Contrôle des voyageurs

Note: 5/5
(5/5 pour 1 avis)

Un roman-photo de 176 pages en couleurs, réalisé par Xavier Courteix.


Les petits éditeurs indépendants Perles rares ? Roman-photo Séries avec un unique avis

– Pour moi, c’est évident. Nos guides doivent deve­nir des Tama­got­chis. – Tu veux en faire des humains de compa­gnie?!? – Plutôt des explo­ra­teurs, au service de ceux qui ne peuvent plus voya­ger. Mais il faudrait les nour­rir… les habiller… et les loger. – Et leur regard… retrans­mettre la vision. – Tu crois que c’est possible un truc pareil??

Scénario
Photographie
Editeur
Genre / Public / Type
Date de parution 24 Octobre 2019
Statut histoire One shot 1 tome paru

Couverture de la série Contrôle des voyageurs © Flblb 2019
Les notes
Note: 5/5
(5/5 pour 1 avis)
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21/10/2024 | Présence
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Par Présence
Note: 5/5 Coups de coeur expiré
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Un truc immersif. Il faut pousser le concept. - Ce tome comprend une histoire complète et indépendante de toute autre. Il s'agit d'un roman-photo de 176 pages en couleurs, réalisé par Xavier Courteix. Il se termine avec le nom des 18 interprètes ayant joué un rôle dans le récit. Dans un futur très proche, peut-être même le présent, Gilles arrive à son bureau à Paris. Il salue Emmanuel qui est déjà présent derrière son ordinateur. Gilles indique qu'il a rendez-vous avec une guide à l'instant : elle s'appelle Jihye et habite Séoul. Il se connecte sur son ordinateur portable et la salue : elle lui dit bonjour en coréen. Elle ne se trouve pas à Séoul, mais au mont Hallasan sur l'île de Jeju. Elle est chercheuse en géophysique et travaille sur l'inversion des pôles magnétiques. Elle se trouve Jeju pour aller ramasser des pierres de lave refroidie sur les pentes du volcan de l'île. Elle promet de lui faire visiter la prochaine qu'il se connectera. Il quitte son ordinateur et salue Aurore qui est arrivée entretemps. Elle leur indique que leur appli lui fait penser au jeu vidéo Myst, sauf que là il s'agit d'exploration réelle. Elle demande à essayer. Gilles et Emmanuel voient qu'il y a un guide appelé Roland disponible en Allemagne proche de la ville de Nauen, très exactement à la Nauen Transmitter Station, la plus vieille station émettrice, inaugurée en 1906. Comme convenu, Aurore se connecte à l'application le lendemain chez elle et entre en contact avec Roland qui habite dans la station émettrice. Il lui explique qu'il propage des sons à partir des antennes, à travers la ionosphère et autour du globe. Il enregistre les parasites et leurs perturbations au cours de leur transmission avant qu'ils ne reviennent sur mon récepteur radio. Aurore lui indique qu'elle aimerait bien revenir pour visiter la station le jour où il se livrera à cet exercice. Le lendemain Aurore retourne voir Gilles et Emmanuel et leur dit qu'elle a trouvé l'expérience géniale et qu'elle pense que l'appli présente un énorme potentiel commercial. Par contre, il faut trouver comment transformer cette expérience en histoire pour pouvoir accrocher les clients. Quelques jours plus tard, Gilles se reconnecte avec Jihye. Elle se trouve en vêtement de pluie en train de marcher sur une pente du mont Hallasan. Chemin faisant, en lui montrant les images avec son téléphone, elle explique qu'elle est liée à ce lieu par son histoire personnelle. Elle avait assisté à une reconstitution du soulèvement de Jeju en 1948. Elle lui parle aussi des souvenirs de sa mère qui était présente sur les lieux lors du soulèvement, avec sa propre mère, et qui était encore une petite fille à l'époque. Elle continue de marcher, s'enfonçant dans la forêt qui couvre la pente. À la fin de la balade, Gilles indique qu'il l'a beaucoup appréciée, Jihye lui répond que c'est réciproque. Ils conviennent que la prochaine fois, elle lui fera visiter Séoul. Quelques jours plus tard, Aurore, Gilles et Emmanuel ont une réunion de travail pour faire évoluer l'application dans le but de la commercialiser. Aurore indique qu'elle a trouvé le concept permettant d'en faire un produit vendeur : le tamagotchi. L'application s'appellera DOBLE. L'éditeur FLBLB publie régulièrement des romans-photos, format narratif peu usité en dehors des histoires de romance publiées par Nous Deux. Le précédent publié par FLBLB était Le syndicat des algues brunes (2018) d'Amélie Laval, récit d'anticipation prenant et dépaysant. Même s'il ne s'agit pas du même auteur, le lecteur ayant goûté au dépaysement provoqué par le format est prêt à tenter l'aventure une deuxième fois. Dès le départ, il constate que l'auteur a imaginé une histoire intrigante et intéressante : une appli qui permet de voyager à l'aide d'un guide qui fait le touriste, sans que le client n'ait à se déplacer. Xavier Courteix ne se contente pas d'évoquer des concepts avec des images de gugusses en train de parler. Il raconte son histoire en image, montrant les différentes étapes pour passer de l'état d'idée à une application fonctionnelle : la recherche d'une technologie greffée au guide DOBLE, la recherche d'une nourriture adaptée à la mission de guide, la recherche d'habitat à mettre à disposition du guide DOBLE, la recherche d'une tenue adaptée, et même l'opération de greffe sur Azwaw, premier guide DOBLE (pages 54 à 57). S'il arrive avec l'a priori que le roman-photo part avec le handicap d'une réalisation fauchée, le lecteur est très agréablement surpris. Il bénéficie lui aussi du tourisme proposé par l'application : visite de la station émettrice de Nauen (5 pages), balade sur la pente du mont Hallasan (8 pages), promenade dans plusieurs quartiers de Séoul (6 pages), petit tour le long d'un canal avec Azwaw (6 pages), etc. Au fur et à mesure de la progression du récit, le lecteur est même épaté par la diversité et la richesse des décors : les lieux visités par les DOBLES, mais aussi le bureau de Gilles, une salle d'opération dans un hôpital, une salle d'enregistrement d'une émission radiophonique, un bureau de ministre, une ville déserte la nuit. Il s'immerge avec facilité dans chacun de ces lieux, aux côtés des personnages qui interagissent avec les décors, avec les éléments des environnements. La narration visuelle ne s'apparente ni à une bande dessinée en photographies, ni à des arrêts sur image d'un film. Les pages sont construites sur la base d'un découpage en cases (en nombre variable, avec quelques photographies en pleine page ou en double page). Celles-ci se suivent dans l'ordre chronologique, soit sur la base du déroulement d'une scène, soit en alternant la vision d'un personnage dans un lieu, et celle d'un autre à un autre endroit. Les acteurs jouent dans un registre naturaliste, sans exagération, tout en prenant bien soin d'avoir des visages expressifs quand la scène le nécessite. Chaque scène est construite sur un plan de prise de vue spécifique, avec une lisibilité et une compréhension irréprochable. L'auteur utilise des cellules de texte (lettres blanches sur fond de couleur, avec une couleur différente pour chaque personnage), sans la pointe directrice des phylactères de bande dessinée. L'ensemble de ces techniques est admirablement bien intégré dans un tout cohérent en termes narratifs. Le ressenti de ce roman-photo est effectivement différent de celui d'un film (il n'y a pas le mouvement et le lecteur maîtrise sa vitesse de progression) et d'une bande dessinée. La nature même de la photographie induit une forte densité d'informations visuelles, par comparaison avec la bande dessinée où l'artiste choisit ce qu'il représente, ce qu'il détoure, ce qu'il met en couleurs. L'auteur a fait le choix de ne pas utiliser d'effets spéciaux, de retouches infographiques, ou alors de manière très limitée, ce qui conserve un aspect de réel sans comparaison possible avec la bande dessinée. À la lecture, l'effet est très différent de celui de la BD : le cerveau du lecteur oscille entre 2 modes de fonctionnement. Soit il détaille chaque photographie car il s'agit d'une fenêtre vers un endroit qu'il ne connaît pas avec des individus qu'il découvre, soit il passe rapidement n'y prêtant pas plus d'attention qu'aux milliers d'images qu'il peut voir chaque jour. Dans les 2 cas, les photographies induisent une sensation de réel sans commune mesure avec une bande dessinée. Le récit acquiert une plausibilité incroyable puisque le lecteur voit bien que c'est ce qui se passe en image sous ses yeux. Un peu déstabilisé par cette sensation de réel, le lecteur voit l'intrigue progresser tranquillement, sans idée préconçue de la direction qu'elle va prendre. Le titre semble indiquer une forme de contrôle par l'autorité qui assure le voyage, de type contrôleur dans les transports en commun, orientant l'esprit du lecteur dans cette direction. En fait, ce contrôle des voyageurs s'entend différemment dans cette histoire. De la même manière qu'il peut être surpris par la richesse des décors, le lecteur peut être surpris par l'ampleur que prend cette application DOBLE, par son succès et les transformations sociétales qu'elle provoque. Il s'attache plus ou moins aux personnages principaux : Gilles, Emmanuel, Aurore, Jihye. Il les côtoie comme il peut côtoyer des collègues de travail, apprenant quelques bribes d'information sur eux, devinant partiellement leur motivation. Cette distance relative avec eux ajoute encore à la sensation de réel. Le lecteur est le témoin privilégié du développement de DOBLE (l'entreprise), mais il n'est pas dans la tête de ses concepteurs. Xavier Courteix raconte un vrai récit d'anticipation. Il utilise avec astuce et à propos des éléments du quotidien (comme les modules de canalisation en béton de grande taille, les gens qui parlent à haute voix dans la rue) en les détournant de leur raison première. Il imagine une technologie n'existant pas tout à fait aujourd'hui, mais pas impossible dans quelques années. Il mène à bien son intrigue, tout en imaginant les ramifications d'une telle technologie. Il y a des questions éthiques (avec la mise en place d'un très caustique Indice de bonheur), des questions économiques (l'emploi créé par l'engouement pour devenir guide DOBLE), la force du lien intime qui unit client (Visiteur) et guide (DOBLE) assimilable à un contrat entre 2 individus, la généralisation de l'application qui échappe à ses créateurs, les réactions de la société civile en voyant émerger une nouvelle application omniprésente et en situation de monopole, etc. À chacune de ces occasions, le récit renvoie une image déformée d'une facette du monde réel, occasionnant une prise de conscience du lecteur, constituant une réflexion le sujet, amenant le lecteur à se rendre compte de son avis sur le sujet et à s'interroger sur ce qui peut lui apparaître comme des évidences. Même s'il s'agit d'une forme fortement connotée, le roman-photo a déjà prouvé par le passé sa capacité à être une forme narrative spécifique pouvant rivaliser avec les autres sur le plan de la complexité et de l'ambition, par exemple avec Droit de regards (1985) de Marie-Françoise Plissart & Benoît Peeters. Il dispose d'un historique attestant déjà de son potentiel, évoqué dans La petite Bédéthèque des Savoirs - tome 26 - Le Roman-photo. Un genre entre hier et demain. (2018) de Jan Baetans & Clémentine Mélois. Avec Contrôle des voyageurs, Xavier Courteix fait preuve d'une maîtrise impressionnante de cette forme narrative, racontant une histoire originale et surprenante, divertissante sur le plan visuel, porteuse d'un regard enrichissant sur plusieurs questions sociétales.

21/10/2024 (modifier)