, et comment ses propres enfants pourraient suivre le même chemin. Cela fait un peu peur et on en ressort frustré de voir que rien ne vient arrêter cette progression. C'est touchant mais en même temps j'ai été gêné par le message final qui semble accuser les hommes en général, sous ce terme de virilisme qui associe le sexe masculin à l'oppression. Cette oppression et cet extrémisme ne sont pas spécifiquement masculins même si évidemment les traditions patriarcales y contribuent, et ceux qui les combattent pas uniquement féminines. De voir donc assimiler sexe masculin et virilisme oppressif m'a un peu agacé, comme une généralisation abusive des choses. C'est d'autant plus regrettable que tout au long de l'album, le message de l'autrice est nettement plus mesuré, montrant bien que c'est avant tout le comportement maladif de son compagnon qui est au cœur de cela, et que même si une frange extrême qui sévit sur les réseaux sociaux pousse à cela, la majorité des autres hommes qu'elle a côtoyées n'étaient pas ainsi, bien au contraire. Et elle montre aussi que c'est l'éducation de sa mère qui l'a poussée à tolérer des choses qu'elle n'aurait jamais dû tolérer, et que c'est sa lâcheté à quelques moments clés qui ont amené à la naissance de ses enfants et à l'éducation vérolée qu'ils vont recevoir : je ne porte là aucun jugement car c'est déjà assez terrible comme ça, j'espère le meilleur pour ses enfants et qu'elle-même retrouve le bonheur, mais c'est ce qu'elle m'a fait ressentir à la lecture de son récit. Bref, c'est une BD bien faite et qui amène à la réflexion sur des sujets durs de société et de couple. J'ai apprécié sa sincérité, la fluidité de sa mise en scène et la justesse de son propos, si j'omets le message conclusif que je trouve trop amalgamant.
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C'est le genre d'ouvrage salutaire, que ce soit pour les femmes ou "pour nous, les hommes" (Gillette® : la perfection au masculin ?). Carole Lobel, dont c'est ici la première BD, y raconte sa rencontre avec le père de ses enfants ainsi que sa vie de couple. On voit comment son ex sombre peu à peu dans une sorte de victimisation, renvoyant toute sa rancœur sur sa femme (l'autrice en l'occurrence), et plus généralement sur le genre féminin. Si cette histoire raconte un cas particulier, on sent qu'il se cache derrière toute une batterie de réflexes, de prêt-à-penser, de conditionnement. Elle dresse un paysage au milieu duquel les hommes sont élevés. Moi-même, j'y ai reconnu quelques uns des travers dont j'ai pu être brièvement le réceptacle, sans même m'en rendre compte. Le Stéphane de ce récit possède certes un profile particulier, atteint d'une forme de perversion, et à ce titre devient un véritable connard au fil du récit, mais il incarne du coup un exemple en miroir à fuir absolument. C'est même un peu plus fin que ça, car au début de la relation, on sent que les a priori masculins prennent toute la place de l'inexpérience de Carole Lobel dont c'est la première relation. Elle ne sait pas comment faire, ne connait pas vraiment sa sexualité, alors elle s'abandonne à son mâle qui fait comme "ON" lui a montré, c'est à dire brutalement, sans la moindre émotion. Car l'homme doit savoir, il doit être fort, puissant... Il y a de belles trouvailles, comme cette ellipse graphique quand l'autrice subit ce qu'il faut bien appeler les viols conjugaux à répétition, où en lieu et place d'une scène figurative, elle dessine des plantes délicates, rouges et vertes... Le dessin, par ailleurs, s'il n'est pas parvenu à combler mes attentes, reste efficace, ne se contentant pas de figurer, justement. J'ai aimé cette BD parce que le portrait d'homme ici esquissé contient tout ce qui porte préjudice aux hommes déconstruits, ou à ceux qui n'ont jamais été ces serviteurs de la masculinité patentée dont il faut définitivement se débarrasser car portant préjudice à toutes et tous, y compris nous-mêmes. J'ajoute que le parallèle que l'autrice fait entre son ex et la guerre et l'extrême droite est tout à fait pertinent. Pour s'en convaincre, on pourra lire Le Coût de la virilité de Lucile Peytavin, un bon complément à cette BD.
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