Circuit court - Une histoire de la première AMAP
Par sa géographie, le site des Olivades se raconte déjà. On pourrait s'attendre à trouver une ferme en pleine campagne, éloignée des zones urbaines. Il n'en est rien.
Agriculture et élevage Documentaires En Provence... Les coups de coeur des internautes Perles rares ?
L'exploitation, depuis deux siècles dans la même famille de cultivateurs, était autrefois entourée de champs et de vergers. Elle est aujourd'hui littéralement ceinturée par le béton de la ZAC de Toulon, les parkings et l'autoroute. Dans ce décor, elle fait figure de citadelle verte assiégée. Circuit court raconte à la fois l'histoire de la paysannerie française dans la mondialisation et le néolibéralisme, et celle de la première AMAP. C'est aussi le récit d'une rencontre qui s'étale sur les quatre saisons d'une année aux Olivades, une promenade parmi les cultures maraîchères en compagnie de ces passeurs passionnés que sont Daniel et Denise Vuillon, et une vie de paysans marquée par les luttes, l'émancipation, et la production d'une nourriture saine, diversifiée et respectueuse de l'environnement. Le concept des AMAP (Associations pour le maintien d'une agriculture paysanne) a été importé des États-Unis par Daniel et Denise Vuillon, agriculteurs bio dans le Var. En 2001, ils ont été les premiers à développer ce système de relation directe entre producteurs et consommateurs. Ce récit est celui de leurs combats des années 1980 à nos jours, contre les expulsions, la grande distribution, la malbouffe, et pour des produits bios et la dignité des paysans. Un plaidoyer pour une nourriture saine et une économie solidaire en bande dessinée.
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Date de parution | 04 Octobre 2022 |
Statut histoire | One shot 1 tome paru |
Les avis
Cette ferme, elle a toujours su s’adapter aux événements et aux situations. - Ce tome contient un reportage complet, indépendant de tout autre, ne nécessitant aucune connaissance préalable sur les AMAP. Sa première édition date de 2023. Il a été réalisé par Tristan Thil pour le récit, et par Claire Malary pour les dessins et la couleur. Il comprend cent vingt-deux pages de bande dessinée. Il se termine avec les remerciements des auteurs. Baie de Minamata au Japon en 1957. Depuis toujours, pour les remercier d’éloigner les rats qui rongent leurs filets, les pêcheurs donnent aux chats du port les poissons trop petits ou abimés pour être vendus. Depuis quelque temps, à Minamata, un mal étrange se répand. Les filets des pécheurs sont grignotés, faute de chats, qui disparaissent, atteints d’un mal qui rend fou de douleur, et pousse au suicide. Depuis quelque temps, à Minamata, le mercure de l’usine pétrochimique Chisso se mêle aux eaux poissonneuses de la baie. C’est la première fois que des humains sont atteints, à cette échelle, en tant que maillon d’une chaîne élémentaire. Les signes cliniques de la maladie de Minamata sont principalement neurologiques. Ataxie, difficulté d’élocution, troubles visuels et auditifs, convulsions, coma, paralysies motrices, retards mentaux, décès. Le mercure de Chisso s’infiltre partout, jusqu’à traverser la barrière placentaire réputée infranchissable. Les victimes se comptent par milliers, et sur plusieurs générations. Dans les années 1960, les mères de famille japonaises, marquées par ce mal étrange et préoccupées par l’industrialisation de l’agriculture qui a massivement recours aux produits chimiques, se regroupent pour former les Teikei. Le principe est aussi simple que révolutionnaire : en échange d’assurer aux paysans une sécurité financière en achetant leurs productions par souscription, ceux-ci s’engagent à fournir des aliments sains et sans produits chimiques. Un système alternatif, simple de distribution directe et qui émancipe de l’économie de marché. En France, c’est au début des années 2000 que se développent les AMAP : les Associations pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne. La première AMAP de France commence aux Olivades, dans le Var, la ferme de Daniel et Denise Vuillon. Au temps présent, sur l’autoroute, les auteurs prennent la sortie quatorze, en direction de Ollioules-Chateauvallon. Il traverse une zone commerciale avec un énorme hypermarché et un établissement de restauration rapide. Ils pénètrent dans le domaine des Olivades : passer les remparts de bambous, franchir les douves par le pont-levis qui mène à cette ferme flanquée d’une tour qui se prendrait volontiers pour un donjon. Arriver aux Olivades, c’est un peu comme pénétrer dans une citadelle verte assiégée par le béton. Tristan et Claire sortent de leur voiture et s’approchent de la maison qui semble vide. Ils décident de se diriger vers la serre ils sont accueillis par le chien, puis la voix de Daniel s’élève pour indiquer qu’il se trouve au bout du rang de tomates. Oui, mais lequel ? Le sous-titre et le texte de la quatrième de couverture s’avèrent explicitent : cette bande dessinée raconte l’histoire de la première AMAP en France, celle des Olivades, une Association pour le Maintien d’une Agriculture paysanne. Les auteurs ont adopté une trame directe : ils racontent leur rencontre avec Denise & Daniel Vuillon, et transcrivent le récit quasi chronologique qu’ils font de l’histoire de leur entreprise. Daniel évoque la ferme telle que son père l’a développée, et que lui son fils a reprise par la suite. Cette rencontre se déroule dans le domaine des Olivades, situé à proximité d’Ollioules, une commune à l'ouest de Toulon dans le Var. Pour autant l’histoire commence au Japon dans les années 1960, et il emmène le lecteur pour un séjour aux États-Unis à l’occasion du passage à l’an 2000, dans les rayons de l’hypermarché Mammouth qui a ouvert à proximité d’Ollioules, à Monaco en Bretagne. Au fil des décennies, le lecteur retrouve des marqueurs économiques, sociologiques et sanitaires : l’ouverture progressif du marché agricole à l’Europe, d’abord à l’Italie, puis à l’Espagne, le développement des hypermarchés (dont la marque Mammouth disparue depuis) et leur mode d’achat en très grosse quantité, puis en encore plus grosses quantités au travers de centrales d’achats, l’imposition de critères sur les fruits et légumes limitant de fait les variétés vendues, l’encéphalite spongiforme bovine et la maladie de Creutzfeldt-Jakob, l’avènement d’internet, la vie et la mort des coopératives agricoles, la naissance d’ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'action citoyenne), etc. En fonction de sa familiarité avec ces événements, le lecteur est ainsi amené à les reconsidérer avec la connaissance que donne le recul des décennies passées. Le lecteur découvre la première page : elle baigne dans des teintes vertes, céladon, amande, prasin, sauge, tirant parfois vers le gris bis, lin, plomb, souris. D’un côté, cela donne une forte unité et cohérence visuelle à l’ensemble de l’ouvrage ; de l’autre côté, il peut craindre une certaine forme d’homogénéité à la longue. Il fait l’expérience de l’effet de la mise en couleurs : une complémentarité avec les traits de contours et les traits utilisés pour apporter du relief et de la texture des éléments détourés. Ces différentes nuances de teinte augmentent le relief, permettent de faire ressortir une forme par rapport aux autres, de créer différents plans, et de rendre compte de la luminosité du moment. À l’opposé d’un effet de monotonie, la mise en couleurs habille et apporte de la consistance aux formes. Les traits de contour dessinent des formes assez simples, rendant la lecture immédiate. Le lecteur apprécie le juste dosage entre les cases, les dialogues et les cartouches de texte, l’ensemble engendrant une lecture fluide et agréable. L’artiste ne se contente pas de coller une tête en train de parler dans les cases en guise de mise en scène des propos de Denise & Daniel Vuillon. Les pages montrent les différents endroits où se déroulent les discussions, ainsi que de nombreuses mises en situation, variées. La scène introductive se déroule dans un petit village côtier japonais, avec une belle vue de la baie, et des usines dont les rejets la polluent. Par la suite, le lecteur se retrouve dans des environnements diversifiés : sous les serres tunnels pour voir les cultures, une vue de dessus des terres de l’exploitation agricoles, sur une plage pour récolter des algues, au niveau du canal de Provence pendant les travaux de sa réalisation, dans un blocage sur autoroute pour empêcher la progression des camions espagnols, dans un hypermarché, dans la cuisine familiale, en train de faire les courses dans un petit centre-ville, dans la grande salle du Louis XV à l’hôtel de Paris à Monaco, à New York, dans une AMAP étatsunienne (CSA : Community-supported agriculture) à visiter l’exploitation. Les dessins montrent de nombreuses activités liées à l’agriculture paysanne, de la conduite du tracteur à la récolte des courges. La tendance naturelle du lecteur peut être de se focaliser sur les échanges et les discussions constituant l’exposé historique de la première AMAP, sans prêter une attention aussi grande aux dessins. Pourtant, il finit par se rendre compte que la narration visuelle ne se réduit pas à un support prétexte et redondant : elle montre et raconte des circonstances, des environnements, des gestes, des actions en correspondance directe avec les discussions, les enrichissant, preuve d’une coordination remarquable entre artiste et scénariste. Dans cet exposé incarné et concret au travers des images, le lecteur découvre l’histoire de l’exploitation agricole des Olivades au fil de cinq décennies mouvementées. Le scénariste commence par donner d’entrée de jeu la définition et l’objection de l’agriculture paysanne, et les rappelle à quelques reprises, c’est-à-dire nourrir en apportant deux choses essentielles : la santé et le plaisir. Les repères historiques font partie intégrante de cette histoire puisque les paysans de l’installation doivent adapter leur modèle économique à chaque changement : ouverture à la concurrence européenne ou spécifications de la grande distribution. À chaque nouveau risque, chaque nouvel obstacle, le lecteur est curieux de savoir comment l’entreprise va pouvoir y faire face, lutter face à des entreprises mondialisées, ou des institutions capables de les exproprier. Il sourit en se rendant compte que la solution vient des États-Unis, s’inspirant donc du Teikei japonais : le libéralisme économique donnant naissance à une forme de relation économique permettant de retrouver le juste équilibre en le prix payé et le coût de la production. En outre, il mesure à quel degré il a pu intégrer le modèle économique hégémonique des grandes surfaces : Les Olivades, c’est l’histoire d’une aventure, d’une remise en question d’un modèle qui semble unique au point d’avoir l’impression qu’il n’y avait jamais eu que ça, qu’il n’y avait pas d’alternative. Il constate l’intelligence du chapitrage en saisons : automne (1973-1987), hiver (1988-1999), printemps (2000-2020), été (2022-). Enfin il lui tarde d’essayer les recettes figurants dans l’ouvrage : Tomates à la provençale, Soupe au potimarron et au pistou, Risotto au potimarron, Aubergines alla Darmigiana. Il ne peut qu’acquiescer aux constats de bon sens : le premier travail du paysan est donc de nourrir la terre, et c’est la terre ensuite qui nourrit la plante. Ou encore : La vraie nourriture est celle qui est en lien avec la terre, avec le terroir, avec une terre qui doit être vivante. À part s’il est déjà convaincu par le principe des AMAP et s’il sait ce que c’est, il est possible que le lecteur n’envisage pas la lecture de ce tome. S’il s’embarque avec les auteurs, il découvre l’histoire de la première association pour le maintien d’une agriculture paysanne, celle des Olivades dans le Var. La narration visuelle s’avère très facile d’accès tout en portant une part significative du récit, et le récit très vivant, à la fois par les remarques de Denise & Daniel Vuillon, à la fois par les grands événements ayant marqué l’évolution de l’agro-alimentaire. Passionnant.
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