Aleister & Adolf
Théoricien des médias et documentariste, Douglas Rushkoff tisse un conte éveillé fait d'iconographie et de mysticisme dans le contexte d'une Europe déchirée par la guerre.
Dark Horse Comics Les petits éditeurs indépendants Séries avec un unique avis
Dans une histoire couvrant des générations et présentant quelques-uns des plus remarquables idéalistes du vingtième siècle, l'occultiste légendaire Aleister Crowley développe une nouvelle arme puissante et dangereuse pour défendre le monde contre Adolf Hitler, engendrant une nouvelle forme de guerre non conventionnelle, qui ne se dispute pas avec de l'acier, mais avec des symboles et des idées. Mais ces arsenaux intangibles sont bien plus traîtres, et peut-être beaucoup plus dangereux, que leurs créateurs pourraient le croire.
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Date de parution | 30 Avril 2021 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Par le pouvoir du sigil - Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, initialement parue sous la forme d'un volume en 2016, sans prépublication. Il s'agit d'un format un peu plus petit que le format comics. Le scénariste est Douglas Rushkoff, un essayiste, écrivain, chroniqueur, conférencier, graphiste et documentariste américain. Il a déjà écrit d'autres scénarios de comics tels que Testament illustré par Liam Sharp, Peter Gross et Dean Ormston, A.D.D.: Adolescent Demo Division dessiné par Goran Sudzuka. Cette histoire est en noir & blanc, dessinée et encrée par Michael Avon Oeming. Cet artiste est également le dessinateur de la série Powers scénarisée par Brian Michael Bendis, et l'auteur complet de la série The Victories. Ce tome commence par une courte introduction d'une page écrite par Grant Morrison et louant cette histoire qui aborde des thèmes comme la magie basée sur des pratiques sexuelles, les rituels de mise à mort, la guerre des sceaux (sigils), ou encore des techniques subliminales de contrôle des esprits. En 1995, Hugh travaille comme infographiste pour la création de logos pour le compte de l'entreprise Viceroy. Un soir il se retrouve incapable de maîtriser le placement d'un logo. Sa chef Carina pense qu'il doit s'agir d'un fichier corrompu, et elle l'envoie récupérer l'original aux archives auprès de monsieur Stubbs. Ce dernier suggère à Hugh de rendre visite à un certain Roberts qui lui expliquera l'origine du logo qui lui donne du fil à retordre. Il lui indique une adresse. Sur place, Hugh se retrouve dans la chambre spacieuse d'un vieillard alité. Ce dernier lui raconte son histoire personnelle, en commençant quand il avait 23 ans, en mars 1938, à Fort Myers dans l'état de Virginie. À l'époque, messieurs Stubbs et Roberts étaient affectés dans le même régiment. Un jour, Stubbs indique à Roberts qu'il est attendu dans le bureau du général George Smith Patton (1885-1945). Ce dernier lui explique que le 12 mars 1938 Adolf Hitler a annexé l'Autriche dans le seul but de s'emparer de la lance de Longin. Ne pouvant pas intervenir directement sur le sol allemand, il envoie le caporal Roberts prendre contact avec Aleister Crowley, un occultiste britannique ayant des accointances avec Rudolf Hess (1894-1987). Roberts n'éprouve pas de difficulté à se faire accepter dans la maisonnée de Crowley, et il tombe sous le charme de son assistante Daphnée. Il y fait également la connaissance d'Ian Fleming (1908-1964) et Maxwell Knight MI5 (1900-1968). Il est bientôt initié aux pratiques occultes de l'ordre ésotérique fondé par Crowley. Une histoire mêlant occultisme et nazisme, avec un fond de philosophie provocatrice, avec des dessins réalisés par un professionnel des comics = difficile de résister à une lecture aussi prometteuse. Le lecteur est en effet rassuré par le fait que Michael Avon Oeming se charge de la partie graphique. Le comics précédent de Douglas Rushkoff développait un postulat fort et original, mais avec une mise en image platounette qui en sapait une partie de l'impact. En général, Oeming dessine d'une manière caractéristique avec des formes de personnages qui rappellent des silhouettes de dessins animés pour enfant, croisées avec l'esthétique noir de Batman la série animée et des mises en page variées et inventives. Le lecteur retrouve ici le noir & blanc que le dessinateur affectionne. Le format un peu plus petit que celui des comics aboutit à une impression de pages un peu tassées, comme si Oeming avait dessiné sur le même format de page que d'habitude, sans savoir qu'il serait réduit à plus petite échelle. Le lecteur plonge dans des pages bien noires, Michael Avon Oeming utilisant avec libéralité les aplats de noir pour donner du poids aux personnages, régulièrement pour les faire ressortir contre un fond noir. il aime bien également jouer sur le contraste total entre noir & blanc, sans pour autant singer Frank Miller sur Sin City, ni même lui rendre hommage. Par exemple ses personnages ne bénéficient pas d'une forme d'idéalisation. Roberts conserve une morphologie normale, sans muscles impossibles ou sculptés dans le marbre. De même Daphnée est bien faite de sa personne, sans qu'elle ne devienne un fantasme masculin gonflé à l'hélium. Les traits de contours sont un peu appuyés, sans être très gras. Par contre les traits des visages sont marqués par des traits plus gras, leur donnant une apparence tirant la simplification des dessins animés, tout en arborant des expressions de visages attestant d'émotions complexes d'adulte. La lisibilité des dessins s'en trouve immédiate, sans pour autant qu'ils aient cette apparence simplifiée ou lissée qui s'adresse à un public plus jeune. Ils ne présentent pas non plus la séduction des dessins de Darwyn Cooke, car il y a plus de détails, plus de traits signifiants, moins d'épure, et plus de personnages marqués par l'âge ou le temps. Ces descriptions n'évoquent pas un âge d'or enjolivé par le temps qui a passé. En particulier, Michael Avon Oeming ne cherche pas à rendre tous les personnages agréables à l'œil. À ce titre, Aleister Crowley porte les marques du temps sur son visage, sous la forme de rides, mais aussi sous la forme de la peau qui se relâche quelque peu. Son corps est alourdi par le surpoids et son ventre n'est pas représenté comme une sorte de ballon bien rond insensible à la loi ne la gravitation, mais bel et bien comme un ventre distendu et faisant des plis. Cette approche graphique ramène les représentations vers le monde réel, même si elles semblent croquées sur le vif, avec un crayon un peu épais. Cela confère une tangibilité plus concrète aux scènes de magie sexuelle, qui montre clairement les actes. D'un côté, la simplification de la représentation neutralise toute forme d'érotisme ; de l'autre côté ces représentations explicites font ressortir toute la bizarrerie de ces rituels par rapport à la vie normale. Les dessins comprennent ce qu'il faut de détails en termes de tenues vestimentaires, d'uniformes, de véhicules ou d'avions, d'accessoires de la vie de tous les jours, pour que le lecteur constate de visu que l'histoire se déroule dans les années 1940, sans qu'il soit besoin de le noyer sous une masse de détails. Les découpages de planche sont variés et adaptés à chaque séquence, sans donner l'impression de partir dans tous les sens pour le plaisir de la variété. Ils servent la narration, et sont en phase avec l'intrigue. Il y a quelques pages muettes (sans texte) qui se lisent toutes seules, sans difficulté d'interprétation. Oeming intègre avec la même aisance les sigils contenus dans le récit, à commencer par le swastika. Il réussit à mettre en image l'anecdote qui donne naissance au sigil anglais, dans une scène pourtant tartignole dans son association d'idée. Par son savoir-faire professionnel, l'artiste donne à voir le récit, avec une vraie élégance, malgré les particularités de l'écriture du scénariste. Malgré son titre renvoyant clairement à 2 figures historiques, le lecteur ne sait pas trop à quoi s'attendre en termes d'intrigue. La courte introduction de Grant Morrison (3 paragraphes) attire son attention sur les thèmes abordés et développés par Douglas Rushkoff. Ce dernier implante son récit dans un contexte historique, à la fois en mentionnant des dates et en mettant en scène des personnages historiques, non seulement Aleister & Adolph, mais aussi Ian Fleming (1908-1964, le créateur et l'auteur des aventures de James Bond 007 ), mais aussi Maxwell Knight (1900-1968, un agent du MI5 dont Fleming se serait inspiré pour la création de James Bond), ou encore Rudolf Hess (1894-1987), et il cite le nom de L. Ron Hubbard, le créateur de l'église de scientologie. Mais en vérifiant rapidement le contexte de la présence de Rudolf Hess sur le sol anglais pendant la seconde guerre mondiale, le lecteur se rend compte que Rushkoff a arrangé quelques faits à sa sauce, pour les besoins de son intrigue. Il comprend donc qu'il ne faut pas prendre le récit au premier degré, comme une reconstitution historique. L'intrigue en elle-même tourne autour de l'appropriation de la lance de Longin par Adolf Hitler, et le supposé avantage psychique qu'il donne à celui qui la possède, comme en aurait déjà profité César, l'empereur Constantin, ou encore Charlemagne. Le lecteur aborde cette dimension du récit en fonction de sa sensibilité, soit comme une possibilité ésotérique, soit comme un élément narratif relevant du fantastique. La moitié du récit est consacrée à l'initiation de Roberts dans la loge d'Aleister Crowley, à nouveau un élément prêtant à différents degrés d'interprétation en fonction de la sensibilité du lecteur, même si la vérité historique atteste de la réalité de ces pratiques. Au fil des séquences, le lecteur voit émerger un thème plus conceptuel, celui relatif au pouvoir des sigils, et d'une manière plus générale à l'influence des logos divers et variés. Douglas Rushkoff se montre très convaincant dans sa manière de présenter comment un logo acquiert du sens et de l'importance, à commencer par le swastika dans le contexte du régime nazi. Il applique ce principe à un autre datant de la seconde guerre, avec la même conviction. Il semble exiger un peu trop de confiance de la part du lecteur quand il étend ce principe au projet 241, ou même au sigle du pouce en l'air. Cette histoire se lit avec plaisir grâce à l'impressionnant travail effectué par Michael Avon Oeming pour que l'histoire ait la forme d'une vraie bande dessinée, et pas simplement l'apparence engendrée par un texte fort, simplement mis en images. Le lecteur plonge dans un monde trouble, dans lequel les étranges pratiques magiques décrites semblent devenir plausibles. Il suit un personnage principal que l'on ne peut pas qualifier de héros, soumis à une forme douce d'endoctrinement, souhaitant le rendre compatible avec ses propres convictions et certitudes. Douglas Rushkoff ne cherche pas à faire croire qu'il s'agit d'une reconstitution historique. Le rythme du récit n'est pas toujours entraînant, et les pratiques magiques sont décrites avec soin, mais n'en apparaissent que moins crédibles. Par contre, il développe un point de vue original et convaincant sur les sigils.
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