Pudique
Dans ce récit autobiographique, l'autrice explore les origines de sa pudeur obsessionnelle, fruit de son éducation et du poids de la société sur le corps des femmes.
Autobiographie Féminisme La BD au féminin Les petits éditeurs indépendants Perles rares ? Séries avec un unique avis
Avec humour et fantaisie, elle raconte son émancipation : la découverte de l'intime, de la sexualité et la maternité – et finalement la réappropriation de son corps et l'amour de soi.
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Date de parution | 28 Septembre 2023 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Féministe, mais pudibonde !!! Ha ! Ha ! Ça ne fait pas très XXIe siècle ! - Ce tome contient un récit autobiographique, indépendant de tout autre. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Claire Roquigny, pour le scénario, les dessins et les couleurs. Il comprend deux-cent-cinquante-deux pages de bande dessinée. Claire et une copine sont au musée. Elles admirent des toiles de maître : La jardinière surprise (1737) de François Boucher, Suzanne et les vieillards (1856) de Théodore Chassériau, La sortie du bain (1846) d’Edgar Degas, Le déjeuner sur l’herbe (1863) d’Édouard Manet, une aquarelle d’Auguste Rodin, La vision de Tondale d’un disciple de Jérôme Bosch. Elles se font la remarque qu’elles ne se verraient pas poser comme ça, tout en se demandant ce que serait l’histoire de l’art sans les femmes à poil. Sa copine lui demande où elle en est de sa BD sur la pudeur. Claire répond qu’elle a abandonné. Elle est au-dessus de toutes ces questions désormais. Et puis ça ressemblerait trop à un règlement de compte avec les proches, genre : elle est mal dans sa peau et c’est leur faute. Elle n’en veut à personne : fini les névroses, à bas les complexes, place à l’avenir ! Elles passent ensuite devant L’origine du monde (11866) de Gustave Courbet, et elles se font la réflexion que c’est un bel hommage, qu’aujourd’hui on sait qui était le modèle. Comment réagirait-elle si elle était vivante ? Fière ou gênée ? En fait, c’est surtout le titre qui est beau. Elles terminent leur visite. Suivre le fil. Dans un avion de ligne, Claire est en train de donner le sein à son bébé, son voisin, chauve avec de grosses lunettes, est incapable de se retenir de tourner la tête pour reluquer de manière ostensible. Elle finit par être horriblement gênée. Elle se demande comment font les autres filles, comment on fait pour être moins pudique, pour se moquer du regard des autres. La pudeur : vertu des jeunes filles bien élevées ? Pourtant quand elle était petite, elle n’était pas pudique. En Normandie, en 1982, Claire a deux ans et elle court toute nue dans la salle de bain, elle en sort pour aller montrer le résultat dans son pot, aux invités. Sa mère ne se cachait pas : la petite Claire entre dans la salle de bains et elle trouve bizarre la ficelle qui dépasse là de son entrejambe. Sa mère lui répond vivement de ne pas toucher, et ajoute plus doucement un S’il te plaît. La petite fille redescend au rez-de-chaussée du pavillon et elle tire sur la ficelle qui dépasse de l’abat-jour d’une lampe. Puis elle va dans sa chambre et tire sur la ficelle de la tortue jouet : celle-ci se met à avancer en faisant de la musique. - Vu à la télé. L’autrice s’interroge s’il fallait pour autant avoir des réponses à toutes ses questions. Déjà, la télé se chargeait de leur en montrer trop. Extrait de scène de sexe du film du soir avant le programme L’île aux enfants, par exemple. Grandir dans les années 80, ça voulait dire être bombardée de culs et de nichons à longueur de journée. La Cicciolina et ses seins dénudés par exemple. Le clip de Sabrina pour Boys boys boys, les Coco-girls, les clips de Mylène Farmer, etc. La couverture annonce un récit de nature autobiographique, sur le thème de la pudeur féminine, avec une parodie du tableau La Naissance de Vénus (1484/1485) de Sandro Botticelli (1445-1510). La scène d’introduction dans le musée permet d’établir l’importance culturelle de la nudité féminine dans les arts, sa place essentielle, et la réification du corps du modèle, en particulier la vulve de Constance Quéniaux (1832-1908), même si depuis l’identité du modèle de L’origine du monde a été remis en question. Le lecteur suppose alors que le récit va aborder la question de la pudeur sous une forme thématique : il s’avère que l’autrice s’en tient à une autobiographie, sous l’angle de sa propre pudeur. Le récit se compose de plusieurs chapitres de longueur inégale : une introduction, Suivre le fil, Vu à la télé, Béquémiette, Châtain clair, Angiens, Formée, On ne naît pas femme, Torre Annunziata, Barcelone. Chaque chapitre comporte une mise en scène de sa vie à l’époque correspondante, il peut s’écouler quelques semaines entre deux chapitres, comme une dizaine d’années. Elle aborde donc cette situation de donner le sein dans un lieu public avec un voisin d’avion incapable de contenir sa curiosité masculine, l’utilisation du corps féminin comme accroche dans n’importe quelle émission de télévision, sa maigreur et son appétit d’oiseau, la tentative de suicide de sa mère, l’apparition des premiers poils pubiens et leur couleur, la maison de campagne, les vêtements amples, la survenance des premières règles, la classe préparatoire d’hypokhâgne, quinze jours de vacances à Naples pour trouver l’amour à l’occasion d’un chantier de bénévoles, ses débuts de journaliste dont une interview de Virginie Despentes à Barcelone, sa relation aux féminismes, son regret de n’avoir jamais parlé de la condition féminine et de leur histoire personnelle avec les femmes de sa famille. La lecture s’avère très agréable, facile d’accès. Passées les cinq premières pages avec des reproductions de tableau, l’autrice adopte une narration visuelle à base de silhouettes simples, d’éléments de décors très simplifiés et représentés uniquement s’ils sont indispensables à la compréhension de la scène, c’est-à-dire qu’il y a majoritairement des cases avec des personnages se tenant sur un fond vide, comme des acteurs sur une scène dépouillée. Pour autant, lorsque la séquence le requiert, l’artiste peut également représenter les décors dans le détail, avec ces mêmes traits de contour évoquant des croquis sur le vif : sa chambre avec son lit d’enfant, une vue en élévation de la rue où se trouve sa maison, la salle à manger de ses grands-parents, le jardin et les pièces de la maison de campagne, l’improbable aménagement de la maison du Marabout de Ficelle (qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son voisin d’avion), un amphithéâtre du XVIIe siècle pour une séance de démonstration de médecine afin de réveiller les sens de Claire prise dans un bloc de glace, plusieurs endroits de Naples jusqu’à une randonnée en montagne, une rue de Saint-Valéry-en-Caux, des vues en élévation de Nancy, etc. Les dessins des personnages prennent également l’apparence de croquis vite faits, sans finition sur les traits de contour, leur conférant ainsi une forme de vitalité. La mise en scène et la direction d’acteurs leur donnent vie, transmettant leur état d’esprit ou leurs émotions en fonction de la situation. D’ailleurs, la narration visuelle présente de nombreuses surprises que le lecteur n’aurait pas supposé possibles dans un tel registre graphique. Sous une apparente uniformité, avec une mise en couleur de type bichromie, l’artiste met à profit de nombreuses possibilités : les facsimilés en couleur des tableaux de maître, un plan fixe quand Claire donne le sein en avion, des silhouettes en ombre chinoise pour évoquer les créateurs qui mettent la nudité féminine à toutes les sauces à la télévision, un passage cauchemardesque en trait fins et rectilignes (comme tirés à la règle) pour évoquer un moment que la petite fille ne peut pas comprendre (sa mère emmenée par une ambulance après sa tentative de suicide), le retour de la couleur le temps de quelques cases, une allégorie (sa mère tenant les tables de la loi), des lames de rasoir sur fond blanc pour évoquer l’automutilation, une pantomime de Claire s’adressant à un garçon pour une danse de la séduction, trois pages floues en aquarelle pour une subjective de ce que perçoit Claire avec des lentilles défectueuses, une séquence finale sous forme de bain dans un lac naturel des femmes de la famille, etc. Ayant compris que cet ouvrage relève de la biographie thématique, le lecteur découvre le regard de Claire sur sa pudeur, la manière dont elle s’en est accommodée, les éléments familiaux ou culturels qui l’ont renforcée. Il s’agit d’un récit très personnel, parsemé de références culturelles propres à l’autrice : la chanson Teach your children, de Crosby, Stills, Nash and Young, extraite de l’album Déjà-Vu (1969), son admiration pour Guillaume Galienne (1972-), Anne Frank (1929-1945) et son journal, Le chef-d’œuvre inconnu (1831) d’Honoré de Balzac (1799-1850), Le deuxième sexe (1949) de Simone de Beauvoir (1908-1986), King kong Théorie (2006) de Virginie Despentes (1969-), Ballade de Mélody Nelson (1971) de Serge Gainsbourg (1928-1991), Benoîte Groult (1920-2016). D’un côté, le lecteur perçoit la question de la nudité de Claire, son refus de se montrer, ses stratégies pour déjouer les injonctions à se conformer à l’image normée de la femme que lui renvoient la télévision, les autres femmes, les attentes des hommes, comment son comportement évolue au fil des années qui passent, des situations, de ses envies. D’un autre côté, ces injonctions se trouvent contextualisées à la fois par rapport à l’époque, à la fois dans une perspective féministe. Le lecteur partage son malaise, sa fragilité, son manque de confiance, avec des réflexions très touchantes (par exemple, elle indique qu’enfant elle faisait tout pour être aimée, elle avait l’impression d’y arriver de justesse), dans le même temps la narration ne vire jamais au règlement de compte, et il ne s’agit pas d’un ouvrage militant. Pas facile de grandir en tant que femme quand la société impose des attentes et des visions normatives de ce que doit être une femme, souvent contradictoires. L’autrice évoque son enfance et le début de l’âge adulte sous cet angle, entre malaise et manque de confiance, avec une narration visuelle douce et gentille, sachant se faire aussi bien dramatique qu’humoristique. Une franchise tout en nuances avec une sensibilité délicate.
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